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Date : 20030311

Dossier : T-149-03

Référence : 2003 CFPI 296

Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 11 mars 2003   

En présence de Monsieur le protonotaire John A. Hargrave

ENTRE :

                                                            ARTHUR WEBSTER

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                     LE PROCUREUR GÉNÉRAL

                                                                  DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE


[1]                La présente requête a pour but de radier une demande de contrôle judiciaire. Le premier obstacle qui nous vient à l'esprit est l'arrêt David Bull Laboratories c. Pharmacia Inc. [1995] 1 C.F. 588, dans lequel le juge Strayer de la Cour d'appel a signalé, à la page 596, que le moyen approprié de contester une demande, que la partie défenderesse estime sans fondement, consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même. Toutefois, il a reconnu, à la page 600, que, dans des cas très exceptionnels, un tribunal peut, en invoquant sa compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la Règle 5, rejeter sommairement « un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli » . Le juge Strayer a signalé que ces cas de rejet doivent demeurer très exceptionnels.

[2]                Bien que la demande de M. Webster n'ait pas beaucoup de chance d'être accueillie, je ne suis pas disposé à la radier en m'appuyant sur le critère énoncé dans l'arrêt David Bull. En fait, pour une autre raison beaucoup plus contraignante, la requête n'aurait pas dû être présentée et elle constitue donc un abus de procédure.

[3]                Pour élaborer sur ce point, le défendeur a présenté un mémoire volumineux dans lequel il indique que la Section de première instance de la Cour fédérale n'a, du fait de l'article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale, aucune compétence lorsque la compétence est accordée à un autre tribunal, notamment la Cour canadienne de l'impôt. Toutefois, l'avocat du défendeur a abandonné cet argument, qui avait été présenté devant M. le juge Rouleau qui l'a rejeté. Cela nous oblige à faire un bref rappel des faits.

Contexte pertinent


[4]                Le demandeur n'a pas eu gain de cause dans le réexamen d'une nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par la suite, il a formé un appel devant la Cour canadienne de l'impôt, pour apprendre ultérieurement que les délégués du ministre disposaient de renseignements confidentiels non vérifiés, obtenus d'un informateur, qu'ils avaient transmis au ministre. En contre-interrogatoire, la vérificatrice de l'impôt, qui avait préparé les documents transmis au ministre, a reconnu que les renseignements qui étaient contenus dans son rapport étaient pertinents, bien qu'ils n'aient pas été vérifiés et que le ou les faits présumés obtenus de l'informateur avaient trait à une question essentielle dans l'appel de M. Webster. L'avocat de M. Webster a demandé une copie complète du rapport de la vérificatrice, ce qui lui a été refusé : j'aimerais ajouter ici que la Cour a été saisie d'une demande, dans le cadre de la présente instance, pour vérifier si le privilège de l'informateur qui est revendiqué par la Couronne peut constituer un motif pour refuser de produire les documents aux termes de la Règle 318.

[5]                Après avoir appris que le ministre disposait de certains renseignements quand il a pris sa décision, renseignements dont la communication lui a été refusée, M. Webster a alors déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

Analyse


[6]                La présente demande de contrôle judiciaire étant hors délai, M. Webster a demandé dans le cadre de l'instance 02-T-77 une prorogation de délai afin de pouvoir déposer la demande, en faisant valoir que le ministre avait contrevenu aux règles de justice naturelle et au principe audi alteram partem, manquement dont le demandeur ne s'est aperçu qu'au moment du contre-interrogatoire de la représentante du ministre, la vérificatrice du Service de l'impôt, le 31 octobre 2002. Cette demande de prorogation de délai a été transmise au juge Rouleau sous forme de requête écrite. Il ressort des mémoires de la requête et des plaidoiries écrites dans ce dossier que, parmi les questions débattues dans la demande de prorogation de délai et l'opposition à cette demande, on traitait de la compétence accordée à la Cour canadienne de l'impôt par l'article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale et du fait de savoir si le demandeur avait ou non une chance raisonnable d'obtenir gain de cause dans la demande proposée de contrôle judiciaire. Les chances de succès d'une telle procédure, ou, selon les termes utilisés dans l'arrêt Grewal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.), l'existence de motifs soutenables, sont une simple exigence pour obtenir une prorogation de délai. Les facteurs du délai et de l'existence de motifs soutenables doivent ensuite être pondérés afin que justice soit faite entre les parties.

[7]                Dans son ordonnance du 10 janvier 2003, le juge Rouleau a prorogé le délai pour l'introduction de la présente procédure de contrôle judiciaire. Bien qu'il n'ait pas fourni de motifs, il ressort implicitement que le juge Rouleau doit avoir cru qu'il y avait, à un degré ou à un autre, une cause défendable.

[8]                L'avocat de la Couronne reconnaît que celle-ci a invoqué l'argument selon lequel, d'après la loi, la compétence revient à la Cour canadienne de l'impôt et non à la Cour fédérale. Toutefois, comme motif subsidiaire pour radier la demande, l'avocat de la Couronne cite maintenant l'arrêt Harelkin c. Université de Regina [1979] 2 R.C.S. 561, à l'appui de la proposition selon laquelle il y a un autre redressement adéquat auquel le demandeur doit avoir recours, c'est-à-dire celui qu'offre la Cour canadienne de l'impôt. La Couronne prétend que cet argument n'a pas été débattu devant le juge Rouleau.

[9]                Deux réponses peuvent être apportées à la proposition fondée sur l'arrêt Harelkin. D'abord, un plaideur ne doit pas être assujetti à une série de requêtes traitant toutes essentiellement de la même question. En l'espèce, le demandeur a débattu, devant le juge Rouleau, de la question de savoir si la présente procédure de contrôle judiciaire pouvait ou non être autorisée à être poursuivie. Cette décision a été portée en appel par la Couronne et par conséquent le demandeur devra débattre de l'argument, peut-être appuyé par l'arrêt Harelkin, devant la Cour d'appel. Le demandeur a eu à débattre de la même question hier dans le cadre de la présente requête. Il devra encore une fois traiter de la même question, au cours de la vérification imminente du privilège de l'informateur fondé sur la Règle 318 de la Cour fédérale. Tout ceci constitue un abus de procédure, étant donné que l'arrêt Harelkin aurait dû être soulevé à la première occasion, c'est-à-dire quand la question était devant le juge Rouleau.


[10]            Toutefois, je traiterai de la proposition fondée sur l'arrêt Harelkin . L'avocat de M. Webster a fait valoir avec raison que ce qui est en cause en l'espèce ce n'est pas la justesse de l'évaluation, ce qui était la question posée à la Cour de l'impôt, mais plutôt le fait de savoir si la Couronne, en la personne du ministre, a contrevenu à sa propre procédure. Autrement dit, il prétend qu'il y a une différence entre, d'une part, la compétence de la Cour de l'impôt de se prononcer sur la justesse de l'évaluation, c'est-à-dire sur le fondement de l'évaluation et, d'autre part, la compétence d'examiner la procédure qui doit être suivie par le ministre, étant donné que la Cour de l'impôt n'a pas compétence pour corriger les erreurs de procédure. Cette démarche n'est pas sans précédent, même si ce n'est que par analogie : je ferai référence ici à des cas présentés au nom de M. Webster, notamment Edwards c. Canada [2002] 3 C.T.C. 339, Robertson c. Ministre du Revenu national 2001 211 F.T.R    172, Braceland c. Canada 1999 165 F.T.R. 93 et Kutlu c. Canada 1997 130 F.T.R. 85. L'avocat de la Couronne signale qu'il s'agit de décisions faisant intervenir l'article 220 de la Loi de l'impôt sur le revenu, lorsqu'il n'y a pas de droit d'appel devant la Cour de l'impôt et par conséquent qu'il doit y avoir un contrôle judiciaire devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Toutefois, il n'en reste pas moins que la Cour de l'impôt n'a pas compétence pour corriger le ministre, quand celui-ci a commis une erreur de procédure. J'ai ici à l'esprit le fait que la Cour de l'impôt ne peut pas rendre de jugement déclaratoire (M.R.N. c. Devor [1993] 1 C.T.C. 142, page 143 (C.A.F.) et Prior c. La Reine [1989] 2 C.T.C. 280, page 283 (C.A.F.)) ni accorder de recours extraordinaire (Markman c. M.R.N. [1989] 1 C.T.C. 2381, pages 2384-85 (C.C.I.)). Tout ce que la Cour de l'impôt peut faire, c'est se prononcer sur la justesse de l'évaluation : voir Markman (précité) à la page 2383.


[11]            L'avocat de la Couronne cite également la décision Girourd c. La Reine [1998] 2 C.T.C 2547 (C.C.I.) à l'appui de la proposition selon laquelle la décision du ministre de confirmer ou de modifier une cotisation, à la suite d'un avis d'opposition, est un acte administratif, par opposition à une décision quasi judiciaire. Toutefois, je ferai observer que la décision du ministre dans Girourd a été prononcée en s'appuyant sur des versions antérieures des articles 165 et 169 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Qui plus est, il ressort des documents déposés par la Couronne elle-même, documents qui s'adressent au public et qui expliquent la procédure en termes simples, que le ministre ne prend pas nécessairement une décision administrative, étant donné que la procédure devant la Cour canadienne de l'impôt ne semble pas être de la nature d'un procès, mais plutôt de la nature d'un appel.

[12]            Bien qu'il soit possible que le demandeur n'ait pas nécessairement gain de cause sur la qualification fondamentale de la présente procédure de contrôle judiciaire comme étant une procédure visant à corriger l'erreur procédurale commise par le ministre, ce qui relève de la compétence de la Section de première instance de la Cour fédérale, par opposition à la contestation de la validité d'une cotisation devant la Cour canadienne de l'impôt, il est tout à fait clair qu'il ne s'agit pas d'un cas très exceptionnel qui devrait être radié parce qu'il correspond à l'exception énoncée à la page 600 de l'arrêt David Bull (précité). La requête est donc refusée. Toutefois, comme je l'ai signalé au tout début, la présente requête n'aurait jamais dû être déposée, étant donné que toute cette question aurait dû être débattue de façon plus appropriée et complète devant le juge Rouleau, et que la Couronne a eu amplement la possibilité de le faire. Dans ce sens, la présente requête a fait perdre du temps au demandeur, pour ne rien dire de l'argent du contribuable. Cela nous mène à la question des dépens.


[13]            Je ne suis pas convaincu qu'il y a eu dans la présente instance une inconduite telle qu'elle justifie l'adjudication des frais sur la base procureur-client : ce genre de cas s'accompagne habituellement d'une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrancière. Toutefois, la présente requête équivaut presque à une inconduite dans ce sens, comme je l'ai dit, qu'elle n'aurait pas dû être déposée à cette étape de l'instance et qu'elle constitue donc un abus de procédure. Toute cette question aurait dû être défendue dans le cadre de la requête présentée devant le juge Rouleau en janvier de cette année. Le résultat de la requête justifie donc l'adjudication des dépens taxables au haut de l'échelle de la Colonne 5 du Tarif B, payables immédiatement après la taxation ou l'entente entre les parties.

                 « John A. Hargrave »            

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 11 mars 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-149-03

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Arthur Webster c. Le Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :               le 10 mars 2003   

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE :                        le protonotaire Hargrave

DATE :                                               le 11 mars 2003

COMPARUTIONS :

D. Laurence Armstrong                                                             POUR LE DEMANDEUR

Lisa M. Macdonell                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Armstrong Nikolich                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Victoria (C.-B.)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)


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