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                                                                                                                                  Date : 19980729

                                                                                                                       Dossier : IMM-3467-98

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

                                                      MOHAMED BULLE BARRE,

                                                                                                                                          demandeur,

                                                                          - et -

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                            défendeur.

                                                                ORDONNANCE

            Pour les motifs écrits qui sont prononcés, la demande de sursis d'exécution est rejetée.

                                                                                                        « Max M. Teitelbaum »        

                                                                                                                        J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                                                                                                                                  Date : 19980729

                                                                                                                       Dossier : IMM-3467-98

ENTRE :

                                                    MOHAMED BULLE BARRE,

                                                                                                                                         demandeur,

                                                                          - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                          défendeur.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]         Le 21 juillet 1998, le demandeur, Mohamed Bulle Barre, ci-après appelé M. Barre, a déposé auprès du greffe de la Cour fédérale à Vancouver (C.-B.) un avis de requête en vue du prononcé d'une ordonnance visant à surseoir au renvoi du demandeur en Somalie jusqu'à l'issue de la demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire déposée en l'espèce.

[2]         La demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire dans l'affaire dont je suis saisi se rapporte au contrôle de la décision de Lisa Rae Devries, agente de renvoi à Citoyenneté et Immigration Canada, de renvoyer M. Barre en Somalie. Cette décision a été communiquée au demandeur le 6 juillet 1998. Ainsi que le demandeur l'affirme dans le mémoire des faits et du droit qu'il a déposé auprès de la Cour dans le cadre de la demande de sursis d'exécution, [traduction] « [l]e demandeur ne conteste pas la mesure d'expulsion même. Cette mesure a été prise le 6 juillet 1998 et repose uniquement sur la déclaration de culpabilité prononcée contre le demandeur relativement à une infraction criminelle commise au Canada » .

[3]         Par ailleurs, le demandeur affirme dans son mémoire des faits et du droit que [traduction] « [à] ce stade-ci, le demandeur n'invoque même pas d'arguments sur la question de savoir si le délégué du ministre a commis une erreur en exprimant l'avis que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada » en application du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, qui dispose :

Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre :

a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.

[4]         Le demandeur a déposé une demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire distincte relativement à cette décision.

[5]         Par conséquent, ainsi que je viens de le mentionner, je suis saisi d'une demande de sursis d'exécution visant à empêcher le ministre d'expulser le demandeur du Canada pour le renvoyer en Somalie, pays où il est né et dont il a la citoyenneté.

[6]         Pour mieux comprendre les raisons pour lesquelles le Canada veut expulser le demandeur du Canada et les questions juridiques que soulève le renvoi du demandeur en Somalie, il me paraît utile de faire le portrait de ce dernier et d'expliquer pourquoi il est venu au Canada et ce qu'il a fait dans ce pays pour qu'on décide de prendre une mesure d'expulsion contre lui.

[7]         Dans un affidavit signé le 22 juillet 1998, l'agent d'immigration Brad Young déclare ceci :

[traduction] Le demandeur est né le 18 février 1965 à Bardera, en Somalie. C'est le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui l'a adressé à des fonctionnaires de l'ambassade du Canada en 1990. Le demandeur a obtenu le droit d'établissement au Canada comme réfugié au sens de la Convention le 21 décembre 1990. J'ai joint à mon affidavit comme pièce « A » une copie certifiée conforme du visa d'immigrant et de la fiche relative au droit d'établissement du demandeur.

                Depuis le 4 novembre 1992, date à laquelle le demandeur a été reconnu coupable à Toronto de voies de fait, infraction prévue à l'article 266 du Code criminel, le demandeur a un casier judiciaire au Canada, ainsi qu'il est indiqué dans un résumé fourni par les Services d'identification de la G.R.C. J'ai joint à mon affidavit comme pièce « B » une copie certifiée conforme de ce document.

                Le 17 novembre 1994, le demandeur a été reconnu coupable à Toronto d'agression armée, de méfait et de défaut de se conformer aux conditions d'un engagement, infractions qui sont toutes prévues au Code criminel, et a été condamné à une peine d'emprisonnement de sept jours relativement à la première accusation et à une peine d'emprisonnement de trois jours relativement à la deuxième accusation. Les deux peines devaient être purgées en même temps. J'ai joint à mon affidavit comme pièce « C » une copie certifiée conforme de la dénonciation et de la décision visant le demandeur.

                Le 24 juin 1996, le demandeur a été reconnu coupable à Vancouver de vol de biens dont la valeur ne dépassait pas 5 000 $, infraction prévue à l'al. 334b) du Code criminel, et a été condamné à une amende de 150 $ ou par défaut à un emprisonnement de sept jours. J'ai joint à mon affidavit comme pièce « D » une copie certifiée conforme de la dénonciation et de la décision visant le demandeur.

                Le 19 août 1996, le demandeur a été reconnu coupable à Vancouver d'avoir proféré sciemment des menaces de causer la mort ou des blessures à quelqu'un, infraction prévue à l'article 264.1 du Code criminel, et a fait l'objet d'une condamnation avec sursis et d'une ordonnance de probation de deux ans assortie de conditions. J'ai joint à mon affidavit comme pièce « E » une copie certifiée conforme de la dénonciation et de la décision visant le demandeur.

                Le 19 juillet 1996 ou vers cette date, le demandeur a été reconnu coupable à New Westminster (C.-B.) de port d'arme (un couteau) dans un dessein dangereux pour la paix publique, infraction prévue à l'article 87 du Code criminel, et d'avoir proféré des menaces de causer la mort ou des blessures à quelqu'un, infraction prévue à l'alinéa 264.1(1)a) du Code criminel. Il a été condamné à un emprisonnement de neuf mois relativement aux deux chefs d'accusation, les deux peines devant être purgées concurremment, et a fait l'objet d'une interdiction d'avoir des armes pendant trois ans. J'ai joint à mon affidavit comme pièce « F » une copie certifiée conforme de la dénonciation et de la décision visant le demandeur.

[8]         Pour avoir un meilleur aperçu des différentes infractions à l'égard desquelles le demandeur a été reconnu coupable, j'inclus dans les présents motifs la pièce « B » jointe à l'affidavit de Brad Young :

[traduction]

1992-11-04

Toronto (Ont.)

Voies de fait

Art. 266 C. cr.

(Service de police du Grand Toronto - 011112-92)

Temps passé en détention (4 jours) plus 21 jours et probation d'un an

1993-06-01

Toronto (Ont.)

(1)Agression armée

Al. 267(1)a) C. cr.

(2)Défaut de se conformer à un engagement

Par. 145(3) C. cr.

(Service de police du Grand Toronto - 011112-92)

(1)Temps passé en détention (34 jours) et 90 jours discontinus et probation

(2)90 jours discontinus conc.

1993-09-21

Toronto (Ont.)

Voies de fait

Art. 266 C. cr.

(Service de police du Grand Toronto - 011112-92)

15 jours et probation de 6 mois

1993-09-24

Toronto (Ont.)

(1)Voies de fait

Art. 266 C. cr.

(2)Défaut de se conformer à un engagement

Par. 145(3) C. cr.

(Service de police du Grand Toronto - 011112-92)

(1)45 jours discontinus conséc. à la peine à purger et probation d'un an

(2)15 jours discontinus conséc. et probation d'un an conc.

1994-05-17

Toronto (Ont.)

Défaut de se conformer à un engagement

Par. 145(3) C. cr.

(Service de police du Grand Toronto - 011112-92)

Temps passé en détention et 21 jours

1994-08-05

Kitchener (Ont.)

(1)Possession de stupéfiants

Par. 3(1) Loi sur les stupéfiants

(2)Défaut de comparaître

Par. 145(2) C. cr.

(SP RÉG Waterloo - 26222)

(1-2)Sentence suspendue et probation d'un an relativement à chaque chef conc.

1994-11-17

Toronto (Ont.)

(1)Agression armée

Al. 267(1)a) C. cr.

(2)Méfait de moins de 1 000 $

(Service de police du Grand Toronto - 011112-91)

(1)7 jours et (60 jours passés en détention)

(2)3 jours conc. et interdiction d'avoir des armes à feu, des munitions ou des substances explosives pendant 10 ans

1996-06-24

Tribunal pour adultes

Vancouver (C.-B.)

Vol de moins de 5 000 $

Al. 334b) C. cr.

(BC03011963412)

(Service de police de Vancouver 96-3505)

150 $ I-D 7 jour(s)

1996-07-19

New Westminster

(C.-B.)

(1)Port d'arme

Art. 87 C. cr.

(2)Proférer des menaces

Al. 264.1(1)a) C. cr.

(Service de police de New Westminster - 96-784)

1996-08-19

Tribunal pour adultes

Vancouver (C.-B.)

Proférer des menaces

Art. 264.1 C. cr.

(BC30119607838)

(Service de police de Vancouver 96-65680)

[9]    Le 18 novembre 1996, le demandeur a fait l'objet d'un rapport en vertu de l'article 27 de la Loi sur l'immigration. Le demandeur était une personne visée à l'alinéa 27(1)d) de la Loi vu la déclaration de culpabilité prononcée contre lui le 19 juillet 1996. Le demandeur a également été avisé par lettre le 18 novembre 1996 que le ministre exprimerait peut-être l'avis que le demandeur constitue un danger pour le public en application du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 53(1)d) de la Loi. Le demandeur a été invité à fournir des observations, des renseignements et des éléments de preuve concernant l'avis de danger et à faire état des raisons d'ordre humanitaire ou des risques auxquels il serait exposé à son retour dans le pays dont il s'est enfui qui pourraient l'emporter sur le danger qu'il pourrait constituer. (Voir la pièce « H » jointe à l'affidavit de Brad Young.) L'avocat du demandeur a fourni des observations au nom du demandeur.

[10] Le 28 février 1997, le délégué du ministre a exprimé l'avis que le demandeur constitue un danger pour le public. Le 17 mars 1997 (au paragraphe 15 de l'affidavit de Brad Young, on mentionne le 17 mars 1998, mais dans la pièce « L » , on mentionne est le 17 mars 1997), le rapport prévu au paragraphe 27(3) de la Loi a été autorisé. On y ordonnait la tenue d'une enquête afin de décider si le demandeur est une personne visée à l'alinéa 27(1)d) de la Loi.

[11] Le 6 juillet 1998, une mesure d'expulsion a été prise contre le demandeur en vertu du paragraphe 32(2) de la Loi. Le 6 juillet 1998, Brad Young et Lisa Rae Devries, qui sont les agents d'immigration responsables du dossier du demandeur, ont rencontré ce dernier pour confirmer les préparatifs du voyage d'expulsion. Le demandeur ne conteste pas la validité de la mesure d'expulsion.

[12] Comme je viens de le dire, le 28 février 1997, le délégué du ministre, W. A. Sheppit, directeur général, Règlement des cas, a exprimé l'avis, en application du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 53(1)d) de la Loi, que le demandeur, Mohamed Bulle Barre, constitue un danger pour le public au Canada.

[13] Pour tirer cette conclusion, le délégué du ministre, M. Sheppit, a examiné le rapport suivant signé par l'agente de réexamen Bonnie Maystrenko le 25 février 1997 et par l'analyste supérieur Ian Munn le 26 février 1997, et la décision concernant le rapport signée par W. A. Sheppit le 28 février 1997.

          [traduction]

          Demande d'avis de danger - Par. 70(5) et al. 53(1)d)

          Demandeur : BARRE, Mohammed Bull                                   Dossier : HQ8-12288

          Catégorie : Résident permanent                                                               Citoyenneté : Somalie

          Date de mise en liberté :

                                                                                                                            

          PROFIL DU DANGER

19 juillet 1996 - Port d'arme (couteau) dans un dessein dangereux pour la paix publique, art. 87 C. cr. - Peine d'emprisonnement de 9 mois et interdiction d'avoir une arme pendant 3 ans.

       - A proféré des menaces de causer la mort ou des blessures à quelqu'un en contravention de l'al. 264.1(1)a) du C. cr. - Peine d'emprisonnement de 9 mois à purger en même temps que la peine imposé en vertu de l'art. 87.

Voir les motifs du juge, page 2, et l'observation de l'avocat, page 3, pour les autres condamnations.

          CONSIDÉRATIONS RELATIVES AU RISQUE QUE PRÉSENTE LE RENVOI

L'avocat affirme que « Mohammed serait exposé à un risque sérieux s'il est renvoyé en Somalie. Il serait tué à Mogadiscio à cause de ses antécédents familiaux. De même, il serait tué s'il retournait dans les environs de Kismayu parce que cette région est contrôlée par le général Morgan. Il serait tué par les forces militaires présentes dans cette région parce qu'il a déserté en 1988. Il ne serait pas en sécurité dans le nord de la Somalie non plus parce que cette région est contrôlée par la tribu Issaq. Les membres de cette tribu savent qui est le demandeur et qui sont les membres de sa famille. Il serait tué s'il retournait là-bas aussi » .

Selon les Country Reports for Human Rights Practices de 1995, « la Somalie n'a pas de gouvernement central depuis que son dernier président, le dictateur Mohammed Siad Barre, s'est enfui du pays en 1991. Par la suite, des combats ont éclaté parmi les chefs de factions rivales et des milliers de Somaliens ont été tués ou déplacés ou ont souffert de la faim, ce qui a entraîné l'intervention militaire des Nations Unies en 1992.

Depuis 1995, il n'y a plus de combats généralisés entre les clans, exception faite d'escarmouches de temps à autre à Mogadiscio, à Baidoa et dans le Bas-Djuba, et d'un conflit persistant dans le nord-ouest. Par contre, on n'est pas parvenu à réconcilier les chefs des factions rivales ni à créer un nouveau gouvernement national. À Mogadiscio, le chef de faction Mohamed Farah Aideed a été élu par ses partisans pour diriger un gouvernement national présumé, tandis que dans le nord-ouest, la « République du Somaliland » dissidente a continué de réclamer son indépendance. Toutefois, aucun de ces gouvernements n'a été reconnu sur le plan international.

Devant l'absence persistante d'un gouvernement central, la plupart des régions ont créé des gouvernements locaux rudimentaires qui reposent pour la plupart sur l'autorité du clan et de la faction prédominantes dans la région. Le gouvernement local demeure contesté, toutefois, dans le Bas-Djuba, des parties du nord-ouest et Mogadiscio....

Les violations des droits de l'homme se sont poursuivies toute l'année. Mais comme il y a eu moins de combats entre les clans, les homicides extrajudiciaires, les viols et les violations du droit international ont été moins nombreux que dans le passé. Parmi les autres grands problèmes, il y a l'absence de droits politiques en l'absence d'un pouvoir central, l'imposition par certaines collectivités de peines sévères prévues par la charia, la discrimination sociale à l'égard des femmes et les mauvais traitements dont sont victimes les femmes et les enfants, y compris la pratique quasi-généralisée de la mutilation sexuelle des femmes. »

Compte tenu de ce qui précède, le demandeur peut être en danger s'il retourne en Somalie, mais le danger qu'il constitue pour la société canadienne l'emporte sur le danger auquel il pourrait être exposé à son retour en Somalie.

          OBSERVATIONS DE L'AGENTE D'EXAMEN

J'ai examiné la lettre de notification, les documents à l'appui énumérés dans la lettre, le rapport sur l'avis de danger et les observations de l'avocat. Tous ces documents représentent l'ensemble du dossier remis au délégué du ministre au soutien de la demande adressée au ministre d'exprimer l'avis que le demandeur constitue un danger pour le public en vertu du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 53(1)d) de la Loi sur l'immigration.

[14] Il est important de noter que la demande adressée au ministre renferme ce que je considère comme une évaluation complète du risque sous la rubrique Considérations relatives au risque que présente le renvoi.

[15] Il est également important de prendre note de la dernière phrase sous cette rubrique, soit « Compte tenu de ce qui précède, le demandeur peut être en danger s'il retourne en Somalie, mais le danger qu'il constitue pour la société canadienne l'emporte sur le danger auquel il pourrait être exposé à son retour en Somalie. » [Non souligné dans l'original.]

ANALYSE

[16] Comme je l'ai mentionné, et c'est un fait qu'il me paraît important de répéter, le demandeur ne conteste pas la mesure d'expulsion en tant que telle, et il n'a invoqué aucun argument important dans le cadre de la présente demande de sursis d'exécution sur la question de savoir si le délégué du ministre a commis une erreur en exprimant l'avis que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada.

[17] Le défendeur a soulevé une question préliminaire, à savoir que la Cour n'a pas compétence pour ordonner un sursis d'exécution lorsque la mesure d'expulsion n'est pas réellement contestée. Après avoir lu la décision rendue par le juge Campbell dans l'affaire Muncan c. MCI IMM-2701-97, 24 février 1998 (non publiée) (C.F. 1re inst.), je déclare que je conviens avec lui qu'en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, j'ai la compétence voulue pour entendre une demande de sursis d'exécution lorsque la mesure d'expulsion n'est pas réellement contestée.

[18] Dans l'affaire Toth c. Canada (1988) 6 Imm L.R. (2nd) 123, la Cour d'appel fédérale a statué que la personne qui demande une ordonnance de sursis d'exécution doit prouver : 1) qu'il existe une question sérieuse à juger, 2) qu'elle subirait un préjudice irréparable si la mesure était exécutée, et 3) que la prépondérance des inconvénients, eu égard à toute la situation, joue en sa faveur.

[19] Lecture faite de tous les documents dont j'ai été saisi, notamment la jurisprudence, je conclus que le demandeur ne m'a pas convaincu qu'il existe une question sérieuse à juger et que la prépondérance des inconvénients ne favorise pas l'exécution immédiate de la mesure d'expulsion.

LA QUESTION SÉRIEUSE À JUGER

[20] Au soutien de son argument relatif à cet élément du critère énoncé dans l'affaire Toth (précitée), le demandeur invoque la décision rendue par le juge Gibson dans l'affaire Farhadi c. MCI, IMM-3236-96 et IMM-566-97, 20 mars 1998 (non publiée) (C.F. 1re inst.).

[21] Dans ses observations écrites, le demandeur déclare :

[traduction] Le demandeur invoque l'affaire Farhadi c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, IMM-3846-96 et IMM-566-97, 20 mars 1998, au soutien de l'affirmation qu'il existe une question sérieuse à juger en l'espèce. Le requérant dans l'affaire Farhadi était dans la même situation que le demandeur. Dans cette affaire, il y avait lieu de croire que l'intéressé serait torturé s'il était renvoyé en Iran. Il avait obtenu le droit d'établissement dans le cadre du programme d'élimination de l'arriéré sans que sa revendication du statut de réfugié fasse l'objet d'une instruction approfondie. Aucune évaluation officielle du risque auquel le requérant dans l'affaire Farhadi serait exposé s'il était renvoyé en Iran n'avait été faite.

Pour examiner la question de savoir si le délégué du ministre dans cette affaire avait commis une erreur susceptible de révision en concluant que le requérant dans l'affaire Farhadi constituait un danger pour le public, le juge Gibson a déclaré, à la p. 21 :

Je conclus donc que le délégué de l'intimé n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en exprimant l'avis de danger qui est à l'étude, sans prendre de décision ou tirer de conclusion sur la question du risque, d'après les faits dont il était saisi à ce moment. On ne peut conclure qu'un principe de justice naturelle ou de justice fondamentale a été enfreint par l'application de la procédure limitée qui a ensuite été suivie pour examiner le risque auquel serait exposé le requérant s'il était expulsé vers l'Iran et pour évaluer ou pondérer ce risque au regard du danger que le requérant constitue pour le public canadien.

En revanche, pour décider si la mesure de renvoi en tant que telle respectait les principes de justice naturelle et d'équité, le juge Gibson a déclaré :

Au cours des débats en l'espèce, l'avocat de l'intimé n'a pas contesté avec vigueur l'affirmation voulant qu'en présence d'une allégation crédible quant au risque d'être soumis à la torture, le renvoi soit obligatoirement assujetti à une évaluation du risque à l'issue de laquelle une décision doit être prise. Je suis convaincu que la procédure ayant mené à la formulation de l'avis de danger ne constituait tout simplement pas une évaluation et une décision relatives au risque et que, si tel était le cas, cette procédure ne comportait pas suffisamment d'attributs des principes de justice naturelle et de justice fondamentale, compte tenu des conséquences potentielles d'une décision sur l'évaluation du risque défavorable au requérant. En outre, je ne dispose pas de la moindre preuve que la procédure ayant mené à la mesure de renvoi s'est accompagnée d'une quelconque évaluation du risque et d'une décision à cet égard.

Des décisions antérieures de la Cour font état, du moins implicitement, de l'importance d'effectuer une évaluation du risque avant d'expulser une personne dans un pays où elle craint d'être persécutée.

                                [...]

Pour récapituler, je conclus que le requérant a droit à une évaluation du risque et à une décision à cet égard en plus de la procédure déjà suivie pour décider du danger qu'il constitue pour le public au Canada. Une telle évaluation, visant à étayer la décision de renvoyer le requérant en Iran, devra être faite conformément aux principes de justice naturelle et de justice fondamentale, et la décision devra être prise par l'autorité compétente.

Le demandeur est dans une situation semblable à celle du requérant dans l'affaire Farhadi. Bien qu'il n'affirme pas explicitement qu'il sera torturé, il craint que quelque chose de pire ne lui arrive. Il pense qu'il sera tué s'il est renvoyé en Somalie à cause du clan auquel il appartient et parce que les membres de son propre clan jugeront qu'il les a trahis.

Aucune évaluation du risque auquel sera exposé le demandeur s'il est renvoyé en Somalie n'a été faite.

Le demandeur soutient que la question sérieuse consiste à savoir si la décision prise par Lisa Rae Devries devrait être annulée et qu'une évaluation du risque auquel le demandeur serait exposé devrait être faite.

[22] Je tiens d'abord à dire que je suis convaincu qu'une évaluation du risque doit être faite avant de renvoyer une personne comme le demandeur dans le pays dont elle a la citoyenneté.

[23] À la différence de l'affaire Farhadi, dans laquelle le juge Gibson déclare qu'il est « [...] convaincu que la procédure ayant mené à la formulation de l'avis de danger ne constituait tout simplement pas une évaluation et une décision relatives au risque et que, si tel était le cas, cette procédure ne comportait pas suffisamment d'attributs des principes de justice naturelle et de justice fondamentale, compte tenu des conséquences potentielles d'une décision sur l'évaluation du risque défavorable au requérant [...] » , je suis convaincu qu'on a fait une évaluation complète du risque dans la Demande d'avis de danger - Par. 70(5) et al. 53(1)d) (précitée).

[24] Si mon interprétation de la décision du juge Gibson est correcte, alors il semblerait, selon lui, qu'il doit y avoir une évaluation distincte ou indépendante du risque.

[25] À mon avis, il n'y a aucune exigence semblable dans la loi, et je n'accepte pas non plus l'argument qu'il s'agit d'une condition à remplir pour respecter les principes d'équité et de justice naturelle. Je n'accepte pas la proposition, telle que l'a formulée le juge Gibson dans l'affaire Farhadi, que le demandeur a droit à une évaluation et à une décision relatives au risque indépendantes de l'avis de danger.

[26] Par conséquent, et comme je l'ai affirmé, le demandeur a fait l'objet d'une évaluation du risque d'une manière compatible avec les principes d'équité et de justice naturelle et, partant, n'a pas prouvé qu'il existe une question sérieuse à juger.

LA PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

[27] Le demandeur invoque l'argument suivant dans son mémoire :

[traduction] Compte tenu du fait que le demandeur est exposé à un risque sérieux de préjudice s'il est renvoyé en Somalie et compte tenu du fait que le défendeur a l'obligation, dans ce genre de situation, d'effectuer une évaluation du risque avant de renvoyer une personne dans un pays où elle risque d'être persécutée, le demandeur soutient que la prépondérance des inconvénients favorise le sursis d'exécution de la mesure de renvoi jusqu'au règlement définitif de la demande d'autorisation et demande de contrôle judiciaire.

[28] On affirme dans la Demande d'avis de danger - Par. 70(5) et al. 53(1)d) :

Compte tenu de ce qui précède, le demandeur peut être en danger s'il retourne en Somalie, mais le danger qu'il constitue pour la société canadienne l'emporte sur le danger auquel il pourrait être exposé à son retour en Somalie.

[29] Je suis convaincu que, s'agissant de la question de la prépondérance des inconvénients, le principal facteur à prendre en considération n'est pas le risque auquel serait exposé le demandeur s'il était renvoyé dans le pays dont il a la citoyenneté, mais le danger qu'il constitue pour le Canada et les citoyens canadiens.

[30] Les faits de l'espèce sont un excellent exemple d'une situation où les citoyens canadiens sont exposés à un risque sérieux et, d'après le casier judiciaire du demandeur, celui-ci pourrait constituer un grave danger pour la société canadienne.

[31] Le demandeur a obtenu le droit d'établissement au Canada en tant que réfugié au sens de la Convention le 21 décembre 1990. Je présume qu'il a obtenu le statut de réfugié à cause du risque sérieux auquel il aurait été exposé si on l'avait renvoyé en Somalie depuis l'Italie. Il a eu la possibilité de vivre dans un pays libre et démocratique où nul ne craint la persécution. Comment le demandeur remercie-t-il le Canada? Il emprunte la voie du crime.

[32] Pour statuer sur la prépondérance des inconvénients, il faut examiner le genre d'acte criminel qui a été commis et la façon dont cet acte criminel peut toucher le citoyen canadien. Par exemple, le trafic de stupéfiants peut être un acte criminel très grave puisqu'il perturbe les vies de Canadiens jeunes et moins jeunes, ce qui coûte très cher au contribuable canadien.

[33] La question du point d'équilibre doit donc entrer en ligne de compte, et cette question a de toute évidence été examinée en l'espèce. La prépondérance des inconvénients ne favorise certainement pas le demandeur.

LE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[34] Le défendeur a également examiné cette question puisqu'il déclare dans son rapport que « le demandeur peut être en danger » .

[35] Je conviens que le demandeur peut être en danger ou peut être exposé à un préjudice irréparable, mais ce fait pris isolément n'est pas un motif suffisant pour ne pas l'expulser du Canada.

CONCLUSION

[36] Le demandeur n'a pas prouvé qu'il a une cause défendable ou que la prépondérance des inconvénients favorise la suspension d'une mesure de renvoi valide.

[37] Le défendeur n'est pas tenu par la loi, par l'équité ou par la justice naturelle de faire une évaluation indépendante du risque, et le fait qu'un demandeur peut être exposé à un risque sérieux s'il est expulsé du Canada n'est pas, en soi, une raison pour le garder au Canada s'il a fait l'objet d'un avis de danger pour le public au Canada en vertu du paragraphe 70(5) et de l'alinéa 53(1) de la Loi sur l'immigration.

[38] Je suis convaincu que la politique canadienne en matière d'immigration n'a pas été conçue pour permettre à des criminels ayant obtenu le statut de réfugié de demeurer au Canada. C'est la protection du citoyen canadien qui revêt une importance capitale, pas celle d'un réfugié qui commet des actes criminels graves au Canada et qui fait ensuite l'objet d'un avis de danger pour le public au Canada en vertu du paragraphe 70(5).

[39] La demande de sursis d'exécution est rejetée.

                                                                                « Max M. Teitelbaum »         

                                                                                                   Juge

OTTAWA (Ontario)

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :       IMM-3467-98

INTITULÉ :                                                      MOHAMED BULLE BARRE C. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE : OTTAWA (ONTARIO) ET VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                LE 23 JUILLET 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU :                                                 29 JUILLET 1998

COMPARUTIONS :

M. CHRISTOPHER ELGIN                                         POUR LE DEMANDEUR

MME EMILIA PECH                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MCPHERSON, ELGIN & CANNON                                     POUR LE DEMANDEUR

VANCOUVER (C.-B.)

M. MORRIS ROSENBERG                                                     POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA                  

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