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                                                                                                                                           T-2743-94

 

 

OTTAWA (ONTARIO), LE 18 SEPTEMBRE 1996

 

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MULDOON

 

 

E n t r e :

 

 

                                                             DANIEL ARNOLD,

 

                                                                                                                                            requérant,

 

 

                                                                             et

 

 

                     COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

 

                                                                                                                                 première intimée,

 

 

                                                                             et

 

 

                           CONSEIL DE RECHERCHES EN SCIENCES HUMAINES,

 

                                                                                                                                     second intimé.

 

                                                                ORDONNANCE

 

            Après avoir entendu le 8 janvier 1996 à Ottawa en présence du requérant et de l'avocat du second intimé (l'avocat de la première intimée agissant à titre de simple observateur) la requête introductive d'instance déposée par le requérant le 17 novembre 1994;

 

            APRÈS avoir entendu le requérant et l'avocat du second intimé, et après avoir sursis au prononcé de son ordonnance;


LA COUR ORDONNE l'annulation de la décision datée du 20 octobre 1994 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne a rejeté la plainte portée par le requérant contre le second intimé;

 

LA COUR ORDONNE EN OUTRE le renvoi de la plainte en question à la Commission pour qu'elle rende une décision sur la prise de mesures d'adaptation conformément à l'état du droit exposé par la Cour dans les motifs de la présente ordonnance;

 

            Il n'y aura aucune adjudication des dépens.

 

 

                                                                                                                                     F.C. Muldoon              

 Juge

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                                                

 

François Blais, LL.L.


 

 

 

 

 

                                                                                                                                           T-2743-94

 

 

E n t r e :

 

 

                                                             DANIEL ARNOLD,

 

                                                                                                                                            requérant,

 

 

                                                                             et

 

 

                     COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

 

                                                                                                                                 première intimée,

 

 

                                                                             et

 

 

                           CONSEIL DE RECHERCHES EN SCIENCES HUMAINES,

 

                                                                                                                                     second intimé.

 

 

                                                   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

Le juge Muldoon

 

            Le requérant demande à la Cour de rendre des ordonnances de la nature de brefs de certiorari et de mandamus : a) [TRADUCTION] « annulant la décision rendue par l'un ou l'autre intimé ou par les deux au sujet de la demande de bourse de doctorat du requérant »; b) « forçant l'un ou l'autre intimé ou les deux à réexaminer la question en conformité avec les exigences de l'équité procédurale ».

 

            Les deux intimés sont des offices fédéraux.

 

            Dans l'avis de requête introductif d'instance qu'il a déposé le 17 novembre 1994, le requérant allègue ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

                Le 30 septembre 1992 ou vers cette date, le requérant a présenté par l'entremise de sa faculté une demande de bourse de doctorat en droit. Le programme de bourse est administré par l'intimé, le Conseil de recherches en sciences humaines (le Conseil). Le requérant a par la suite été informé par le Conseil qu'il était un candidat non reçu. Le requérant a interjeté appel de cette décision au motif qu'elle était entachée d'irrégularités et qu'il était victime de discrimination en tant que personne ayant des troubles d'apprentissage. Le directeur de la division des bourses d'études a rejeté son appel le 24 juillet 1993. Par lettre datée du 26 octobre 1993, le requérant a déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) en alléguant que le programme de bourses d'études comportait des politiques discriminatoires. Cette plainte a été rejetée par lettre datée du 20 octobre 1994, et cette décision était définitive.

 

                Le requérant invoque les moyens suivants au soutien de la présente demande :

 

(1)Le Conseil intimé a commis une erreur en refusant d'exercer sa compétence pour recevoir la plainte par laquelle le requérant affirmait que le concours organisé en 1993-1994 au sein de la faculté de droit dans le cadre du programme de bourses de doctorat était entaché d'irrégularités et qu'il était discriminatoire, en contravention des exigences de l'équité procédurale;

 

(2)Le Conseil et la Commission intimés ont commis une erreur dans leur interprétation du terme « déficience » que l'on trouve au paragraphe 3(1) et à l'article 25 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, en ne considérant pas que les déficiences fondées sur un trouble d'apprentissage faisaient partie des motifs de distinction illicite;

 

(3)Le Conseil et la Commission intimés ont, à titre subsidiaire, commis une erreur dans leur interprétation du paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne en ne considérant pas que les déficiences fondées sur un trouble d'apprentissage faisaient partie des motifs de discrimination analogues;

 

(4)Le Conseil et la Commission intimés ont commis une erreur dans leur interprétation du terme « service » que l'on trouve à l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en excluant le programme de bourses de doctorat de son champ d'application;

 

(5)Le Conseil et la Commission intimés ont commis une erreur en concluant que le requérant n'avait été victime d'aucune discrimination directe ou indirecte et/ou dans leur interprétation de l'exigence professionnelle justifiée ou du devoir d'adaptation;

 

(6)Le Conseil et la Commission intimés ont commis une erreur en concluant que le requérant n'avait été victime d'aucune discrimination, alors que les irrégularités du programme de bourses de doctorat permettaient de conclure que le requérant avait été victime de discrimination;

 

(7)L'enquêteur qui a été nommé par la Commission intimée pour faire le rapport prévu à l'article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne a commis une erreur dans la préparation de son rapport d'enquête en ne présentant pas un rapport suffisant, complet et exact, contrevenant ainsi aux principes de l'équité procédurale;

 

(8)L'enquêteur en question a commis une erreur en ce qui concerne son obligation d'informer pleinement le requérant des éléments de preuve recueillis, contrevenant ainsi aux principes de l'équité procédurale;

 

(9)La Commission intimée a commis une erreur en n'ordonnant pas la tenue d'une enquête sur la plainte du requérant en vertu du sous-alinéa 44(3)a)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, compte tenu du fait qu'il y avait des questions de crédibilité qui exigeaient que l'on contre-interroge des témoins et/ou que le requérant s'était acquitté de son fardeau de preuve;

 

(10)La Commission et le Conseil intimés répondent à la définition de l'expression « office fédéral » contenue au paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée.

 

Voici les dispositions législatives qui sont invoquées :

 

- Loi sur le Conseil des Arts du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-2, par. 8(1) et art. 9.

 

- Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, laquelle constitue l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, (R.-U.), 1982, ch. 11, par 15(1).

 

- Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, par. 3(1), art. 5, 25, 44, mod. par L.R.C. (1985), ch. 31 (1er suppl.), art. 63 et 64.

 

- Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 et 18, mod. par S.C. 1990, ch. 8, art. 1, 4 et 5.

 

- Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, par. 85(1), mod. par L.R.C. ch. 46 (1er suppl.), art. 7.

 

- Loi sur le Conseil de recherches en sciences humaines, L.R.C. (1985), ch. S-12, par. 4(1), 13(1) et 15(4).

 

            L'avis de requête introductif d'instance et l'affidavit qui a été déposé à l'appui et qui a été souscrit le 17 novembre 1994 par Mme Louise Arnold (malgré l'affirmation contraire que l'on trouve dans la requête) ont été dûment signifiés aux intimés. Le requérant est son propre avocat, comme il a le droit de l'être.

 

            Par lettre datée du 8 décembre 1994, la Commission a fait parvenir à la Cour certains documents réclamés par le requérant, mais elle a refusé de communiquer [TRADUCTION] « les feuilles de présence et les relevés résumant la nature du travail effectué par l'enquêteur dans le présent dossier » au motif que, si ces documents existent, ils sont confidentiels et qu'ils ne sont d'ailleurs pas pertinents.

 

            Plus tard, par lettre datée du 3 avril 1995, l'avocat de la Commission, conscient de l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire CCDP c. P.G. Canada et Bernard; CCDP c. P.G. Canada et Merrick, [1994] 2 C.F. 447, a décidé non seulement que la Commission refuserait de répondre activement, mais également qu'elle [TRADUCTION] « ne demandera pas la permission d'intervenir dans l'instance en contrôle judiciaire susmentionnée ». Ainsi, comme elle n'agissait même pas à titre d'intervenante, la Commission a donné pour instructions à son avocat de se contenter d'agir comme simple observateur dans la présente instance. La Commission a joué un rôle essentiellement passif.

 

            Par la suite, aux termes d'une ordonnance prononcée le 19 avril 1995, Mme le juge Tremblay-Lamer a autorisé le requérant à déposer un affidavit complémentaire à l'appui de son avis de requête introductif d'instance. Outre l'affidavit complémentaire souscrit par Mme Louise Arnold le 6 janvier 1995 avec les annexes complémentaires B, J et K, il a produit un dossier complet de demande complémentaire qui va au-delà des conditions énoncées dans l'ordonnance de Mme le juge Tremblay-Lamer. Le Conseil intimé, qui agit toujours activement dans le présent dossier, ne semble pas s'être opposé au dépôt de ces pièces.

 

            Non seulement le requérant a-t-il déposé ses documents complémentaires avant l'audience, mais encore a-t-il produit sept nouveaux documents — les pièces 2 à 8 — que, grâce à la générosité et à la gentillesse de l'avocat du Conseil, il a pu faire déposer à l'audience.

 

            La décision publiée qu'a rendue la Commission en l'espèce se trouve à la page 62 du dossier du requérant. Il s'agit de la lettre d'une certaine Brenda Macmillan, la secrétaire par intérim de la Commission. Elle porte la date du 20 octobre 1994 et est ainsi libellée :

 

[TRADUCTION]

 

                La Commission canadienne des droits de la personne a examiné le rapport d'enquête relatif à la plainte (H33184) que vous avez portée le 10 décembre 1993 contre le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada au motif que celle-ci avait, à l'occasion de la prestation d'un service, commis à votre égard un acte discriminatoire fondé sur une déficience. La Commission a également examiné les observations que vous avez présentées les 22 juillet 1994, 23 juillet 1994, 18 août 1994, 9 septembre 1994 et 29 septembre 1994, ainsi que les documents que vous avez déposés.

 

                La Commission a décidé, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter votre plainte parce que, vu l'ensemble de la preuve, l'accusation de discrimination n'est pas fondée.

 

                Comme la décision de la Commission est définitive, votre dossier est clos.

 

            Le requérant avait déjà reçu un exemplaire du rapport d'enquête susmentionné avec la lettre que la Commission lui avait adressée le 5 juillet 1994. Voici le texte intégral du rapport de l'enquêteur, sur lequel la décision contestée de la Commission était fondée. Dans ce rapport, le requérant est désigné comme plaignant et le Conseil, comme mis en cause.

 

[TRADUCTION]

 

1.             Le plaignant, chez qui on a diagnostiqué une dyslexie, a demandé une bourse de doctorat en droit dans le cadre du programme du mis en cause. En mars 1993, il a été informé qu'il n'était pas au nombre des candidats reçus. Il affirme que, comme ses notes et les évaluations de l'université qu'il fréquente étaient très satisfaisantes, le mis en cause aurait dû tenir compte de sa déficience lorsqu'il a accordé les bourses de doctorat lors de sa campagne de 1993-1994.

 

2.             Le mis en cause a du mal à comprendre l'accusation de traitement défavorable du plaignant, compte tenu du fait que l'excellence scolaire est le seul facteur qui entre en ligne de compte dans le processus d'octroi de bourses de son programme de bourses de doctorat. La demande du plaignant a été dûment examinée de la même manière que toutes les autres demandes présentées dans le cadre de ce concours. Les bourses de doctorat sont accordées dans le cadre d'un concours et elles sont considérées comme un privilège et non comme un service accordé aux étudiants au doctorat. Les bourses sont accordées selon le principe de l'excellence scolaire, laquelle est démontrée par les relevés de notes, les bourses et les distinctions, ainsi que par le programme d'études et de recherches et par la contribution éventuelle de celui-ci à l'avancement des connaissances. Pour déterminer l'excellence scolaire des candidats, on tient également compte de toute expérience de travail et d'enseignement pertinente, y compris de toute formation en recherche attestée par les exposés faits lors de conférences et les articles et ouvrages publiés, de même que des évaluations d'arbitres — professeurs, conseillers, enseignants — et de l'évaluation du département compétent de l'établissement d'enseignement.

 

3.             Le mis en cause ne tient pas de statistiques au sujet du nombre d'étudiants handicapés qui soumettent une demande de bourse de doctorat. Il sait toutefois que des personnes ayant une déficience ont obtenu des bourses au cours des dernières années. Le formulaire lui-même ne demande pas aux personnes ayant une déficience à déclarer celle-ci. Néanmoins, le mis en cause a, au fil des ans, essayer d'adapter sa procédure aux besoins et aux tendances qui se dessinent au sein du corps étudiant tout en tenant compte des dispositions législatives qui peuvent avoir une incidence sur ces pratiques.

 

4.             Le mis en cause a soumis des documents concernant à sa campagne de 1993-1994. Il y avait en tout 68 candidats qui se sont présentés au concours en vue d'obtenir une bourse de doctorat dans la discipline principale du droit. Sur ce nombre, 13 candidats ont été reçus après avoir obtenu une note variant de 22 à 26 sur un maximum possible de 30. Le plaignant a obtenu une note de 10. Il y a eu cinq autres candidats qui ont obtenu une note inférieure à celle du requérant. Les formulaires de demande des 13 candidats reçus et celui du plaignant ont été attentivement examinés conformément aux critères d'évaluation précisés dans le guide de l'intimé intitulé SSHRC fellowships: guide for applicants, à savoir : [TRADUCTION] « excellence démontrée par les résultats scolaires antérieurs; formation acquise dans le domaine ou la discipline choisie pour les études doctorales; évaluation des arbitres, originalité du programme d'études et de recherches et contribution éventuelle à l'avancement des connaissances dans le domaine d'études choisi ». Il ressort de l'examen des formulaires de demande des 13 candidats reçus que ceux-ci ont fait l'objet de la part des arbitres et des établissements de recommandations beaucoup plus favorables que celles qu'a obtenues le plaignant. Un résumé de ses données comparatives se trouve à l'annexe 1, à la page 4 du présent rapport.

 

5.             Bien qu'il reconnaisse que les critères de sélection préliminaire et de sélection du mis en cause reposent exclusivement sur l'évaluation de l'excellence scolaire des candidats, le plaignant soutient qu'ils ne tiennent pas compte des obstacles que doivent surmonter les personnes ayant un trouble d'apprentissage. Il affirme en conséquence que les critères de sélection préliminaire et de sélection du mis en cause devraient être modifiés et qu'un certain pourcentage des bourses de doctorat devraient être accordées aux personnes ayant une déficience et que des quotas devraient être instaurés en ce qui concerne les personnes ayant une déficience. Il estime que le mis en cause a de tels quotas en ce qui concerne le sexe (à peu près le même nombre d'hommes et de femmes sont sélectionnés) et les régions (tentative de choisir des candidats de toutes les provinces). Compte tenu de ce qui précède, le plaignant demande à titre de réparation que l'intimé modifie sa politique en ce qui concerne ses critères de sélection préliminaire et de sélection et que 5,7 % des bourses de doctorats soient accordées à des personnes qui ont une déficience. Il demande également que l'intimé fasse un compromis en acceptant des notes moins élevées [sic] dans le cas des candidats ayant une déficience.

 

6.             Le plaignant affirme que le mis en cause ne peut déterminer comme il se doit si un candidat est meilleur qu'un autre s'il ne fait pas passer un examen de présélection suivi d'une entrevue. Il estime que tous les critères de sélection préliminaire de l'intimé sont sujets à interprétation et que seul un test standardisé permettrait de déterminer le rang d'un candidat. Il suggère également que les divers établissements d'enseignement prennent eux-mêmes la décision et qu'ils choisissent un étudiant au doctorat pour lui accorder une bourse. Le plaignant affirme qu'il aurait mieux accepté une décision qui aurait provenu de son établissement universitaire qu'une décision prise par le mis en cause, car il estime que les évaluations des professeurs ne sont pas aussi justes qu'un test standardisé, étant donné qu'au moins une de ses évaluations a été effectuée par un professeur qui ne le connaissait pas bien et qui ne connaissait pas très bien son travail.

 

7.             Le plaignant allègue que certains des commis du mis en cause chargés du traitement des demandes lui ont dit que sa demande n'était pas très différente de celle des candidats qui avaient été reçus. Le plaignant a toutefois refusé de nommer ces commis et cette affirmation n'a pas été vérifiée.

 

8.             Le plaignant a refusé que l'établissement d'enseignement qu'il fréquentait prenne des mesures d'adaptation à son égard à cause de la stigmatisation dont il pouvait faire l'objet ou des étiquettes que les professeurs pouvaient lui mettre. Bien qu'il reconnaisse qu'il aurait pu demander que l'on prenne des mesures pour tenir compte de sa situation et qu'on aurait accédé à sa demande (la politique actuelle prévoit que les étudiants souffrant de dyslexie se voient accorder le double du temps pour passer les examens et pour soumettre des travaux écrits), il a refusé de le faire au motif qu'à la longue, il obtiendrait de meilleures notes mais de moins bonnes évaluations des professeurs.

 

9.             Le plaignant a soulevé la question des mesures d'adaptation que le mis en cause aurait pu prendre en raison de sa déficience attribuable à des troubles d'apprentissage. Des mesures d'adaptation appropriées sont déjà intégrées dans le régime d'enseignement que l'on trouve dans les établissements d'enseignement. Les étudiants qui ont des troubles d'apprentissage n'ont qu'à demander ces mesures d'adaptation et on leur accorde plus de temps pour passer leurs examens et remettre leurs travaux semestriels. Les notes obtenues par ces étudiants correspondent à leurs aptitudes et à leurs connaissances. Par conséquent, le mis en cause tient indirectement compte de la situation des étudiants ayant des troubles d'apprentissage dans son processus de sélection. Le plaignant a déclaré qu'il lui était possible de demander à l'établissement qu'il fréquente de prendre des mesures d'adaptation à son égard. Le plaignant a toutefois choisi de ne pas le faire.

 

10.          Qui plus est, il ressort d'un examen des formulaires de demande soumis par le plaignant et par les candidats reçus que les étudiants qui ont été reçus ont présenté des demandes beaucoup plus solides.

 

11.          En conclusion, le traitement défavorable dans la prestation d'un service dont le plaignant se prétend victime ne constitue pas un acte discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Vu cette conclusion, il est recommandé que la plainte soit rejetée.

 

            Avant même d'examiner la réponse qu'a faite l'intimé qui a participé activement à la présente instance, le Conseil, qu'il soit permis au soussigné de faire observer que la présente affaire est complexe et qu'un examen minutieux de la part de la Section d'appel de la Cour ne pourrait avoir que des effets bénéfiques sur la décision qui sera rendue en l'espèce et sur sa valeur à titre de précédent, s'il en est. Une partie non négligeable des difficultés que pose la présente affaire découle des nombreux arguments que le requérant a fait valoir dans la présente instance et des réflexions qu'il a formulées après coup.

 

            Il ne semble pas que la difficulté réside dans la forme de la présente instance, car elle ne soulèverait aucune difficulté si elle était simplement rejetée sommairement en vertu de la règle 1602(4). Cette règle dispose en effet que « l'avis de requête porte sur le contrôle judiciaire d'une seule ordonnance, décision ou autre question » et il prévoit une exception qui ne s'applique pas en l'espèce. Il ne semble pas que la règle 1602(4) fasse l'objet d'une disposition d'atténuation comme celle que l'on trouve à la règle 1614 en ce qui concerne la prorogation de délais. Il semblerait toutefois que la règle 1602(4) puisse être modifié d'un commun accord. Dans notre système de droit fondé sur le principe du débat contradictoire, l'accord se manifeste non seulement par un écrit officiel ou par une déclaration faite par l'avocat devant le tribunal, mais également par le comportement, habituellement par une abstention d'agir. En l'espèce, aucun des deux intimés n'a invoqué la règle 1602(4) contre le requérant. Par ailleurs, le tribunal ne peut déroger aux dispositions restrictives de la règle 1602(4), à moins peut-être de faire appel à des notions d'ordre public ou de droit public qui lui permettraient d'intervenir au moyen d'une ordonnance.

 

            Toutefois, comme la demande de contrôle judiciaire de la décision du conseil est et demeure prescrite en l'espèce et que la Cour n'en est par conséquent pas saisie (du moins, pas sans l'ordonnance visée aux règles 6 et 1614, sans parler du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, qui exigent tous le prononcé d'une ordonnance d'un juge), l'avis de requête du requérant ne porte donc, en fait, que sur « une seule [...] décision », à savoir la décision contestée par laquelle la Commission a rejeté sa plainte. De toute évidence, le requérant se serait trouvé en situation de conflit s'il avait demandé la prorogation du délai qui lui était imparti pour demander le contrôle judiciaire de la décision du Conseil, car s'il avait obtenu gain de cause dans cette demande, l'avis de requête qu'il a présenté en vertu de la règle 1602(4) aurait été invalidé, sauf s'il s'était désisté de sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Il lui fallait cependant de toute évidence sacrifier sa requête en contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Conseil avait refusé de lui accorder une bourse de doctorat parce que, pour présenter sa plainte de discrimination fondée sur l'absence de mesures d'adaptation prises pour tenir de sa déficience — laquelle plainte nécessite beaucoup de temps —, il lui fallait attendre la décision de la Commission. Après tout, il n'existe pas en common law de délit de discrimination donnant ouverture à une action (Seneca College c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181).

 

            Il ne s'agit même pas d'un cas de « réparation subsidiaire suffisante », parce qu'en sollicitant une réparation pour la présumée violation de ses droits de la personne sur le fondement de la discrimination indirecte dont il aurait été victime en raison du fait qu'aucune mesure d'adaptation n'a été prise pour tenir compte de sa dyslexie, la seule voie de recours qui était ouverte au requérant consistait à déposer une plainte devant la Commission. La Cour n'aurait pas entendu sa requête en contrôle judiciaire si le requérant avait tenté de circonvenir la Commission en déposant une plainte en matière de droits de la personne. La décision de principe en la matière est l'arrêt Harelkin c. University of Regina, [1979] 2 R.C.S. 561. Il existe une abondante jurisprudence sur le sujet : C.P. Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 1, Bissett c. Can. (min. du Travail), T-1910-95, T-1659-95 (11 octobre 1995) (C.F. 1re inst.), Turnbull v. Canadian Institute of Actuaries, AI95-30-02329 (4 octobre 1995) (C.A. Man.) et Delmas v. Vancouver Stock Exchange, CA01478 (24 novembre 1995) (C.A. C.-B.). Au fond, toutefois, toute personne qui sollicite une réparation par suite d'une présumée violation de ses droits de la personne doit, comme le requérant l'a fait en l'espèce, suivre la procédure de la Commission, même si cela exige beaucoup de temps.

 

            Il semble donc que, presque à contrecoeur, le requérant fasse effectivement porter sa requête sur une seule décision, celle de la Commission. Mais qui est le véritable intimé, la véritable partie adverse, puisqu'il ne peut s'agir de la Commission? L'arrêt CCDP c. P.G. du Canada et Bernard et Merrick, précité, exclut la Commission. Là encore, presque à contrecoeur, le requérant fait intervenir dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission la partie intimée dont les intérêts sont opposés aux siens, à savoir le Conseil, bien que le contrôle judiciaire de la décision de refus de ce dernier aurait constitué un contrôle de trop selon la règle 1602(4). Par la production d'un dossier et par la conduite de son avocat, le Conseil accepte le rôle de partie adverse, rôle qui est interdit à la Commission, qui se contente d'agir comme observateur.

 

            Le requérant était obligé, dans tous les sens pratiques du terme, de prendre le temps de porter plainte devant la Commission. Il se plaint essentiellement que ses droits de la personne en tant que personne ayant une déficience ont été violés et qu'il a fait l'objet de discrimination en raison de sa dyslexie, laquelle comprend la dysgraphie. En essayant de présenter une instance en contrôle judiciaire à plusieurs volets, il s'est éloigné de son objectif fondamental en prétendant exercer d'autres recours en contrôle judiciaire en vue d'obtenir une réparation à l'égard d'autres plaintes.

 

            Dans d'autres procédures, par exemple, le requérant aurait de bonnes chances de contester avec succès la procédure du Conseil en alléguant qu'elle était entachée d'un conflit d'intérêts. Certes, sur tout le territoire canadien, le Conseil pourrait constituer des jurys de sélection sans y inclure des universitaires provenant d'universités dont plusieurs étudiants doivent être évalués. Le requérant pourrait alors soutenir à bon droit qu'il y a un conflit d'intérêts, car l'universitaire aurait certainement assez de bon sens pour se retirer du jury, vu l'existence de plusieurs demandes présentées par des étudiants de sa propre université. L'apparence d'équité est importante. L'avocat du Conseil a effectivement reconnu à l'audience que, sur les 68 candidats avec lesquels le requérant était en compétition, les trois meilleurs provenaient de la même université que celle où l'un des trois membres du jury de sélection enseignait. Ce fait aurait, dans le cas qui nous occupe, peut-être pu avoir de l'importance en ce qui concerne le handicap du requérant s'il avait obtenu une cote qui se rapproche davantage de celle des candidats reçus (une douzaine sur 68), mais cela devient fort improbable, étant donné que le requérant est arrivé au soixante-troisième rang sur soixante‑huit, comme on le constate à la lecture de la page 25 de son dossier complémentaire.

 

            Le requérant affirme — probablement à juste titre — que la demande qu'il a soumise au Conseil n'aurait pas dû être évaluée par un jury de la faculté de droit, mais plutôt par un jury du département d'histoire. Il soutient que le Conseil a commis une erreur à cet égard, ce qui est probable.

 

            Le problème que soulèvent les deux reproches formulés par le requérant, à savoir l'existence d'un conflit d'intérêts et le mauvais choix de jury de sélection, est que, même si ces reproches sont fondés, ils n'ont pas leur place dans la présente instance. Ils n'ont en effet rien à voir avec le fait qu'il affirme être victime de discrimination parce qu'on n'a pas pris les mesures nécessaires pour tenir compte de sa dyslexie.

 

            Voici en quels termes le requérant a divulgué son état de dyslexique dans sa demande de bourse :

[TRADUCTION]

 

Nota :Un trouble d'apprentissage appelé dyslexie ou dysgraphie explique les difficultés que j'ai éprouvées à obtenir des notes élevées au cours de certaines années à l'université (voir la correspondance ci-jointe)

 

(dossier du requérant, page 19)

 

            La dyslexie est abordée dans un document produit par l'Association canadienne de la dyslexie qui fait partie de l'annexe K de l'affidavit de Mme Louise Arnold que l'on trouve aux pages 148 à 157 du dossier du requérant. L'Association estime (à la page 149) à environ 4 200 000 le nombre de personnes atteintes de dyslexie. À la page 150, il est déclaré qu'en 1968, la Fédération mondiale de neurologie définissait la dyslexie comme « un trouble biologique qui se manifeste par des difficultés de lecture, d'écriture et/ou d'épellation, en dépit d'une scolarisation régulière, d'une intelligence normale et d'un milieu socioculturel propice au développement de la lecture ». Voici d'autres faits qui sont affirmés :

 

[TRADUCTION]

 

La dyslexie ne connaît pas de frontières; elle affecte des personnes de toute race et de tout groupe ethnique, et de tout milieu socio-économique.

 

La dyslexie peut atteindre plusieurs personnes d'une même famille.

 

Le degré de difficulté varie de léger à grave.

 

*********

 

La dyslexie primaire développementale (DPD) est un trouble idiopathique qui se manifeste par des difficultés de lecture, de compréhension écrite, d'écriture et d'épellation chez une personne qui possède une intelligence normale et une scolarisation régulière et qui provient d'un milieu socioculturel propice au développement de la lecture. Il s'agit d'un trouble diathésique qui révèle un trouble des fonctions cognitives liées aux symboles abstraits du langage écrit.

 

*********


La caractéristique la plus courante de la DPD est la difficulté à apprendre l'alphabet et ses phonèmes et à mémoriser ces données pour pouvoir les produire immédiatement et de façon automatique. Cette mémorisation automatique, qui est la base de l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et de l'épellation, est absente chez les personnes ayant la DPD. Il s'agit donc d'une défaillance de la capacité cognitive d'emmagasiner et de retrouver et d'extraire les symboles abstraits du langage écrit. On ne sait pas avec certitude ce qui cause la déficience du développement de ces fonctions chez certaines personnes. Le degré de difficulté varie de léger à grave.

 

*********

 

L'étudiant qui a des difficultés modérées à graves évitera tout ce qui concerne le langage écrit. Il se contentera d'écouter des adultes lui faire la lecture. Il est déjà assez difficile pour lui d'apprendre le nom des lettres. Les écrire correctement sur le papier est encore plus ardu.

 

Dans les premières années du cours élémentaire, la lecture et l'écriture présentent des difficultés majeures. Les problèmes deviennent plus évidents en deuxième ou troisième année lorsque, en plus de reconnaître les caractères d'imprimerie, il doit apprendre l'écriture cursive. L'étudiant ayant une DPD doit apprendre du jour ou lendemain un tout nouveau mode d'écriture alors qu'il n'a pas encore maîtrisé l'ancien système. S'il ne reçoit pas une formation spéciale, la lecture devient pour lui une lutte perpétuelle. La compréhension écrite devient graduellement très difficile au fur et à mesure que l'étudiant apprend à comprendre ce qu'il lit, et l'épellation est habituellement la technique la plus difficile à maîtriser chez les étudiants ayant une DPD. Même s'ils reçoivent une formation adéquate, les étudiants n'acquièrent pas d'automatismes aussi rapidement en épellation qu'en lecture, et la compréhension écrite n'évolue pas au même rythme que la lecture et l'écriture.

 

                                                                   (dossier de la demande, pages 150 à 152)

 

            Le paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, mod. par L.R.C. (1985), ch. 31 (1er suppl.), le texte applicable, dispose :

 

 

3.(1)        Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

 

L'article 25 de cette loi est ainsi libellé :

 

 

25. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

 

« déficience « Déficience physique ou mentale, qu'elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l'alcool ou la drogue.

 

L'expression « déficience physique ou mentale » n'est pas davantage définie dans cette loi ou dans la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21.

 

            La Cour est convaincue que le législateur fédéral voulait que la DPD, la dyslexie et la dysgraphie soient assimilées à une « déficience » au sens que la loi donne à ce terme, tout comme le législateur voulait que le mutisme attribuable à une surdité congénitale soit assimilée à une déficience. La Cour interprète ce terme de la loi d'une façon large, libérale et téléologique de manière à englober un tel trouble d'apprentissage même s'il ne s'agit pas manifestement d'un trouble « physique » ou « mental » au sens que la loi donne à chacun de ces mots. À titre subsidiaire et suivant le raisonnement opposé, les « troubles d'apprentissage » font de toute évidence partie des motifs de distinction analogues qui sont prévus au paragraphe 3(1) (voir le jugement Allen c. CCDP, (1992), 58 F.T.R. 155, aux paragraphes 6 et 16, CLLC 16, 461, dans lequel Mme le juge McGillis a démontré la logique du raisonnement par analogie.

 

            Un des aspects les plus remarquables de la présente affaire est le fait que l'avocat de l'intimé ne s'est pas opposé aux conclusions susmentionnées au sujet des troubles d'apprentissage et qu'il n'a pas prétendu les nier, mais qu'il a défendu la cause de son client comme si elles étaient acquises au débat.

 

            La Cour conclut également que le programme de bourses de doctorat administré par le Conseil constitue un « service[...] destiné[...] au public » au sens de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Évidemment, ce programme de bourses n'est pas un service que tout citoyen peut obtenir moyennant le paiement d'une somme d'argent, mais cette idée ne soulève aucun problème, ainsi que la Cour suprême l'a expliqué dans l'arrêt Berg c. Université de la Colombie-Britannique, [1993] 2 R.C.S. 354. Le jugement de la majorité a été rendu par le juge en chef Lamer, qui a fait remarquer, à la page 369 :

 

 

                Comme le juge La Forest l'a fait remarquer dans l'arrêt Mossop [[1993] 1 R.C.S. 554], l'expertise supérieure d'un tribunal des droits de la personne porte sur l'appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne, mais elle « ne s'étend pas aux questions générales de droit ». En ce qui concerne la question dont est saisie notre Cour, il est évident que la question de savoir ce qui constitue un service habituellement offert au public est une question de droit qui a de vastes répercussions sociales et relativement à laquelle le Conseil n'a aucune expertise particulière. Comme il n'y a aucune raison de faire preuve de retenue envers le Conseil à ce sujet, la norme de contrôle appropriée est celle de la justesse ou de l'absence d'erreur.

 


            Le juge en chef a déclaré plus loin :

 

 

                b)L'interprétation de l'article 3

 

(i)Dispositions analogues

 

                La plupart des lois en matière de droits de la personne, et non pas toutes, contiennent des dispositions restrictives semblables. L'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, prévoit qu'il est interdit au « fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public » d'accomplir un acte discriminatoire fondé sur un motif illicite »

 

                                                                                              (page 371)

 

*********

 

                [...] [P]ar exemple, dans les restaurants, on ne sert pas les gens qui n'ont pas d'argent ni, dans les tavernes, ceux qui n'ont pas atteint l'âge légal requis pour pouvoir consommer de l'alcool. On en peut maintenir une telle position absolue qui exige que le « public » comprenne tous les membres d'une « collectivité », si les lois en matière de droits de la personne doivent avoir quelque effet.

 

                Je rejetterais donc toute définition du mot « public » qui refuse de reconnaître qu'un logement, des services ou des installations ne seront toujours offerts qu'à un sous-ensemble du public. Les étudiants admis à une université ou à une école au sein de l'université, ou les personnes qui passent des contrats d'assurance avec un assureur public, ou les gens qui ouvrent des comptes dans des institutions financières deviennent le « public » en ce qui concerne ces services. Chaque service a son propre public et, une fois que ce « public » a été défini au moyen de critères d'admissibilité, la Loi interdit d'établir des distinctions au sein de ce public.

 

                La véritable importance d'un seuil d'admissibilité ou d'admission dans ce contexte a été reconnue par la commission d'enquête dans Rawala, où on n'a pas eu recours à un tel processus de sélection (à la page D/1062) [TRADUCTION] « pour établir une institution exclusive ou privée dont les citoyens ordinaires seront généralement exclus », mais plutôt pour insister [TRADUCTION] « seulement sur les diplômes requis pour permettre à l'individu de réussir à tirer avantage des services offerts ».

 

                                                                                              (page 383)

 

            Ainsi s'est exprimée la Cour suprême du Canada (avec une voix dissidente), ce qui ne laisse aucun doute sur le fait que le programme de bourses de doctorat du Conseil constitue véritablement le genre de service qui est visé par l'article 5 de la loi fédérale sur les droits de la personne.

 

            La décision que la Commission a rendue en l'espèce en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi était fondée sur le rapport et les recommandations du 4 juillet 1994 de l'enquêteur, lesquels ont été reproduits intégralement plus haut. La Commission a également tenu compte des observations que les parties avaient formulées par la suite.

 

            Une lettre de l'Université d'Ottawa — un original et non pas une copie — a été annexée sous la cote K à l'affidavit de Mme Louise Arnold, lequel se trouve aux pages 139 et 140 de l'une des quelques copies du premier dossier du requérant qui portent la mention [TRADUCTION] « copie du juge ». La lettre est datée du 7 novembre 1994, longtemps après la décision définitive défavorable que le Conseil a rendue le 24 juillet 1993, des mois après la publication du rapport du 4 juillet 1994 de l'enquêteur, et des semaines après la décision contestée rendue le 20 octobre 1994 par la Commission. De toute évidence, les intimés et l'enquêteur n'ont jamais examiné cette lettre. À son troisième paragraphe, on y trouve des exemples de mesures d'adaptation que l'université a offertes, après 1988, aux personnes ayant une déficience, y compris aux dyslexiques. Le requérant a bêtement sauté sur ce passage, parce que l'université n'y offre pas aux dyslexiques plus de temps pour produire leurs travaux semestriels ou leurs thèses, ou pour rédiger des travaux plus courts. L'avocat de l'intimé a rétorqué que la liste ne se vaut aucunement exhaustive et ajoute qu'il est impossible que les intimés ou l'enquêteur ait jamais pu voir cette lettre. Il fait également observer que l'enquêteur a conclu (à la page 8) que le requérant avait, pour des raisons personnelles, refusé que l'on prenne des mesures d'adaptation à son égard (dossier du requérant, page 65).

 

            À l'audience, le requérant a confirmé cette conclusion dans les termes suivants :

 

[TRADUCTION]

 

LA COUR :Avez-vous accepté le temps supplémentaire qui vous était offert pour passer les examens?

 

M. ARNOLD : Il n'y a pas eu d'examens.

 

LA COUR :Avez-vous demandé que l'on vous accorde plus de temps pour rédiger vos travaux?

 

M. ARNOLD :      [...] Ainsi, n'importe qui aurait pu prendre plus de temps [c.-à-d. cinq ans] J'aurais pu prendre un seul cours par semestre au lieu de deux. Mais il m'aurait alors fallu assumer des frais beaucoup plus élevés et cela aurait prolongé la période de temps pendant laquelle j'aurais fréquenté l'université.

 

                Et, de toute évidence, les gens qui fréquentent l'université préfèrent minimiser plutôt qu'augmenter le temps qu'ils doivent consacrer pour obtenir un diplôme déterminé, parce qu'il n'y a en fait aucun avantage à dire que j'ai pris plus de temps qu'un étudiant normal pour obtenir ma maîtrise en droit.

 

                LA COUR : Vous avez donc refusé l'offre de temps supplémentaire parce que vous vouliez faire le cours dans le délai habituel?

 

                M. ARNOLD : Oui, Monsieur le Juge.

 

                                                                             (transcription, pages 79 et 80)

 

            Le Conseil intimé, dans un mémoire et un plaidoyer agréablement brefs, a soutenu que la seule question en litige en l'espèce était celle de savoir si la décision rendue le 20 octobre 1994 par la Commission est bien fondée en fait et en droit. L'intimé ne conteste pas la compétence de la Commission sur la procédure du Conseil et il accepte que celle-ci s'est déroulée conformément à la loi fédérale, et que cette procédure et les activités qui s'y rattachent répondent à la définition du terme « service ». Le Conseil affirme également que la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision de la Commission est énoncée dans l'arrêt Mossop c. P.G. Canada, [1993] 1 R.C.S. 554. Comme il n'y a pas de clause privative, toute interprétation de la loi habilitante constitue une question de droit qui est sujette au contrôle de la Cour, laquelle doit vérifier la justesse de cette interprétation et non se demander si elle est raisonnable. Le Conseil cite en outre la décision Cluff et autre c. Canada (ministre de l'Agriculture) et Sage, (1994), 71 F.T.R. 122. L'avocat du Conseil estime bien fondée en droit la proposition selon laquelle la Cour doit faire preuve de retenue uniquement en ce qui concerne les conclusions et de la décision du tribunal des droits de la personne [par opposition à la Commission elle-même]. Il cite à l'appui de sa thèse l'arrêt Dickason c. University of Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103.

 

            Le Conseil affirme en outre que :

 

[TRADUCTION]

 

10.          La décision de rejeter une plainte est une décision administrative à laquelle les principes d'équité s'appliquent. La Commission n'est pas obligée de tenir une audience avant de rendre sa décision, mais elle doit remettre aux parties une copie de tout le rapport d'enquête et inviter les parties à faire valoir leur point de vue. Elle doit aviser par écrit les parties de la décision, mais elle n'est pas tenue de motiver celle-ci. (par. 44(4).

 

Voir :Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie, [1989] 2 R.C.S. 879, aux pages 899 à 903; Fournier c. Commission canadienne des droits de la personne, (1993), 152 N.R. 237 (C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée le 23 septembre 1993 (C.S.C.).

 

Voir aussi :Allen c. Canada, (CCDP), (1992), 92 C.L.L.C. 17 045 (C.F. 1re inst.).

 

Il n'est pas nécessaire de transmettre à la partie adverse les observations reçues à moins qu'elles ne nuancent ou ne complètent les éléments d'information contenus dans le rapport : Mercier c. Commission canadienne des droits de la personne, (1991), 7 Admin.L.R. (2d) 58 (C.F. 1re inst.), Canada (procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, (1992), 7 Admin.L.R. 214 (C.F. 1re inst.), Cohen c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), (1990), 72 D.L.R. (4th) 306 (C.S. C.-B.).

 

Prem Malhorta c. Commission canadienne des droits de la personne et ministre des Transports (C.F. 1re inst., jugement non publié rendu le 18 mars 1994 dans le dossier T-1772-92).

 

LA DÉCISION

 

11.          Nous sommes d'avis que la décision à l'examen en devrait pas être modifiée. Elle est en effet fondée sur les conclusions de fait suivantes :

 

a)au moment où les concours de ce genre ont eu lieu, des mesures d'adaptation destinées aux personnes ayant des troubles d'apprentissage faisaient déjà partie intégrante du système d'enseignement ;

 

b)le plaignant a déclaré qu'il lui aurait été possible d'obtenir des mesures d'adaptation, mais qu'il a choisi de ne pas en demander;

 

c)finalement, il ressort de l'examen de toutes les demandes que les étudiants reçus avaient présenté des demandes beaucoup plus solides.

 

12.          Nous sommes d'avis que, compte tenu du contexte factuel, si l'on composait davantage avec la situation du plaignant (du moins dans un concours de ce genre), on tiendrait compte « deux fois » de son trouble d'apprentissage. Il en résulterait une inégalité et un préjudice pour les autres candidats.

 

13.          Nous sommes également d'avis que l'examen de tous les autres documents et moyens invoqués par le plaignant ne fait ressortir aucun élément qui justifierait de modifier le raisonnement suivi dans de la décision à l'examen. La Commission a essentiellement conclu que, dans le cadre de ce concours, le plaignant a bénéficié d'un traitement égal fondé sur le mérite scolaire et qu'il n'a pas réussi.

 

14.          En conclusion, nous estimons que, pour en venir à sa décision, la Commission des droits de la personne a interprété à bon droit son mandat, sa loi habilitante et la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11. Nous estimons en outre que les éléments de preuve portés à la connaissance du tribunal justifiaient sa conclusion factuelle suivant laquelle plaignant n'avait pas été victime de discrimination.

 

            Le point sur lequel la décision de la Commission doit être annulée est un point de droit. Toutes les parties se sont fondées sur une hypothèse erronée, bien que, dans son plaidoyer, le requérant ait démontré qu'il saisissait jusqu'à un certain point l'état véritable du droit, comme le démontrent les pages 54 à 64 de la transcription. L'hypothèse erronée en droit est que le Conseil peut éviter de s'acquitter directement du devoir d'adaptation que la loi sur les droits de la personne lui impose à condition que quelqu'un d'autre, l'université, par exemple, prenne des mesures d'adaptation « à sa place ». Cette hypothèse erronée n'est pas dénuée de toute logique ou de tout réalisme. Cette proposition serait beaucoup plus défendable si le Canada était un État unitaire.

 

            L'université est créée par la province et elle n'est pas assujettie à la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais à la loi sur les droits de la personne de l'Ontario, pour l'application de laquelle l'obligation de tenir compte de la situation des personnes handicapées et la mise en pratique de cette obligation sont créées et appliquées. Ni la Commission ni la Cour n'a compétence pour examiner la façon dont l'université s'acquitte de cette obligation ou pour se prononcer sur la portée de cette obligation. L'université ne peut pas se conformer à la place du Conseil aux dispositions législatives fédérales relatives aux droits de la personne qui existent au sujet des mesures d'adaptation. Si on peut s' exprimer ainsi, le Conseil ne peut s'arroger une adaptation « de remplacement » et prétendre qu'il se conforme aux lois canadiennes.

 

            Le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada est un office fédéral qui est assujetti au pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour fédérale. Mais ce qui est plus important encore, c'est qu'il est soumis à toutes les lois adoptées par le législateur fédéral, étant donné qu'il est une créature du législateur fédéral. Il doit se conformer de son propre chef et pour son propre compte aux lois fédérales applicables en matière de mesures d'adaptation, et ne doit pas prétendre accepter et adopter des « mesures d'adaptation de remplacement » qu'il n'offre pas lui-même directement et qu'il ne peut ni élaborer ni surveiller lui-même et dont il peut encore moins contrôler la qualité ou l'étendue. Le Conseil est soumis aux règles de droit et à la jurisprudence relatives à la Loi canadienne sur les droits de la personne. La nature, la configuration et la portée des mesures d'adaptation à prendre pour respecter les règles de droit fédérales en matière de droits de la personne sont l'essence même de son devoir légal.

 

            Lorsque, comme en l'espèce, la décision du Conseil est contestée devant la  Cour fédérale, le Conseil peut-il se contenter de se décharger de son devoir d'adaptation sur un substitut, en l'occurrence une université provinciale dont les actes échappent au pouvoir de contrôle de cette Cour? Loin de là! Le Conseil doit s'acquitter lui-même des obligations que la loi lui impose. De fait, le requérant handicapé a droit, non pas simplement à des mesures d'adaptation prises par un substitut provincial, mais bien aux mesures d'adaptation prévues par la loi fédérale.

 

            En prenant des mesures d'adaptation en faveur des étudiants ayant une déficience, l'université poursuit ses propres objectifs d'enseignement, à savoir offrir des études supérieures sanctionnées par l'octroi d'un diplôme, ce qui représente une réalisation peu banale pour un étudiant, qu'il soit handicapé ou non! Quoi qu'il en soit, ces objectifs débordent le cadre des pouvoirs que la Constitution confère au législateur fédéral et à sa créature, le Conseil.

 

            Si l'on envisage la question d'un point de vue légèrement différent, il est évident que le législateur fédéral n'a jamais accordé à sa créature, le Conseil, de dispense d'observation de la Loi ou de la jurisprudence qui s'y rapporte. Il est facile de trouver une telle dispense, car le législateur fédéral a en déjà accordé une. L'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne contient en effet la seule exception à l'application de ses dispositions :

 

 

  67. La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu du cette loi.

 

La loi sur les droits de la personne ne renferme aucune autre exception, et elle n'en prévoit certainement aucune qui s'applique au Conseil. La loi par laquelle le Conseil intimé a été créé ne contient pas non plus une telle dispense. Inutile de dire que les pouvoirs du Conseil de prendre des règlements administratifs ne pourraient guère lui conférer le pouvoir nécessaire pour se soustraire lui-même aux dispositions « quasi-constitutionnelles » de la loi sur les droits de la personne.

 

            Le Conseil est donc tenu de prendre lui-même des mesures d'adaptation appropriées en faveur des personnes handicapées — notamment des personnes dyslexiques — qui demandent des bourses. Il n'a pas le pouvoir de se décharger de son devoir sur les universités provinciales. Le Conseil doit s'acquitter de son devoir d'adaptation s'il veut se conformer à la loi fédérale, la Loi canadienne sur les droits de la personne. C'est, du moins dans un premier temps, au Conseil qu'il appartient de définir la forme et le contenu de ces mesures d'adaptation directes.

 

            Ce que le Conseil a négligé de faire, c'est de prendre des mesures d'adaptation directes pour tenir compte du trouble d'apprentissage que le requérant a divulgué, la dyslexie. En se fondant sur l'hypothèse erronée de l'enquêteur et en exemptant le Conseil de son obligation de se conformer directement à la jurisprudence et aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission canadienne des droits de la personne a commis une erreur de droit flagrante dans sa décision contestée du 20 octobre 1994. L'Université d'Ottawa ne pouvait légalement servir de substitut au Conseil pour accorder les mesures d'adaptation prescrites par la loi fédérale, dont l'université n'était pas consciente ou auxquelles elle était indifférente.

 

            L'application régulière de la loi fédérale constituait — et constitue toujours — un aspect fondamental de la décision du Conseil d'accorder ou non une bourse au requérant. Cette application régulière de la loi ne lui garantira pas nécessairement l'octroi de la bourse qu'il cherche à obtenir, mais il a — et il avait — le droit que le Conseil tienne compte de son trouble d'apprentissage en prenant des mesures d'adaptation appropriées. Le Conseil ne peut se dérober à cette obligation et la Commission ne peut légalement en faire fi. La décision de la Commission repose sur une erreur de droit, en ce qu'elle est partie du principe que le Conseil avait pris des mesures d'adaptation qu'il n'a pas prises, à cause des mesures d'adaptation que l'université a offertes et que le requérant n'a pas acceptées.

 

            En conséquence, la décision contestée de la Commission est annulée et la plainte du requérant est renvoyée à la Commission pour qu'elle rende une décision conforme à l'état du droit exposé par la Cour. Rien dans les présents motifs n'empêche les parties de faire des compromis raisonnables.

 

            Il semble, de prime abord, qu'il s'agisse d'une affaire qui justifie l'adjudication de dépens pour les « raisons spéciales » visées à la règle 1618. Le requérant s'est défendu lui-même sans avocat, ce qui peut fort bien expliquer pourquoi les pièces qu'il a versées au dossier et les prétentions et moyens qu'il a fait valoir camouflaient le véritable chemin critique qu'il fallait emprunter pour trancher la présente affaire. Il devrait en conséquence supporter ses propres débours, et comme il n'a vraisemblablement engagé aucuns honoraires d'avocat, la Cour ne lui adjuge en vertu de la règle 1618 aucuns dépens, pas plus qu'aux intimés, bien sûr.

 

            Une ordonnance sera prononcée.

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                                     F.C. Muldoon              

 

 Juge

 

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 18 septembre 1996.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                                                

 

François Blais, LL.L.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

No DU GREFFE :T-2743-94

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :DANIEL ARNOLD et COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE et CONSEIL DE RECHERCHES EN SCIENCES HUMAINES

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :OTTAWA (ONTARIO)

 

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :8 JANVIER 1996

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés le 18 septembre 1996 par le juge Muldoon

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

DANIEL ARNOLDLE REQUÉRANT, POUR SON

PROPRE COMPTE

 

 

ARNOLD FRADKINPOUR L'INTIMÉ, LE CONSEIL

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

GEORGE THOMSONPOUR L'INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

  DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)

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