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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Reginald c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.) [2002] 4 C.F. 523
Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Reginald c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l''Immigration) (1re inst.) [2002] 4 C.F. 523

Date : 20020516

Dossier : IMM-2423-01

Référence neutre : 2002 CFPI 568

ENTRE :

                                                   PATRICIA SHIROMI REGINALD

                                                                                                                                             Demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON :

[1]                 Ces motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans laquelle la SSR a décidé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention selon la définition donnée à cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1]. La décision de la SSR est datée du 19 avril 2001.

[2]                 La demanderesse est une Tamoule et une citoyenne du Sri-Lanka. Elle est née dans la ville de Colombo et y a vécu toute sa vie jusqu'à son départ pour le Canada. Elle fonde sa revendication sur le fait que, si elle devait retourner au Sri Lanka, elle craindrait avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe particulier, à savoir les jeunes femmes tamoules du Sri Lanka, et des opinions politiques qu'on lui impute.

[3]                 La demanderesse s'est mariée en 1988. Son mari exploitait une entreprise de camionnage. Il transportait des marchandises à partir de Colombo vers des destinations dans le nord du Sri Lanka et peut-être vers d'autres destinations. Il a été arrêté et détenu pour transport de marchandises de contrebande vers le nord. Dès qu'il a été libéré, sa relation avec la demanderesse s'est dégradée. Il y a eu des occurrences de violence conjugale, y compris des menaces envers la demanderesse. Finalement, en 1997, avec l'aide de la police, la demanderesse a obtenu l'expulsion de son mari de la résidence familiale. Par la suite, dans le but d'augmenter son revenu, la demanderesse a pris chez elle un jeune Tamoul de la région de Jaffna. Le mari de la demanderesse l'a menacée de la dénoncer à la police pour hébergement d'un terroriste.

[4]                 En août 1999, la demanderesse a prétendu que, dans les faits, elle avait été arrêtée pour hébergement, qu'elle avait été détenue pendant quatre (4) jours et libérée ensuite avec un avertissement. Sa résidence, a par la suite, été l'objet d'une perquisition par les forces de sécurité en temps de crise à Colombo. Afin d'assurer la sécurité de son jeune fils, elle l'a envoyé au Danemark où ses parents et deux membres de sa fratrie avaient obtenu la citoyenneté.


[5]                 En juin 2000, suivant un attentat suicide à Colombo, la demanderesse prétend qu'elle a été détenue, cette fois-là pendant trois (3) jours. Elle prétend qu'elle a été interrogée, battue et agressée sexuellement avant d'être libérée sur un pot-de-vin. La prétendue agression sexuelle n'a pas été révélée dans le Formulaire de renseignements personnels de la demanderesse. Elle l'a révélée pour la première fois lors de son audience devant la SSR.

[6]                 L'avocat de la demanderesse a soutenu que la SSR avait commis une erreur susceptible de révision sous quatre (4) aspects : premièrement, en violant son obligation d'équité envers la demanderesse en raison de la façon dont elle avait mené l'audience; deuxièmement, dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse qui était basée sur son exigence de réponses [traduction] « spontanées » et d'un comportement [traduction] « passionné » lors de sa comparution devant elle; troisièmement, en laissant de côté ou en interprétant mal la preuve et quatrièmement, dans sa décision selon laquelle la revendication de la demanderesse n'avait aucun fondement crédible. Au commencement de l'audience relativement à la présente demande de contrôle judiciaire, le quatrième motif a été abandonné.


[7]                 Je suis convaincu que la décision de la SSR qui fait l'objet du contrôle ne saurait être maintenue et que la SSR a commis une erreur susceptible de révision dans sa conduite de l'audience et dans l'appréciation de crédibilité de la demanderesse. Malheureusement, la conclusion précédente ne peut être démontrée efficacement qu'au moyen de nombreux renvois à la transcription de l'audience devant la SSR. Ces renvois suivent.

[8]                 Peu de temps après le commencement de l'audience, le président de l'audience s'est adressé à la demanderesse dans les termes suivants :

[traduction]

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         D'accord, bon. Notre position également, c'est que le FRP constitue un témoignage sous serment. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de réciter le FRP. Cependant, s'il y a des choses dans le FRP que vous voulez souligner, Maître, cela est acceptable pour le tribunal.

Mlle Reginald, l'avocat est maintenant prêt à vous poser quelques questions. Si vous ne comprenez pas la question, veuillez le dire. Elle sera répétée d'une manière que vous puissiez la comprendre. Si vous ne connaissez pas la réponse à une question, dites : « Je ne sais pas » . Cela constitue également une réponse. Laissez-moi insister sur le fait qu'il ne serait pas à votre avantage d'essayer d'inventer une réponse par rapport à quelque chose que vous ne connaissez pas. Veuillez parler clairement, parce que les microphones ne sont pas là pour l'amplification, ils ne font simplement qu'enregistrer les voix.

L'ACR aura également quelques questions à vous poser et, de temps à autre, mon collègue et moi vous poserons quelques questions afin de clarifier des points. D'accord? Comprenez-vous?

REVENDICATRICE                              Oui[2].                                                                      [Non souligné dans l'original]

[9]                 L'avocat de la demanderesse a commencé son interrogatoire. Après avoir établi le nom et l'âge de la demanderesse, l'avocat a posé une (1) question afin de souligner un aspect de la substance du Formulaire de renseignements personnels de la demanderesse. Le président de l'audience est intervenu et a posé six (6) questions à la demanderesse. Voici une partie des échanges entre le président de l'audience et la demanderesse :


[traduction]

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE          [...] Vous rappelez-vous de ce que je vous ai dit au commencement? [une référence aux directives citée juste avant]

REVENDICATRICE :                           Oui.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE          Vous ne semblez pas vous en rappeler. Qu'ai-je dit?

REVENDICATRICE                              Je ne sais pas.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE          Je vous ai demandé - et je vais le faire encore une fois - si vous ne connaissez pas la réponse à une question, dites que vous ne le savez pas[3].

[10]            L'avocat a réussi à poser deux questions, n'obtenant une réponse qu'à la première. Le président de l'audience de la Commission est ensuite intervenu trois fois pour donner des directives à l'avocat. Le deuxième membre de la Commission est également intervenu.

[11]            Encore une fois, l'avocat a réussi à poser deux questions et, encore une fois, il n'a obtenu qu'une réponse. Le deuxième membre de la Commission est intervenu en faisant le commentaire suivant :

[traduction]

Qui s'en préoccupe, Maître? Sauf votre respect, qui s'en préoccupe? Ce qui nous préoccupe : Je suis dans ce pays recherchant la protection internationale parce que j'ai eu des problèmes[4].

[12]            Un échange entre le deuxième membre de la Commission, la revendicatrice et l'avocat a suivi.

[13]            L'avocat a posé une question dans les termes suivants :

[traduction]

Pourquoi avez-vous été arrêtée par la police[5]?

Encore une fois, le deuxième membre de la Commission est intervenu, cette fois-ci dans les termes suivants :

[traduction]

Non, Maître. Maître, il s'agit d'une question suggestive. Une question suggestive. Ce que vous devez dire, c'est : Qu'est-il arrivé[6]...

Encore une fois, un échange a suivi entre l'avocat, le deuxième membre de la Commission et la revendicatrice. En fait, le deuxième membre de la Commission s'est chargé de l'interrogatoire de la revendicatrice.

[14]            L'avocat s'est imposé à nouveau et a encore une fois réussi à poser deux questions. La deuxième est formulée dans les termes suivants et a donné lieu à l'échange qui suit :

[traduction]

AVOCAT                                                 Quand avez-vous ensuite été arrêtée?


DEUXIÈME MEMBRE                        Non, Maître. Maître, vous devez poser des questions. J'en ai déjà discuté avec vous, laissez-moi vous donnez ma façon de voir les choses. Vous devez poser des questions qui ne sont pas suggestives. Le seul témoignage que je veux entendre doit être spontané et non répété. Lorsque vous dites, quand avez-vous été arrêtée, cela prépare une histoire.

AVOCAT                                                  C'est parce que nous n'avançons pas en... nous n'avons que des bribes. C'est ça mon problème.

DEUXIÈME MEMBRE                         Mais vous - non, ce n'est pas un problème, Maître. C'est, en fait, quelque chose qui est de votre ressort en tant qu'avocat. [Le président de l'audience] en tant que président de l'audience a indiqué que la crédibilité est ce que nous apprécions comme avec toutes les revendications du statut de réfugié.

AVOCAT                                                   Oui.

DEUXIÈME MEMBRE :                        Ainsi, dans votre attribution de mener un interrogatoire principal, vous voulez produire des réponses spontanées. « Avez-vous déjà eu quelque autre problème avec la police? » représente une question appropriée mais précise. Je ne peux accorder aucune valeur lorsque vous lui suggérez et c'est précisément ce que vous faites. D'accord. J'espère que cela vous a aidé.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE          Avant que vous ne poursuiviez, cependant, Maître, Mlle Reginald, vous avez dit qu'après quatre jours, vous avez été libérée.

REVENDICATRICE :                           Oui.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE            Y a-t-il eu des conditions de libération?

REVENDICATRICE                               Ce qu'ils m'ont dit, c'est que si quelque chose arrive dans la région, ils pouvaient venir et m'arrêter de nouveau. C'est ce qu'ils m'ont dit.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE          Est-ce qu'un montant d'argent a été payé pour votre libération?

REVENDICATRICE                               Non. Nous n'avons pas donné d'argent la première fois.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE          Merci.

DEUXIÈME MEMBRE                          Je vais juste poser ma question pendant que nous sommes sur ce point. Qu'est-il arrivé à l'étudiant qui vivait dans votre maison?

REVENDICATRICE                               Il était là pour continuer ses études à Londres. Donc, en ‘99 - dès ‘99, octobre, il avait obtenu un visa. Avant cela - avant qu'il ne puisse partir, il n'y a que moi qui ai été arrêtée. Donc, dès que je suis revenue du poste de police, je lui ai indiqué qu'il devrait quitter ma maison. Donc, après cela, il est parti chez un ami.

DEUXIÈME MEMBRE                         Laissez-moi maintenant vous demander ceci. Pourquoi pensez-vous qu'ils vous arrêteraient et non la véritable personne qu'ils soupçonnaient être un sympathisant des TLET?


REVENDICATRICE                               Ils sont venus pour l'arrêter, il n'était pas là. Il était parti pour Jaffna. C'est donc pour cette raison qu'ils m'ont arrêtée.

DEUXIÈME MEMBRE                         Oui, mais écoutez ce que vous dites. Un, vous avez dit que votre mari avait dit aux forces de sécurité que lui et ses amis avaient été à l'origine de certaines attaques à Colombo.

REVENDICATRICE                                Oui.

DEUXIÈME MEMBRE                          Vous avez également indiqué qu'entre août et octobre 1999, il a prétendument étudié sans incident, parce qu'il était en mesure d'obtenir un visa et partir étudier à Londres.

REVENDICATRICE                                Oui.

DEUXIÈME MEMBRE                         Donc, s'il est demeuré avec vous jusqu'en octobre et qu'il était peut-être un terroriste des TLET aux yeux des forces de sécurité, pourquoi ne lui est-il rien arrivé, que ce soit en août ‘99 ou n'importe quand par la suite?

REVENDICATRICE                              Au moment où ils sont venus l'arrêter, il n'était pas dans la maison. Voilà pourquoi ils m'ont arrêtée.

DEUXIÈME MEMBRE                         En août... d'accord. Donc, vous êtes sortie quatre jours plus tard. Pourquoi ne le cherchent-ils plus? Il est soupçonné d'attaques terroristes.

REVENDICATRICE                               À ce moment­-là, il était parti pour Jaffna. C'est pourquoi il n'était pas là. C'est ce que je vous ai déjà dit.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE          Oui, mais écoutez maintenant. Vous avez dit que lorsque vous étiez sortie de détention quatre jours plus tard, vous lui avez demandé de quitter.

REVENDICATRICE                              Ce que je voulais dire, c'était que, suite à ma libération du poste de police, dès qu'il est revenu, je lui ai dit de quitter.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE            Quand était-ce?

DEUXIÈME MEMBRE                         Juste une minute! Juste une minute! Vous savez quoi, Mme l'interprète, je ne suis pas convaincu que vous interprétez tout ce qui a été dit. J'ai entendu le mot « septembre » et je l'ai entendu trois fois et vous n'avez rien dit.

INTERPRÈTE                                        Oui.

DEUXIÈME MEMBRE                        Donc, donnez-moi tout...

INTERPRÈTE :                                        Je vais clarifier cela.

REVENDICATRICE                               Il m'a dit qu'il avait obtenu un visa pour aller à Londres pour étudier en septembre.


DEUXIÈME MEMBRE                        Oui, mais vous avez dit qu'il était demeuré avec vous jusqu'en octobre.

REVENDICATRICE                                Oui.

DEUXIÈME MEMBRE                        N'écoutez pas l'anglais.

REVENDICATRICE                               Il est allé à Jaffna et il n'a pas pu revenir en septembre, il est donc revenu dans la première semaine d'octobre. Donc, lorsque à ce moment-là... il était déjà un mois en retard au moment où il a quitté ma maison.

DEUXIÈME MEMBRE                          D'accord.

REVENDICATRICE                              Après cela, Je ne sais pas ce qu'il est advenu de lui.

DEUXIÈME MEMBRE :                        Deux autres choses, Madame. Un, vous vous contredisez et je vais apprécier ce témoignage en en tenant compte. Les deux membres vous ont donné diverses occasions de clarifier vos réponses, mais j'invite l'avocat à réinterroger s'il le désire ou à poursuivre l'interrogatoire s'il le veut. Je donne à l'avocat cette occasion de (inaudible) l'interrogatoire[7]. [non souligné dans l'original]

[15]             Le même degré d'intervention a continué de la part des membres de la Commission tout au long de l'interrogatoire de la demanderesse par l'avocat. Bien que la fréquence d'intervention ait diminué au cours de l'interrogatoire de la demanderesse par l'agent chargé de la revendication, au cours du bref réinterrogatoire par l'avocat et au cours des observations de l'agent chargé de la revendication, elle a encore une fois augmenté au cours des observations de l'avocat.

[16]            Un autre échange entre le deuxième membre de la Commission et la revendicatrice vaut particulièrement la peine d'être souligné. Il va comme suit :


[traduction]

DEUXIÈME MEMBRE                        Et vous dites avoir été victime de violence sexuelle?

REVENDICATRICE                              Oui.

DEUXIÈME MEMBRE                          Pouvez-vous expliquer au tribunal ce que vous entendez par victime de violence sexuelle?

REVENDICATRICE                                Lorsque l'O Resp n'est pas aux alentours... l'officier responsable n'était pas aux alentours, ils m'ont appelée durant la nuit pour un interrogatoire. Deux personnes m'ont violée ensemble.

DEUXIÈME MEMBRE                          C'est ce que je considérerais comme étant une grave violation des droits de la personne en général. Pourtant, vous sembliez témoigner très froidement ce matin. Votre témoignage...pour moi, votre comportement se résume vraiment à une description froide des faits, sans conviction et sans émotion. Pouvez-vous m'expliquer cela?

REVENDICATRICE                                Je ne voulais pas parler de cet incident à tout le monde. À cette époque, je pensais m'enlever la vie, mais j'avais pensé à mon fils, puisque son père n'était pas dans les alentours et ensuite, j'avais senti que je ne devrais pas faire cela. Malgré le fait que je les aie suppliés et que je leur aie offert de l'argent, ils ont quand même abusé de moi de cette manière.

DEUXIÈME MEMBRE                          Merci.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE         Est-ce que cela s'est produit plus d'une fois?

REVENDICATRICE                                Cela est arrivé une seule fois.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE          Il me semble, comme l'a mentionné mon collègue, qu'il y a une grave violation des droits de la personne. Pourquoi cela n'est pas mentionné nulle part dans votre Formulaire de renseignements personnels?

REVENDICATRICE                               Je ne l'ai pas dit... Je ne pouvais pas le dire à l'avocat. Je ne lui ai pas dit.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE            Vous quoi?

INTERPRÈTE                                          Je ne lui ai pas dit, parce que je n'étais pas... je ne pouvais pas lui dire.

DEUXIÈME MEMBRE                         Quelle est la différence entre le dire à votre avocat qui est là pour vous représenter et votre froid compte rendu d'aujourd'hui dans une salle remplie de parfaits étrangers?

REVENDICATRICE                                Jusqu'à aujourd'hui, Je n'avais pas parlé de cet incident à qui que ce soit d'autre que mes parents. Je n'ai pas eu le courage de le lui dire. Je lui ai mentionné que quelque chose était arrivé, je ne lui en ai pas parlé en détail. Mais je pensais en moi-même que si une situation se produisait dans laquelle je devrais le dire, je le dirais.


PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE          Donc, je comprends que vous n'en avez pas fait rapport à l'officier de la police... l'officier responsable?

REVENDICATRICE                                Ils m'ont menacée pour que je n'en parle à personne. Ils m'ont averti que ma vie serait en danger si je le faisais. En même temps, ils ne tiennent pas beaucoup compte des plaintes formulées par les Tamouls.

AVOCAT                                                 Puis-je procéder?

DEUXIÈME MEMBRE                          L'avocat peut-il continuer?

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE            Oui. Oui. Continuez[8].                                                                            [non souligné dans l'original]

[17]            Dans l'arrêt Kumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[9], le juge Mahoney, au nom de la Cour, a écrit au par. 3 :

L'interrogatoire principal du requérant a commencé à la page 2 de la transcription. On a presque immédiatement donné le ton à l'audition.

Le juge Mahoney a ensuite cité plutôt abondamment la transcription, quoique pas aussi abondamment que je l'ai fait dans les présents motifs. Plus loin dans ses motifs, il a écrit au paragraphe 8 :

J'estime que tant l'omission de l'intimé [non pertinente en l'espèce] que l'intervention flagrante du président dans la présentation ordonnée de la cause du requérant constituaient des dénis de justice naturelle, en raison desquels la demande fondée sur l'article 28 doit être accueillie, la décision de la Commission annulée et l'affaire renvoyée pour une nouvelle audition.


[18]        Je suis convaincu que la référence du juge Mahoney à « l'intervention flagrante [...] dans la présentation ordonnée de la cause du requérant » représente une description exacte de l'intervention des membres de la SSR, comme l'ont démontré les extraits de la transcription cités dans les présents motifs. De la même façon en l'espèce, comme l'a mentionné le juge Mahoney, on a presque immédiatement donné le « ton à l'audition » . Après que le président de l'audience a indiqué, comme nous l'avons vu précédemment, que lui et son collègue [traduction] « [...] de temps à autre, [...] poser[aient] quelques questions afin de clarifier des points » , lui et son collègue ne se sont d'aucune façon limités à la clarification de points. Je suis plutôt convaincu qu'ils se sont « approprié » la présentation ordonnée de la cause de la demanderesse. Il est évident que les membres de la SSR étaient préoccupés par le style et une partie de la substance de l'interrogatoire de la demanderesse par son avocat. Mais de telles préoccupations ne pouvaient simplement pas justifier la manière dont les membres de la SSR sont intervenus et ont admonesté tant l'avocat que la demanderesse, pour ensuite se charger essentiellement de l'interrogatoire de la demanderesse. Les membres de la SSR pouvaient procéder autrement pour exprimer leur préoccupation concernant la façon dont l'avocat conduisait son interrogatoire. Par exemple, les membres de la SSR auraient pu déclarer une suspension de l'audience et rencontrer l'avocat en privé afin de lui exprimer leurs préoccupations. Une telle stratégie aurait pu éviter l'indubitable effet que la conduite des membres de la SSR a eu sur la confiance de la demanderesse, tant en elle-même qu'en son avocat.

[19]            On peut en dire autant au sujet des interventions des membres de la SSR dans la présentation par l'avocat de ses observations. À ce moment-là, il n'était sûrement plus question de questions suggestives. Les membres de la SSR ont simplement fait montre, à cette étape près de la fin de l'audience, d'une impatience injustifiée et d'un dédain presque palpable envers la présentation de l'avocat, dédain qui s'exprime dans les motifs de la décision de la SSR.

[20]            On peut également en dire autant au sujet des interventions des membres de la SSR lorsque la demanderesse a témoigné, quoique pour la première fois, relativement au viol que des policiers auraient commis.


[21]             Dans la quatrième série de directives de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada intitulée « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe : MISE À JOUR » [10], sous le titre « D. PROBLÈMES SPÉCIAUX LORS DES AUDIENCES RELATIVES À LA DÉTERMINATION DU STATUT DE RÉFUGIÉ » , il est écrit ce qui suit :

Les femmes qui revendiquent le statut de réfugié font face à des problèmes particuliers lorsque vient le moment de démontrer que leur revendication est crédible et digne de foi. Certaines difficultés peuvent survenir àcause des différences culturelles. Ainsi,

        1.       Les femmes provenant de sociétés où la préservation de la virginitéou la dignitéde l'épouse constitue la norme culturelle peuvent être réticentes à parler de la violence sexuelle dont elles ont été victimes afin de garder leur sentiment de « honte » pour elles-mêmes et de ne pas déshonorer leur famille ou leur collectivité.

        [...]

3.      Les revendicatrices du statut de réfugié victimes de violence sexuelle peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome consécutif au traumatisme provoquépar le viol et peuvent avoir besoin qu'on leur témoigne une attitude extrêmement compréhensive. [...]                                [références omises, non soulignédans l'original]

En toute déférence, il n'y avait rien de compréhensif, et encore moins d'extrêmement compréhensif, concernant l' « attitude » des membres de la SSR envers la demanderesse lorsqu'elle a témoigné au sujet de l'épreuve qu'elle aurait subie.

[22]            Dans la décision Shaker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[11], Madame le juge Reed a écrit au paragraphe 10 :

Il n'est pas tout de suite évident pourquoi on devrait s'attendre à ce que la demanderesse s'émeuve quand elle décrit l'agression, si longtemps après l'événement. Les personnes varient énormément quant au degré d'émotion qu'elles montrent quand elles décrivent de tels événements - pourquoi présume-t-on qu'elle est une personne qui réagirait sur le plan émotionnel? [...]

En l'espèce, il faut précisément dire la même chose relativement aux commentaires des membres de la SSR concernant le témoignage « froid » , « sans conviction » et « sans émotion » de la demanderesse en ce qui a trait à l'épreuve alléguée.

[23]       Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Je suis convaincu que, pour reprendre les propos du juge Mahoney cités précédemment, tant l' « intervention flagrante » de la part des membres de la SSR « dans la présentation ordonnée de la cause [de la demanderesse] » que l'insensibilité démontrée envers celle-ci lorsqu'elle a témoigné au sujet de son viol présumé, constituaient des dénis de justice naturelle qui nécessitent l'intervention de la Cour. La décision de la SSR qui fait l'objet du contrôle sera annulée et la demande du statut de réfugié au sens de la Convention de la demanderesse sera renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour une nouvelle audience et une nouvelle décision par un tribunal constitué différemment.


[24]            Je n'ai pas fait de commentaires concernant la troisième question soulevée pour le compte de la demanderesse, selon laquelle la SSR aurait laissé de côté ou mal interprété la preuve. Vu mes conclusions précédentes, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de le faire. Cela dit, si je devais aborder cette question telle qu'elle a été présentée, je conclurais qu'aucune erreur susceptible de révision n'avait été commise par la SSR à cet égard relativement à la preuve, telle qu'elle lui a été présentée.

[25]            Je le répète, une quatrième question soulevée pour le compte de la demanderesse a été abandonnée au commencement de l'audience.

[26]            L'avocat de la demanderesse n'a pas proposé de question pour certification découlant de la présente demande de contrôle judiciaire. L'avocate du défendeur a demandé que je distribue mes motifs et que je lui offre une brève occasion de faire des observations. Une telle occasion sera offerte avant que mon ordonnance ne soit rendue. Les présents motifs seront remis aux avocats, tant pour la demanderesse que pour le défendeur, qui auront dix (10) jours de la date de la remise pour échanger des observations et les déposer à la Cour. L'échange d'observations devrait être fait assez rapidement pour permettre que des observations soient présentées en réponse à l'intérieur du même délai.

   

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                   

DOSSIER :                 IMM-2423-01

INTITULÉ :              Patricia Shiromi Reginald c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 23 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :    Le 16 mai 2002

COMPARUTIONS:

Barbara Jackman                                  POUR LA DEMANDERESSE

Alexis Singer                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                             

Jackman, Waldman & Associés                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]         L.R.C. 1985, ch. I-2.

[2]       Dossier du tribunal, p. 183.

[3]       Dossier du tribunal, p. 184 et 185.

[4]       Dossier du tribunal, p. 185.

[5]       Dossier du tribunal, p. 186.

[6]       Dossier du tribunal, p. 186.

[7]       Dossier du tribunal, p. 187 à 190.

[8]       Dossier du tribunal, p. 194 et 195.

[9]         [1988] 2 C.F. 14 (C.A.).

[10]       Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, directives émises par la présidente en vertu du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration, quatrième série de directives, Ottawa, Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, 1996.

[11]       [1999] A.C.F. no 1077, (C.F. 1re inst.) en ligne : Q.L.

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