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                                                                                                                                            Date : 20030513

                                                                                                                                       Dossier : T-2228-01

                                                                                                                           Référence : 2003 CFPI 573

Entre :

                                                                      Diane L'Ecuyer

                                                                                                                                             Demanderesse

                                                                              - et -

                                                               Aéroports de Montréal

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

        Il s'agit d'une demande faite en vertu de l'article 14 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, c. 5 (la « Loi » ), suite à la décision du commissaire à la protection de la vie privée du Canada (le « commissaire » ), en date du 5 novembre 2001, où il a conclu que la partie défenderesse n'a pas respecté l'article 4.3 de l'annexe 1 et le paragraphe 5(3) de la Loi en ce qui concerne la communication des renseignements personnels de la demanderesse à des tierces parties.

Les faits


        La demanderesse est ex-directeur délégué à l'Aéroport international de Dorval et présentement superviseur, accueil et information, à l'Aéroport de Dorval. Elle a déposé une plainte de harcèlement professionnel et abus de pouvoir auprès de monsieur Normand Boivin, vice-président, exploitation, le 24 mars 2000.

        Le 23 janvier 2001, la demanderesse faisait parvenir à la partie défenderesse, son employeur, cinq demandes d'accès pour obtenir des renseignements personnels. Ces demandes concernaient deux plaintes qui avaient été déposées contre elle auprès de l'employeur, suite à un événement survenu en octobre 1999, ainsi que deux lettres disciplinaires qu'elle a reçues suite à un événement survenu en décembre 1999.

        Le 8 février 2001, la directrice des ressources humaines, madame Joanne Bergeron, a répondu aux demandes en refusant de communiquer les renseignements demandés compte tenu des situations litigieuses qui opposaient la partie défenderesse et la demanderesse. Sa lettre indique qu'elle faisait parvenir une copie conforme de sa réponse à mesdames Guylaine Bourbeau et Denise Bélanger, les représentantes syndicales, ainsi qu'à monsieur Réal Michelin, le coordonnateur des relations de travail. La demanderesse n'avait pas inclus, dans ses demandes d'accès, de copies conformes à ces personnes.

        Le 12 février 2001, la demanderesse a déposé une plainte à deux volets au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : une pour refus d'accès à l'information et l'autre pour divulgation d'information la concernant personnellement à trois autres personnes.

        Dans son rapport d'enquête en date du 5 novembre 2001, le commissaire a décidé que le deuxième volet de la plainte était fondé en ce qui concerne la communication des renseignements personnels de la demanderesse aux représentantes syndicales, mais qu'il n'était pas fondé en ce qui concerne leur utilisation et communication au coordonnateur des relations de travail.


        La demanderesse demande réparation et une ordonnance contre la partie défenderesse l'obligeant à revoir ses pratiques de façon à se conformer à l'article 4.3 de l'annexe 1 et au paragraphe 5(3) de la Loi, ainsi qu'une ordonnance visant la publication d'un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour corriger ses pratiques.

Dispositions législatives

        Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :





2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

[. . .]

« Cour » La Section de première instance de la Cour fédérale.

5. (1) Sous réserve des articles 6 à 9, toute organisation doit se conformer aux obligations énoncées dans l'annexe 1.

(2) L'emploi du conditionnel dans l'annexe 1 indique qu'il s'agit d'une recommandation et non d'une obligation.

(3) L'organisation ne peut recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels qu'à des fins qu'une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

13. (1) Dans l'année suivant, selon le cas, la date du dépôt de la plainte ou celle où il en a pris l'initiative, le commissaire dresse un rapport où :

a) il présente ses conclusions et recommandations;

b) il fait état de tout règlement intervenu entre les parties;

c) il demande, s'il y a lieu, à l'organisation de lui donner avis, dans un délai déterminé, soit des mesures prises ou envisagées pour la mise en oeuvre de ses recommandations, soit des motifs invoqués pour ne pas y donner suite;

d) il mentionne, s'il y a lieu, l'existence du recours prévu à l'article 14.

(2) Il n'est toutefois pas tenu de dresser un rapport s'il est convaincu que, selon le cas :

a) le plaignant devrait d'abord épuiser les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par le droit fédéral - à l'exception de la présente partie - ou le droit provincial;

c) le délai écoulé entre la date où l'objet de la plainte a pris naissance et celle du dépôt de celle-ci est tel que le rapport serait inutile;

d) la plainte est futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi.

Le cas échéant, il en informe le plaignant et l'organisation, motifs à l'appui.

(3) Le rapport est transmis sans délai au plaignant et à l'organisation.

14. (1) Après avoir reçu le rapport du commissaire, le plaignant peut demander que la Cour entende toute question qui a fait l'objet de la plainte - ou qui est mentionnée dans le rapport - et qui est visée aux articles 4.1.3, 4.2, 4.3.3, 4.4, 4.6, 4.7 ou 4.8 de l'annexe 1, aux articles 4.3, 4.5 ou 4.9 de cette annexe tels que modifiés ou clarifiés par la section 1, aux paragraphes 5(3) ou 8(6) ou (7) ou à l'article 10.

16. La Cour peut, en sus de toute autre réparation qu'elle accorde :

a) ordonner à l'organisation de revoir ses pratiques de façon à se conformer aux articles 5 à 10;

b) lui ordonner de publier un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour corriger ses pratiques, que ces dernières aient ou non fait l'objet d'une ordonnance visée à l'alinéa a);

c) accorder au plaignant des dommages-intérêts, notamment en réparation de l'humiliation subie.

18. (1) Le commissaire peut, sur préavis suffisant et à toute heure convenable, procéder à la vérification des pratiques de l'organisation en matière de gestion des renseignements personnels s'il a des motifs raisonnables de croire que celle-ci a contrevenu à l'une des dispositions de la section 1 ou n'a pas mis en oeuvre une recommandation énoncée dans l'annexe 1; . . .

ANNEXE 1

(article 5)

4.3 Troisième principe - Consentement

Toute personne doit être informée de toute collecte, utilisation ou communication de renseignements personnels qui la concernent et y consentir, à moins qu'il ne soit pas approprié de le faire.

4.3.5 Dans l'obtention du consentement, les attentes raisonnables de la personne sont aussi pertinentes. Par exemple, une personne qui s'abonne à un périodique devrait raisonnablement s'attendre à ce que l'entreprise, en plus de se servir de son nom et de son adresse à des fins de postage et de facturation, communique avec elle pour lui demander si elle désire que son abonnement soit renouvelé. Dans ce cas, l'organisation peut présumer que la demande de la personne constitue un consentement à ces fins précises. D'un autre côté, il n'est pas raisonnable qu'une personne s'attende à ce que les renseignements personnels qu'elle fournit à un professionnel de la santé soient donnés sans son consentement à une entreprise qui vend des produits de soins de santé. Le consentement ne doit pas être obtenu par un subterfuge.

4.3.6. La façon dont une organisation obtient la consentement peut varier selon les circonstances et la nature des renseignements recueillis. En général, l'organisation devrait chercher à obtenir un consentement explicite si les renseignements sont susceptibles d'être considérés comme sensibles. Lorsque les renseignements sont moins sensibles, un consentement implicite serait normalement jugé suffisant. Le consentement peut également être donné par un représentant autorisé (détenteur d'une procuration, tuteur).

2. (1) The definitions in this subsection apply in this Part.

[. . .]

"Court" means the Federal Court - Trial Division.

5. (1) Subject to sections 6 to 9, every organization shall comply with the obligations set out in Schedule 1.

(2) The word "should", when used in Schedule 1, indicates a recommendation and does not impose an obligation.

(3) An organization may collect, use or disclose personal information only for purposes that a reasonable person would consider are appropriate in the circumstances.

13. (1) The Commissioner shall, within one year after the day on which a complaint is filed or is initiated by the Commissioner, prepare a report that contains

(a) the Commissioner's findings and recommendations;

(b) any settlement that was reached by the parties;

(c) if appropriate, a request that the organization give the Commissioner, within a specified time, notice of any action taken or proposed to be taken to implement the recommendations contained in the report or reasons why no such action has been or is proposed to be taken; and

(d) the recourse, if any, that is available under section 14.

(2) The Commissioner is not required to prepare a report if the Commissioner is satisfied that

(a) the complainant ought first to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

(b) the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under the laws of Canada, other than this Part, or the laws of a province;

(c) the length of time that has elapsed between the date when the subject-matter of the complaint arose and the date when the complaint was filed is such that a report would not serve a useful purpose; or

(d) the complaint is trivial, frivolous or vexatious or is made in bad faith.

If a report is not to be prepared, the Commissioner shall inform the complainant and the organization and give reasons.

(3) The report shall be sent to the complainant and the organization without delay.

14. (1) A complainant may, after receiving the Commissioner's report, apply to the Court for a hearing in respect of any matter in respect of which the complaint was made, or that is referred to in the Commissioner's report, and that is referred to in clause 4.1.3, 4.2, 4.3.3, 4.4, 4.6, 4.7 or 4.8 of Schedule 1, in clause 4.3, 4.5 or 4.9 of that Schedule as modified or clarified by Division 1, in subsection 5(3) or 8(6) or (7) or in section 10.

16. The Court may, in addition to any other remedies it may give,

(a) order an organization to correct its practices in order to comply with sections 5 to 10;

(b) order an organization to publish a notice of any action taken or proposed to be taken to correct its practices, whether or not ordered to correct them under paragraph (a); and

(c) award damages to the complainant, including damages for any humiliation that the complainant has suffered.

18. (1) The Commissioner may, on reasonable notice and at any reasonable time, audit the personal information management practices of an organization if the Commissioner has reasonable grounds to believe that the organization is contravening a provision of Division 1 or is not following a recommendation set out in Schedule 1, . . .

SCHEDULE 1

(Section 5)

4.3 Principle 3 - Consent

The knowledge and consent of the individual are required for the collection, use, or disclosure of personal information, except where inappropriate.

4.3.5 In obtaining consent, the reasonable expectations of the individual are also relevant. For example, an individual buying a subscription to a magazine should reasonably expect that the organization, in addition to using the individual's name and address for mailing and billing purposes, would also contact the person to solicit the renewal of the subscription. In this case, the organization can assume that the individual's request constitutes consent for specific purposes. On the other hand, an individual would not reasonably expect that personal information given to a health-care professional would be given to a company selling health-care products, unless consent were obtained. Consent shall not be obtained through deception.

4.3.6. The way in which an organization seeks consent may vary, depending on the circumstances and the type of information collected. An organization should generally seek express consent when the information is likely to be considered sensitive. Implied consent would generally be appropriate when the information is less sensitive. Consent can also be given by an authorized representative (such as a legal guardian or a person having power of attorney).

Le rapport du commissaire

        Il importe de reproduire l'extrait suivant du rapport en cause du commissaire :

En ce qui concerne la copie conforme remise au coordonnateur des relations de travail, je considère qu'il était approprié qu'il soit informé de la décision des Aéroports de Montréal de ne pas vous communiquer les renseignements demandés puisqu'il était impliqué dans le traitement de vos demandes d'accès. J'ai conclu que ces utilisation et communication de vos renseignements personnels, sans votre consentement, respectent les exigences de l'article 4.5 de l'annexe 1 de la Loi.

Une personne raisonnable trouverait-elle l'utilisation et les communications acceptables (article 5(3) de la Loi)? Je crois que oui, dans le cas de M. Michelin à cause de ses fonctions dans l'organisation. Par contre, je crois que non dans le cas des représentantes syndicales pour la simple raison que vos demandes d'accès n'incluaient pas de copies conformes à ces individus. Vous auriez pu, entre-temps, décider d'avoir recours à un avocat et de laisser tomber le syndicat. Si tel avait été le cas, l'organisation aurait, en communiquant sa réponse au syndicat, divulgué des renseignements vous concernant à des personnes qui n'étaient plus impliquées dans vos affaires.

Les arguments


      La demanderesse, qui se représente elle-même, soumet simplement que sur la base du contexte factuel, du rapport du commissaire et de l'article 14 de la Loi, elle est en droit d'obtenir une réparation qu'elle a précisée, à l'audition devant moi, se limiter à une ordonnance de cette Cour obligeant le partie défenderesse à revoir ses pratiques de façon à se conformer à l'article 4.3 de l'annexe 1 et le paragraphe 5(3) de la Loi, et à publier un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour corriger ses pratiques.

      Pour sa part, la partie défenderesse soumet, dans un premier temps, que cette Cour n'a pas compétence pour juger de ce litige qui relève de la compétence exclusive de l'arbitre des griefs en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (le « Code » ); dans un deuxième temps, elle soutient ne pas avoir enfreint la Loi, vu le consentement de la demanderesse à la communication des renseignements en question au syndicat et vu aussi les prescriptions du Code.

Analyse

      Je suis d'avis que la demande de la demanderesse doit être rejetée pour les deux raisons suivantes, chacune étant en soi suffisante :

1.         ni le commissaire, ni cette Cour n'ont compétence pour juger de la plainte de la demanderesse; et

2.         de toute façon, compte tenu de la preuve, la plainte est mal fondée.

      En ce qui concerne d'abord la question de compétence, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, a souligné la compétence de l'arbitre des griefs, nommé conformément à la convention collective applicable et au Code, à l'égard de tous les aspects d'un litige ayant son origine dans cette convention collective, et ce, à l'exclusion de tout tribunal, y compris cette Cour. Dans cet arrêt, madame le juge McLachlin a exprimé ce qui suit :


[67]      Je suis d'avis que les clauses d'arbitrage obligatoire comme le par. 45(1) de la Loi sur les relations de travail de l'Ontario confèrent en général une compétence exclusive aux tribunaux du travail pour entendre tous les litiges qui résultent de la convention collective. Dans chaque cas, il s'agit de déterminer si le litige, considéré dans son essence, résulte de la convention collective. Cela vaut pour les réparations fondées sur la Charte, pour autant que la loi habilite l'arbitre à entendre le litige et à accorder les réparations demandées. La compétence exclusive de l'arbitre est assujettie au pouvoir discrétionnaire résiduel des tribunaux de compétence inhérente d'accorder des réparations que le tribunal de création législative ne peut accorder. . . .

      Il est vrai qu'il peut exister deux régimes législatifs concurrents, mais en suivant le modèle décrit par la Cour suprême du Canada dans Weber, supra, un seul tribunal a compétence pour entendre le litige. Les modèles de la concomitance ou du chevauchement de compétence ont été rejetés au profit de la compétence exclusive qui s'applique notamment à tous les tribunaux administratifs, pour autant que la loi les habilite à entendre le litige et à accorder les réparations demandées. En effet, dans Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, la Cour suprême du Canada a conclu :

[26] . . . le modèle de la compétence exclusive a été adopté afin de garantir que l'attribution de compétence à une instance décisionnelle que n'avait pas envisagée le législateur ne porte pas atteinte au régime législatif en cause. . . .

      Weber, supra, et Regina, ci-dessus, nous enseignent qu'afin de vérifier si le litige est de compétence exclusive d'un arbitre de griefs, il s'agit de déterminer si l'essence de ce litige découle de la convention collective explicitement ou implicitement. Il importe donc de tenter de définir l'essence du litige en considérant d'abord la nature de ce litige, puis le champ d'application de la convention collective. L'examen de la nature du litige s'effectue compte tenu non pas de la qualification du litige sur le plan juridique, mais en fonction du contexte factuel où il a pris naissance. Une fois la nature du litige établie, le tribunal doit examiner les dispositions de la convention collective afin de déterminer si elle prévoit des situations factuelles du même genre.

      Tous ces principes ont été récemment réitérés par la Cour suprême du Canada dans deux arrêts, soit Goudie c. Ottawa (Ville), 2003 CSC 14, [2003] A.C.S. no 12 (QL) et Éditions Chouette (1987) Inc. c. Desputeaux, 2003 CSC 17, [2003] A.C.S. no 15 (QL).


      Dans Goudie, monsieur le juge Binnie a en effet écrit :

[22]      Le principe selon lequel les litiges découlant d'une convention collective doivent être réglés par des arbitres en droit du travail, et non par les cours de justice, s'appuie sur l'intention du législateur. Dans St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier, section locale 219, [1986] 1 R.C.S. 704, le juge Estey a établi le principe général aux p. 718-719 :

L'attitude plus moderne consiste à considérer que les lois en matière de relations de travail prévoient un code régissant tous les aspects des relations de travail et que l'on porterait atteinte à l'économie de la loi en permettant aux parties à une convention collective ou aux employés pour le compte desquels elle a été négociée, d'avoir recours aux tribunaux ordinaires qui sont dans les circonstances une juridiction faisant double emploi à laquelle la législature n'a pas attribué ces tâches.

[23]      Des causes ultérieures ont confirmé que, si l'"essence" du litige entre les parties découle de l'interprétation, de l'application, de l'administration ou de l'inexécution d'une convention collective, il doit être tranché par un arbitre nommé en conformité avec la convention collective et non pas par les tribunaux. Voir Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, par. 41 et 52, et Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, 2000 CSC 14, par. 23 et 25.

      Dans Éditions Chouette, monsieur le juge LeBel, pour sa part, a exprimé ce qui suit :

[35]      Malgré les incertitudes déplorables qu'a laissées la procédure suivie pour définir la mission arbitrale, celle-ci comprenait nécessairement le problème dit des "coauteures" dans le contexte de cette affaire. Pour comprendre la portée du mandat de l'arbitre, il ne suffit pas de se livrer à une analyse purement textuelle des communications entre les parties. Il ne faut pas interpréter le mandat de l'arbitre de façon restrictive en le limitant à ce qui est expressément énoncé à la convention d'arbitrage. Le mandat s'étend aussi à tout ce qui entretient des rapports étroits avec cette dernière, ou, en d'autres mots, aux questions qui entretiennent un "lien de connexité de la question tranchée par les arbitres avec le litige qui leur est soumis" (S. Thuilleaux, L'arbitrage commercial au Québec : droit interne - droit international privé (1991), p. 115). Depuis les réformes de l'arbitrage de 1986, l'étendue des conventions d'arbitrage fait l'objet d'une interprétation libérale (N. N. Antaki, Le règlement amiable des litiges (1998), p. 103; Guns N'Roses Missouri Storm Inc. c. Productions Musicales Donald K. Donald Inc., [1994] R.J.Q. 1183 (C.A.), p. 1185-1186, le juge Rothman). . . .

[42]      L'adoption d'une disposition comme l'art. 37 de la Loi sur le droit d'auteur vise à définir la compétence matérielle des tribunaux judiciaires sur une question. Elle n'entend pas exclure la procédure arbitrale. Elle ne fait qu'identifier le tribunal qui, au sein de l'organisation judiciaire, aura compétence pour entendre les litiges concernant une matière particulière. On ne saurait présumer qu'elle exclut la juridiction arbitrale, faute de la mentionner expressément. Celle-ci fait maintenant partie du système de justice du Québec, tel que celui-ci peut l'aménager en vertu de ses compétences constitutionnelles.


      En l'espèce, la demanderesse se plaint de la violation par son employeur de son droit à la protection de renseignements personnels communiqués à ses représentantes syndicales. Les renseignements demandés avaient toutefois tous trait à des faits reliés au travail de la demanderesse pour la partie défenderesse, une entreprise fédérale assujettie au Code. D'ailleurs, la demanderesse, dès le début de l'an 2001, a aussi déposé quelque six griefs divers à l'encontre de la partie défenderesse, en vertu de la convention collective applicable et du Code.

      Il est clair ici que l'essence du litige découle de l'interprétation, de l'application, de l'administration ou de l'inexécution de la même convention collective applicable. L'article 3 de cette convention prévoit la reconnaissance du syndicat en tant qu'interlocuteur exclusif en ce qui concerne les conditions de travail de ses membres. L'article 1.01 de cette convention vise les relations entre l'employeur, les employés et le syndicat. L'article 2.01g) de la convention définit le grief en tant que « toute mésentente relative à l'interprétation, l'application et la prétendue violation de la convention collective » . Les articles 11 et suivants déterminent la procédure applicable en cas de grief et l'article 11.18a) donne à l'arbitre des griefs le pouvoir d'interpréter et d'appliquer une loi dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour décider d'un grief. Enfin, les articles 17.03 et 17.04 de la convention collective prévoient expressément la gestion de l'information au dossier personnel de l'employé en cas de mesures disciplinaires.

      L'essence de ce litige découlant de la convention collective, tant l'article 57 du Code que l'article 11 de cette convention collective prévoient la soumission de tout grief à un tribunal d'arbitrage :


57. (1) Est obligatoire dans la convention collective la présence d'une clause prévoyant le mode - par arbitrage ou toute autre voie - de règlement définitif, sans arrêt de travail, des désaccords qui pourraient survenir entre les parties ou les employés qu'elle régit, quant à son interprétation, son application ou sa prétendue violation.


57. (1) Every collective agreement shall contain a provision for final settlement without stoppage of work, by arbitration or otherwise, of all differences between the parties to or employees bound by the collective agreement, concerning its interpretation, application, administration or alleged contravention.



(2) En l'absence de cette clause, tout désaccord entre les parties à la convention collective est, malgré toute disposition de la convention collective, obligatoirement soumis par elles, pour règlement définitif :

a) soit à un arbitre de leur choix;

b) soit, en cas d'impossibilité d'entente sur ce choix et sur demande écrite de nomination présentée par l'une ou l'autre partie au ministre, à l'arbitre que désigne celui-ci, après enquête, s'il le juge nécessaire.

(3) Lorsque la convention prévoit, comme mécanisme de règlement, le renvoi à un conseil d'arbitrage, tout désaccord est, malgré toute disposition de la convention collective, obligatoirement soumis à un arbitre conformément aux alinéas (2)a) et b) dans les cas où l'une ou l'autre des parties omet de désigner son représentant au conseil.

(4) Lorsque la convention collective prévoit le règlement définitif des désaccords par le renvoi à un arbitre ou un conseil d'arbitrage et que les parties ne peuvent s'entendre sur le choix d'un arbitre - ou dans le cas de leurs représentants au conseil d'arbitrage, sur le choix d'un président -, l'une ou l'autre des parties - ou un représentant - peut, malgré toute disposition de la convention collective, demander par écrit au ministre de nommer un arbitre ou un président, selon le cas.

(5) Le ministre procède à la nomination demandée aux termes du paragraphe (4), après enquête, s'il le juge nécessaire.

(6) L'arbitre ou le président nommé ou choisi en vertu des paragraphes (2), (3) ou (5) est réputé, pour l'application de la présente partie, avoir été nommé aux termes de la convention collective.


(2) Where any difference arises between parties to a collective agreement that does not contain a provision for final settlement of the difference as required by subsection (1), the difference shall, notwithstanding any provision of the collective agreement, be submitted by the parties for final settlement

(a) to an arbitrator selected by the parties; or

(b) where the parties are unable to agree on the selection of an arbitrator and either party makes a written request to the Minister to appoint an arbitrator, to an arbitrator appointed by the Minister after such inquiry, if any, as the Minister considers necessary.

(3) Where any difference arises between parties to a collective agreement that contains a provision for final settlement of the difference by an arbitration board and either party fails to name its nominee to the board in accordance with the collective agreement, the difference shall, notwithstanding any provision in the collective agreement, be submitted by the parties for final settlement to an arbitrator in accordance with paragraphs (2)(a) and (b).

(4) Where a collective agreement provides for final settlement, without stoppage of work, of differences described in subsection (1) by an arbitrator or arbitration board and the parties or their nominees are unable to agree on the selection of an arbitrator or arbitration board chairperson, as the case may be, either party or its nominee may, notwithstanding anything in the collective agreement, make a written request to the Minister to appoint an arbitrator or arbitration board chairperson, as the case may be.

(5) On receipt of a written request under subsection (4), the Minister shall, after such inquiry, if any, as the Minister considers necessary, appoint an arbitrator or arbitration board chairperson, as the case may be.

(6) Any person appointed or selected pursuant to subsection (2), (3) or (5) as an arbitrator or arbitration board chairperson shall be deemed, for all purposes of this Part, to have been appointed pursuant to the collective agreement between the parties.


      Ainsi, la nature du litige entre les parties et le champ d'application de la convention collective applicable m'amènent à conclure à la compétence exclusive ratione materiae de l'arbitre des griefs, nommé en vertu du Code et de cette convention collective, à juger du litige en question à l'exclusion du commissaire à la protection de la vie privée du Canada et aussi de cette Cour qui se voit saisie de cette instance suite au rapport de ce dernier.


      Comme je l'ai indiqué plus haut, cette compétence exclusive de l'arbitre justifie, à elle seule, le rejet de la présente demande.

      De toute façon, je trouve la demande de la demanderesse sans mérite, pour les motifs suivants.

      Premièrement, la demanderesse a consenti, du moins implicitement, à la communication de la lettre du 8 février 2001 aux représentants du syndicat. La Loi ne définit pas le consentement auquel elle réfère, mais il semble dépendre directement de la sensibilité des renseignements personnels concernés (paragraphe 5(3) de la Loi et les articles 4.3.5 et 4.3.6. de l'annexe 1 de la Loi). En l'espèce, la demanderesse admet que ses demandes d'accès à l'information du 23 janvier 2001 ne font que réitérer les demandes verbales présentées le 15 décembre 2000 lors de la réunion à laquelle assistaient également mesdames Guylaine Bourbeau et Denise Bélanger. De plus, madame Guylaine Bourbeau, qui assiste la demanderesse tout au long de son contentieux, a avisé le partie défenderesse dans une lettre en date du 24 mars 2000 que :

. . . toute documentation ou communication se rapportant à la plainte me soit transmises (sic) directement puisque je suis la personne mandatée par la section locale pour représenter Mme L'Écuyer tout au long des procédures.

      Cette lettre a été envoyée en copie conforme à la demanderesse ainsi qu'à madame Denise Bélanger, présidente de la section locale du syndicat. Or, il a été admis par la demanderesse pendant l'interrogatoire sur son affidavit que le syndicat, représenté par mesdames Bourbeau et Bélanger, était au courant de tout ce litige. Dans le cadre des rapports collectifs du travail, on doit s'attendre raisonnablement à ce que la correspondance entre l'employeur et l'employé syndiqué soit également adressée au syndicat de ce dernier. Enfin, il est manifeste que la lettre du 8 février 2001 ne contient pas de renseignements personnels sensibles au sens de la Loi, dont la communication nécessiterait un consentement explicite de la demanderesse.


      Deuxièmement, la partie défenderesse a l'obligation de communiquer sa réponse à la demande d'accès à l'information au syndicat, tant en vertu du Code que compte tenu du contexte de la situation. La convention collective en l'espèce adopte aux alinéas 3.01a) et b) le principe énoncé au paragraphe 36(1) du Code, à savoir que l'agent négociateur fonctionne comme interlocuteur exclusif en ce qui concerne les conditions de travail de ses membres. La communication directe avec ses membres par un employeur sans passer par l'agent négociateur peut constituer une pratique déloyale au sens du paragraphe 94(1) du Code. Ainsi l'employeur ne peut, sans risquer d'enfreindre tant les dispositions d'ordre publique du Code que les dispositions négociées de la convention collective, communiquer dans le cadre d'un litige directement avec un employé sans recourir au syndicat de ce dernier. Ceci est d'autant plus important en l'espèce, puisqu'il s'agissait d'un contexte hautement litigieux où la demanderesse a instauré une foule de recours, plaintes et actions contre l'employeur. De plus, l'alinéa 7(3)i) de la Loi permet la communication des renseignements personnels sans le consentement de la demanderesse lorsque cette communication est « exigée par la loi » .

Conclusion

      En conséquence, la demande présentée en vertu de l'article 14 de la Loi est rejetée. Il n'y a pas d'adjudication de dépens, la partie défenderesse n'en demandant pas.

                                                                    

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 13 mai 2003


                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

             NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             T-2228-01

INTITULÉ :                           DIANE L'ECUYER c. AÉROPORTS DE MONTRÉAL

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 9 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE :     L'honorable juge Pinard

EN DATE DU :                    13 mai 2003            

ONT COMPARU :

Diane L'Ecuyer                       AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE

Me Lukasz Granosik                    POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Diane L'Ecuyer                        AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE

Verdun (Québec)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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