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                                                                                                                                           Date : 20011114

                                                                                                                             Dossier : IMM-6303-99

                                                                                                        Référence neutre : 2001 CFPI 1242

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                                      FENG CHAI LI

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

1.                    Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dans sa forme modifiée, en vue d'un contrôle judiciaire fondé sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée, concernant la décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 16 décembre 1999, que la demanderesse n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


2.                    La demanderesse sollicite l'annulation de la décision de la SSR et le renvoi de l'affaire pour qu'elle soit réexaminée par un tribunal différemment constitué.

3.                    La demanderesse vient d'un petit village de la province de Fujian, en Chine; elle avait quinze ans au moment où la SSR a rendu sa décision. Elle affirme craindre avec raison d'être persécutée du fait de sa religion et des opinions politiques qu'on lui impute.

4.                    Dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP), la demanderesse déclare que sa mère et son frère ont été arrêtés le 22 juin 1999 à la suite de mesures de répression prises par le gouvernement contre la pratique connue sous le nom de Falun Gong. La demanderesse croit qu'ils ont été arrêtés parce que sa mère avait été aperçue alors qu'elle participait, la veille, à une activité du Falun Gong. Croyant qu'elle allait également être arrêtée, la demanderesse s'est enfuie chez sa tante, où elle est restée pendant deux mois jusqu'à ce que des dispositions soient prises pour qu'elle puisse venir au Canada.

5.                    La demanderesse déclare que son père vit aux États-Unis depuis plusieurs années.


6.                    Des membres d'un groupe criminel organisé, les Snakeheads, ont amené la demanderesse au Canada. La demanderesse a passé une dizaine de jours à Vancouver et deux jours à Toronto; pendant ce temps, on l'a gardée dans des chambres d'hôtel avec d'autres mineurs. On l'a ensuite amenée à Montréal. Le 2 septembre 1999, la demanderesse a été détenue à la frontière canado-américaine lorsqu'on l'a prise à tenter d'entrer illégalement aux États-Unis avec neuf autres personnes.

7.                    En plus d'affirmer craindre d'être persécutée pour des motifs religieux, la demanderesse affirme être un réfugié sur place parce que les autorités chinoises considéreraient sa sortie illégale et sa revendication subséquente du statut de réfugié comme constituant l'expression d'opinions politiques. Elle affirme qu'on lui imposerait des amendes, qu'on la battrait et qu'on l'emprisonnerait si elle était renvoyée en Chine. Cette crainte est d'autant plus grande que les médias ont rendu compte de son arrestation et de l'audience tenue par la SSR. Des arguments fondés sur le statut de réfugié sur place ont été présentés dans neuf autres demandes de contrôle judiciaire qui ont été entendues en même temps que celle de la demanderesse. Un ensemble distinct de motifs figurant à l'annexe A des présents motifs a été préparé à l'égard de cette question commune.

LA DÉCISION DE LA SSR

8.                    La SSR a conclu que la demanderesse n'était pas un témoin crédible. Elle ne croyait donc pas que la mère et le frère de la demanderesse eussent été arrêtés.


9.                    La SSR a remarqué que la demanderesse était devenue [TRADUCTION] « très anxieuse » lorsqu'elle avait tenté d'expliquer pourquoi sa mère et son frère avaient été arrêtés. La demanderesse a fait un compte rendu contradictoire au sujet du moment où sa tante et elle avaient parlé du Falun Gong. Elle a également présenté un témoignage incohérent au sujet de ce qu'elle avait fait après les arrestations; elle a déclaré avoir eu assez d'argent pour aller rester chez une tante à Fujo, mais que personne à Fujo n'était au courant de son arrivée; elle a ensuite raconté qu'elle s'était rendue chez une tante à Hou Er pour avoir de l'argent et qu'elle avait appelé sa tante à Fujo afin de l'informer de son arrivée. Lorsqu'on l'a confrontée à cette incohérence, la demanderesse [TRADUCTION] « semblait confuse et n'a pas fourni d'explications » [1]. La demanderesse a témoigné être restée chez sa tante, à Hou Er, pendant deux semaines, alors que dans le FRP il est déclaré qu'elle y était restée pendant deux mois.

10.              La demanderesse a témoigné que personne ne l'avait rencontrée à son arrivée à Fujo. La SSR a conclu qu'il n'était pas vraisemblable que sa tante ne l'ait pas rencontrée, étant donné l'âge de la demanderesse et compte tenu du fait qu'elle s'enfuyait en vue d'éviter une arrestation.

11.              La SSR a noté que la demanderesse donnait l'impression de répéter des réponses qu'elle avait apprises, en particulier lorsqu'elle était interrogée par son avocat, et que les incohérences se produisaient principalement lorsque la demanderesse était interrogée par l'agent chargé de la revendication (l'ACR) ou par les membres de la SSR.

12.              La SSR a également fait remarquer que le gouvernement chinois avait interdit la pratique du Falun Gong le 22 juillet 1999, et non le 22 juin 1999, comme la demanderesse l'avait déclaré dans son FRP.


13.              L'avocat de la demanderesse soutient qu'en appréciant la crédibilité de sa cliente, la SSR n'a pas observé les directives sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié.

ANALYSE

14.              L'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732, paragraphe 4 (C.A.) (QL), (1993), 160 N.R. 315, est généralement invoqué comme autorité en ce qui concerne la norme de contrôle à appliquer aux conclusions tirées par la SSR au sujet de la crédibilité :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

15.              Les Directives sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié[2] établies par la présidente de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié prévoient ce qui suit :

En général, les enfants ne sont pas capables de témoigner avec autant de précision que les adultes au regard du contexte, du moment, de l'importance et des détails d'un fait. Ils peuvent être incapables, par exemple, de témoigner au sujet des circonstances entourant leurs expériences passées ou de leur crainte de persécution future. De plus, les enfants peuvent manifester leurs craintes d'une manière différente d'un adulte.[3]

[...]

[...] Lorsqu'il évalue la preuve présentée au soutien d'une revendication du statut de réfugié d'un enfant, le tribunal devrait tenir compte de ce qui suit :


1.              Si l'enfant a témoigné de vive voix, le tribunal doit évaluer la valeur de ce témoignage. Le tribunal devrait, à cette fin, prendre en considération la possibilité qu'a eue l'enfant d'observer les faits, et sa capacité de les observer attentivement, de faire part de ce qu'il a vu et de s'en souvenir. Ces facteurs peuvent varier suivant l'âge de l'enfant, son sexe et ses antécédents culturels, ainsi que la crainte, les problèmes de mémoire, l'état de stress post-traumatique et la perception de l'enfant concernant la procédure de la SSR, entre autres.

2.              Il se peut qu'un enfant demandeur du statut de réfugié ne puisse exprimer une crainte subjective de persécution de la même manière qu'un demandeur adulte. Par conséquent, il faudra peut-être accorder plus de poids aux éléments objectifs qu'aux éléments subjectifs de la revendication. La Cour fédérale du Canada (Section d'appel) a dit ce qui suit sur cette question :

[...] il répugne de penser que l'on pourrait rejeter une demande de statut de réfugié au seul motif que le revendicateur, étant un enfant en bas âge [...], était incapable de ressentir la crainte dont les éléments objectifs sont manifestement bien fondés.

3.              Il peut arriver qu'il y ait des lacunes dans la preuve. Par exemple, l'enfant peut indiquer que des hommes en uniforme sont venus chez lui, mais être incapable de préciser de quel genre d'uniforme il s'agissait, ou encore ne pas connaître les opinions politiques des membres de sa famille. L'enfant peut, notamment en raison de son âge, de son sexe, de ses antécédents culturels ou d'autres caractéristiques, être incapable de témoigner au sujet de tous les faits. Dans ces cas, le tribunal devrait déterminer s'il est en mesure de déduire les détails de la revendication du témoignage présenté.[4]

16.              Il ne ressort pas de l'évaluation de la crédibilité que la SSR n'a pas suivi ou pris en considération les Directives sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié. La SSR a fait une inférence défavorable en se fondant sur le fait que la demanderesse ne pouvait pas se rappeler les dates pertinentes, mais cela ne veut pas dire qu'elle s'attendait à tort à ce que, par exemple, la demanderesse « témoigne avec autant de précision que les adultes au regard du contexte, du moment, de l'importance et des détails d'un fait » . Il est raisonnable de penser qu'une jeune fille de quinze ans sait faire la différence entre deux mois et deux semaines. La SSR n'a pas commis d'erreur susceptible de révision à cet égard.


17.              En outre, la Cour hésite fortement à modifier les conclusions relatives à la crédibilité qui sont fondées sur un comportement et sur des incohérences internes. Comme l'a dit le juge en chef adjoint Jerome dans la décision Tong c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. No. 479, paragraphe 3 (1re inst.) (QL) :

Le comportement du demandeur, la cohérence de ses propos, son aptitude à présenter des faits spécifiques, et la concordance entre ses assertions et les preuves objectives versées au dossier, sont autant de facteurs de crédibilité intérieure, c'est-à-dire de véracité (ou de manque de véracité) manifeste du témoignage du témoin, envisagé en soi et à la lumière du dossier, c'est-à-dire envisagé à la lumière du comportement, de la franchise, de la promptitude, de la cohérence et de l'uniformité des réponses - ce que je qualifierais de fonds de crédibilité. La confusion, la réticence, les réponses évasives et les contradictions seront des indices de manque de crédibilité.

18.              La SSR a conclu que la demanderesse était parfois [TRADUCTION] « très anxieuse » , que son récit des événements était incohérent et contradictoire, qu'elle semblait confuse, qu'elle n'avait pas expliqué les contradictions contenues dans sa preuve et qu'elle donnait l'impression de répéter des réponses qu'elle avait apprises. Une personne compatissante pourrait considérer que cela démontre l'anxiété que causait à juste titre à la demanderesse sa situation difficile, mais une personne impartiale pourrait aussi conclure que la demanderesse était anxieuse parce qu'elle ne disait pas la vérité. Il appartenait à la SSR, qui avait eu la possibilité de voir et d'entendre la demanderesse, de faire cette évaluation. Je ne modifierai pas cette conclusion pour l'unique raison que je ne souscris pas au résultat, ce qui constitue l'argument fondamental qui m'a été soumis.

19.              À mon avis, il n'y a pas lieu de modifier l'évaluation de la crédibilité de la demanderesse effectuée par la SSR.


20.              La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire de la décision que la section du statut de réfugié a rendue le 17 décembre 1999, dont les motifs sont datés du 16 décembre 1999, est rejetée.

La question ci-après énoncée est par les présentes certifiée :

Lorsque le fait qu'un demandeur a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention a été relaté dans les médias au Canada et que le demandeur revendique le statut de réfugié sur place par suite de pareils reportages, le demandeur doit-il, afin de faire valoir avec succès sa revendication de réfugié sur place, prouver

a)          que les reportages parus dans les médias ont attiré l'attention des autorités du pays dont il allègue craindre avec raison d'être persécuté;


b)          que l'information donnée dans ces reportages était suffisante pour permettre aux autorités de l'identifier?

« J.D. Denis Pelletier »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                                                                             Dossier : IMM-6299-99

                                                                                                                                            APPENDICE A

Réfugié sur place

21.              Les demandes de contrôle judiciaire présentées par dix demandeurs ont été entendues ensemble parce qu'elles soulevaient des questions identiques, notamment celle de savoir si les demandeurs étaient devenus des réfugiés sur place. Chacun des demandeurs avait revendiqué le statut de réfugié devant la Section du statut de réfugié (SSR) parce qu'il prétendait craindre avec raison d'être persécuté à cause de ses prétendues opinions politiques et de son statut de réfugié sur place découlant des reportages parus dans les médias sur son arrestation, sa détention et sa revendication subséquente du statut de réfugié. Des enregistrements sur bandes vidéo de reportages diffusés à la télévision et deux articles parus dans des journaux ont été présentés à la SSR. Les demandeurs prétendaient qu'à cause de ces reportages et de ces articles les autorités chinoises sauraient qu'ils avaient revendiqué le statut de réfugié au Canada et considéreraient les revendications comme des déclarations politiques contre le régime chinois. Les demandeurs soutiennent également qu'ils seront sévèrement punis pour avoir quitté la Chine illégalement. Ils n'ont produit aucune preuve démontrant que les autorités chinoises les traiteraient différemment par suite des reportages faisant état de leurs revendications du statut de réfugié.

22.              Les présents motifs s'appliquent à tous les demandeurs au regard de leur allégation selon laquelle la SSR n'a pas bien évalué leur revendication du statut de réfugié sur place.


23.              La SSR a indiqué que les questions suivantes étaient [traduction] « fondamentales » au regard du statut de réfugié sur place :

[traduction] La Chine serait-elle au courant de la présente revendication du statut de réfugié? Considérerait-elle qu'une personne qui quitte le pays illégalement et revendique le statut de réfugié exprime une opinion politique? Dans l'affirmative, quelles conséquences le revendicateur subirait-il[5]?

24.              La SSR s'est ensuite demandé si la peine que le gouvernement chinois infligerait aux demandeurs pour avoir quitté le pays illégalement équivaudrait à de la persécution au sens de la Convention. Elle a rappelé les principes énoncés dans l'arrêt Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 540, [1993] A.C.F. no 584 (C.A.) (QL), selon lesquels les lois ordinaires d'application générale sont présumées être valides et neutres et le demandeur doit démontrer que la loi en question revêt un caractère de persécution pour un motif prévu par la Convention[6]. La SSR a reconnu le principe voulant qu'une loi d'application générale puisse avoir un effet assimilable à de la persécution si la peine qu'elle prévoit est [traduction] « tout à fait disproportionnée par rapport à l'infraction commise » [7]. Elle a toutefois précisé qu'il faut que la peine disproportionnée soit liée à un motif prévu par la Convention pour que le statut de réfugié soit reconnu.


25.              Citant une Réponse à une demande d'information du 22 septembre 1999, la SSR a fait remarquer que les autorités chinoises disposent d'un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l'infliction de sanctions aux personnes ayant quitté le pays illégalement. Elle a toutefois souligné que le document n'indiquait pas qu'une peine d'emprisonnement de plus de trois ans pouvait être infligée et que la Chine pouvait considérer la sortie illégale du pays ou la revendication du statut de réfugié comme l'expression d'une opinion politique ou un facteur qui influerait sur la sanction. La SSR a cité le passage suivant :

[traduction] [...] le fait que les personnes qui sont rapatriées en Chine soient rarement emprisonnées s'explique par différents facteurs : l'importance du phénomène de l'immigration illégale de personnes de la province du Fujian, le nombre de personnes rapatriées en Chine après avoir vécu en Australie, au Japon, à Taïwan, aux États-Unis et dans d'autres pays, et l'influence considérable des Snakeheads[8].

26.              La SSR a aussi cité un extrait d'un rapport sur les pays publié en Australie en 1994 :

[traduction] En réponse aux reportages parus dans les médias selon lesquels les personnes rapatriées récemment dans la province du Fujian devaient payer des amendes élevées et fréquenter des centres de rééducation en cas de défaut de paiement, un représentant du Fujian a indiqué que ces personnes avaient été détenues dans un centre du BSP afin que leur identité et leur santé soient vérifiées. Elles seraient ensuite renvoyées dans la ville où elles habitaient, qui sont toutes situées dans la région de Fuzhou. De légères amendes leur seraient infligées. Même si le gouvernement les considérait comme des personnes ayant contrevenu à la loi, il était préférable de les voir comme des victimes du trafic illégal de migrants. Le représentant a reconnu que les récidivistes et les organisateurs ignobles seraient traités plus durement[9].

27.              Une autre Réponse à une demande d'information a été citée pour démontrer que les migrants qui retournent en Chine n'ont pas non plus de motifs objectifs suffisants de craindre d'être harcelés par les Snakeheads[10].


28.              La SSR a tiré les conclusions suivantes :

[traduction] En résumé, la loi chinoise régissant la sortie illégale du pays est une loi d'application générale qui, suivant les lignes directrices établies dans l'arrêt Zolfagharkhani, est présumée valide et neutre. Même s'il soutenait que le régime chinois est généralement oppressif, le revendicateur n'a pas réussi à démontrer que cette loi aurait sur lui un effet analogue à de la persécution liée à un motif prévu par la Convention. En conséquence, il importe peu que le revendicateur puisse être identifié sur les bandes vidéo produites en preuve et que la Chine soit au courant de la présente revendication du statut de réfugié[11].

29.              Les avocats des demandeurs prétendent que la SSR a commis une erreur lorsqu'elle a décidé qu'il importait peu de savoir si les demandeurs pouvaient être identifiés dans les reportages. M. Markaki a fait valoir que la SSR s'est seulement demandé si la peine prévue pour la sortie illégale était de la nature de la persécution, sans déterminer spécifiquement comment les revendications du statut de réfugié des demandeurs dont les médias avaient abondamment parlé allaient être considérées par les autorités chinoises et l'effet que cela pourrait avoir sur la peine qui leur serait infligée. Selon l'avocat, la SSR aurait dû examiner cette question [traduction] « même si elle ne disposait pas d'éléments de preuve documentaire précis, en se servant de ce qu'elle savait des conditions existant dans le pays et les documents généraux produits en preuve qui indiquent qu'un régime oppressif est en place en Chine et que celui-ci ne tolère aucune critique ni opposition politique de quelque sorte que ce soit » [12].


30.              Il existe peu de lignes directrices et de décisions judiciaires sur l'évaluation appropriée des revendications sur place. Selon le Guide du HCR, une personne peut devenir un réfugié sur place pour d'autres raisons que le changement de circonstances dans son pays d'origine :

Une personne peut devenir un réfugié « sur place » de son propre fait, par exemple en raison des rapports qu'elle entretient avec des réfugiés déjà reconnus comme tels ou des opinions politiques qu'elle a exprimées dans le pays où elle réside. La question de savoir si de tels actes suffisent à établir la crainte fondée de persécution doit être résolue à la suite d'un examen approfondi des circonstances. En particulier, il y a lieu de vérifier si ces actes sont arrivés à la connaissance des autorités du pays d'origine et de quelle manière ils pourraient être jugés par elles[13].

31.              Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, la Cour suprême a ouvert la porte aux opinions politiques imputées au revendicateur[14] :

[...] il n'est pas nécessaire que les opinions politiques en question aient été carrément exprimées. Dans bien des cas, le demandeur n'a même pas la possibilité d'exprimer ses convictions qui peuvent toutefois ressortir de ses actes. En pareil cas, on dit que les opinions politiques pour lesquelles le demandeur craint avec raison d'être persécuté sont imputées à ce dernier. Il se peut qu'étant donné qu'il ne s'exprime pas verbalement, le demandeur ait plus de difficulté à établir le rapport existant entre cette opinion et la crainte d'être persécuté, mais cela ne l'empêche pas d'être protégé.

Le motif des opinions politiques semble donc suffisamment souple pour englober la revendication de réfugié sur place des demandeurs.


32.              À mon avis, le problème fondamental dans le cas des demandeurs vient du fait que la SSR ne disposait d'aucune preuve, documentaire ou autre, qui étayait leur revendication du statut de réfugié sur place. Ce problème ressort implicitement des propos suivants formulés par la Cour suprême dans l'arrêt Ward : « Il se peut qu'étant donné qu'il ne s'exprime pas verbalement, le demandeur ait plus de difficulté à établir le rapport existant entre cette opinion et la crainte d'être persécuté » (non souligné dans l'original). Je suis d'accord avec M. Markaki quand il dit que la SSR a limité son analyse à la preuve documentaire traitant des peines applicables en cas de sortie illégale de la Chine. Par contre, je ne pense pas que la SSR aurait dû déterminer comment le gouvernement chinois pourrait considérer le fait de revendiquer le statut de réfugié, [traduction] « même si elle ne disposait pas d'éléments de preuve documentaire précis » . Il aurait fallu, si une distinction doit être faite au regard du traitement réservé aux personnes rapatriées qui ont revendiqué le statut de réfugié au Canada et aux autres personnes rapatriées, et si ce traitement équivaut à de la discrimination fondée sur de prétendues opinions politiques, que la SSR soit saisie d'éléments de preuve à ce sujet. M. le juge Nadon a d'ailleurs dit ce qui suit dans la décision Kante c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[15] :

Il est clair en droit que le fardeau de la preuve incombe au requérant, c'est-à-dire qu'il doit convaincre la section du statut de réfugié que sa revendication satisfait, à la fois, aux critères subjectifs et objectifs nécessaires à la justification d'une crainte de persécution.

33.              En l'absence de preuve documentaire démontrant que les demandeurs seraient persécutés en raison des opinions politiques qui leur seront imputées par suite de leurs revendications du statut de réfugié, il était raisonnable que la SSR ne tire aucune conclusion fondée sur la preuve de publicité. La SSR ne peut pas émettre d'hypothèses sur la question de savoir si cela est favorable ou défavorable aux demandeurs.


34.              Le principe suivant, qui a été élaboré par M. le juge Gibson dans la décision Biko c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1741 (1re inst.) (QL), m'est utile également pour analyser la décision de la SSR :

La décision de la SSR doit être interprétée dans son ensemble. J'ajouterais à cela qu'elle doit être interprétée comme un ensemble, compte tenu de tous les éléments de preuve dont disposait la SSR.

35.              Compte tenu du fait que la SSR ne disposait d'aucune preuve établissant les motifs objectifs de la crainte de persécution des demandeurs fondée sur leurs prétendues opinions politiques et que les demandeurs avaient le fardeau de la preuve à cet égard, j'estime que la SSR n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la revendication du statut de réfugié sur place des demandeurs.

36.              À la fin de l'audience, l'avocat m'a demandé de certifier la question suivante concernant le statut de réfugié sur place :

[traduction] Le fait qu'un pays ayant un caractère généralement oppressif sache que l'un de ses ressortissants a revendiqué le statut de réfugié fait-il de cette personne un réfugié sur place?


37.              À mon avis, cette question n'est pas particulièrement claire à cause de l'imprécision de la notion de « pays ayant un caractère généralement oppressif » . La question en litige en l'espèce était de savoir si le statut de réfugié sur place pouvait être reconnu en l'absence d'une preuve démontrant que la revendication du statut de réfugié de certaines personnes était venue spécifiquement à l'attention des autorités chinoises. À mon avis, la question suivante est plus appropriée, et je suis disposé à la certifier :

Lorsque le fait qu'un demandeur a présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est signalé dans les médias au Canada et que, en conséquence, le demandeur revendique le statut de réfugié sur place, est-il nécessaire, pour que ce statut lui soit reconnu, qu'il démontre :

a)          que les reportages des médias sont venus à l'attention des autorités du pays à l'égard duquel il prétend craindre avec raison d'être persécuté, et

b)          que les renseignements donnés dans les reportages étaient suffisants pour permettre aux autorités de l'identifier?


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-6303-99

INTITULÉ :                                                                     FENG CHAI LI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 11 SEPTEMBRE 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                   MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 14 NOVEMBRE 2001

COMPARUTIONS :

M. NAGI EBRAHIM                                                     POUR LA DEMANDERESSE

MME PASCALE-CATHERINE GUAY                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EBRAHIM, MACLEOD ET GERVAIS                        POUR LA DEMANDERESSE

MONTRÉAL (QUÉBEC)

M. MORRIS ROSENBERG                                            POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA



[1]              Dossier du tribunal, page 8.

[2]              Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration, le 30 septembre 1996. Voir http://www.cisr.gc.ca/fr/apropos/juridique/directives/enfantsref/EVD_ISS_f.htm (Directives sur les enfants).

[3]              Ibid, troisième série de directives, « Obtention de la preuve » .

[4]              Ibid, « Évaluation de la preuve » .

[5]              Voir IMM-6306-99, dossier des demandeurs, à la p. 11.

[6]              Ibid.

[7]              Ibid., à la p. 13.

[8]              Ibid., à la p. 14.

[9]              Ibid., aux p. 13 et 14.

[10]             Ibid., à la p. 15.

[11]              Ibid.

[12]             Ibid., à la p. 108.

[13]             Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, Genève, janvier 1998, à la p. 22.

[14]              [1993] 2 R.C.S. 689, aux p. 746 et 747.

[15]             [1994] A.C.F. no 525 (1re inst.) (QL).

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