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     Date : 19980226

     Dossier : T-2178-96


ACTION IN REM CONTRE LES NAVIRES DÉFENDEURS

"STAR DOVER", "STAR GRAN",

"VERITAS" et "STEPHANIE"

Entre :


FIBRECO PULP INC., FIBRECO EXPORT INC.,

373877 B.C. LTD., EKMAN LEIBIG AB,

ENSO-GUTZEIT OY,

     demanderesses,

     - et -


STAR SHIPPING A/S,

SQUAMISH TERMINALS LTD.,

FURNESS NEOBULK SERVICES b.v.,

DOVER INC., KRAFT LINE AS,

KG STEPHANIEBETEILIGUNGSGES mbH & CO.,

F.S. SWITYNK, et les propriétaires et toutes les autres personnes

ayant des droits dans les navires "STAR DOVER", "STAR GRAN", "VERITAS" et "STEPHANIE",

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

JOHN A. HARGRAVE,

PROTONOTAIRE

[1]      Les défendeurs, à l'exception de Squamish Terminals Ltd.1, ont comparu conditionnellement dans le but de présenter des requêtes visant à obtenir une suspension d'instance, afin de favoriser le règlement du litige et l'arbitrage, d'annuler la garantie d'exécution par suite du fait que l'un des quatre navires intéressés, le Star Gran, a changé de propriétaire avant l'introduction du litige et de contester la façon dont l'action, qui porte sur le transport de deux cargaisons de pâte de bois de Squamish (Colombie-Britannique) à Rotterdam, puis en Finlande, a été introduite.

[2]      Les requêtes sont contestées avec vigueur, étant donné que les sommes en cause sont importantes et qu'il pourrait arriver que, si l'on mettait en application les différentes possibilités de compétence, l'action devienne difficile, sinon impossible, à instruire, d'une manière équitable ou économique. Je rappelle certaines des données fondamentales pertinentes.

CONTEXTE

[3]      Les demanderesses, Fibreco Pulp Inc., Fibreco Export Inc. et 373877 B.C. Ltd.2 (collectivement désignées sous le nom de "Fibreco") sont des entreprises en participation faisant affaire sous la dénomination Fibreco Pulp à Taylor (Colombie-Britannique), et fabriquent de la pâte de bois. Fibreco a fourni quelque 13 000 balles de pâte de bois blanchie (la pâte de bois) à la demanderesse, Ekman Leibig AB (Ekman) de Goteberg (Suède), qui exporte et importe des produits de pâte et de papier. La pâte de bois a été emballée et entreposée à l'usine de Squamish (Colombie-Britannique) de la Squamish Terminals Ltd. (Squamish Terminals). Ekman a expédié la pâte de bois à un acheteur, la demanderesse Enso-Gutzeit OY, qui fabrique du papier d'emballage de produits alimentaires à Imatra (Finlande).

[4]      La pâte de bois a été expédiée par Ekman en deux lots à partir de Squamish (Colombie-Britannique), soit 6 024 balles de pâte de bois à bord du Star Dover, qui ont été chargées les 6 et 7 novembre 1995, et 7 052 balles de pâte de bois à bord du Star Gran, qui ont été chargées du 3 au 5 décembre 1995, et ces deux navires ont été déchargés à Rotterdam.

[5]      Le transport de Squamish à Rotterdam s'est effectué en vertu d'un contrat d'affrètement signé le 13 novembre 1994 (le contrat d'affrètement) entre Ekman, l'expéditrice, et la défenderesse Star Shipping A/S (Star Shipping) à titre de transporteur. Star Shipping serait originaire de Bergen (Norvège), bien qu'elle ait un établissement commercial permanent à Vancouver. Bien que Fibreco Pulp Inc. ait également signé le contrat d'affrètement, sous la mention "approuvé", je ne considère pas Fibreco Pulp Inc. comme une partie à ce contrat ou comme pouvant invoquer la clause d'arbitrage qui y est incluse. Avant de donner d'autres détails concernant le transport, je vais mentionner certaines des parties pertinentes du contrat d'affrètement et faire des observations sur la propriété du Star Dover et du Star Gran.

[6]      Le contrat d'affrètement fait référence, à la clause 3, à un connaissement joint au contrat. Apparemment, aucun connaissement n'a jamais été joint au contrat d'affrètement, mais cela peut n'avoir aucune conséquence étant donné qu'en cas de conflit entre les conditions du connaissement et ceux du contrat, ce sont les conditions du contrat qui ont priorité. Les défendeurs font valoir que les connaissements délivrés quand la pâte de bois a été chargée à bord du Star Dover et du Star Gran sont du type de celui qui était ou aurait dû être joint au contrat d'affrètement. Cela n'est manifestement pas le cas étant donné que la section B du contrat d'affrètement exige qu'il y ait une clause canadienne prioritaire dans le contrat d'affrètement, alors qu'aucune clause de ce genre ne figure dans aucun des connaissements.

[7]      Le contrat d'affrètement est régi par le droit anglais et tout conflit susceptible de se poser entre Ekman et Star Shipping doit être soumis à l'arbitrage à Londres.

[8]      En vertu du contrat d'affrètement, Star Shipping a convenu de faire transporter la cargaison à Rotterdam par le Star Dover et le Star Gran, deux navires qu'elle avait elle-même affrétés. Les navires battent pavillon norvégien. Le Star Dover est peut-être la propriété de Dover Inc. du Libéria, ou peut-être aussi de Poseidon Limited des Bermudes, mais dans un cas comme dans l'autre le titre de propriété passe par Consolidated Services Ltd. des Bermudes, qui est le bureau de Liberian Corporate Services Inc. de Reston (Virginie, É.-U.) établi aux Bermudes3. Au moment du transport de la pâte de bois de Fibreco, le Star Gran appartenait à la défenderesse Kraft Line AS (Kraft Line) de Panama, mais il aurait été vendu à Gran Inc. du Libéria, la vente étant attestée, parmi d'autres documents, par un contrat norvégien en date du 22 avril 1996 et un acte de vente en date du 10 mai 1996, notarié par un notaire japonais, résidant et pratiquant à Tokyo. Malgré leur diligence, les demanderesses ont été dans l'impossibilité d'obtenir des listes des administrateurs du registre des sociétés du Libéria, les administrateurs dans ce pays étant identifiés par des numéros, et non sous leurs et adresses. Il est intéressant de noter que même si Kraft Line a un avocat japonais, qu'elle a des comptes bancaires au Japon et qu'elle a des cautions japonaises, la totalité de ses activités commerciales quotidiennes serait effectuée par A/S Billabong, aussi connue sous la dénomination de Billabong 1994, de Bergen (Norvège). Pour boucler la boucle, l'exploitant des deux navires était et est A/S Billabong, anciennement Greig Shipping A/S de Bergen (Norvège), Greig étant la caution de Gran Inc. et étant en fait représentée par le même avocat que celle-ci. La totalité des activités quotidiennes de Gran Inc. serait accomplie par A/S Billabong. Toutefois, l'affidavit déposé au sujet des établissements commerciaux de Kraft Line and Gran Inc. évite avec soin de répondre à la question de savoir où se trouve la véritable tête dirigeante de ces deux armateurs, celle-ci pouvant fort bien se trouver à leur établissement principal. Il est heureux que le système juridique ait prévu depuis fort longtemps une action in rem qui permet d'engager la responsabilité de propriétaires aussi nébuleux.

[9]      Je passe maintenant aux connaissements relatifs au transport à partir de Squamish (Colombie-Britannique), qui ont été délivrés à Vancouver (Colombie-Britannique) selon la formule suivante : "Signés pour Star Shipping A/S à titre de transporteur par son agent Star Shipping (Canada) Ltd.", bien que le verso des connaissements indique que le propriétaire du navire est en fait le transporteur. Je préfère la déclaration en gros caractères qui a été signée au recto du connaissement indiquant que Star Shipping A/S est le transporteur, plutôt que les petits caractères insérés au milieu des conditions figurant au verso et indiquant que le transporteur peut être un armateur inconnu. En outre, dans les mémoires, l'avocat des défendeurs (autres que Squamish Terminals) a fait valoir que les connaissements confirmaient que Star Shipping était le transporteur. En vertu de la clause 18 figurant au verso du connaissement, le transporteur entend étendre les avantages et immunités du connaissement au moyen d'une clause Himalaya à ses préposés et agents, y compris aux entrepreneurs indépendants.

[10]      Les connaissements mentionnent Rotterdam comme port de déchargement, mais ils portent aussi la mention "destination finale Kotka (Finlande)". Il convient de noter ici que les connaissements délivrés par Star Shipping pour les cargaisons à bord du Star Dover et du Star Gran indiquent qu'il s'agit d'un contrat de transport par mer seulement, en vertu duquel Star Shipping s'engage à transporter ces cargaisons de Squamish à Rotterdam et ensuite jusqu'à Kotka (Finlande). L'engagement de Star Shipping d'effectuer le transport jusqu'en Finlande est confirmé par les factures de fret et par l'affrètement par Star Shipping des navires qui ont transporté la pâte de bois de Rotterdam à Kotka.

[11]      Les connaissements renferment une clause de compétence en faveur du pays où le transporteur a son principal établissement commercial :

         [TRADUCTION]                 
         3. Compétence. Tout différend découlant du présent connaissement sera réglé dans le pays où le transporteur a son principal établissement commercial, et le droit de ce pays régit le connaissement, sauf disposition contraire des présentes.                 

Cette clause de compétence n'est pas compatible avec le contrat d'affrètement qui a été signé entre Ekman en tant qu'expéditrice et Star Shipping en tant que transporteur : en vertu de ses conditions, c'est le contrat d'affrètement qui a préséance.

[12]      Afin de s'acquitter de son obligation de transporter la pâte de bois jusqu'à Kotka (Finlande), Star Shipping a conclu avec Echoship ApS de Svendborg (Danemark) un contrat d'affrètement au voyage concernant des navires devant être désignés ultérieurement et qui ont finalement été le Stephanie et le Veritas, appartenant à KG Stephaniebeteiligungsges mbH & Co. (ci-après "Stephanie Co."), et F.S. Switynk, de nationalité inconnue, mais qui acceptent apparemment d'être poursuivies en Norvège.

[13]      Les connaissements délivrés pour le transport des cargaisons à bord du Stephanie et du Veritas renferment des conditions très minimales, chacun de ces connaissements ayant pour but d'incorporer les dispositions d'une charte-partie non identifiée. Ni les connaissements ni la charte-partie entre Echoship Aps et Star Shipping ne contiennent de clauses relatives à la compétence ou à l'arbitrage.

[14]      On prétend que Stephanie Co. et F.S. Switynk devraient bénéficier de la protection assurée par les connaissements de Kraft Line qui ont été délivrés pour le transport des cargaisons à bord du Star Dover et du Star Gran, en invoquant la clause Himalaya, et qu'elles peuvent donc se défendre en Norvège ou même demander que l'arbitrage ait lieu à Londres en leur qualité de préposés, agents ou entrepreneurs indépendants de Star Shipping, qui, selon leurs prétentions, est le transporteur en vertu des connaissements du Star Dover et du Star Gran et qui a le droit de demander l'arbitrage à Londres en vertu du contrat d'affrètement.

[15]      On prétend qu'à leur arrivée à Kotka (Finlande), les balles de pâte de bois étaient endommagées, c'est-à-dire que les emballages étaient déchirés, salis, écrasés, brisés, mouillés et portaient des marques de moisissure et de contamination bactériologique. Une garantie pour les dommages a été fournie à Vancouver afin d'assurer l'exécution de tout jugement prononcé au Canada contre le Star Dover et le Star Gran : il ressort clairement des documents que les parties se sont réservées le droit de demander l'arbitrage à Londres. Squamish Terminals a déposé un avis de mise en cause contre les personnes ayant des droits dans les navires.

[16]      Quant aux requêtes, Star Shipping, Stephanie Co. et F.S. Switynk demandent une suspension d'instance, conformément à l'article 8 de l'Annexe à la Loi sur l'arbitrage commercial, de façon à pouvoir soumettre le différend à l'arbitrage à Londres. Subsidiairement, elles demandent une ordonnance radiant l'action, qui aurait été introduite de façon inappropriée du fait de la réunion de deux causes d'action distinctes. J'ai accordé la suspension d'instance. Toutefois, dans le cas où l'arbitrage obligatoire entre l'expéditrice et le transporteur ne règle pas toutes les questions entre les parties, laissant donc des questions à régler dans la présente action, j'ai également traité de l'allégation selon laquelle deux actions auraient été réunies de façon inappropriée.

[17]      Dover et Kraft Line demandent elles aussi une suspension d'instance invoquant la possibilité qu'elles puissent bénéficier d'une clause de compétence prévue au connaissement. Elles prétendent également que l'action, qui contient deux causes d'action distinctes, a été introduite de façon inappropriée. Pour sa part, Kraft Line demande une ordonnance pour que soit radiée la demande in rem contre le Star Gran et que la garantie d'exécution, qui a été fournie pour obtenir la mainlevée du navire, soit rendue parce que le Star Gran a été vendu après le voyage en question, mais avant que l'action soit introduite, mettant ainsi fin à la compétence in rem de la Cour.

[18]      Avant d'examiner les requêtes, je note plusieurs concessions pertinentes qui ont été faites par les défendeurs, malgré qu'ils contestent la réclamation des demanderesses quant aux avaries causées aux cargaisons, à la cause du dommage et à la perte. Les concessions sont les suivantes : premièrement, sous réserve que la garantie d'exécution concernant le Star Gran soit rendue à son propriétaire, la garantie accordée à Vancouver sera maintenue aux fins de l'arbitrage à Londres ou d'un litige qui serait entendu en Norvège au cas où une suspension d'instance serait accordée; deuxièmement, les défendeurs renoncent à faire valoir toute prescription qui pourrait être invoquée à Londres ou en Norvège. Quant à la question du maintien de la garantie d'exécution pour le Star Dover, j'ajouterais que dans le cas d'une suspension d'instance comme celle qui est demandée en l'espèce, cette garantie d'exécution peut dans certaines circonstances continuer de s'appliquer : voir par exemple The Rena K., [1978] 1 Lloyd's 545, page 559 et The Tuyuti, [1984] 2 Lloyd's 51, pages 63 et 64.

ANALYSE

Transport à destination et clause Himalaya

[19]      Stephanie Co. et F.S. Switynk, qui ont accepté de poursuivre le transport des cargaisons jusqu'à destination, n'ont prévu dans leurs connaissements aucune clause relative à la compétence ni au lieu où des poursuites pourraient être intentées. Il n'y a pas non plus de clause de ce genre dans leur contrat d'affrètement avec Star Shipping, qui est incorporé à leurs connaissements. Leur avocat a indiqué que ces deux défenderesses, comme solution subsidiaire à l'arbitrage qui pourrait avoir lieu à Londres, sont disposées à ce que le litige soit entendu en Norvège. Il n'y a aucun lien apparent avec la Norvège, à l'exception peut-être de la présence de l'exploitant du Star Gran et du Star Dover, étant donné que les établissements commerciaux des armateurs, ou peut-être ceux des armateurs qui ont affrété le Veritas et le Stephanie, se trouvent au Danemark. Un procès en Norvège présenterait des difficultés exceptionnelles pour la majorité des parties et ne servirait pas les intérêts de la justice du point de vue économique.

[20]      Comme je l'ai noté ci-dessus, Stephanie Co. et F.S. Switynk font valoir qu'elles peuvent bénéficier des avantages des connaissements de Kraft Line délivrés pour le transport des cargaisons à bord du Star Dover et du Star Gran et donc qu'en vertu de la clause Himalaya elles peuvent se défendre en Norvège ou peut-être même demander l'arbitrage à Londres en tant que préposés, agents ou entrepreneurs de Star Shipping. La question est donc de savoir si Stephanie Co. et F.S. Switynk ont en fait la possibilité de bénéficier des clauses du connaissement en invoquant la clause Himalaya.

[21]      Dans l'arrêt Sears Ltd. c. Ceres Stevedoring Co. Ltd. (Le "Tolya Komar"), (1989), 88 N.R. 296, aux pages 302 et 303, la Cour d'appel fédérale énonce le critère à quatre volets, qui permet de tirer parti des clauses de non-responsabilité en invoquant une clause Himalaya, établi par la Chambre des lords dans Midland Silicones Ltd. v. Scruttons Ltd., [1962] A.C. 446. Dans Midland Silicones, à la page 474, lord Reid a traité de la possibilité que, par l'entremise d'un mandat avec le transporteur, les manutentionnaires puissent bénéficier des conditions du connaissement ou, subsidiairement, qu'il y ait eu une sorte de ratification ultérieure de la clause Himalaya par les manutentionnaires leur donnant ainsi l'avantage des conditions du connaissement :

         [TRADUCTION]                 
         "Selon moi, l'argument du mandataire a une chance de succès si (premièrement) le connaissement énonce clairement que ses dispositions limitant la responsabilité visent à protéger le manutentionnaire, (deuxièmement) si le connaissement énonce clairement que le transporteur, en plus de convenir par contrat que ces conditions s'appliqueront à lui-même, convient aussi à titre de mandataire du manutentionnaire qu'elles s'appliqueront au manutentionnaire, (troisièmement) si le transporteur a l'autorisation du déchargeur d'agir ainsi (ou peut-être qu'une ratification du manutentionnaire suffira), et (quatrièmement) si toutes les difficultés concernant la contrepartie provenant du manutentionnaire sont surmontées."                 

Si l'on revient à la décision de la Cour d'appel fédérale dans Le "Tolya Komar", la Cour signale non seulement que, pour ratifier une clause, il faut être au courant de son existence, mais aussi que cette ratification doit être faite dans un délai raisonnable après la signature du contrat et certainement avant le délai fixé pour le début de l'exécution des obligations par la partie contractante (voir page 304). En l'espèce, il n'y a pas de preuve qui établisse que les transporteurs qui ont accepté d'effectuer la deuxième partie du voyage répondent au critère énoncé dans Midland Silicones , ni qu'il y a eu ratification.

Position de Star Shipping

[22]      Le témoignage de M. Anthony Roper, de Star Shipping (Canada) Ltd., filiale en toute propriété de Star Shipping et agent pour la Côte Ouest de Star Shipping, indique que le transport de la pâte de bois en Finlande était prévu dans le contrat d'affrètement, la totalité du coût du fret, y compris le coût additionnel pour la deuxième partie du transport de Rotterdam jusqu'en Finlande, ayant été facturé au moment du chargement à Squamish.

[23]      La clause relative à l'arbitrage contenue dans le contrat d'affrètement entre Star Shipping et Ekman est claire :

         [TRADUCTION]                 
         "Le présent contrat est régi par le droit anglais. En cas de différend entre le transporteur et l'expéditrice, celui-ci sera transmis à trois personnes, dont une nommée par chacune des parties aux présentes, la troisième étant choisie par les deux personnes ainsi nommées. Leur décision ou celle de deux des trois personnes sera définitive, et pour les fins de l'application de toute décision, le présent contrat peut être considéré comme un jugement de la Cour. La procédure d'arbitrage se tiendra à Londres."                 

L'article 8 de la Loi sur l'arbitrage commercial, chapitre 17 des Lois révisées du Canada, 1985, donne effet au Code d'arbitrage commercial adopté par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international en 1985. Le Code renferme une directive claire et obligatoire, obligeant un tribunal à renvoyer à l'arbitrage toute question faisant l'objet d'une convention d'arbitrage :

         (1) Le tribunal saisi d'un différend sur une question faisant l'objet d'une convention d'arbitrage renverra les parties à l'arbitrage si l'une d'entre elles le demande au plus tard lorsqu'elle soumet ses premières conclusions quant au fond du différend, à moins qu'il ne constate que la convention est caduque, inopérante ou non susceptible d'être exécutée.                 

Malheureusement, dans un cas d'arbitrage à l'étranger, le tribunal n'a aucun pouvoir discrétionnaire lui permettant d'éviter l'éventualité d'une multiplication des procédures à moins que la clause d'arbitrage ne soit visée par l'une des exceptions prévues au paragraphe 8(1) du Code ou qu'elle ne s'applique pas au différend en question.

[24]      J'examinerai maintenant si le transport de la pâte de bois est visé par le contrat d'affrètement et si donc le différend doit être renvoyé à l'arbitrage. La portée du contrat d'affrètement est énoncée au premier paragraphe dans les termes suivants :

         [TRADUCTION]                 
         "Le présent contrat vise l'exportation totale par l'expéditrice de pâte chimico-thermomécanique (PCTM) ou de pâte chimico-thermomécanique blanchie (PCTMB) fournie par Fibreco Pulp Inc. à son usine de Taylor (Colombie-Britannique) de Squamish (Colombie-Britannique) vers certains ports du Japon, de la Corée, du Royaume-Uni, de la Belgique, de l'Allemagne, des Pays-Bas, de la France et de l'Italie, comme il est indiqué aux présentes."                 

Les incidents qui se sont produits par suite du transport de la pâte de bois de Squamish à Rotterdam sont certainement couverts par le contrat d'affrètement. La question est de savoir si Ekman et Star Shipping avaient l'intention que le voyage de continuation, soit de Rotterdam vers un port en Finlande, soit également visé par le contrat d'affrètement. Il est certain que les ports de la Finlande ne sont pas expressément inclus dans la portée du contrat d'affrètement reproduit ci-dessus. Toutefois, rien n'indique que telle n'était pas l'intention d'Ekman et de Star Shipping et, en fait, le témoignage non contredit d'Anthony Roper, vice-président et directeur général de Star Shipping (Canada) Ltd., révèle que le transport de la pâte de bois, y compris le voyage de Rotterdam à Kotka (Finlande), a été organisé aux termes du contrat d'affrètement et était assujetti à une facture commune, Star Shipping ayant affrété le Stephanie et le Veritas pour effectuer la deuxième partie du voyage. En outre, dans le cas du Stephanie et du Veritas, les connaissements indiquent clairement que les marchandises sont en transit en provenance du Canada, les douanes n'ayant pas été acquittées à Rotterdam, et que la pâte de bois ne doit pas être délivrée sur remise des connaissements du Veritas ou du Stephanie, mais uniquement sur présentation des connaissements originaux du Star Gran et du Star Dover. Sans aucun doute, si on avait demandé aux dirigeants d'Ekman et de Star Shipping si le contrat couvrait le transport de la pâte de bois de Rotterdam jusqu'en Finlande, ils auraient répondu que bien entendu les termes du contrat d'affrètement, y compris la clause d'arbitrage, s'appliquaient.

[25]      Il pourrait être peu pratique et non économique d'exclure du présent litige la demande d'Ekman contre Star Shipping, afin que le différend soit soumis à l'arbitrage à Londres, mais ces facteurs ne signifient pas que la clause d'arbitrage est, pour reprendre les termes de l'article 8 du Code d'arbitrage commercial, "[...] caduque, inopérante ou non susceptible d'être exécutée". Je n'ai aucun pouvoir discrétionnaire sur ce point, et je dois suspendre la demande d'Ekman contre Star Shipping et renvoyer les deux parties à la procédure d'arbitrage à Londres. Une autre question plus intéressante se pose, c'est-à-dire de savoir si la réclamation des demanderesses contre le reste des défendeurs doit également faire l'objet d'une suspension d'instance.

Suspension d'instance en faveur des autres défendeurs

[26]      Dans l'arrêt Nanisivik Mines Ltd. c. Canartic Shipping Co. Ltd. [1994] 2 C.F. 662, (1994), 113 D.L.R. (4th) 536, la Cour d'appel fédérale était saisie d'une affaire dans laquelle les personnes ayant des droits sur le fret poursuivaient l'affréteur à temps, le propriétaire, l'affréteur coque nue et les membres d'équipage par suite de la perte totale d'une cargaison de minerai lors du naufrage du Finnpolaris. Le contrat d'affrètement au voyage, conclu entre Nanisivik Mines et Canarctic Shipping, renfermait une clause d'arbitrage. L'article 8 du Code énoncé dans la Loi sur l'arbitrage commercial rendait obligatoire l'arbitrage entre Nanisivik Mines et Canarctic Shipping. Il restait quand même à décider de ce qui arriverait à la codemanderesse, Zinc Corporation of America, et aux autres défendeurs. La Cour d'appel fédérale a décidé de suspendre la totalité de l'instance jusqu'à ce qu'une décision d'arbitrage ait été rendue, car il lui semblait probable que le règlement des questions qui se posaient entre les deux parties à la convention d'arbitrage, règle la totalité du différend.

[27]      Dans Nanisivik Mines, la Cour d'appel a signalé qu'une convention de renvoyer à l'arbitrage les différends relatifs à une charte-partie n'était pas une convention de renvoyer à l'arbitrage les différends relatifs à un connaissement même si la charte-partie est incorporée dans ce dernier (page 675 et suivantes). Dans cette affaire, la Cour a interprété de façon restrictive la clause d'arbitrage ayant trait aux différends relatifs à la charte-partie. En l'espèce, la clause d'arbitrage a trait aux différends entre l'expéditrice et le transporteur Star Shipping. Star Shipping prétend être le transporteur jusqu'en Finlande en vertu des connaissements du Star Dover et du Star Gran, ce qui est tout à fait vraisemblable. Le litige actuel est un peu plus complexe que celui dont il était question dans Nanisivik. Toutefois, puisque Star Shipping est manifestement le transporteur en vertu de connaissements prévoyant le transport par mer seulement, l'arbitrage entre Ekman et Star Shipping pourrait fort bien résoudre la majeure partie des questions en litige.

[28]      Je ne peux obliger les défendeurs qui ne sont pas parties à la clause d'arbitrage prévue au contrat d'affrètement à se soumettre à l'arbitrage. Toutefois, dans cette affaire, les transporteurs qui ont effectué la deuxième partie du voyage, Stephanie Co. et Switynk, souhaitent, comme ils l'ont indiqué dans la conclusion subsidiaire présentée dans leur requête, obtenir une suspension d'instance pour se soumettre à l'arbitrage à Londres. J'ai décidé de suspendre la présente action étant donné que l'arbitrage qui aura lieu à Londres pourrait fort bien résoudre la totalité de la demande, à l'exception peut-être de celle qui a été intentée contre Squamish Terminals. Il est malheureux que Squamish Terminals puisse encore faire l'objet d'autres litiges et qu'elle doive poursuivre ses recours contre des tiers devant la Cour fédérale. Mais il est préférable d'accorder une suspension d'instance jusqu'à l'issue de l'arbitrage entre Ekman Leibig AB et Star Shipping A/S, KG Stephaniebeteiligungsges mbH & Co. et F.S. Switynk que de séparer la demande en fractions plus difficiles à gérer dans différents ressorts ou que de procéder à l'arbitrage entre deux parties en laissant Stephanie Co. et F.S. Switynk, qui ne peuvent profiter des clauses de compétence, comme parties à tout litige en instance devant la Cour fédérale, étant donné que le règlement de ces demandes fractionnées pourrait être onéreux et même entraîner des résultats contradictoires.

Procédure in rem contre le Star Gran

[29]      Comme je l'ai déjà noté, les défenderesses Dover Inc. et Kraft Line conviennent que leur garantie devrait être maintenue pour assurer l'exécution de la décision qui sera prise à l'issue de l'arbitrage qui aura lieu à Londres, sous réserve d'une décision de la présente Cour quant au bien-fondé de la demande in rem contre le Star Gran. À ce propos, on fait valoir que le navire est passé à ses nouveaux propriétaires après le voyage en question, mais avant l'introduction de la présente action. Si la vente a été faite de bonne foi et qu'elle a eu lieu en mai 1996, la demande in rem contre le Star Gran serait exclue aux termes du paragraphe 43(3) de la Loi sur la Cour fédérale. Pour élaborer, le paragraphe 43(2) de la Loi sur la Cour fédérale, qui confère à la Cour sa compétence en matière réelle dans les actions intentées contre des navires, est assujetti au paragraphe 43(3) qui, pour paraphraser le texte, interdit l'exercice de plusieurs causes d'action, notamment des demandes d'indemnité pour perte de marchandises, à moins qu'au moment où la demande est déposée le véritable propriétaire du navire soit le même qu'au moment du fait générateur.

[30]      L'argument de l'avocat représentant Kraft Line a été simplement formulé. La demande, qui est visée soit à l'alinéa 22h) de la Loi, c'est-à-dire une demande d'indemnisation pour la perte ou l'avarie de marchandises transportées à bord d'un navire, ou à l'alinéa 22i), c'est-à-dire une demande relative au transport de marchandises à bord d'un navire, outrepasse la compétence de la Cour en matière réelle du fait qu'il y a eu une transaction légitime entre parties non liées, qui est attestée par un protocole d'entente dans un contrat norvégien, entre Kraft Line et Gran Inc. et, par l'acte de vente subséquent. Puisque la Cour n'avait compétence ni à l'égard du navire ni pour délivrer le mandat en vertu duquel le navire a été saisi et qui a entraîné le dépôt de la garantie d'exécution pour obtenir la mainlevée de la saisie, la garantie d'exécution devrait être annulée de même que la demande d'indemnisation in rem contre le Star Gran.

[31]      Les demanderesses prétendent que la garantie d'exécution ne devrait être remise qu'en cas de désistement ou de rejet de l'action. Elles font valoir que la remise de la garantie d'exécution est analogue à la mainlevée de la saisie d'un navire en vertu de la Règle 1006(2)e), soit une mainlevée accordée sur désistement ou rejet de l'action. Toutefois, je suis convaincu que la Cour a une compétence résiduelle ou implicite au niveau de ses propres procédures : voir par exemple Margem Chartering Co. Inc. c. Le Bocsa, [1997] 2 C.F. 1001, aux pages 1014 et 1015 et Pawar c. Canada (1997), 132 F.T.R. 44, à la page 48. Donc, lorsque la situation s'y prête, une saisie peut être annulée, la garantie d'exécution remise et l'action in rem radiée.

[32]      Les demanderesses soutiennent ensuite que la procédure visant à accorder une mainlevée de saisie et à ordonner la remise de la garantie d'exécution est semblable à un jugement sommaire et qu'elle doit être assujettie aux règles régissant les jugements sommaires comme il en est question, par exemple, dans Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. (1996), 111 F.T.R. 189, à la page 193. Plus particulièrement, elles font valoir qu'un jugement sommaire ne devrait être accordé que lorsque le succès de la demande est si douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée dans le cadre d'un éventuel procès et que ce type de jugement ne peut être rendu si la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour permettre au tribunal de trancher les questions de fait ou si celui-ci estime injuste de trancher ces questions. Les demanderesses suggèrent également que la preuve déposée au nom de Kraft Line est inadéquate et sujette à caution et qu'il reste des questions sérieuses qui devraient être examinées au cours d'un procès.

[33]      La méthode qu'il convient de suivre est de ne pas permettre qu'une question de propriété, comme celle qui nous occupe en l'espèce, soit débattue au cours de l'instruction. Si l'action in rem excède la compétence d'un tribunal, en l'espèce du fait qu'il y a eu changement de propriétaire, la contestation doit être faite avant que la partie qui conteste la propriété ne comparaisse sans condition. Toute question concernant une irrégularité dans la délivrance de l'acte de procédure ne peut être plaidée comme moyen de défense : si la défenderesse Kraft Line devait comparaître inconditionnellement, elle se serait engagée à renoncer à faire valoir toute irrégularité. Par conséquent, ce point doit être traité dans le cadre de la présente requête et ne peut être débattu au cours de l'instruction de l'action. C'est essentiellement le raisonnement qui a été énoncé par le juge Goff dans The I Congreso Del Partido, [1977] 1 Lloyd's 536, aux pages 558-559 (C.B.R.). Dans le cadre d'une requête traitant des circonstances dans lesquelles une action in rem peut être introduite, le juge Goff a signalé que bien que la preuve soit habituellement déposée par affidavit, en théorie les témoignages de vive voix, peut-être au moyen de contre-interrogatoires des auteurs des affidavits, seraient appropriés, mais la question doit être débattue à l'étape de la requête étant donné que s'il y a absence de compétence le défendeur ne doit même pas avoir à faire face à l'action (ibid., page 559).

[34]      En l'espèce, les principes relatifs au jugement sommaire ne sont pas du tout applicables, étant donné qu'il ne s'agit pas de déterminer si le succès de la demande est si douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée dans le cadre d'un éventuel procès, ni de refuser de rendre une décision parce que la preuve ne comporte pas les faits nécessaires permettant de trancher les questions de fait en dehors d'un procès ou parce que le tribunal estime injuste de trancher ces questions. Il aurait peut-être été utile que les demanderesses contre-interrogent un ou plusieurs des auteurs des affidavits déposés par les défendeurs, mais d'après ce que je comprends, cela n'a pas été fait en raison des coûts. Donc, je dois faire de mon mieux, à partir des renseignements dont je dispose, pour parvenir à une conclusion.

[35]      La question qui, comme je l'ai indiqué, est dictée par le paragraphe 43(3) de la Loi sur la Cour fédérale, consiste à déterminer si le véritable propriétaire du Star Gran a changé entre le moment où la pâte de bois de Fibreco a été transportée et l'introduction de l'action. Le contrat de vente, sur le formulaire norvégien, l'acte de vente, la facture commerciale, le protocole de livraison et d'acceptation et le certificat de propriété déposé au registre maritime norvégien ainsi que les charges qui grèvent le navire constituent certainement une preuve prima facie du changement de propriété, c'est-à-dire de la vente par Kraft Line de Panama à Gran Inc. du Libéria. Malheureusement, malgré un délai de quelque trois mois entre le dépôt et l'audition de la présente requête, aucune preuve directe n'a été fournie ni par un administrateur de Kraft Line ni par un de ceux de Gran Inc. au sujet de la transaction; ces parties se sont simplement contentées de produire, sans autre observation, un certain nombre de documents et un affidavit exposant des renseignements et des convictions concernant la vente, établi sous serment par le directeur des exploitants norvégiens du navire.

[36]      Malgré ce que prétend l'avocat de Kraft Line, il ne ressort pas clairement de la preuve que la vente du Star Gran a été faite à une partie non liée. Cependant, les demanderesses n'ont fourni aucun élément concret pour démontrer que la transaction est différente de ce qu'elle paraît être et convaincre la Cour d'aller au-delà du paravent de la société pour déterminer qui est le propriétaire véritable. L'analyse d'une situation de ce genre devrait poser comme principe de départ que le propriétaire inscrit n'est pas un propriétaire nominal ou un propriétaire en common law derrière lequel se cache le véritable propriétaire et en fait, un tel concept non étayé par un quelconque élément de preuve, est une contradiction : voir par exemple The Evpo Agnic, [1988] 2 Lloyd's 411, à la page 415 (C.A.) et The Jensen Star (1989) 99 N.R. 42, page 47 (C.A.F.). Il est certain que dans le cas d'un différend qui est étayé par une preuve concrète quant à l'identité du propriétaire véritable un tribunal peut dans tous les cas, et dans certains cas il devrait même, aller au-delà du paravent de l'enregistrement pour déterminer qui est le véritable propriétaire : The Aventicum, [1978] 1 Lloyd's 184, page 187 (C.B.R.).

[37]      Quant à la question du fardeau de la preuve, il incombe à la demanderesse de prouver que le véritable propriétaire du navire était le même quand la cause d'action a pris naissance et quand l'action a été introduite : The Aventicum (précité), page 186, The Maritime Trader, [1981] 2 Lloyd's 153, page 157, et The Andres Bonifacio, [1993] 3 SLR 521, page 524 (C.A. de Singapour).

[38]      Les demanderesses n'ont posé que des hypothèses au sujet du changement de propriété et de ce que l'on pourrait peut-être trouver si on allait au-delà du paravent de la société. Elles n'ont pas fourni de preuve positive établissant que Gran Inc. appartient réellement à Kraft Line, ou concernant la personne physique ou morale qui était propriétaire du Star Gran en premier lieu.

[39]      Dans The Looiersgracht, [1995] 2 Lloyd's 411, j'ai traité, aux pages 414 et 415, du risque de non-persuasion lorsqu'une partie a une connaissance particulière de certains faits, faisant référence à la décision The Stavroula, [1987] 1 S.A. 75, rendue par un tribunal de première instance de l'Afrique du Sud, et à Wigmore on Evidence, édition de 1981, vol. IX, par. 2486, afin de déterminer si le fardeau de la preuve devrait être déplacé sur une partie qui semble être dans une position lui permettant d'établir qu'un renseignement est faux. Dans l'arrêt Looiersgracht, les défendeurs ont traité avec succès du risque de non-persuasion en fournissant une preuve de propriété afin de démontrer que le Looiersgracht et d'autres navires appartenaient à des sociétés en commandite distinctes formées d'associés différents, établissant ainsi qu'une série de sociétés ne possédant qu'un seul navire n'étaient pas un subterfuge, mais qu'elles poursuivaient une fin légitime.

[40]      En l'espèce, la défenderesse Kraft Line aurait pu faire davantage pour expliquer la situation en fournissant une preuve directe du changement de propriété. En fait, si les demanderesses avaient été en mesure de réunir même quelques éléments de preuve concrets, Kraft Line aurait certainement dû produire d'autres éléments de preuve. Dans les circonstances, je suis convaincu, d'après les affidavits qui ont été déposés, et bien entendu en reconnaissant qu'ils ne sont peut-être pas complets, que le véritable propriétaire du Star Gran au moment du transport de la pâte de bois, c'est-à-dire au moment où la cause d'action a pris naissance, n'est pas la même entité que le propriétaire véritable actuel puisque je ne peux ignorer le fait que les demanderesses n'ont pas produit de preuve positive, établissant la continuité du titre de propriété. Je conviens que le rejet d'une demande d'indemnisation in rem et la remise de la garantie d'exécution est une chose sérieuse, mais la demande de la défenderesse Kraft Line doit être accueillie, et je dois rejeter l'action réelle intentée contre le Star Gran et exiger la remise de la garantie d'exécution.

Réunion des deux demandes

[41]      La dernière question à résoudre porte sur le caractère approprié de l'introduction de l'action étant donné que les défenderesses Star Shipping, Stephanie Co. et F.S. Switynk prétendent qu'il y a deux causes d'action distinctes, l'une d'elles mettant en cause chacune des deux cargaisons de pâte de bois.

[42]      La présente action porte sur des demandes d'indemnisation par suite d'avaries semblables causées à deux expéditions consécutives de pâte de bois transportée par Star Shipping à bord de deux navires différents jusqu'à Rotterdam, puis par deux autres navires jusqu'à Kotka (Finlande). Les défendeurs, à l'exception de Squamish Terminals, font valoir que les demanderesses ont réuni deux demandes distinctes dans une seule action sans l'autorisation de la Cour, comme le prévoit l'alinéa 1715(1)a) :

         1715. (1) Deux personnes ou plus peuvent être jointes en tant que codemandeurs ou en tant que codéfendeurs dans une même action, soit avec la permission de la Cour, soit                 
         a) lorsqu'une même question de droit ou de fait se pose dans toutes les actions si des actions distinctes étaient intentées par ou contre chacune de ces personnes, selon le cas; [...]                 

Cette règle n'exige pas que les causes d'actions distinctes ne soulèvent que des questions de droit ou de fait communes, mais simplement que certaines de ces questions le soient. Les défendeurs prétendent qu'il n'y a aucune question de droit ou de fait commune permettant de poursuivre ensemble les deux demandes et, par conséquent, que l'action devrait être radiée. Au mieux, les défendeurs prétendent qu'il devrait y avoir deux actions distinctes.

[43]      Bien qu'il y ait deux demandes distinctes, concernant deux expéditions de pâte de bois, il y a également plusieurs questions de fait et de droit communes, qui ont été compilées par les demanderesses dans leurs mémoires et leurs plaidoiries, notamment :

         1. L'identité des demanderesses, qui sont collectivement le fabriquant, l'expéditeur et le destinataire des deux cargaisons.                 
         2. L'expédition de la même marchandise à bord de navires de taille semblable de Squamish à Rotterdam, à peu près à la même époque de l'année.                 
         3. Le transport à destination à bord de deux autres navires, affrétés tous les deux par la défenderesse Star Shipping.                 
         4. Un contrat de transport commun, le contrat d'affrètement, de même que des connaissements communs pour le transport à Rotterdam et des connaissements communs et des chartes-parties incorporées à ces connaissements pour le transport de Rotterdam à Kotka.                 
         5. La gestion commune du Star Dover et du Star Gran.                 
         6. Certains avis d'expert semblables.                 
         7. Des questions communes portant sur les pratiques suivies à bord des navires, notamment une ventilation appropriée et la protection de la pâte de bois contre la moisissure.                 
         8. Des questions de droit semblables, notamment les obligations de Star Shipping en tant que transporteur, l'effet du contrat d'affrètement et des connaissements de Star Shipping et du droit applicable à chaque étape du transport.                 

[44]      L'avocat des défendeurs qui ont assuré le transport fait référence à une décision de la Cour de comté de l'Ontario, Wessels v. Laviolette, [1972] 1 O.R. 706, dans laquelle il était question de deux accidents d'automobile, survenus à deux jours d'intervalle, mais qui avaient tous deux causé des blessures au demandeur. Le juge a conclu qu'il y avait deux causes d'action distinctes et que la prépondérance des inconvénients ne justifiait pas qu'elles soient poursuivies dans une seule action et, en outre, qu'il serait difficile, sinon impossible, d'organiser le versement des paiements à la Cour, étant donné que si le demandeur acceptait l'argent du premier défendeur, il se priverait ainsi de tout droit de réclamation contre le deuxième défendeur. La justesse de la décision Wessels est évidente. Il n'y avait pas d'élément commun, à l'exception du fait que le demandeur avait été impliqué dans les deux accidents. Autoriser la jonction des deux demandes en une seule action n'aurait profité à personne. La situation est tout à fait différente en l'espèce.

[45]      Apotex Inc. et Novopharm Ltd. c. Wellcome Foundation Ltd. (1994), 69 F.T.R. 178, une décision du juge MacKay de la Section de première instance, constitue un précédent plus pertinent. Dans cette affaire, les parties demandaient la réunion de deux actions, concernant toutes deux le même médicament, la première action alléguant la contrefaçon du brevet et l'autre l'invalidation du brevet, mais sous des perspectives différentes, les demandeurs dans une action étant les défendeurs dans l'autre. L'objet de la requête était d'éliminer le double emploi dans la préparation de l'instruction, notamment la production des documents et les interrogatoires préalables et d'éviter de tenir deux procès, particulièrement sur les questions de la validité et de la contrefaçon du brevet. Bon nombre de témoins et d'experts auraient été appelés à comparaître dans chacun des procès. Les avocats étaient les mêmes pour les deux actions, même s'ils ne s'entendaient pas sur la question de la réunion des actions. Le juge MacKay a souligné que les règles 1714, 1715 et 1716, traitant de la jonction des causes d'action et des parties et de l'addition et du retrait de parties, ne prévoyaient pas expressément la réunion des questions soulevées dans une action à des questions soulevées dans une autre action, lorsque les parties aux deux actions ne sont pas identiques. Toutefois, il était tout à fait certain que la Cour avait une compétence inhérente pour ordonner que les deux actions soient entendues en même temps d'une manière permettant de simplifier la procédure et de réduire les coûts, pour les parties et pour la Cour, mais en agissant ainsi, la Cour devait rechercher une procédure convenant aux parties au litige sans faire subir de préjudice important à l'une ou à l'autre (page 182). Toutefois, dans cette affaire, l'une des actions était beaucoup plus avancée que l'autre, de sorte que la demanderesse dans cette action ne devait pas subir de préjudice du fait qu'elle aurait dû attendre que la deuxième action parvienne jusqu'à la même étape dans la procédure. Au bout du compte, le juge MacKay a rejeté la requête visant la réunion des actions.

[46]      En l'espèce, il y a, comme je l'ai signalé, plusieurs questions de fait et de droit communes dans les deux demandes qui devraient, logiquement, être débattues au cours d'une seule action. Personne ne subira de préjudice si les deux demandes sont débattues dans une seule action et toutes les raisons nous poussent à procéder de cette manière, ce qui aurait pour résultat, advenant que la suspension d'instance soit annulée, d'entraîner une procédure simplifiée en réduisant les frais et le temps consacré au règlement du différend.

CONCLUSION

[47]      J'accorde donc la suspension de la présente action pour permettre à Ekman Leibig AB, Star Shipping A/S, Dover Inc. et Kraft Line AS, de se soumettre à l'arbitrage à Londres. Je fais de nouveau observer que ces défenderesses ont accepté de ne pas soulever d'argument concernant la prescription. Les défenderesses ont également convenu que la garantie d'exécution, ou du moins ce qu'il en reste, c'est-à-dire la garantie d'exécution du Star Dover, sera maintenue comme garantie d'exécution pour l'arbitrage à Londres.

[48]      L'action in rem contre le Star Gran, qui a été introduite après un transfert apparemment authentique du navire est rejetée, et la garantie d'exécution doit être remise.

[49]      Les demandes découlant des deux expéditions de pâte de bois de Squamish (Colombie-Britannique) à Kotka (Finlande) pourront être entendues dans une seule action.

[50]      Comme les deux parties ont eu partiellement gain de cause, il n'y aura pas d'adjudication de dépens. Je remercie les avocats pour la qualité des arguments qu'ils ont présentés et des documents qu'ils ont fournis.

                          (Signature) "John A. Hargrave"

                         Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 26 février 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :      le 19 janvier 1998

No DU GREFFE :              T-2178-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      FIBRECO PULP INC. et al.

                     c.

                     LE NAVIRE "STAR DOVER" et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE

JOHN A. HARGRAVE, PROTONOTAIRE

en date le 26 février 1998

ONT COMPARU :

     Doug Schmitt          pour les demanderesses

     Peter Swanson          pour la défenderesse Star Shipping A/S et al.

     Robert Lonergan          pour la défenderesse Squamish Terminals Ltd.

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     McEwen, Schmitt & Co.      pour les demanderesses

     Vancouver (C.-B.)

     Campney & Murphy      pour la défenderesse Star Shipping A/S et al.

     Vancouver (C.-B.)

     Russell & DuMoulin      pour la défenderesse Squamish Terminals Ltd.

     Vancouver (C.-B.)

__________________

1      L'action a été abandonnée contre Furness Neobulk Services b.v.

2      La demanderesse 373877 B.C. Ltd. n'existe plus, ayant été remplacée par Fibreco Pulp Inc.

3      Le registre des sociétés libériennes est peut-être fictif, étant donné qu'il n'y a pas de numéro enregistré au Libéria. En outre, tous les documents publics de la compagnie libérienne, Dover Inc., sont en possession de Liberian Corporation Services Inc. en Virginie (É.-U.).

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