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Date : 19991027


Dossier : IMM-5534-98

OTTAWA (Ontario), le 27 octobre 1999.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,

demandeur,


et


HARJINDERPAL SINGH NAGRA,


défendeur.


ORDONNANCE


[1]      La présente demande d"autorisation et de contrôle judiciaire que le ministre a déposée en vertu de l"article 82.1 de la Loi sur l"immigration est rejetée.


                             " P. Rouleau "

                                     J U G E



Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.




Date : 19991027


Dossier : IMM-5534-98


ENTRE :


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,

demandeur,


et


HARJINDERPAL SINGH NAGRA,


défendeur.



MOTIFS D"ORDONNANCE


LE JUGE ROULEAU


[1]      Il s"agit d"une demande d"autorisation et de contrôle judiciaire, fondée sur l"article 82.1 de la Loi sur l"immigration, que le ministre a présentée à l"égard de la décision, datée du 9 octobre 1998, dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le défendeur était un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le défendeur est un Sikh de 39 ans originaire de l"Inde qui avait fait des études en droit et s"était joint à la All India Student Sikh Federation (l"AISSF) en 1978. De 1978 à 1984, le défendeur avait contesté de façon active le traitement qui était réservé aux Sikhs et lutté afin que les Sikhs obtiennent plus de droits. Pendant cette période, il a organisé un certain nombre de sections de l"AISSF partout au Rajasthan ainsi que des conférences, de concert avec le Alkali Dal.

[3]      Le défendeur a été arrêté, détenu et torturé à un certain nombre d"occasions.

[4]      En 1981, il a été élu président de l"AISSF pour l"État du Rajasthan. En septembre 1983, il a obtenu le poste de secrétaire organisateur, devenant ainsi membre du haut commandement de l"AISSF. En février 1984, il a obtenu une reconnaissance particulière du grand prêtre du Temple d"Or. En mai 1984, en raison de sa formation, le président de l"AISSF lui a demandé de contribuer à la préparation d"une contestation judiciaire de la décision ayant interdit l"AISSF. Il avait déjà quitté la région lorque la confrontation de juin 1984 a eu lieu au Temple d"Or. En 1984, il a quitté l"Inde et fondé la International Sikh Youth Federation (la ISYF) conformément aux directives du président de l"AISSF et du grand prêtre du Temple d"Or.

[5]      Le défendeur est arrivé au Canada en février 1985, où il a continué à établir des sections de la ISYF, dans plusieurs villes canadiennes. Il a travaillé pour l"ISYF jusqu"en février 1986, alors qu"il a exprimé son mécontement en ce qui concerne la direction dans laquelle l"organisation s"engageait. Il est tout de même demeuré chef religieux de l"organisation jusqu"à ce qu"il donne sa démission, en mai 1986.

[6]      La Commission a conclu que la crainte du demandeur d"être persécuté s"il retournait en Inde était fondée et qu"il n"y avait aucune raison sérieuse de penser qu"il avait déjà commis des crimes contre l"humanité.

[7]      Voici les questions litigieuses qu"il faut trancher :

     1.      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu"elle a pris sa décision concernant les aspects d"exclusion de la revendication du défendeur?
     2.      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu"elle a appliqué la mauvaise norme de preuve en déterminant si les dirigeants de la AISSF en Inde ont commis des crimes contre l"humanité?
     3.      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu"elle a appliqué le mauvais critère en déterminant si des actes de violence que la AISSF avait commis en Inde constituaient des crimes contre l"humanité en vertu de la disposition d"exclusion?
     4.      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu"elle a appliqué le mauvais critère en déterminant si le défendeur avait été complice de crimes commis par la AISSF en Inde ou par la ISYF sur le plan international sans tenir compte du rôle de direction important qu"il jouait au sein de ces organisations?

[8]      Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu"elle a déterminé que les actes attribuables aux dirigeants Amrik Singh et Sant Jarnail Bhindranwale ne constituent pas des crimes contre l"humanité, et que même si elle a reconnu qu"il ressortait de la preuve documentaire que ces individus avaient pris part à des actes de violence terribles, la Commission a considéré à tort que le fait qu"ils n"ont pas été condamnés pour avoir commis ces crimes établissait qu"ils n"en étaient pas responsables.

[9]      Le demandeur soutient que, contrairement à ce que prévoit la définition que contient la section F de l"article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, la Commission n"a pas tenu compte de l"instrument international le plus récent en ce qui concerne la définition de l"expression " crimes contre l"humanité ". Voici ce que prévoit la partie pertinente de la section F de l"article premier :

Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser_:
     a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

[10]      Le demandeur fait valoir que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, adopté le 17 juillet 1998 par la Conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations Unies sur la création d"une Cour criminelle internationale, établit des normes applicables en matière de crimes contre l"humanité et de crimes de guerre dont la Commission n"a pas convenablement traité. En particulier, le demandeur fait valoir que cet instrument précise qu"il n"est pas nécessaire que les crimes contre l"humanité soient systémiques et répandus. La Commission n"a pas appliqué le bon critère, commettant ainsi une erreur de droit. Le demandeur ajoute que la Section du statut de réfugié a complètement omis d"analyser les actes de violence que la ISYF aurait commis pour déterminer si ces actes constituaient des crimes contre l"humanité et, dans l"affirmative, si le défendeur en avait été complice.

[11]      Le demandeur avance que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu"elle a conclu que le défendeur n"avait été complice d"aucun acte de violence et qu"elle aurait dû appliquer le critère que le droit a élaboré en ce qui concerne les dirigeants d"organisations. Le demandeur soutient qu"il est clair en droit que le fait que la personne visée sait que des crimes ont été commis et l"existence d"un but commun peuvent être déduits du poste que celle-ci occupe au sein de l"organisation; voir Sivakumar c. Canada [1994] 1 C.F. 433, à la p. 440. Compte tenu des éléments de preuve de la présente affaire, en particulier du fait que le défendeur était membre du haut commandement de la AISSF, le demandeur soutient que ce dernier savait que des crimes avaient été commis et partageait le but que visait l"organisation. En outre, la Commission a commis une erreur de droit lorsqu"elle a omis d"analyser les activités du défendeur, celles de la AISSF, ou celles de la IYSF.

[12]      Le défendeur fait valoir que la Section du statut de réfugié a convenablement appliqué le droit en matière d"application des dispositions d"exclusion et qu"elle a appliqué la bonne norme de preuve. Il soutient qu"aucun élément de preuve ne laissait entendre qu"il avait lui-même pris part à de quelconques incidents de violence ni que la AISSF était une organisation qui avait commis des crimes contre l"humanité. Le défendeur avance qu"il ne pouvait être exclus de la définition de la Commission que s"il y avait de sérieuses raisons de considérer que Amrik Singh et Sant Jarnail Bhindranwale avaient commis des crimes contre l"humanité et que s"il avait été complice de ces crimes.

[13]      Le défendeur soutient qu"il incombe à la Commission d"apprécier la preuve et de tirer des conclusions de fait. En l"espèce, elle a conclu que les divers actes de violence en cause ne pouvaient être attribués à Amrik Singh ni à Sant Jarnail Bhindranwale et que le demandeur n"avait fourni aucun élément de preuve établissant que la Section du statut de réfugié avait omis de tenir compte d"éléments de preuve pertinents ou qu"elle avait fondé sa décision sur des considérations non pertinentes. Le défendeur fait valoir que la Section du statut de réfugié connaissait la norme de preuve qu"il convenait d"appliquer aux cas d"exclusion et qu"elle y a correctement renvoyé.

[14]      Le défendeur soutient que le demandeur a incorrectement posé la question concernant la complicité. Le défendeur prétend que si la Commission a conclu à tort en l"espèce que Amrik Singh et Sant Jarnail Bhindranwale n"ont pas commis d"actes de violence, elle a conclu qu"il n"aurait pas été au courant de ces actes. Or, même si le défendeur avait su que de tels actes de violence ont été commis, la Commission ne disposait d"aucun élément de preuve établissant que lui-même et ces deux individus partageaient un quelconque but commun. Dans le cas où la Commission aurait mal apprécié les deux individus qui étaient à la tête de la AISSF, il ne s"agissait pas d"un élément déterminant en ce qui concerne l"établissement du statut du défendeur. La Commission a accepté son témoignage selon lequel il ne savait pas que des actes de violence avait été commis et, en conséquence, il n"avait pu en être complice.

[15]      Dans l"arrêt Moreno c. Canada (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 221, la Cour d"appel fédérale a établi un certain nombre de principes importants pour ce qui est de l"analyse de la présente affaire. Premièrement, il ressort de cet arrêt qu"une interprétation stricte de la disposition d"exclusion est favorable compte tenu du danger d"être persécutées que courent des personnes qui, autrement, obtiendraient le statut de réfugié au sens de la Convention. Cet arrêt a également déterminé que pour invoquer la disposition d"exclusion, il devait être établi que la personne visée avait personnellement pris part à des actes de persécution. Enfin, contrairement à ce que la Section du statut de réfugié a laissé entendre, la Cour d"appel a dit que " l'applicabilité de la disposition d'exclusion ne repose pas sur la question de savoir si le demandeur a été accusé ou déclaré coupable des actes prévus dans la Convention. Le ministre doit seulement s'acquitter de la norme de preuve comprise dans l'expression "raisons sérieuses de penser" ".

[16]      Dans l"affaire Sivakumar , précitée, le demandeur occupait un poste de direction au sein d"une organisation violente. La Cour d"appel fédérale a dit, en ce qui concerne la complicité, que " peut être jugé complice celui qui demeure à un poste de direction de l'organisation tout en sachant que celle-ci a été responsable de crimes contre l'humanité ". La Cour a ajouté : " Dans ces conditions, un facteur important à prendre en considération est la preuve que l'individu s'est opposé au crime ou a essayé d'en prévenir la perpétration ou de se retirer de l'organisation ".

[17]      Bien que la Commission ait conclu que la preuve dont elle disposait n"établissait pas que le défendeur avait personnellement commis des crimes contre l"humanité, elle paraît avoir commis une erreur lorsqu"elle s"est fondée sur le fait que Amrik Singh et Sant Jarnail Bhindranwale n"avaient pas été condamnés pour avoir commis de tels crimes pour conclure qu"ils n"en étaient pas responsables.

[18]      La Commission a néanmoins tiré une conclusion de fait selon laquelle le défendeur n"avait pas pris part, en Inde, aux actes que les dirigeants de l"organisation ont commis et il n"avait pas assisté à la confrontation du Temple d"Or.

[19]      La Commission n"a tiré aucune conclusion en ce qui concerne les obligations de la ISYF, mais elle a été convaincue que le défendeur a démissionné lorsqu"il s"est rendu compte qu"elle s"était adonnée à des activités illégales ou terroristes. Comme la Commission l"a conclu, ses pairs l"ont même décrit comme un agent du gouvernement indien.

[20]      Au début de ses motifs, la Commission a écrit : [TRADUCTION] " J"estime que le témoignage du revendicateur était, en général, crédible ". Nous devons avoir à l"esprit que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait d"un tribunal administratif est extrêmement déférente; voir Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick [1996] 1 R.C.S. 825, le juge La Forest, aux pages 849 et 852. Les cours ne doivent ni revoir les faits, ni apprécier la preuve. C"est seulement dans le cas où un examen raisonnable de la preuve ne saurait étayer les conclusions du tribunal qu"une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable.

[21]      Je n"ai pas été convaincu que les conclusions de fait que la Commission a tirées sont manifestement déraisonnables.


[22]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


" P. Rouleau "

                                             J U G E

OTTAWA (Ontario)

Le 27 octobre 1999.











Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-5534-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          MCI c. HARJINDERPAL SINGH NAGRA


LIEU DE L"AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

DATE DE L"AUDIENCE :              le 7 octobre 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :                  27 octobre 1999


ONT COMPARU :


Mme Heken Park                          POUR LE DEMANDEUR

M. Christopher Elgin                          POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

M. Christopher Elgin                          POUR LE DÉFENDEUR

McPherson, Elgin & Cannon

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