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     T-207-94

     DANS L'AFFAIRE de la Loi de l'impôt sur le revenu

ENTRE

     COOPERS & LYBRAND LIMITÉE,

     Demanderesse,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     Défenderesse

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PINARD

     La demanderesse en appelle, en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu1 (ci-après la "Loi") applicable au présent cas, du jugement rendu le 11 janvier 1994 par la Cour canadienne de l'impôt (89-1430(IT)O) qui a rejeté son appel à l'égard de la cotisation émise contre elle le 9 mars 1982, relativement à des déductions à la source non remises au Ministre du Revenu national.

LES FAITS

     La demanderesse, Coopers & Lybrand Ltée (ci-après "C. & L."), est une compagnie agissant à titre d'agent et de mandataire pour la Banque Nationale du Canada (ci-après la "Banque Nationale") et pour la Banque Mercantile du Canada (ci-après la "Banque Mercantile"), en vertu de sûretés décrites plus loin.

     La Banque Mercantile et la Banque Nationale, des banques à charte canadiennes, ont été regroupées en une personne morale le 10 février 1986 sous la raison sociale de Banque Nationale du Canada.

     Canadian Admiral Corporation Ltd. (ci-après CAC) était une compagnie incorporée en vertu des Lois du Canada, faisant affaires à Toronto, Ontario.

     Au cours des années 1979 et 1980, CAC avait obtenu de la Banque Mercantile et de la Banque Nationale des marges de crédit pour des montants substantiels et avait notamment accordé à ces deux banques, pour garantir le remboursement de leurs avances ainsi faites, une sûreté en vertu de l'article 178 de la Loi sur les Banques (auparavant l'article 88), tel qu'il appert des documents suivants :

     a)      préavis enregistré à l'agence de la Banque du Canada à Toronto, le 30 novembre 1979 sous le numéro 277504, de son intention de donner des sûretés aux défenderesses, pari passu, en vertu de l'article 178 de la Loi sur les Banques;                    
     b)      une convention relative aux prêts et avances en date du 23 février 1980;                    
     c)      une demande de crédit et promesse de donner des sûretés portant la date du 2 février 1981;                    
     d)      cession de biens en vertu de la Loi sur les banques en date du 2 février 1981.                    

     Le 27 octobre 1981, la Banque Mercantile et la Banque Nationale demandaient le remboursement à CAC d'un montant de 40 millions (40 000 000 $) qui leur était dû et lui accordait un délai d'une semaine pour ce faire.

     Le 4 novembre 1981, vu le défaut de CAC d'acquitter les montants dus à la Banque Mercantile et à la Banque Nationale, celles-ci nommaient C. & L. leur agent pour la réalisation des sûretés qu'elles détenaient avec instructions, notamment, de prendre possession de tous les biens visés par la sûreté en vertu de l'article 178 de la Loi sur les banques, soit les matières premières, les inventaires de produits finis et les comptes recevables, ce qui fut fait le même jour. Effectivement, le 4 novembre 1981, C. & L. prit contrôle et possession de la majorité des actifs de CAC, dont les comptes recevables; C. & L. prit contrôle et possession également de l'argent en mains et des comptes de banques, soit une somme un peu plus tard évaluée à 1 522 573,45 $.

     Le 23 novembre 1981, une requête en faillite fut déposée contre CAC et subséquemment accordée en nommant Campbell Sharp Limited à titre de syndic de faillite.

     Le 4 novembre 1981, CAC exploitait différentes usines au Canada; elle comptait plus ou moins 1 400 employés. Une partie des salaires de ces employés, pour une période antérieure au 4 novembre 1981, demeurait impayée au moment de la prise de possession par la demanderesse. Considérant qu'il était dans leur intérêt qu'une partie des opérations jusque-là exercées par CAC soient continuées pour un certain temps, les banques concernées donnèrent à la demanderesse instructions de "régler toutes les réclamations antérieures quant aux salaires" des employés de CAC, soit effectivement pour la période du 26 octobre 1981 au 4 novembre 1981, en contre-partie de la signature par chacun de ces employés d'une "cession de ses revendications salariales" égale au montant versé. Ainsi, le ou vers le 4 novembre 1981, la demanderesse fit circuler aux employés de CAC l'avis suivant :

     NOTICE TO EMPLOYEES              
     November 4, 1981              
     Coopers & Lybrand Limited has today been appointed Agent on behalf of Canadian Admiral Corporation Limited's (Company) Bankers.              
     Representatives of Coopers & Lybrand Limited have taken possession of the Company's bank accounts, accounts receivable and inventories.              
     To the best of our knowledge and belief the Company is not in a position to meet present payrolls. The Agent has arranged financing to pay wages owing for work done up to and including today and these payments will be made to all employees who sign a form (which the Agent will provide) assigning their wages claim in the same amount as the cheque given to each employee by the Agent.              
     Representatives of the Agent will be offering to hire many of the employees on a day-to-day basis to assist the Agent in it [sic] duties. The Agent will pay wages for such work at the same rate as that paid by the Company.              
     The company will be attempting to effect a refinancing or a reorganization to enable it to continue operations in the ordinary course as soon as possible. The Agent's primary responsibility is to protect the interests of the Company's Bankers. The Company and the Agent will appreciate your cooperation in these difficult times.              
     COOPERS & LYBRAND LIMITED.              

     Chaque cession de créance s'est matérialisée par la signature, par chaque employé de CAC ayant reçu un paiement de la demanderesse, du document suivant, dûment complété par l'inscription du montant approprié :


ASSIGNMENT

     IN CONSIDERATION OF the payment to me of $ , receipt of which is acknowledged, the undersigned hereby sells assigns [sic] to Coopers & Lybrand Limited, Agent for The Mercantile Bank of Canada and The National Bank of Canada (the "Assignee") all my right to and interest in wages/salaries up to an amount of $ for services rendered to or on behalf of Canadian Admiral Corporation Ltd. for the period inclusive, together with all rights of preference or priority of payment and all rights of lien, charge or trust upon any property, real or personal, which I may have in respect thereof, whether statutory or otherwise, as well as any other rights I may have against any other persons for the said wages/salaries, (the "Assigned Claim") and I hereby irrevocably nominate the Assignee as my agent and authorize the Assignee to take whatever steps the Assignee may see fit to collect, obtain or enforce payment of the Assigned Claim.              

Le 5 novembre 1981, C. & L. adressa un premier rapport aux banques. Ce document mentionne, entre autres :

         [...] 1" Mercredi le 4 novembre 1981 nous avons pris possession des registres descomptes débiteurs ainsi que des stocks dans tous les emplacements et les comptes de banque appropriés ont été ouverts à notre nom à la Banque Nationale du Canada.                    
         [...]                    
         7" Conformément aux directives que nous avons reçues avant notre nomination, nous nous efforçons de régler toutes les réclamations antérieures quant aux salaires, à l'exception des indemnités de vacances, en obtenant auprès de chacun des employés une cession de ses revendications salariales égale au montant que nous versons.                    

                             (j'ai souligné)

     Le paiement aux employés fut effectué sur des chèques portant le nom de CAC et la signature "Coopers & Lybrand Limited, Agent-Banque Nationale du Canada"; le talon de chaque chèque portait l'inscription "État du salaire et des retenues" et montrait le salaire brut pour la période visée et les déductions à la source pertinentes (le feuillet indiquait aussi tous les montants cumulatifs pour l'année).

     La rémunération brute et les déductions à la source relatives aux périodes visées par les paiements aux employés furent inscrites aux registres de CAC; C. & L. a soumis au nom de CAC la déclaration T-4 et remis aux employés les feuillets correspondants T-4 montrant la rémunération brute et les déductions à la source pour les périodes visées par les versements (lesquels furent effectués aux employés les 5, 13 et 27 novembre 1981).

     Les déductions à la source (impôt, assurance-chômage, régime de pensions du Canada) totalisant la somme de 163 404,56 $ (pénalités et intérêts exclus) n'ont été remises au Receveur général du Canada ni par la demanderesse, ni par CAC, le 15 décembre 1981.

     Le 9 mars 1982, le ministre du Revenu national a émis un avis de cotisation portant le numéro 624565, réclamant à C. & L. un solde de droits de 186 008,01 $, avec la mention :

         You are hereby assessed the amounts indicated for failure to remit as required for November 1981.                    

     Le montant de 186 008,01 $ en question se ventilait ainsi :

     Cotisation établie

     Impôt fédéral                          79 654,52 DR

     Impôt provincial                      37 686,86 DR

     Régime de pensions du canada              13 253,76 DR

     Assurance-chômage                      32 809,42 DR

     Pénalité                          16 340,45 DR

     Intérêt                          6 263,00 DR

     Solde                          186 008,01 DR

     Le 4 juin 1982, la demanderesse s'est opposé à cet avis de cotisation et le 14 mars 1989, le Ministre du Revenu national notifia cette dernière que l'avis de cotisation était maintenu pour les motifs suivants :

         The taxpayer has been properly assessed and a penalty has been properly levied, for failure to remit amounts deducted from remuneration, within the provisions of subsection 153(1), (1.3), (1.4) and 227(9) of the Act and subsections 100(1), (3) and 108(1) and section 101 of the Income Tax Regulations.                    

LA LÉGISLATION APPLICABLE

     Il importe de reproduire ici l'alinéa 153(1)(a) et les paragraphes 153(1.3), 153(1.4), 227(8), 227(9) de la Loi, de même que les paragraphes 100(1), 100(3) et 108(1) des Règlements de l'impôt sur le revenu :

         Loi

         153 Retenue                    
         (1)      Toute personne qui verse                    
             (a)      un traitement, un salaire ou autre rémunération à un cadre ou employé,                                 
         [...]              
         à une date quelconque dans une année d'imposition, doit en déduire la somme qui peut être déterminée conformément à des règles prescrites ou retenir cette somme, et elle doit, à la date qui peut être fixée, remettre cette somme au receveur général à valoir sur l'impôt du bénéficiaire pour l'année en vertu de la présente Partie.                    
         153(1.3) Paiements par le fiduciaire, etc.                    
         Aux fins du paragraphe (1), lorsque le fiduciaire qui administre, gère, attribue, liquide ou contrôle par ailleurs les biens, l'entreprise, la succession ou le revenu d'une autre personne, autorise ou fait en sorte qu'un paiement visé au paragraphe (1) soit effectué au nom de cette autre personne, le fiduciaire est réputé être une personne effectuant le paiement et le fiduciaire et cette autre personne sont solidairement responsables relativement au montant dont le paragraphe (1) exige la déduction ou la retenue et la remise à valoir sur le paiement.                    
         153(1.4) Définition de "fiduciaire"                    
         Au paragraphe (1.3), "fiduciaire" comprend un liquidateur, un séquestre, un séquestre-gérant, un syndic de faillite, un exécuteur, un administrateur, un administrateur-séquestre, un cessionnaire ou toute autre personne exerçant des fonctions semblables à celles qu'exerce l'une de ces personnes.                    
         227 Retenue des impôts                    
         (8)      Toute personne qui n'a pas déduit ou retenu un montant quelconque, en conformité de la présente loi ou d'un règlement, est tenue de payer à Sa Majesté,                    
             (a) si le montant devait être déduit ou retenu, en vertu du paragraphe 153(1), sur un montant qui a été payé à une personne résidant au Canada, ou devait être déduit ou retenu en vertu de l'article 215 sur un montant qui a été payé à une personne ne résidant pas au Canada, 10% du montant qui aurait dû être déduit ou retenu,                                 
                  
             (b) dans tout autre cas, le montant intégral qui aurait dû être déduit ou retenu, avec l'intérêt de ce montant au taux annuel prescrit.                                 
         227(9) Toute personne qui n'a pas remis et payé                    
             (a) un montant déduit ou retenu, comme l'exige la présente loi ou un règlement, ou                                 
             (b)      un montant d'impôt qu'elle est tenue de payer en vertu du paragraphe 116(5) ou d'un règlement établi sous le régime du paragraphe 215(4),                                 
         est passible d'une pénalité de 10 % de ce montant ou de $10, le montant le plus élevé des deux étant à retenir, en sus du montant lui-même, avec l'intérêt de ce montant au taux annuel prescrit aux fins du paragraphe (8).                    

         Règlements

         Déductions de l'impôt                    
         100(1) Dans la présente partie et dans l'annexe I,                    
         "employé" désigne toute personne qui reçoit une rémunération;                    
         "employeur" désigne toute personne qui verse une rémunération;                    
         "rémunération" comprend tout paiement qui est                    
             (a)      relatif au versement                                 
             (i)      d'un traitement ou d'un salaire, ou                                 
             (ii)      des commissions ou d'autres montants semblables établis en fonction du chiffre de ventes ou des contrats négociés (appelés "commissions" dans la présente partie)                                 
         à un agent ou à un employé.                    
         100(3) Aux fins de la présente partie, lorsqu'un employeur déduit ou retient sur un paiement de rémunération à un employé un ou plusieurs montants dont chacun représente                    
             (a)      une cotisation en vertu du Régime de pensions du Canada ou en vertu      d'un régime provincial de pensions défini à l'article 3 du Régime de pensions du Canada,                                 

    

             (b)      une cotisation au titre ou en vertu d'une caisse ou d'un régime      enregistré de pensions, ou                                 
             (c)      une cotisation versée en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-      chômage,                                 
         le solde demeurant après déduction du ou des montants, selon le cas, sera réputé être le montant de ce paiement de rémunération.                    
         Remises au Receveur général              
         108(1) Les montants déduits ou retenus en vertu du paragraphe 153(1) de la Loi doivent être remis au Receveur général au plus tard le 15e jour du mois qui suit le mois pendant lequel les montants ont été déduits ou retenus.                    

QUESTION EN LITIGE

     Il s'agit essentiellement de déterminer si le Ministre du Revenu national était justifié d'émettre et de maintenir l'avis de cotisation portant le numéro 62465, réclamant un solde de droits de 186 008,01 $ à la demanderesse, en se basant sur l'article 153 et le paragraphe 227(9) de la Loi et sur les paragraphes 100(3) et 1008(1) des Règlements de l'impôt sur le revenu.

     D'une part, la demanderesse soumet essentiellement qu'elle n'est aucunement visée par l'article l53 de la Loi. La demanderesse soumet subsidiairement que si elle est visée par le paragraphe 153(1.3) de la Loi, le Ministre du Revenu national ne peut s'autoriser d'aucune disposition de la Loi pour émettre l'avis de cotisation en question ou pour percevoir des intérêts.

     D'autre part, la défenderesse plaide que la demanderesse est directement visée par le paragraphe 153(1) de la Loi, que de toute façon elle l'est par le biais du paragraphe 153(1.3) de la Loi et qu'enfin, cette Cour n'a pas compétence pour entendre l'appel dans la mesure où il concerne des déductions à la source visées par la Loi de l'impôt sur le revenu (Ontario), la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et la Loi sur le Régime des pensions du Canada.

ANALYSE

     Il importe d'abord de déterminer si la demanderesse tombe directement dans le champ d'application du paragraphe 153(1) de la Loi. Il m'apparaît évident qu'en tout temps pertinent, compte tenu de la preuve, la demanderesse était une personne ayant versé un salaire à chacun des employés concernés de CAC. Je ne vois aucune raison de décider que les termes "toute personne" ne visent pas un agent telle la demanderesse, agissant pour le compte des banques créancières de l'employeur CAC. Comme l'a si bien dit M. le juge Pigeon, dans Dauphin Plains2, en interprétant la même disposition de la Loi :

         En l'espèce la question est de savoir si les termes "toute personne qui verse un traitement ou salaire..." visent le séquestre et je ne vois aucune raison de décider qu'ils ne le visent pas. Il n'est pas nécessaire d'examiner la définition de "personne" dans la Loi, car elle n'est pas restrictive mais extensive vu le terme "comprend".                    

     Il est aussi bien établi que ce qui a été versé aux employés de CAC, pour la période du 26 octobre 1981 au 4 novembre 1981, c'est du salaire dû. Celà apparaît notamment de l'avis écrit du 4 novembre 1981 que la demanderesse a fait parvenir à ces employés pour les informer qu'elle avait été nommée agent des banques de CAC et que:

                            
         The Agent has arranged financing to pay wages owing for work done up to and including today and this payment will be made to all employees who sign a form "which the Agent will provide" assigning their wages' claim in the same amount as the cheque given to each employee by the Agent.                    

     De fait, chaque employé c'est vu remettre un chèque à un montant correspondant à son salaire net, c'est-à-dire son salaire brut, pour la période concernée, moins les retenues autorisées, dont la retenue au titre de l'impôt sur le revenu. Le détail de ces retenues apparaissait sur le bordereau joint à ce chèque de paye et la formule subséquente T-4 supplémentaire remise à chaque employé confirmait ces retenues. Il n'est pas contesté que ces chèques ont été tirés par la demanderesse elle-même sur son propre compte de banque ouvert aux fins de l'exercice de son mandat d'agent pour les banques en cause, et que la demanderesse a vu à ce que les chèques soient remis aux employés de CAC. Comme il ne fait aucun doute que les bénéficiaires des chèques étaient véritablement les employés de CAC et comme les termes "à un cadre ou employé", dans l'alinéa 153(1)a), n'exigent aucune relation d'employeur à employé entre le payeur et le bénéficiaire, je suis d'avis, dans les circonstances, que la demanderesse est bien la personne qui a versé des salaires aux employés, et qu'elle est ainsi directement assujettie au paragraphe 153(1) de la Loi. Cette conclusion m'apparaît en harmonie avec l'interprétation de la même disposition, faite par la Cour d'appel fédérale, dans une autre cause impliquant la demanderesse3 et où le juge suppléant Kelly a écrit que la responsabilité découlant du paragraphe 153(1) de la Loi n'est encourue qu'à trois conditions :

         (1) le versement doit avoir eu lieu;                    
         (2) il doit s'agir de traitements ou salaires dûs aux employés;                    
         (3) la personne à laquelle la responsabilité est imputée doit être la même que celle qui a fait le versement.                    

     Un peu plus loin4, M. le juge Kelly précisait :

         L'appelante fait valoir que l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas assujettie à l'existence d'une relation d'employeur à employé entre le payeur et le bénéficiaire.                    
         J'accueille cet argument.                    

     Reste à déterminer si la demanderesse a satisfait aux exigences de déduction ou retenue édictées au paragraphe 153(1) de la Loi, étant reconnu qu'aucune remise de quelque montant déduit ou retenu, en regard des salaires concernés, n'a été faite par la demanderesse ou par qui que ce soit au Receveur général. Je suis d'avis, à la lumière des faits particuliers du présent cas, que les déductions prescrites ont été faites par la demanderesse.

     En effet, la préparation et la remise à chaque employé, par la demanderesse, d'un bordereau attaché à son chèque de paye et faisant état du salaire brut, du salaire net et des retenues prescrites pour la période concernée, ainsi que la remise subséquente à chaque employé, par la demanderesse, d'une formule T-4 supplémentaire confirmant ce salaire et ces retenues, sont des faits suffisamment graves, précis et concordants qui font naître une forte présomption, même si celle-ci n'est pas irréfragable, que les déductions ou retenues prescrites ont été faites par la demanderesse. Ces documents laissaient clairement croire aux employés que la demanderesse assumait le paiement de leur salaire brut et qu'elle leur remettait le solde de celui-ci, après déduction à leur profit des sommes prescrites. Aussi, la demanderesse avait avantage à ce que les employés ne pensent pas autrement, l'objectif visé par le paiement de ces salaires étant celui d'obtenir la coopération des employés afin de permettre le complètement des produits en voie de fabrication et de sécuriser les actifs dont elle avait pris possession pour les banques. Je ne crois pas, dans les circonstances, qu'on ait voulu tromper les employés de CAC, ce qui aurait été la conséquence connue du défaut par la demanderesse de déduire ou retenir les sommes prescrites, compte tenu de l'opinion suivante exprimée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Coopers & Lybrand Ltd, supra, à la page 183 :

         Si la personne versant les salaires n'opère pas les retenues, ce défaut n'a aucun effet sur la responsabilité de l'employé en matière d'impôt sur le revenu, dont le montant sera recouvré en entier par les autorités fiscales auprès de cet employé; la personne ayant versé les traitements ou salaires est seulement passible d'une pénalité égale à un pourcentage du montant qu'elle n'a pas retenu.                    

     Dans ce contexte, aucune rencontre n'ayant eu lieu entre les représentants des employés et la demanderesse avant le paiement des arrérages de salaire, le seul fait que la cession de créance signée par les employés ait indiqué un montant correspondant à celui de leur salaire net ne permet pas de conclure que les employés pouvaient raisonnablement considérer que les déductions étaient purement fictives. En l'absence de preuve spécifique, il ne m'appartient pas, par ailleurs, de spéculer sur les considérations d'ordre légal ou d'ordre pratique qui ont pu conduire à préciser, dans ces cessions de créance, un montant correspondant à celui du salaire net plutôt qu'à celui du salaire brut. Les témoignages identiques des représentants de la demanderesse et des deux banques intéressées, sur la question du mandat donné par ces banques à la demanderesse de payer le "salaire net" dû aux employés en échange de cessions de créance correspondantes, sont loin d'être déterminants quant à la question de savoir si les déductions ou retenues prescrites ont été faites ou non. Cette description sommaire et verbale du mandat, faite plus de quinze ans après les évènements, même si elle parle du paiement du "salaire net", ne veut pas dire pour autant que la demanderesse n'était pas autorisée à défrayer le coût du salaire brut, en, d'une part, payant le salaire net à l'employé, et d'autre part, effectuant les déductions ou retenues prescrites à remettre au Receveur général. En d'autres termes, je ne vois pas, dans le mandat tel que résumé verbalement au procès, une restriction empêchant la demanderesse, à titre d'agent des banques, de débourser d'avantage, au chapître des arrérages de salaire, que le salaire net des employés. Quant à la preuve documentaire, qui s'avère la meilleure preuve à cet égard, elle ne comporte pas, non plus, semblable restriction : (1) Comme je l'ai indiqué plus haut, l'avis écrit donné aux employés, à l'époque pertinente, disait simplement :

         To the best of our knowledge the Company is not in a position to meet present payrolls. The Agent has arranged financing to pay wages owing for work done up to and including today and these payments will be made to all employees who sign a form (which the Agent will provide) assigning their wages claim in the same amount as the cheque given to each employee by the Agent.                    

     (2) Dans son rapport écrit aux banques, en date du 5 novembre 1981, la demanderesse écrivait :

         7-      Conformément aux directives que nous avons reçues avant notre nomination, nous nous efforçons de régler toutes les réclamations antérieures quant aux salaires, à l'exception des indemnités de vacances, en obtenant auprès de chacun des employés une cession de ses renvendications salariales égale au montant que nous versons.                    

     Aucun de ces documents ne parlent de "salaire net" et on n'y retrouve rien qui empêche la demanderesse d'assumer le paiement du salaire brut en effectuant les déductions ou retenues prescrites, en vue d'en faire remise au Receveur général, et en payant le solde, soit le salaire net, aux employés.

     Dans tous les cas, qu'on s'appuie sur la preuve verbale ou sur la preuve documentaire, il est clair que la demanderesse avait l'autorité ou le mandat de verser directement aux employés leur salaire net; cependant, et j'insiste, rien dans cette seule preuve, écrite et orale, ne supporte la conclusion que la demanderesse n'était pas en même temps autorisée à effectuer les déductions ou retenues prescrites en fonction de leur salaire brut et d'en faire la remise au Receveur général. Le reste de la preuve, au contraire, tend à démontrer que la demanderesse avait cette double autorisation. En effet, non seulement la demanderesse avait-elle intérêt à ne pas s'aliéner les employés, dont la coopération était si importante pour l'exécution de son mandat au profit des banques, mais aussi avait-elle toutes les liquidités voulues, et à défaut de le savoir en temps utile, tout le crédit nécessaire, offert par les banques, pour assumer tous les arrérages de salaire brut dûs aux employés de CAC.

     Le moindre que l'on puisse dire, devant l'ensemble de la preuve, c'est que la demanderesse n'a pas su repousser la forte présomption résultant des bordereaux et des formules T-4 supplémentaires ci-dessus qu'elle a elle-même préparés.

     Il est vrai que dans l'arrêt Coopers & Lybrand, supra la Cour d'appel a conclu qu'il y avait eu, de la part de la personne ayant versée les salaires, défaut de retenue aux fins d'impôt sur le revenu et non défaut de remise de sommes effectivement retenues, ce qui avait entraîné la responsabilité prévue par le paragraphe 227(8) plutôt que celle prévue par le paragraphe 227(9) de la Loi. À cet égard, la présente cause se distingue principalement du fait que la demanderesse ne s'est pas vu fournir par les banques des sommes limitées au montant des salaires nets en question. En effet, dans l'autre cause, à la page 124, le juge suppléant Kelly écrit :

         Il ressort cependant des preuves non contestées que les sommes fournies par les obligataires à l'intimée pour "payer chacun [des employés] jusqu'à concurrence du montant qui lui est dû à raison du travail accompli pour la compagnie, montant considéré dans ce cas comme 'débours' de l'intéressé par suite de l'insolvabilité de la compagnie" représentaient les salaires nets que les employés auraient touchés pour la dernière période de paie.                    

     Mon collègue, Monsieur le juge Rouleau, a fait la même distinction dans Deloitte Haskins & Sells5, une autre cause impliquant les mêmes dispositions de la Loi :

         In both cases, the prima facie evidence provided by payroll records indicate that deductions were made. In Coopers & Lybrand, however, the receiver never had access to funds to pay gross wages, let alone the deductions; in fact the monies came directly from the debenture holder and only the net amount was provided.                    
         In the present appeal there is no evidence to rebut the prima facie inference drawn from the payroll records. Although the receiver never actually set money aside, funds were available not only to pay wages but to pay the remittance to the Crown on account of the deductions it calculated.                    
         Counsel for the Plaintiff stressed that only nominal, rather than actual, deductions were made. In other words, they were only bookkeeping entries to enable the determination of net wages. As persuasive as this argument may first appear, I do not accept it. In pursuing this course of conduct, the receiver raised a presumption, albeit rebuttable, that it had actually withheld amounts on account of income tax, which it would then be liable to remit at the prescribed time. I would note that this presumption would prevail in the minds of the employees who received wage or salary cheques in the usual amount accompanied by information slips indicating that deductions had been duly made. To rebut this presumption and cast the employees with the burden of paying an amount on account of income tax which they had every reason to presume had already been paid would require clear evidence.                    

     Ce dernier extrait contribue en outre à réfuter l'affirmation de l'avocat de la demanderesse, au procès, voulant que les déductions ou retenues prescrites n'avaient pas été effectuées du fait que les montants correspondants n'avaient été déposés dans un compte en fiducie.

     En conséquence, ayant conclu que la demanderesse est directement responsable, en vertu du paragraphe 153(1) de la Loi, d'avoir fait défaut de remettre au Receveur général les déductions ou retenues prescrites qu'elle a effectuées sur les salaires des employés de CAC pour la période concernée, la demanderesse est également responsable en vertu du paragraphe 227(9) de la Loi, tel que le reflète la cotisation ministérielle en cause.

     Étant donné que ces conclusions entraînent le rejet complet de l'action de la demanderesse, il ne sera pas nécessaire de considérer l'argument subsidiaire de cette dernière, pas plus que la question additionnelle de la compétence de cette Cour, soulevée par le procureur de la défenderesse, en regard des déductions à la source visées par la Loi de l'impôt de l'Ontario, la Loi sur l'assurance-chômage et le Régime des pensions du Canada.

     Par ces motifs, l'action est rejeté avec dépens.

OTTAWA (Ontario)

Ce 13e jour de février 1997

                                                                  JUGE


__________________

1      S.C. 1970-71-72, telle que modifiée par S.C. 1980-81-82-83, ch. 158.

2      Dauphin Plains c. Xyloid and the Queen, [1980] 1 R.C.S.1182, à la p. 1194.

3      La Reine c. Coopers & Lybrand Ltd, [1981] 2 C.S. 169, à la p. 176.

4      Ibid. à la p. 177.

5      Deloitte Haskins & Sells v. The Queen, 89 DTC 5225, aux pp. 5229-30.


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : T-207-94

INTITULE : COOPERS & LYBRAND LIMITEE

LIEU DE L'AUDIENCE : MONTREAL, QUEBEC

DATE DE L'AUDIENCE : LE 4 FEVRIER 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DE L'HONORABLE JUGE PINARD EN DATE DU 13 FEVRIER 1997

COMPARUTIONS

ME MICHEL LEGENDRE POUR LA DEMANDERESSE

ME DANIEL MARECKI POUR LA DEFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

DESJARDINS DUCHARME STEIN MONAST POUR LA DEMANDERESSE MONTREAL, QUEBEC

GEORGE THOMSON POUR LA DEFENDERESSE SOUS-PROCUREUR GENERAL

DU CANADA

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