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Date : 20040426

Dossier : T-1621-00

Référence : 2004 CF 614

AFFAIRE INTÉRESSANT l'appel interjeté en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch.P-33, modifiée par l'article 16 de la Loi sur la réforme de la fonction publique, L.C. 1992, ch. 54

ET LES appels formés par Michael K. Warren, Lan Hoang, Kenneth Ko et Gordon L. Hiseler suivant l'exercice du comité de promotion établi afin d'appliquer des mesures correctives par suite des appels accueillis relatifs à la promotion de quelque 78 agents FS-01 du groupe politique et économique au niveau FS-02

ENTRE :

                                     GORDON L. HISELER et MICHAEL K. WARREN

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                Les présents motifs découlent de l'audition d'une demande de contrôle judiciaire de la décision prise par le président du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique, Gaston Carbonneau (le Comité d'appel), dans laquelle il a rejeté l'appel interjeté par le demandeur, Gordon L. Hiseler (M. Hiseler) et une partie de l'appel interjeté par le demandeur, Michael K. Warren (M. Warren), (collectivement, les demandeurs), d'une décision du comité de promotion établi par la Commission de la fonction publique afin d'appliquer des mesures correctives, par suite d'une décision antérieure rendue par un Comité d'appel de la Commission de la fonction publique. La décision visée par le contrôle est datée du 12 septembre 2000.

[2]                Les demandeurs sollicitent une ordonnance faisant droit à leur demande de contrôle judiciaire, annulant la décision visée par le contrôle et renvoyant l'affaire devant un Comité d'appel différemment constitué selon les modalités et les conditions que la Cour estime équitables, mais comprenant une modalité ou une condition selon laquelle la promotion des demandeurs au poste d'agent du service extérieur (FS-02), poste que les deux demandeurs ont obtenu par la suite, soit rétroactive au 1er décembre 1998. Les demandeurs sollicitent également les dépens relatifs à la demande.

CONTEXTE

[3]                Les deux demandeurs étaient, pendant toute la période en cause, des agents du service extérieur au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) et ils occupaient des postes de niveau FS-01 avant le 1er décembre 1998.

[4]                En avril 1998, le MAECI a décidé d'éliminer graduellement la catégorie FS-01. Peu à peu, les postes de ce niveau devaient devenir des postes FS-02. Le MAECI a créé un programme de carrière à l'intention des FS-01 pour permettre aux employés qui occupaient alors un poste de FS-01 d'obtenir un poste de niveau FS-02. Dans le cadre du programme, les employés qui satisfaisaient aux critères minimums de sélection pouvaient ensuite participer à un concours de promotion interne dont le résultat serait fondé sur le principe du mérite individuel. Le concours devait avoir lieu en octobre 1998.

[5]                Le comité de promotion a appliqué des critères de sélection, notamment les années de service, l'expérience, le rendement, les capacités, les qualités personnelles et les connaissances. Au total, cinquante-quatre (54) agents qui occupaient des postes de niveau FS-01 ont été promus à des postes de niveau FS-02 et sont entrés en fonction le 1er décembre 1998. M. Hiseler faisait partie des candidats choisis contrairement à M. Warren. M. Warren a interjeté appel des résultats du concours auprès du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique (le premier Comité d'appel ou premier Comité) avec d'autres employés qui n'avaient pas été promus.


[6]                Le président du premier Comité d'appel, Yves Nadeau, a accueilli l'appel. Concernant M. Warren, il a conclu que le comité de promotion devait effectuer une vérification des références à cause d'incohérences entre les évaluations du rendement de M. Warren. Il a dit qu'en effectuant une vérification des références, il fallait demander des exemples précis et des détails susceptibles de confirmer les affirmations générales que contenaient les rapports d'évaluation de M. Warren.

[7]                En réponse à la décision du président Nadeau, la Commission de la fonction publique (la CFP) a écrit au MAECI pour exiger la formation d'un nouveau comité de sélection ou de promotion (le comité des mesures correctives) qui serait chargé d'évaluer de nouveau tous les participants originaux selon leur mérite relatif. Le comité des mesures correctives ne devait prendre de décisions qu'en se fondant sur une preuve complète et concluante. Il devait effectuer une vérification des références chaque fois qu'un rapport d'évaluation comportait des lacunes ou des contradictions évidentes. Sauf en ce qui concerne les vérifications des références, le comité des mesures correctives n'a pas été chargé d'examiner une nouvelle preuve.

[8]                En conformité avec les directives de la CFP, le MAECI a établi un comité des mesures correctives et lui a confié un mandat. Après une première sélection, chaque membre du comité des mesures correctives a été chargé d'examiner les trois (3) dernières évaluations du rendement de chacun des candidats et d'évaluer ses connaissances, son rendement et son potentiel. Les membres du comité des mesures correctives devaient ensuite en arriver à un consensus sur les points à accorder à chaque agent. Les membres ont décidé que pour obtenir une promotion, les candidats devaient obtenir un minimum de 180 points sur 300 selon un système de points.

[9]                Par suite du travail effectué par le comité des mesures correctives, 64 agents ont été promus à un poste de niveau FS-02. Ni M. Hiseler ni M. Warren n'ont obtenu suffisamment de points pour se qualifier. En fin de compte, quatre (4) agents, y compris M. Hiseler et M. Warren, ont de nouveau interjeté appel, cette fois au Comité d'appel présidé par Gaston Carbonneau.

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[10]            Tel que susmentionné, dans la décision visée par le contrôle, le Comité d'appel a rejeté l'appel de M. Hiseler; quant à l'appel de M. Warren, il a été accueilli en partie et rejeté en partie.

[11]            Concernant M. Hiseler, le Comité d'appel a conclu :

[traduction]

Somme toute, eu égard aux réponses données par le ministère dans sa réplique aux allégations générales de la pièce D-11 et dans ses réponses contenues dans les pièces D-18 et D-19, le comité n'a pas violé le principe du mérite dans son appréciation des qualités et du potentiel de M. Hiseler.

[12]            Concernant M. Warren, le Comité d'appel a dit :

[traduction]

Le nouveau comité de promotion a fait les mêmes erreurs que le premier.

Plus loin, dans sa décision, le Comité d'appel a mentionné :

[traduction]

[...] en droit, le comité de promotion devait effectuer une vérification des références dans le cas de M. Warren.


[...]

[...] Je n'arrive pas à comprendre pourquoi cette conclusion [la conclusion du premier comité d'appel qui est directement pertinente pour ce qui concerne M. Warren], en fait, l'ensemble de la décision antérieure du comité d'appel n'a pas été porté à l'attention du [président du comité des mesures correctives] décision qui, sans qu'il le sache, le liait. Le [comité des mesures correctives] n'avait pas le droit de modifier cette conclusion. Seule la Cour fédérale du Canada aurait pu le faire. Pour ce seul motif, je dois accueillir l'appel interjeté par Michael K. Warren.

Le Comité d'appel a rejeté toutes les autres allégations d'erreur présentées pour le compte de M. Warren.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]            Dans leur mémoire, les demandeurs ont décrit en ces termes les questions en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire :

[traduction]

1)              Quelle est la norme de contrôle applicable à la [décision visée par le contrôle]?

2)              Compte tenu de la norme de contrôle applicable, le [Comité d'appel] a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en prenant [sa] décision?

3)             Plus particulièrement, le [Comité d'appel] a-t-il commis une erreur en ne décidant pas que le comité des mesures correctives ne s'était pas acquitté de ses fonctions en conformité avec la décision Nadeau [décision du premier Comité d'appel], en ce que :

a)             n'ayant pas lu la décision Nadeau, pendant le second exercice [le processus du comité des mesures correctives], le comité des mesures correctives n'a pas établi et appliqué les normes et critères qu'il fallait en évaluant les agents;

b)             puisque le MAECI n'avait pas correctement renseigné le comité des mesures correctives concernant la décision Nadeau, le comité ne pouvait pas régulièrement remplir son mandat;


c)             tant le comité des mesures correctives que le comité Carbonneau étaient liés par les conclusions de fait de la décision Nadeau qui avait entraîné l'établissement du comité des mesures correctives, y compris les conclusions relatives à la qualité des rapports d'évaluation.

[14]            L'avocat du défendeur a avalisé la première et la deuxième déclarations des questions en litige des demandeurs et il a noté que la troisième était, pour l'essentiel, comprise dans la deuxième. L'avocat du défendeur a ajouté la question de savoir s'il fallait rejeter l'appel de M. Warren au motif qu'en fin de compte, il avait eu gain de cause dans la décision visée par le contrôle et qu'à tous autres égards il n'avait interjeté appel que des motifs de la décision et non de la décision elle-même. Enfin, les deux avocats ont soulevé la question de la réparation si les demandeurs devaient avoir gain de cause, ainsi que la question des dépens.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[15]            L'article 10 et les parties pertinentes de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique[1] sont ainsi libellés :



10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.(2) Pour l'application du paragraphe (1), la sélection au mérite peut, dans les circonstances déterminées par règlement de la Commission, être fondée sur des normes de compétence fixées par celle-ci plutôt que sur un examen comparatif des candidats.

...

(2) For the purposes of subsection (1), selection according to merit may, in the circumstances prescribed by the regulations of the Commission, be based on the competence of a person being considered for appointment as measured by such standard of competence as the Commission may establish, rather than as measured against the competence of other persons.

...



21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

...

21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

...

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la Commission, après avoir reçu avis de la décision du comité visé aux paragraphes (1) ou (1.1), doit en fonction de celle-ci :

a) si la nomination a eu lieu, la confirmer ou la révoquer;

b) si la nomination n'a pas eu lieu, y procéder ou non.

...

(2) Subject to subsection (3), the Commission, on being notified of the decision of a board established under subsection (1) or (1.1), shall, in accordance with the decision,

(a) if the appointment has been made, confirm or revoke the appointment; or

(b) if the appointment has not been made, make or not make the appointment.

...

(3) La Commission peut prendre toute mesure qu'elle juge indiquée pour remédier à toute irrégularité signalée par le comité relativement à la procédure de sélection.

(3) Where a board established under subsection (1) or (1.1) determines that there was a defect in the process for the selection of a person for appointment under this Act, the Commission may take such measures as it considers necessary to remedy the defect.

(4) Une nomination, effective ou imminente, consécutive à une mesure visée au paragraphe (3) ne peut faire l'objet d'un appel conformément aux paragraphes (1) ou (1.1) qu'au motif que la mesure prise est contraire au principe de la sélection au mérite.

...

(4) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act as a result of measures taken under subsection (3), an appeal may be taken under subsection (1) or (1.1) against that appointment only on the ground that the measures so taken did not result in a selection for appointment according to merit.

...



L'ANALYSE

a)          Norme de contrôle

[16]            Dans la décision Procureur général du Canada c. Bormais[2], j'ai écrit, aux paragraphes [11] à [15] :

Les avocats conviennent que la question de savoir si, par ses agissements, le jury de sélection a contrevenu au principe du mérite constitue une question de droit et qu'en conséquence, la norme de contrôle de la décision prise par le comité d'appel à cet égard devrait être celle de la décision correcte. Dans l'arrêt Boucher c. Canada (Procureur général)[...], le juge Strayer a écrit ce qui suit au nom de la Cour, au paragraphe [7] :

Quant à la première question en litige, celle du traitement du facteur des connaissances par le comité de sélection, nous sommes d'avis qu'elle constitue une question de droit en ce qui a trait aux exigences du principe du mérite et nous considérons par conséquent que la décision du CACFP de confirmer ce procédé constituait également une question de droit. Nous ne sommes pas convaincus que nous devrions considérer que le CACFP est un tribunal qui possède une telle expertise en matière d'interprétation de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique que nous devrions faire preuve d'un haut degré de retenue à son égard quant à cette question. Le comité de sélection est un comité ad hoc. Nous concluons à cet égard que la norme de révision que la Section de première instance aurait dû appliquer est celle de la décision correcte.

Je suis convaincu qu'on pourrait dire la même chose en ce qui concerne la question soumise à la Cour en l'espèce.

L'avocate des défenderesses principales affirme que les considérations que je viens d'évoquer ne mettent pas un terme au débat entourant la question de la norme de contrôle. Elle soutient que les conclusions de fait tirées par le comité d'appel qui sont à la base de sa décision sur la question de savoir si le principe du mérite a été respecté ont droit à un degré de retenue élevé. À l'appui de cette proposition, elle cite l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. Voici les dispositions pertinentes du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale :


18.1(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

...

18.1(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

...


d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

...

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;


Bien que je sois convaincu que l'avocate des défenderesses a raison sur ce point, je suis également persuadé que les conclusions de fait tirées par le comité d'appel ne soulèvent aucune question en l'espèce. La question de la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait ne se pose donc pas en l'espèce.

En outre, je suis convaincu qu'aucune des conclusions qui précèdent sur la norme de contrôle appropriée ne serait modifiée par l'application de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, que je n'ai pas l'intention d'aborder ici, s'agissant de déterminer la norme de contrôle applicable conformément aux directives récentes de la Cour suprême du Canada en la matière.                           [Références omises]

[17]            Quant au dernier paragraphe mentionné, j'ai cité le paragraphe [21] des motifs de Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia[3] qui dit, en partie :

[...] Chaque fois que la loi délègue un pouvoir à une instance administrative décisionnelle, le juge de révision doit commencer par déterminer la norme de contrôle applicable selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Dans Pushpanathan, la Cour a accepté sans équivoque la primauté de la méthode pragmatique et fonctionnelle dans la détermination de la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions administratives. Le juge Bastarache affirme que « [l]a détermination de la norme de contrôle que la cour de justice doit appliquer est centrée sur l'intention du législateur qui a créé le tribunal dont la décision est en cause » [...] Cependant, cette méthode tient aussi dûment compte des « conséquences qui découlent d'un octroi de pouvoir » [...], renforce le principe selon lequel il ne faut pas recourir sans nécessité à ce pouvoir de surveillance. La méthode pragmatique et fonctionnelle implique ainsi l'examen de l'intention du législateur, mais sur l'arrière-plan de l'obligation constitutionnelle des tribunaux de protéger la légalité.                                     

[Non souligné dans l'original, références omises.]

Compte tenu de la citation ci-dessus, je vais maintenant aborder brièvement la question de l'analyse pragmatique et fonctionnelle.


[18]            La Loi sur l'emploi dans la fonction publique ne contient aucune clause privative et ne prévoit aucun droit d'appel des décisions rendues par les comités d'appel; d'ailleurs, l'article 21.1 prévoit très précisément le contrôle judiciaire de ces décisions. En outre, à sa face même, la Loi sur l'emploi dans la fonction publique ne mentionne aucune compétence particulière que devraient avoir les personnes qui exercent les fonctions de présidents de comités d'appel.

[19]            Un examen de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique révèle qu'elle a pour objet de protéger l'intégrité de la fonction publique et de veiller à l'application du principe du mérite conformément à l'article 10 de la Loi. L'article 21 de la Loi, qui prévoit les comités d'appel et la désignation de leurs mandats, est au coeur de l'objet de la Loi. L'objet de la Loi et de l'article 21 dans le contexte global de la Loi semble favoriser l'exercice d'une très grande retenue. Cela étant dit, la question en cause, celle de savoir si les mesures prises par le comité des mesures correctives ont eu pour résultats des sélections au mérite, est d'ordre judiciaire, conclusion qui semble atténuer le principe de la retenue. En fin de compte, « l'analyse fondée sur l'objet » ne favorise ni une très grande retenue ni un examen rigoureux.

[20]            Eu égard à la brève analyse ci-dessus, comme dans l'affaire Bormais, je conclus que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte puisque, je suis convaincu, et j'en dirai davantage sur cette question plus tard, que la seule question en l'espèce qui soulève la question de la norme de contrôle appropriée est celle de savoir si la décision visée par le contrôle a entraîné des sélections en vue de nominations en conformité avec le principe du mérite.


b)         Qualité de M. Warren pour demander le contrôle judiciaire de la décision

[21]            Comme je l'ai mentionné plus tôt dans les présents motifs, M. Warren a essentiellement eu gain de cause à l'audience qui a entraîné la décision visée par le présent contrôle, puisque son appel a été accueilli. Cependant, il n'a pas eu gain de cause relativement à tous les motifs ni même à la plupart des motifs présentés en son nom. Dans GKO Engineering c. Canada[4], le juge Rothstein a écrit, aux paragraphes [2] et [3] :

Lors d'un contrôle judiciaire, le litige porte sur la décision du tribunal d'instance inférieure soumise à la révision et non sur les motifs de la décision. Une partie qui demande le contrôle judiciaire cherche à obtenir qu'on réexamine la question en vue d'obtenir un dispositif différent que celui qui a été accordé par le tribunal d'instance inférieure.

Un intimé est habituellement d'accord avec le dispositif prononcé par le tribunal d'instance inférieure et, par conséquent, il n'a pas de raison de rechercher le contrôle judiciaire de la décision en cause. Il se peut toutefois qu'un intimé ne soit pas d'accord avec tous les motifs du tribunal d'instance inférieure. Toutefois, à moins qu'il ne recherche un dispositif différent, un intimé n'a pas de fondement lui permettant de présenter sa propre demande de contrôle judiciaire. [...]

[Non souligné dans l'original.]


[22]            On ne saurait certes pas dire, compte tenu des faits en cause, que M. Warren tente d'obtenir une décision différente si l'affaire devait être confiée au même Comité d'appel ou à un Comité d'appel différemment constitué. S'il devait le faire, sa position serait abusive puisqu'il a eu gain de cause devant le Comité d'appel dont la décision fait l'objet du contrôle. Je crois plutôt que ce que demande M. Warren, c'est qu'on reconnaisse que le Comité d'appel a eu raison concernant le motif pour lequel il a accueilli son appel mais qu'il a eu tort concernant toutes ou certaines positions présentées en son nom que le Comité d'appel a rejetées. Pour l'essentiel, dans le présent contrôle judiciaire, M. Warren appuie la décision du Comité d'appel qui fait l'objet du contrôle et il veut obtenir la modification des motifs de cette décision. En fait, il demande le contrôle judiciaire des motifs du Comité d'appel et non de sa décision.

[23]            En me fondant sur GKO Engineering, je conclus que M. Warren ne peut demander le contrôle judiciaire de la décision en cause. En fin de compte, pour ce seul motif, sa demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

c)         Erreur susceptible de contrôle - la sélection au mérite

[24]            Tel que mentionné plus haut, la décision du premier Comité d'appel, c'est-à-dire la décision Nadeau, a annulé les résultats du premier processus de reclassification. En fin de compte, aux termes du paragraphe 21(3) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, puisque le Comité d'appel, par la décision Nadeau, a décidé qu'il y avait eu [traduction] « [...] irrégularité [...] relativement à la procédure de sélection » , la Commission de la fonction publique avait obtenu le mandat de « prendre toute mesure qu'elle juge indiquée pour remédier à toute irrégularité [...] » . La Commission de la fonction publique a décidé de demander l'établissement d'un comité des mesures correctives et de lui confier un mandat précis. Je suis convaincu que même si le mandat confié au comité n'était pas exactement celui qu'il fallait à cause de la décision Nadeau, cela n'est pas pertinent.


[25]            Dans Lalonde c. Canada (Procureur général)[5], j'ai écrit, au paragraphe [25] :

Je tire une conclusion similaire à l'égard de l'allégation d'erreur de droit pour avoir omis d'accorder trois (3) points supplémentaires, tel qu'admis devant le premier Comité d'appel. L'attribution de trois (3) points supplémentaires en faveur du demandeur n'a pas été, pour quelque motif que ce soit, adoptée comme l'une des mesures correctives imposées par la Commission de la fonction publique. La décision examinée en l'espèce visait à savoir si les mesures correctives ordonnées avaient été mises en oeuvre convenablement. Le Comité d'appel a répondu à cette question. J'estime qu'il n'était pas tenu d'examiner des questions sous-jacentes aux mesures correctives ordonnées.

[26]            Dans l'affaire Lo c. Canada (Comité d'appel de la Commission de la fonction publique)[6], j'ai conclu que :

Ainsi, le fait que Mme Steadman ait été mutée et qu'elle ait par la suite pris sa retraite n'a pas rendu la Commission de la fonction publique impuissante à prendre des mesures correctrices qui, dans les circonstances, n'étaient limitées que par son imagination, si le comité concluait que la procédure de sélection de Mme Steadman était entachée d'une irrégularité.

[...]

En conséquence, il aurait été loisible à la Commission de la fonction publique d'invoquer le paragraphe 21(3) pour prendre les mesures qu'elle jugeait indiquées pour remédier à l'irrégularité, malgré le fait que Mme Steadman avait été mutée et qu'elle avait par la suite pris sa retraite.

[27]            La Cour d'appel a atténué les termes que j'avais employés et qu'elle a apparemment jugé excessifs dans l'appel interjeté contre la décision Lo[7] quand elle a dit :


Nous ne partageons pas l'avis du juge des requêtes selon lequel l'ajout du paragraphe 21(3) en 1993 donnait à la Commission le pouvoir « de prendre des mesures correctrices qui, dans les circonstances, n'étaient limitées que par son imagination » . Le paragraphe 21(3), surtout s'il est lu en même temps que le paragraphe 21(4), également une nouvelle disposition, ne donne à la Commission que le pouvoir de corriger un vice du processus de sélection attaqué; il ne donne pas à la Commission plus de pouvoir qu'elle n'en avait déjà en ce qui concerne la nomination elle-même. Dire, comme le fait le juge des requêtes, que la Commission a maintenant le pouvoir, grâce au processus d'appel, de prendre des mesures correctrices en faveur du candidat non reçu, c'est, à notre humble avis, ignorer l'objet très restreint du mécanisme d'appel. La Commission n'a pas été transformée en un tribunal habilité à prononcer des jugements déclaratoires ou à statuer sur des demandes de dommages-intérêts ou autres présentées par un candidat non reçu.

mais je suis convaincu que la Cour ne s'est pas écartée du principe selon lequel la Commission de la fonction publique a le pouvoir discrétionnaire de décider de la réponse à donner à la décision d'un Comité d'appel de veiller à ce que les nominations soient faites selon le mérite. En fin de compte, la position défendue au nom des demandeurs, savoir que le comité des mesures correctives établi par la Commission de la fonction publique et mandaté par cette même Commission était lié par la décision Nadeau et tenu d'appliquer à la lettre ses conclusions ne saurait prévaloir. Je suis convaincu que ma position est confirmée par la décision de mon ancien collègue le juge McKeown qui a écrit, au paragraphe [16] de Maassen c. Canada (Procureur général)[8] :

Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 21(3) exige que la Commission prenne des mesures correctrices après avoir révoqué une nomination visée par un appel accueilli par un comité d'appel. Les demandeurs s'appuient sur une décision antérieure d'un comité d'appel, [...] qui statuerait que la Commission doit prendre des mesures correctrices en conformité avec la décision du comité d'appel. Je suis néanmoins d'avis que le paragraphe 21(3) confère simplement à la Commission le pouvoir de remédier à une irrégularité signalée par le comité d'appel, sans l'obliger à y remédier. Comme je l'ai déjà mentionné, selon les paragraphes 21(2) et 21(3), la seule mesure que la Commission est tenue de prendre lorsqu'un appel d'une nomination est accueilli consiste à révoquer cette nomination. [Référence omise.]

[28]            Compte tenu de la jurisprudence susmentionnée, je suis convaincu que, dans la décision en cause, le Comité d'appel a eu raison de conclure qu'à tous les égards sauf en ce qui concerne la décision du comité des mesures correctives concernant M. Warren, les nominations qui ont suivi les mesures prises par le comité des mesures correctives n'ont pas entraîné une sélection ni une sélection en vue d'une nomination qui serait contraire au principe du mérite.

d)         Autres questions

[29]            Compte tenu des résultats de l'analyse susmentionnée, il n'est pas nécessaire de trancher les autres questions qui ont été soulevées pour le compte des demandeurs, notamment les allégations d'erreurs susceptibles de contrôle de la part du Comité d'appel dans la décision en cause ainsi que la réparation opportune à accorder aux demandeurs. En particulier, j'estime que le paragraphe précité des motifs de mon ancien collègue, le juge McKeown, dans l'affaire Maassen, dispose de la demande formulée au nom des demandeurs relative à une ordonnance selon laquelle, en renvoyant l'affaire devant un Comité d'appel, les demandeurs devraient obtenir rétroactivement un poste de niveau FS-02. Si cette compétence existait, c'est la Commission de la fonction publique qui pourrait l'exercer et non un Comité d'appel.


CONCLUSION

[30]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. L'avocat du défendeur a demandé les dépens. Je suis convaincu qu'il est opportun d'accorder les dépens. Par voie de conséquence, je rendrai une ordonnance d'adjudication des dépens en faveur du défendeur selon l'échelle ordinaire.

                                                                       _ Frederick E. Gibson _              

                                                                                                     Juge                              

Ottawa (Ontario)

le 26 avril 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-1621-00

INTITULÉ :                                              GORDON L. HISELER ET MICHAEL K. WARREN

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                        OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 5 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                             LE 26 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Joseph W. Griffiths                                                        POUR LES DEMANDEURS

Derek Rasmussen                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goldberg, Kronick & Stroud LLP                                 POUR LES DEMANDEURS

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]         L.R.C. ch. P-32.

[2]         [2004] A.C.F. n o 253, (Q.L.), (non mentionné en l'espèce).

[3]         [2003] 1 R.C.S. 226.

[4]         [2001] A.C.F. no 369 (Q.L.), (C.A.F.).

[5]         [2003] A.C.F. no 868, (Q.L.), (non mentionné en l'espèce).

[6]         [1997] A.C.F. no 198, (Q.L.), (non mentionné en l'espèce).

[7]         [1997] A.C.F. no 1784, (Q.L.), (C.A.F.), (non mentionné en l'espèce).

[8]         [2001] A.C.F. no 961, (Q.L.), (non mentionné en l'espèce).


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