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     Date : 19990401

     Dossier : T-1414-98

Ottawa (Ontario), le 1er avril 1999

En présence de Monsieur le juge Lutfy

     INSTANCE relative à la Loi sur la citoyenneté,

     L.R.C. (1985), ch. C-29

     ET à l'appel formé contre la décision

     d'un juge de la citoyenneté

Entre

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     appelante,

     - et -

     FELEX ANDY YANG,

     intimé

     ORDONNANCE

     LA COUR,

     VU l'appel formé contre la décision en date du 12 mai 1998 du juge de la citoyenneté Hodgson,

     APRÈS AUDITION de cet appel le 25 février 1999 en la ville de Vancouver (C.-B.),

     ORDONNE CE QUI SUIT :

     L'appel est rejeté.

     Signé : Allan Lutfy

     ________________________________

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990401

     Dossier : T-1414-98

     INSTANCE relative à la Loi sur la citoyenneté,

     L.R.C. (1985), ch. C-29

     ET à l'appel formé contre la décision

     d'un juge de la citoyenneté

Entre

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     appelante,

     - et -

     FELEX ANDY YANG,

     intimé

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge LUTFY

[1]      Dans sa décision du 12 mai 1998, le juge de la citoyenneté a conclu que l'intimé remplissait les conditions de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Ce dernier se trouvait au Canada 534 jours sur les 1 095 jours de résidence requis, durant les quatre années qui précédaient la date de sa demande de citoyenneté. Cette décision est portée en appel par la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en application du paragraphe 14(5) de la Loi et de la règle 300c) des Règles de la Cour fédérale (1998).

[2]      L'intimé, qui a 48 ans, a été admis au Canada en qualité d'immigrant investisseur, le 30 juin 1993. Il a fait un placement initial de 250 000 $, apparemment dans un fonds consortial. Il était accompagné à son entrée au Canada de sa femme et de leurs deux fils, qui ont maintenant respectivement 17 et 20 ans. Durant sa première année de résidence permanente, il est retourné à Taiwan, son pays natal dont il était citoyen, quatre fois pour affaires, pour un total de quelque 250 jours. Son avocat fait valoir qu'il a fait ces voyages pour liquider ses affaires à Taiwan. Il n'y est plus retourné depuis juin 1994.

[3]      Depuis 1995, c'est-à-dire pendant la période à prendre en considération pour la computation des jours de résidence requis, il s'est rendu huit fois en Chine pour affaires. L'explication en figure dans la décision du juge de la citoyenneté, comme suit :

     [TRADUCTION]

     Le demandeur est arrivé au Canada le 30 juin 1993 et a demandé la citoyenneté le 12 juin 1997. Avant de venir au Canada, il travaillait pour une compagnie de matériel d'entreposage à Taiwan. Arrivé au Canada, il s'est fait embaucher par une firme japonaise du Lower Mainland. Cet emploi ayant tourné court, il a décidé de mettre sur pied un commerce que sa femme et lui-même pourraient exploiter. Malheureusement, l'affaire a fait faillite. Ayant du mal à trouver du travail, il est parti pour la Chine pour voir quelles y étaient les possibilités. Il a conçu le projet de fabriquer du faux marbre et a passé les quatre dernières années à mettre au point une formule et à assembler une équipe en Chine pour essayer le produit.         
     Il était obligé de faire beaucoup de recherches et a parcouru la Chine pour rechercher les matières premières, à savoir certains types de ciment et de plastique qu'il pourrait trouver au Canada une fois que son produit aura fait ses preuves et qu'il aura transféré l'entreprise en Colombie-Britannique. S'il a fait ses recherches en Chine, c'est parce que le transport, les matières premières et la main-d'oeuvre y coûtent moins cher.         
     Son produit est une nouveauté, il a l'apparence et la solidité du marbre. Il est peu coûteux et d'installation facile dans les immeubles commerciaux ou résidentiels. Il ne s'ébrèche pas, ne se fêle pas et peut être travaillé de façon à donner une surface polie ou rugueuse. Il est réfractaire à l'acide, facile à nettoyer et peut servir au revêtement du sol à l'extérieur et à l'intérieur comme sur les murs. Il a l'apparence du marbre et est plus dur que le granit.         
     Le demandeur a séjourné 534 jours au Canada; il lui manque 561 jours.         
     Il est propriétaire de sa maison à Burnaby, paie l'impôt foncier et l'impôt sur le revenu, a plusieurs comptes en banque, diverses cartes de crédit, et est membre de la M.S.A. Sa femme est citoyenne canadienne et enseigne au Collège communautaire de Vancouver. Ses deux fils sont citoyens canadiens. L'un fréquente l'Université de Waterloo et a remporté la médaille du mérite scolaire du Gouverneur général pour 1997. L'autre fréquente l'école secondaire Semiahmoo.         
     M. Yang a installé sa famille au Canada, et considère que le Canada est le pays où il a son foyer. Pendant ses séjours en Chine, il loge à l'hôtel. Une fois qu'il aura réussi à créer son nouveau produit, il compte installer l'usine et l'entreprise au Canada.         

     J'estime qu'il faut faire droit à sa demande de citoyenneté.

[4]      Dans Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow s'est prononcé en ces termes, pages 213 et 214 :

     Il me semble que les termes " résidence " et " résident " employés dans l'alinéa 5(1)b ) de la Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l'exigeait l'ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu'elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps.         

Le même principe a été rappelé par le juge Dubé dans Re Banerjee (1994), 25 Imm. L.R. (2d) 235 (C.F. 1re inst.), par cette formule laconique en page 238 : " C'est la qualité de l'attachement au Canada qui doit être examinée ".

[5]      Dans Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), pages 293 et 294, Mme le juge Reed, après avoir passé en revue la jurisprudence de notre Cour à la suite de la décision Papadogiorgakis, qui remonte à quelque 15 ans, a conclu qu'il s'agit de se demander si l'intéressé " vit régulièrement, normalement ou habituellement " au Canada ou si sa vie y est centrée. Dans cet examen, dit-elle, les facteurs déterminants doivent comprendre la durée des séjours de l'intéressé au Canada, le lieu de résidence de sa famille immédiate et étendue, la durée et les raisons de ses absences, la qualité de ses liens avec le Canada par comparaison aux liens avec tout autre pays, et la question de savoir si le Canada est le pays où il revient chez lui chaque fois et non pas simplement un lieu de visite.

[6]      Dans Re Lam (25 mars 1999), T-1310-98 (C.F. 1re inst.), je suis revenu, à la lumière de deux faits nouveaux, sur la question de la norme de contrôle applicable dans les appels en matière de citoyenneté. En premier lieu, le juge saisi ne fait plus fonction de juge des faits depuis l'entrée en vigueur des Règles de la Cour fédérale (1998), mais entend l'appel à titre de demande visée à la règle 300c). En second lieu, on prévoit l'adoption d'une nouvelle loi sur la citoyenneté qui apporterait de profonds changements au processus d'instruction des demandes de citoyenneté et à la fonction de contrôle de notre Cour. Après avoir relevé certains facteurs objectifs qui imposeraient une plus grande retenue au juge judiciaire, j'ai conclu, eu égard à la période transitoire, qu'il ne fallait pas trop dévier de la norme de contrôle actuellement en vigueur (paragraphe 33) :

     La justice et l'équité, pour ceux qui cherchent à acquérir la citoyenneté canadienne comme pour le ministre, requièrent une certaine continuité dans la norme de contrôle tant que la loi actuelle demeure en vigueur, et ce bien que le procès de novo n'ait plus cours en la matière. La norme qui s'impose dans ces conditions est toute proche de celle du bien-jugé. Dans le cas cependant où le juge de la citoyenneté, par des motifs clairs qui attestent sa connaissance de la jurisprudence, conclut légitimement des faits que le demandeur remplit la condition légale de l'alinéa 5(1)c), telle qu'il la comprend, il ne faut pas que le juge saisi de l'appel substitue arbitrairement à cette décision sa propre conception de la condition de résidence. Telle est la limite de la retenue à observer par le juge judiciaire durant cette période transitoire, eu égard aux connaissances et à l'expérience spécialisées du juge de la citoyenneté.         

[7]      Je ne peux trouver, au vu des pièces du dossier, aucune erreur dans les motifs pris par le juge de la citoyenneté. L'intimé et sa famille se sont implantés au Canada. L'un des deux fils va à l'école secondaire locale, l'autre à l'Université de Waterloo. La femme et les enfants de l'intimé sont maintenant citoyens du Canada. Le premier travail qu'il a trouvé, après avoir acquis le statut de résident permanent, se trouvait à Surrey (C.-B.). Sa rémunération, assujettie en principe à l'impôt canadien, n'était pas substantielle et ce travail ne dura pas longtemps. Par la suite, la première tentative du couple d'ouvrir un commerce a essuyé un échec. Lors d'un voyage en Chine, l'intimé a vu une possibilité d'entreprise dans la fabrication du faux marbre. Il a fait les recherches et les études de marché pour le produit en Chine. C'est ce qui explique ses récentes absences du Canada. La famille habite maintenant une maison qui coûte bien moins que la maison achetée à l'origine, ce qui, d'après le dossier, met à sa disposition un surcroît de liquidités. C'est ce qui expliquerait l'aptitude de la famille à pourvoir à ses besoins pendant que l'intimé poursuit sa dernière initiative industrielle.

[8]      L'avocate représentant l'appelante cite la cause Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lok (1998), 152 F.T.R. 207 : le candidat à la citoyenneté ne se trouvait au Canada que 170 jours pendant la période en question, sa famille logeait chez un ami, et l'intéressé était employé par une compagnie à Hong Kong où vivent ses parents et son frère. Il a été jugé que la compagnie qu'il constituait au Canada n'était qu'une façade. Les faits de cette cause, jugée par ma collègue Mme le juge Reed, sont cependant bien différents des faits de la cause en instance. De même, la cause Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Ho, [1998] A.C.F. no 1911 (QL) (1re inst.), que cite l'appelante, n'a guère de points communs avec l'affaire qui nous occupe. Dans cette dernière cause, le résident permanent n'avait passé que 157 jours au Canada sur une période de près de cinq ans, séjournant le reste du temps à Hong Kong.

[9]      L'appelante n'a pas réussi à prouver que l'intimé a un lien notable avec un autre pays que le Canada. Il n'est pas retourné à Taiwan et ses visites en Chine ont pour objet de donner suite à sa dernière initiative industrielle. La décision du juge de la citoyenneté est parfaitement conforme aux prescriptions des précédents Papadogiorgakis et Re Koo. Le premier voyage de l'intimé hors du Canada, juste quelques semaines après son établissement, ne trahit que la nécessité habituelle pour l'immigrant investisseur de donner promptement suite à l'accueil de sa demande, sans avoir nécessairement fini de déménager du pays d'origine. Dans la mesure où la décision dont est appel est parfaitement conforme à la jurisprudence, je ne peux y trouver aucune erreur.

[10]      Par ces motifs, l'appel est rejeté.

     Signé : Allan Lutfy

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 1er avril 1999

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              T-1414-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      M.C.I. c. Felex Andy Yang

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :      Jeudi 25 février 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE LUTFY

LE :                      1 er avril 1999

ONT COMPARU :

Mme Kim Shane                  pour l'appelante

M. Lu Chan                      pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg              pour l'appelante

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Lu Chan                      pour l'intimé

Avocat

Burnaby (C.-B.)

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