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     Date : 19980424

     Dossier : T-2354-97

ENTRE :

     ALBERTA WILDERNESS ASSOCIATION,

     LA FÉDÉRATION CANADIENNE DE LA NATURE,

     LA SOCIÉTÉ POUR LA PROTECTION DES PARCS ET DES

     SITES NATURELS DU CANADA,

     JASPER ENVIRONMENTAL ASSOCIATION et

     PEMBINA INSTITUTE FOR APPROPRIATE DEVELOPMENT,

     requérants,

     et

     LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS et

     CARDINAL RIVER COALS LTD.,

     intimés,

     et

     BRIAN BIETZ, GORDON MILLER et TOM BECK

EN QUALITÉ DE COMMISSION D'EXAMEN ÉTABLIE PAR LA LOI CANADIENNE SUR L'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE CHARGÉE D'ÉTUDIER LE PROJET CHEVIOT COAL et WAYNE ROAN AGISSANT POUR LUI-MÊME ET POUR LE COMPTE DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DU SMALLBOY CAMP,

     intervenants.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

JOHN A. HARGRAVE,

PROTONOTAIRE

[1]      L'instruction de la présente demande de contrôle judiciaire, fixée aux 29 et 30 avril 1998 quitte à déborder éventuellement sur la journée du 1er mai 1998, porte sur l'examen d'un projet d'exploitation d'une mine de charbon à ciel ouvert dénommée Cheviot Mine, une exploitation qui chevaucherait la limite de partage des eaux de la rivière Cardinal située dans les contreforts de l'Alberta à l'ouest d'Edmonton, près de Cadumin. Cette ligne de partage est à l'origine des eaux qui se jettent d'un côté dans l'Arctique et, de l'autre, dans la baie d'Hudson. C'est là que prennent naissance le ruisseau et le petit ruisseau MacKenzie ainsi que la rivière McLeod qui se déversent tous trois dans la rivière Athabasca, habituellement en direction est et nord en passant par des terres occupées et utilisées par quelques-unes des 22 Premières nations de la province de l'Alberta qui forment actuellement ensemble les Premières nations assujetties au traité no 8 de l'Alberta, ci-après dénommées Premières nations du traité no 8.

[2]      Les Premières nations du traité no 8, constituées en société albertaine, en leur qualité de groupe cadre coiffant diverses Premières nations de cette province, souhaitent, bien que tardivement, se constituer partie intervenante, si tardivement en fait qu'en l'absence de motifs spéciaux, je rejetterais probablement leur demande. Étant donné toutes les circonstances entourant l'espèce, j'ai décidé plutôt et après audition de l'avocate, que les Premières nations susdites justifiaient d'un intérêt suffisant et pouvaient jeter en l'occurrence un nouvel éclairage si utile que la Cour jugera nécessaire de les admettre comme partie intervenante. En base de cette décision, j'ai établi tant à l'intention des intervenants que des parties initiales, un calendrier de travail strict de façon à ne pas perturber le déroulement de l'audience prévue. J'ai indiqué que le bref exposé des motifs ci-après suivra.

RAPPEL DE QUELQUES FAITS

[3]      Cardinal River Coals Ltd. se propose de construire, d'aménager, d'exploiter et éventuellement de désaffecter une mine de charbon à ciel ouvert ainsi qu'une usine de traitement du charbon qui ont fait l'objet d'étude par la Commission d'examen chargée du projet Cheviot Coal. Le rapport de la Commission, daté du 6 juin 1997, a été rendu public le 17 juin 1997. Les requérants ont engagé l'actuelle procédure de contrôle judiciaire le 31 octobre 1997, invoquant, entre autres motifs, que l'on n'a pas procédé à une évaluation environnementale appropriée en application de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.R.C. 1985, ch. C-15.2 (la LEE).

[4]      Un certain nombre d'entités qui, selon la Commission d'examen, devraient participer à la cause, ont été avisées de l'audience. Ces entités comprennent plusieurs collectivités et organisations autochtones, mais personne n'a songé à informer l'une quelconque des Premières nations demeurant en aval, qui forment les Premières nations du traité no 8. L'avocat de Cardinal River Coals Ltd. estime que le groupe de ces Premières nations qui vivent en aval du réseau de l'Athabasca se trouve à 1 000 kilomètres de là et que toute répercussion sur la qualité de l'eau passera inaperçue à quelques kilomètres de la mine Cheviot. L'avocate des Premières nations du traité no 8 soutient que ses clients, du fait de leur utilisation traditionnelle des terres, sont bien plus proches de la mine Cheviot.

[5]      L'histoire de la diversion et de la pollution des systèmes fluviaux prouve manifestement qu'il est difficile de tracer arbitrairement des limites à quelques kilomètres, ou à quelques centaines de kilomètres, d'une entreprise qui aura des répercussions sur le débit et la qualité de l'eau et dire ensuite qu'au-delà de ces limites arbitraires, toute inquiétude est superflue. Les parties opposées, c'est-à-dire Cardinal River Coals Ltd. et la Couronne, n'ont pas déposé de preuve sur ce point. Toutefois, M. Jim Badger, un moment directeur du Grand Conseil des Premières nations du traité no 8 et grand chef du Conseil régional indien de Lesser Slave Lake, qui n'a eu connaissance de l'actuelle action en contrôle judiciaire que quelques jours avant la présente demande d'intervention, a effectivement des vues qui paraissent fondées. Il s'inquiète non seulement des conséquences attribuables aux changements de la qualité de l'eau, ce que la Commission d'examen a retenu comme facteur, mais aussi des répercussions que la diversion et la modification des sources du ruisseau MacKenzie et de la rivière McLeod auront sur les terres et la faune qui, traditionnellement, constituent un volet important de la culture et des coutumes des Premières nations du traité no 8 demeurant en aval, de même que sur la chasse, la cueillette et la vie culturelle et spirituelle de ces nations. Il poursuit son témoignage en disant que : [TRADUCTION] "Du fait que les Premières nations du traité no 8 de l'Alberta n'ont pas été informées de l'exploitation minière envisagée, ni des audiences de la Commission d'examen, il nous était impossible de demander à cette commission d'étudier les sujets qui nous préoccupent, ou de retenir les services d'experts pour nous conseiller au sujet des effets environnementaux que le projet d'exploitation aurait sur les terres du traité no 8" (paragraphe final de l'affidavit de M. Badger du 8 avril 1998).

ANALYSE

Requête en ajournement

[6]      Avant d'examiner le bien-fondé de la requête en intervention, je traiterai de celle que l'avocat de Cardinal River Coals Ltd. a présentée oralement en vue d'ajourner les procédures, car bien que la documentation des intervenants lui ait été signifiée en temps dû, il lui a été impossible, en raison du congé de Pâques, de prendre des instructions quant à la ligne de conduite à suivre, d'où son embarras. Il dit aujourd'hui que ses instructions consistent à contre-interroger M. Badger au sujet de son affidavit. L'avocate des intervenants informe qu'elle a fait savoir que M. Badger était disponible pour ce contre-interrogatoire, mais qu'on n'a pas donné suite à son offre et qu'il était prêt à le subir après l'audition de la présente requête, si cela peut être utile. Les avocats diffèrent d'opinion à ce sujet, certains d'entre eux souhaitant un ajournement et d'autres, voulant aller de l'avant et trancher cette affaire opportunément.

[7]      Si un plus long intervalle avait séparé le dépôt de la présente requête de l'audition en contrôle judiciaire fixée aux 29 et 30 avril, l'ajournement aux fins de contre-interrogatoire pourrait se justifier. Je serais également favorable à un ajournement si l'une quelconque des Premières nations du traité no 8 avait figuré sur la liste d'envoi des avis de réunion de la Commission d'examen. Ces nations n'auraient eu, ainsi, personne d'autre à blâmer qu'elles-mêmes si la présente requête en intervention de dernière minute était ajournée. L'ajournement est cependant sujet à discrétion. Une partie ne peut présumer de l'ajournement d'une requête parce que l'avocat ne parvient pas à prendre des instructions dans le délai réglementaire séparant la date de signification de l'audition de la requête. En fait, l'impréparation ne justifie pas l'ajournement : voir, par exemple, Jouzichin c. le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 9 décembre 1994, motifs non publiés de Mme le juge Reed dans IMM-1686-94, pages 1 et 2. Il existe une autre façon d'aborder la question de savoir pourquoi il ne faudrait pas aujourd'hui autoriser des ajournements aussi facilement qu'on le faisait un certain temps. La question a été évoquée par le juge en chef Isaac dans Sidhu c. ministre du Revenu national (1995) 176 N.R. 156, p. 158 (C.A.F.), où il signale que le temps est révolu où les tribunaux pouvaient accorder aux parties le luxe de les tenir à leur merci, les tribunaux étant des institutions publiques chargées de régler les conflits à grands frais pour l'État. Partant, tout retard préoccupe sérieusement le public.

[8]      J'ajouterais un autre élément : un avocat chevronné qui s'occupe d'une importante affaire devrait prendre l'initiative et la responsabilité pour le petit effort que coûte un contre-interrogatoire lorsqu'il le juge nécessaire. Invoquer l'excuse d'un congé, l'impossibilité de prendre des instructions sur une question accessoire, l'absence de quelqu'un qui puisse procéder au pied levé à un contre-interrogatoire, ne constitue pas une bonne raison pour ajourner une affaire. C'est pourquoi je refuse l'ajournement.

Statut des Premières nations du traité no 8

[9]      Préalable à la question d'intervention est celle du statut des Premières nations du traité no 8. L'avocat de Cardinal River Coals Ltd. signale qu'à l'époque où la Commission d'examen s'est réunie, apparemment en 1996 et 1997, les Premières nations susdites n'existaient pas en tant que société constituée. L'avocate des Premières nations reconnaît cela, les Premières nations du traité no 8 étant une organisation cadre qui représente celles qui forment effectivement cette entité. L'avocate a offert de reformuler la requête en intervention de façon qu'une demi-douzaine ou presque de conseils de tribu et de bande puissent être reconnus comme intervenants.

[10]      Apparemment, l'entité que forment les Premières nations du traité no 8 a commencé à prendre forme en 1990 en tant que Grand Conseil de ceux qui se réclament du traité no 8 de 1899. En 1993, le Grand Conseil est devenu une organisation cadre sous le nom de Groupe des Premières nations de l'Alberta assujetties au traité no 8. Ce groupe s'est constitué en société en 1997 sous le nom de Premières nations du traité no 8 de l'Alberta. Ce n'est rien d'autre qu'un nom collectif pour tous ses membres.

[11]      À ce stade-ci des procédures, il n'y a pas lieu d'ajouter une demi-douzaine de groupes rattachés aux Premières nations du traité no 8 dont aucun n'a été informé des travaux de la Commission d'examen, mais qui peuvent, chacun, obtenir le statut d'intervenant. Je ne vois pas pourquoi des groupes distincts assujettis au traité no 8 ne peuvent être représentés par une organisation cohésive pour faire valoir un point de vue collectif, épargnant ainsi temps et débours à tous les intéressés. L'existence des Premières nations du traité no 8 transcende certainement de plusieurs années l'institution de la Commission d'examen, mais sous une appellation et une forme différentes. Bien qu'il ne s'agisse pas, en l'occurrence, d'une action en justice collective, telle qu'on l'entend habituellement, pareille action ne devrait généralement pas être vue comme une question de principe rigide, mais plutôt comme un outil souple et pratique d'administration de la justice, car il ne faudrait pas appliquer strictement ou rigoureusement la notion de représentation collective, mais au contraire, de façon assez lâche : voir, par exemple, John c. Rees [1970] 1 ch. 345, p. 370. Je signalerai aussi un cas antérieur, celui de Taff Vale Railway v. Amalgamated Society of Railway Servants [1901] A.C. 426, où la Chambre des lords était alors aux prises avec la difficulté nouvelle de savoir si un syndicat non constitué en société pouvait être poursuivi et elle a tranché la question par l'affirmative. Lord Lindley a signalé que la notion d'équité avait déterminé une approche plus souple. Faisant indirectement allusion aux actions en justice collectives, il les a indirectement qualifiées d'instruments qui visent à prévenir un déni de justice pour dire ensuite que les règles appliquées aux parties à un litige devraient l'être en fonction des exigences de la vie moderne, propres à chaque cas :

         [TRADUCTION]                 
         "Le principe sur lequel se fonde une règle ne permet pas qu'elle se limite aux cas pour lesquels il existe un précédent jurisprudentiel exact. Le principe s'applique tant aux cas récents qu'anciens et il faudrait que cette application soit compatible avec les impératifs de la vie moderne selon les exigences de chaque cas." (p. 443)                 

Que les Premières nations du traité no 8 soient autorisées à représenter un certain nombre d'entités indiennes, voilà qui est logique, qui épargnera du temps et permettra que justice se fasse. De plus, et par analogie avec la législation sur les sociétés selon quoi une nouvelle compagnie, une fois constituée, peut tirer profit des transactions passées par ses membres constituants antérieurement à son existence même, je ne vois pas pourquoi les Premières nations du traité no 8 ne peuvent pas faire valoir les points de vue des entités dont procèdent ces associations antérieures et qui les ont, par la suite, conduites à se constituer en société à des fins comme celles d'aujourd'hui. Ni l'avocat des intervenants ni celui de Cardinal River Coals Ltd. n'étaient un tant soit peu préparés à plaider pour ou contre. J'ai donc décidé que les Premières nations du traité no 8 avaient à bon droit qualité pour se constituer partie intervenante en cette cause.

Intervention

[12]      La règle 1611 des Règles de la Cour fédérale prévoit la possibilité d'intervention dans les procédures en contrôle judiciaire aux conditions appropriées. La Cour peut ordonner qu'une personne soit constituée partie intervenante dans pareille procédure lorsqu'une partie peut avoir un intérêt dans l'issue de la cause ou que ses droits en seront directement touchés : voir, par exemple, Edmonton Friends of the North Environmental Society c. Canada (ministre de la Diversification de l'économie de l'Ouest) (1990) 73 D.L.R. (4th) 653, p. 660 et 661 (C.A.F.). Il me faudrait examiner si la partie intervenante envisagée est directement touchée par l'issue de la cause : voir, par exemple, Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général) [1990] 1 C.F. 84, p. 88 (1re inst.), les critères énoncés dans cette affaire par M. le juge Rouleau étant confirmés par la Cour d'appel; cause publiée [1990] 1 C.F. 90, p. 92.

[13]      Bien sûr, l'intérêt qu'une entité peut avoir dans l'issue d'une cause ne justifie pas, à elle seule, l'autorisation d'intervenir : il faut voir si l'intervenant est en mesure de jeter un nouvel éclairage qui est de nature à aider la Cour : voir, par exemple, BBM Bureau of Measurement c. Director of Investigation (1982) 63 C.P.R. (2d) 63 (C.A.F.), décision du juge en chef Thurlow.

[14]      En ce qui concerne tout d'abord les effets conséquents à l'issue de la cause sur les Premières nations du traité no 8, l'intervenant déclare dans son témoignage, lequel n'est pas contredit, que l'exploitation de la mine peut bien avoir des effets environnementaux appréciables sur les terres de ces Premières nations, et pourtant, ces peuples autochtones directement affectés, n'ont pas eu l'occasion de participer aux travaux d'examen initiaux. Ils se livrent, dit-on, à des activités traditionnelles, notamment à la cueillette de plantes à des fins alimentaires et médicales, la chasse, la pêche et le piégeage ainsi qu'à des cérémonies d'ordre culturel et spirituel. L'exploitation minière envisagée peut directement se répercuter sur les membres des Premières nations du traité no 8 qui, vivant en aval et oubliés, n'ont reçu aucun avis des travaux de la Commission d'examen chargée du projet d'exploitation de la mine Cheviot qui, non seulement altérerait la qualité des eaux, mais modifierait le tracé des cours d'eau.

[15]      Aux termes de la LEE, tout projet doit faire l'objet d'une évaluation quant à ses effets sur l'environnement (voir l'article 16 de la LEE) afin que le public puisse obtenir et avoir accès aux renseignements (article 34 de la LEE). À mon avis, cette disposition impose, à la Commission, l'obligation certaine de s'entourer des renseignements appropriés et nécessaires à son évaluation. La portée de cette obligation devrait s'étendre à toute décision raisonnable conviant des parties dont la présence est appropriée et nécessaire, à assister à l'audience. Que cette obligation vise les autochtones est clairement énoncée à l'article 2 de la LEE définissant les effets environnementaux sur lesquels doit porter l'enquête du tribunal et qui comprennent les modifications qu'un projet peut avoir sur "l'usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles par les autochtones...". Les Premières nations du traité no 8 tombent dans cette catégorie établie par la LEE, étant donné que ce sont des Autochtones qui font un usage courant de terres à des fins traditionnelles et qui auront peut-être bien à souffrir du projet de charbonnage Cheviot.

[16]      À titre d'exemple, M. le juge MacKay dans Union of Nova Scotia Indians et al. c. Canada (Procureur général) et al. (1997) 122 F.T.R. 81, signale que les conséquences de projets régis par la LEE doivent être pris en compte et soigneusement évalués : voir son analyse sur l'équité et les intérêts autochtones à la page 96 et suivantes. En fait, comme le dit M. le juge MacKay "... on commet à mon sens une erreur de droit en négligeant d'examiner la question du droit autochtone et, s'il y a un effet sur ce dernier, d'évaluer si cet effet est justifié ou non conformément à l'approche exposée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. Sparrow , [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1111 à 1119; ..." (ibid. , p. 99). Cette obligation de tenir compte des droits autochtones a fait l'objet de commentaires par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique (1997) 153 D.L.R. (4th) 193, p. 265 :

         "Il y a toujours obligation de consultation. La question de savoir si un groupe autochtone a été consulté est pertinente pour décider si l'atteinte au titre aborigène est justifiée, au même titre que le fait pour la Couronne de ne pas consulter un groupe autochtone au sujet des conditions auxquelles des terres d'une réserve sont cédées à bail peut constituer un manquement à l'obligation de fiduciaire de celle-ci en common law : Guerin. La nature et l'étendue de l'obligation de consultation dépendront des circonstances. Occasionnellement, lorsque le manquement est moins grave ou relativement mineur, il ne s'agira de rien de plus que la simple obligation de discuter des décisions importantes qui seront prises au sujet des terres détenues en vertu d'un titre aborigène. Évidemment, même dans les rares cas où la norme minimale acceptable est la consultation, celle-ci doit être menée de bonne foi, dans l'intention de tenir compte réellement des préoccupations des peuples autochtones dont les terres sont en jeu." (Non souligné dans le texte)                 

[17]      Cette notion d'obligation, d'obligation fiduciaire, a été commentée par M. le juge MacKay dans Union of Nova Scotia Indians (supra) :

         "Le fait de ne pas prendre en compte cette obligation et la responsabilité qu'elle suscite, lorsqu'un droit autochtone a été reconnu antérieurement et peut être négativement touché par le projet constitue, selon moi, une omission de la part de ceux qui agissaient pour le compte des ministres intimés de faire preuve d'équité envers les requérantes dans le cadre du processus d'évaluation environnementale. En fait, on commet à mon sens une erreur de droit en négligeant d'examiner la question du droit autochtone..." (p. 99).                 

[18]      Enfin, en ce qui concerne les pratiques, coutumes et traditions qui font partie intégrante de la culture d'un groupe autochtone, pareils droits peuvent exister indépendamment du titre aborigène et peuvent habiliter un membre de ce groupe à continuer de se prévaloir de ces droits autochtones qui ne découlent pas tant d'un titre foncier, mais de l'occupation antérieure des terres : voir R. c. Van der Peet [1996] 2 R.C.S. 507, p. 562, paragraphe 74.

[19]      À partir de ce raisonnement, j'ai conclu que les nations du traité no 8 vivant en aval du projet d'exploitation de la mine Cheviot dans ce qu'on peut appeler en gros le bassin de la rivière Athabasca, jouissent de droits autochtones dont il y a lieu de tenir compte et tout empiétement sur ces droits, y compris en matière de chasse, de pêche, de cueillette de la flore et des pratiques d'ordre spirituel et culturel propres à la région, peut bien être affecté par l'issue du présent contrôle judiciaire. Les Premières nations du traité no 8 justifient de l'intérêt nécessaire pour être constituées parties intervenantes.

[20]      Quant au deuxième volet du critère, j'ai examiné si les Premières nations pouvaient apporter à l'instruction de la présente demande de contrôle judiciaire un point de vue différent et important de nature à aider la Cour. Les peuples du traité no 8, représentés aujourd'hui par les Premières nations du traité no 8, ont été exclus des travaux de la Commission d'examen qui ne les a pas invités ni inclus comme participants dont on pourrait raisonnablement s'attendre qu'ils subissent des dommages environnementaux dus à l'exploitation de la mine Cheviot. Les Premières nations du traité no 8 seraient seules en mesure de formuler des commentaires sur le caractère approprié de la Commission d'examen, car elles forment l'unique groupe de personnes, très nombreuses d'ailleurs, qui a été exclu du processus. Leur nouvelle perspective porterait également sur les obligations de la Commission d'examen au regard du choix des parties qui devraient comparaître ou, à tout le moins, être invitées à assister à une telle audience. C'est là une perspective différente, mais essentielle à une prise de décision opportune et, par conséquent, utile à la Cour.

Conclusion

[21]      À l'audition de la présente requête, le 15 avril 1998, j'ai conclu que les peuples et bandes qui constituent les Premières nations du traité no 8 seraient directement affectés par le projet d'exploitation de la mine de charbon Cheviot et qu'elles pourraient aider la Cour en lui faisant part d'un point de vue différent et important qui ne serait pas soulevé autrement. Ces Premières nations devraient figurer parmi les parties au litige, à moins d'un préjudice extrême pour les requérants, les intimés et les intervenants antérieurs. L'avocate des Premières nations intéressées a proposé un calendrier modifié permettant aux autres parties de procéder à leur intervention comme il se doit.

[22]      Restait enfin la possibilité que les parties actuelles au litige soient lésées par un ajournement de l'audience en contrôle judiciaire fixée aux 29 et 30 avril. L'avocat de Cardinal River Coals Ltd. était d'avis qu'on manquerait de temps pour instruire convenablement l'affaire si les Premières nations du traité no 8 se constituaient en partie. L'avocate des Premières nations, qui occupe également pour le Smallboy Camp, partie intervenante, a signalé que le 1er mai 1998 avait été apparemment réservé pour l'audition de la requête. J'ai brièvement ajourné les procédures pour savoir si l'on pouvait disposer d'une troisième journée d'audience, ce que le bureau du juge en chef adjoint m'a confirmé. Cela étant, j'ai autorisé l'intervention aux conditions appropriées.

                             (signé) John A. Hargrave

                             Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 24 avril 1998

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE - SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DATE :                  15 avril 1998

No DU GREFFE :              T-2354-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :

     ALBERTA WILDERNESS ASSOCIATION,

     FÉDÉRATION CANADIENNE DE LA NATURE,

     SOCIÉTÉ POUR LA PROTECTION DES PARCS ET DES

     SITES NATURELS DU CANADA,

     JASPER ENVIRONMENTAL ASSOCIATION et

     PEMBINA INSTITUTE FOR APPROPRIATE DEVELOPMENT,

     requérants,

     et

     LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS et

     CARDINAL RIVER COALS LTD.,

     intimés,

     et

     BRIAN BIETZ, GORDON MILLER et TOM BECK

EN QUALITÉ DE COMMISSION D'EXAMEN ÉTABLIE PAR LA LOI CANADIENNE SUR L'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET CHEVIOT COAL et WAYNE ROAN, AGISSANT POUR LUI-MÊME ET POUR LE COMPTE DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DU SMALLBOY CAMP,

     intervenants.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Edmonton (Alb.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      PAR M. JOHN A. HARGRAVE, PROTONOTAIRE,

EN DATE DU              24 avril 1998

ONT COMPARU :

     Stewart Elgie,              pour les requérants

     Robert D. Heggie,              pour la formation intimée

     Julie Lloyd,                  pour le Smallboy Camp et

                         les Premières nations du traité no 8 de l'Alberta

     Dennis Thomas,              pour Cardinal River Coals Ltd.

     Patrick Hodgkinson,              pour le ministre

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Stewart Elgie,              pour les requérants

     Robert D. Heggie,              pour la formation intimée

     Julie Lloyd,                  pour le Smallboy Camp et

                         les Premières nations du traité no 8 de l'Alberta

     Dennis Thomas,              pour Cardinal River Coals Ltd.

     Patrick Hodgkinson,              pour le ministre



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