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Date : 20011002

Dossier : IMM-5361-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1082

ENTRE :

OMAR IMHAMMED YAKUB, AISHA SAAD ABURWIS

et AUWIAS OMAR YAKUB

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 15 septembre 2000 par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs Omar Imhammed Yakub, Aisha Saad Aburwis et Auwias Omar Yakub n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


[2]                 La question principale est de savoir si la Commission a violé les règles de justice naturelle en permettant à l'audience de se poursuivre alors qu'après avoir participé aux interrogatoires sur le fondement que l'agent du SCRS témoignerait que le demandeur était membre d'un groupe terroriste, le représentant du ministre a, au moment où l'agent devait témoigner, cessé d'invoquer l'exclusion prévue par l'alinéa 1(F)a) et affirmé que l'agent niait avoir déjà fait une telle déclaration. À l'audience, l'avocat des demandeurs ne s'est pas opposé à ce que la Commission rende sa décision. Il a également convenu qu'il n'était plus nécessaire de contre-interroger l'agent du SCRS. Les faits liés à la question de la violation des règles de justice naturelle sont uniques et j'expose ceux qui sont pertinents.

[3]                 Il y a eu trois jours d'audience, soit le 19 avril 2000, le 5 juin 2000 et le 4 juillet 2000. Le 19 avril, le membre de la Commission présidant l'audience a déclaré que les questions suivantes avaient été discutées lors de la conférence préparatoire :

[TRADUCTION] La question potentielle de l'exclusion a été soulevée et, à ce moment-là, les témoins devaient être assignés. Je crois qu'il s'agissait de l'agent d'immigration Campbell, qui est avec nous ce matin à l'arrière; de l'agent du SCRS David Patowski; et plus tôt aujourd'hui, il y avait un représentant du SCRS qui a indiqué avoir reçu une assignation à comparaître hier.

[4]                 Les membres ont affirmé par la suite :

[TRADUCTION] Maintenant, il a également été dit à la conférence préparatoire qu'un formulaire d'obtention de renseignements serait rempli concernant la Ligue libyenne des droits de la personne étant donné que le revendicateur avait présenté un document signé par M. Mohammed et qu'il fallait que nous sachions qui était ce dernier. Et la question qui se posait était de savoir comment M. Mohammed avait obtenu ces renseignements et à quel groupe il appartenait.

Nous devions aussi obtenir les passeports traduits par l'intermédiaire de Travaux publics, et une liste d'entrées devait être faite en ordre chronologique. Et mes notes indiquaient que nous obtiendrions des renseignements sur la fraternité.

[5]                 Le représentant du ministre était présent à la séance du 19 avril et a contre-interrogé les témoins du demandeur. Il n'a pas contre-interrogé l'agente d'immigration Campbell, qui n'était pas un témoin des demandeurs. Le revendicateur a également témoigné à cette date. À la reprise de l'audience le 5 juin, séance à laquelle n'a pas participé le représentant du ministre, la revendicatrice a été interrogée.

[6]                 À la fin de la séance du 5 juin, le président a déclaré :

[TRADUCTION] Nous avons décidé d'essayer d'obtenir la date de reprise d'audience la plus rapprochée possible. Nous avons également une lettre du SCRS disant que l'agent est disponible cette semaine-là, de sorte que nous fixons la reprise au mardi 4 juillet, soit dans un mois. Et à cette date, nous entendrons l'agent du SCRS et les plaidoiries suivront. D'accord?

Tous étaient d'accord. Or, le 29 juin 2000, l'avocate du ministère de la Justice a écrit ce qui suit à celui des demandeurs :

[TRADUCTION] Relativement à la déclaration de croyance selon laquelle votre client est susceptible d'être membre du groupe « Al Gamma Al Islmiya Al Muqatilaa » , déclaration attribuée à David Patocskai dans la partie « Autres commentaires » des notes/rapport d'analyse de l'AIP datés du 15 décembre 1997, mon client m'a donné instruction de vous informer que, lors de l'entrevue, ni M. Patocskai ni un membre du service n'ont fait une telle déclaration à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Vous êtes autorisé à fournir la présente lettre à la Commission de l'immigration.

En réponse, l'avocat du demandeur a déclaré ceci :

[TRADUCTION] Je n'ai plus besoin de la présence de M. Patocskai à la séance du 4 juillet 2000.

Il n'y a donc eu que les plaidoiries le 4 juillet et le représentant du ministre a présenté des observations. La Commission a traité ainsi de cette partie des faits :


Le ministre était intervenu dans l'affaire en vertu de l'alinéa 1(F)a) de la Convention en disant [TRADUCTION] « que ce revendicateur prétend être membre d'un groupe en Libye qui est peut-être [une] organisation terroriste » . Cette intervention était fondée sur des notes prises au point d'entrée après une entrevue avec le revendicateur menée par une agente d'immigration principale (AIP) et un agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Il est mentionné à la pièce M-1 que le nom du groupe serait Al Gamma Al Islamiya Al Muqatilaa. Cependant, quand l'agente d'immigration principale Yvonne Campbell a été citée à comparaître, elle a déclaré qu'au cours de l'entrevue, le revendicateur a dit qu'il n'avait jamais entendu parler du groupe et qu'elle ne savait pas s'il avait appartenu à un groupe. Dans une lettre adressée à l'avocat, l'agent David Patocskai du SCRS a nié avoir fait une déclaration quelconque associant le revendicateur à un groupe. Selon le revendicateur, pour des raisons de sécurité, le nom de son propre groupe ne lui a jamais été dévoilé. Il a ajouté que le nom en soi n'était pas important. Compte tenu de cette évolution de la situation, le conseil du ministre a abandonné les questions relatives à l'exclusion mais a continué de participer à l'audience pour ce qui a trait à la crédibilité.

[7]                 L'avocat des demandeurs a déclaré avoir été informé de la possibilité de contre-interroger l'agent du SCRS, mais à la lumière de l'admission de l'ancien avocat des demandeurs avant la séance du 4 juillet, j'estime qu'il n'y a eu aucune violation des règles de justice naturelle en l'espèce. Toutefois, les témoignages ont tous été produits sur le fondement qu'il s'agissait d'un cas d'exclusion en vertu de l'alinéa 1(F)a) de la Convention. Je conviens que le ministre a le droit de participer à l'audition de toute revendication du statut de réfugié, mais ce n'est pas en cette qualité que le représentant du ministre a participé à l'audience. Nous ne savons pas si celui-ci aurait décidé de participer à l'audience s'il avait parlé à l'agent du SCRS avant le début de l'affaire. En outre, la Commission a tort d'affirmer que l'avocate du ministre a continué de participer à l'audience quant aux questions de crédibilité puisque tous les témoignages avaient été produits au moment où le ministre a renoncé à soulever la question de l'exclusion.


[8]                 Je suis d'avis qu'il est fort préjudiciable pour le demandeur que le ministre fasse tenir une audience relative à l'alinéa 1(F)a) fondée sur le témoignage prévu d'un agent du SCRS et qu'une fois la preuve produite, il affirme que l'agent nie avoir fait la déclaration sur laquelle il veut le faire témoigner et renonce à invoquer cet alinéa. L'avocate du ministre aurait dû parler à l'agent du SCRS avant la production de la preuve le 19 avril pour s'assurer que la preuve d'exclusion avait un certain fondement. Je ne suis pas en mesure de déterminer à cette étape si la manière dont la Commission a perçu la crédibilité des demandeurs a été influencée par l'exclusion invoquée par le ministre en vertu de l'alinéa 1(F)a). Il ne s'agit pas d'une affaire comme Siad c. Canada [1997] 1 C.F. 608. Le contre-interrogatoire n'aurait pas résolu le problème puisque le témoin a nié avoir fait la déclaration. Même s'il aurait été préférable que l'avocat des demandeurs présente son opposition au cours de sa plaidoirie devant la Commission, il ressort des décisions en matière de violation des règles de justice naturelle que l'omission de l'avocat n'empêche pas toujours la cour siégeant en révision de se prononcer sur la question. À mon avis, il s'agit d'une erreur donnant lieu à révision et l'affaire doit être renvoyée à une formation différente de la Commission pour qu'elle l'entende en l'absence de mention de l'exclusion invoquée en vertu de l'alinéa 1(F)a).


[9]                 J'estime que la Commission n'a commis aucune erreur en refusant d'accepter la documentation émanant de la Ligue libyenne des droits de la personne et constituée de lettres de membres de son comité exécutif. La Section de recherche des renseignements précis (la SRRP) de la Section du statut de réfugié a écrit à la Ligue libyenne pour vérifier l'authenticité de la déclaration et l'existence du groupe, et ses lettres du 25 août 1999 et du 17 mai 2000 sont restées sans réponse. J'estime que la SRRP n'était pas tenue d'adresser une lettre à M. Mohammed à son adresse en Allemagne puisqu'elle tentait seulement de vérifier la véracité de son appartenance à la Ligue libyenne des droits de la personne.

[10]            Les autres questions soulevées par le demandeur étaient liées à la déclaration de la Commission selon laquelle :

[TRADUCTION] Ni le revendicateur ni les deux témoins ne pouvaient nommer le groupe d'opposition auquel ils étaient liés depuis 1991.

Cette affirmation est fausse car les témoins, surtout le deuxième, ont nommé sans hésitation le groupe d'opposition. L'avocate de l'intimée a indiqué que ce que la Commission avait réellement voulu dire, c'est qu'ils ne pouvaient pas nommer le groupe lorsqu'ils se trouvaient toujours en Libye. Ce n'est toutefois pas ce que la Commission a dit. À la lumière de mes conclusions relatives à la question de la justice naturelle, il n'y a pas lieu que je détermine si cette erreur était importante au point d'exiger que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué. Cependant, ce tribunal devrait utiliser des termes plus précis si ce point est en litige lorsqu'il statuera de nouveau sur l'affaire.

[11]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue par la Commission le 15 septembre 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire d'une manière non incompatible avec les présents motifs.           

[12]            Les deux parties ont demandé la certification d'une question pour les fins d'un appel. La présente affaire ne porte pas sur le droit du ministre de participer à une audience relative à la détermination du statut de réfugié lorsque l'exclusion n'est pas en cause. La Loi permet clairement au ministre de participer. La présente affaire concerne une partie qui prétend à la fin de la présentation de la preuve que son témoin principal nie la teneur du témoignage qu'elle veut lui faire rendre. À mon avis, cependant, la présente affaire repose sur les faits et ne soulève aucune question grave de portée générale.

                                                                                   « W.P. McKeown »

                                                                                                           JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 2 octobre 2001

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-5361-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             OMAR IMHAMMED YAKUB ET AUTRES c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 5 SEPTEMBRE 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

EN DATE DU :                                     2 OCTOBRE 2001

ONT COMPARU

M. ROBERT BLANSHAY                                                        POUR LE DEMANDEUR

MME LEENA JAAKKIMAINEN                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. ROBERT BLANSHAY

TORONTO (ONTARIO)                                                           POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                           POUR LE DÉFENDEUR


Date : 20011002

Dossier : IMM-5361-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 2 OCTOBRE 2001

En présence de :         MONSIEUR LE JUGE W.P. McKEOWN

ENTRE :

OMAR IMHAMMED YAKUB, AISHA SAAD ABURWIS

et AUWIAS OMAR YAKUB

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue par la Commission le 15 septembre 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire d'une manière non incompatible avec les présents motifs.

                       « W.P. McKeown »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.

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