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                                                                                                                                 Date : 20001004

                                                                                                                    Dossier : IMM-3268-99

Entre

                                                  MOHAMMAD REZA SABOUR

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT

[1]         Le demandeur, Mohammad Reza Sabour, s'est vu refuser la résidence permanente au Canada du fait de son appartenance à l'organisation Anjoman Islamie qui, selon l'agent des visas chargé du dossier, est une organisation terroriste iranienne. Pour parvenir à cette conclusion, l'agent des visas a appliqué le critère des « motifs raisonnables de croire » prévu à la disposition 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Dans son recours, M. Sabour soutient au premier chef que cet agent n'était saisi d'aucun document qui lui eût permis de qualifier l'Anjoman Islamie d'organisation se livrant à des actes de terrorisme.

LES FAITS DE LA CAUSE


[2]         M. Sabour, qui a 39 ans, est citoyen de la République islamique d'Iran. Il était bénéficiaire d'une bourse du gouvernement iranien pour poursuivre ses études au Canada. Depuis son arrivée en 1992, il a étudié et travaillé à l'université Concordia à Montréal (Québec) en vertu de divers permis de séjour pour étudiant et permis de travail. En novembre 1997, il a obtenu son doctorat en géo-ingénierie à la même université. Il y a aussi travaillé comme assistant de recherches et professeur d'ingénierie à temps partiel. Ses antécédents universitaires ne sont pas en cause.

[3]         Le demandeur reconnaît qu'il était membre de la section montréalaise de l'Anjoman Islamie pendant un certain temps entre 1993 et 1995. L'incertitude quant aux dates et à la durée de son appartenance à cette organisation n'est pas un facteur. Il reconnaît aussi qu'il remplissait les fonctions de secrétaire-trésorier de la section montréalaise pendant quelques mois, avec pour fonctions entre autres de percevoir les cotisations, qui étaient plutôt modiques.

[4]         En juin 1995, il a fait sa demande de résidence permanente, laquelle a été instruite au consulat canadien de Buffalo (New York).

[5]         Le 3 juillet 1996, M. Sabour a été interrogé par un agent du Service canadien du renseignement de sécurité à Buffalo. Le 25 juin 1997, le directeur général du Filtrage de sécurité du SCRS a écrit à la Division de l'examen sécuritaire de Citoyenneté et Immigration pour la mettre au courant des renseignements donnés par le demandeur lors de l'entrevue avec le SCRS. Cette lettre a été transmise aux responsables du service d'immigration au consulat canadien de Buffalo; elle faisait partie des renseignements à la disposition de l'agent des visas.

[6]         Dès l'entrevue avec le SCRS en 1996, le demandeur a reconnu son appartenance à l'Anjoman Islamie, son rôle de gestionnaire financier de la section locale et ses communications avec le personnel de l'ambassade iranienne au Canada. Il convient de reproduire le sommaire par le SCRS des renseignements communiqués par M. Sabour lors de l'entrevue du 3 juillet 1996 :


[TRADUCTION]

M. SABOUR a été interrogé par le Service au CIC de Buffalo (New York, États-Unis) le 3 juillet 1996 et a donné les renseignements suivants :

-        M. SABOUR fait savoir qu'il était membre de l'Anjoman Islamie (AI) au Canada et qu'à son avis, l'AI est un groupement religieux qui vient en aide aux étudiants en subventionnant une certaine partie de leurs frais de subsistance. M. SABOUR participait aux réunions mensuelles de l'AI pendant ses 18 premiers mois au Canada. Il dit que ces deux dernières années, il n'a assisté qu'à trois ou quatre réunions. Il fait savoir qu'il y a une cotisation semestrielle de 30 $, qu'il a payée à trois reprises, ce qui couvrait une année et demie. Il prétend que le produit des cotisations servait à défrayer les cérémonies et offices religieux.

-        M. SABOUR prétend que les subventions d'étudiant provenaient des étudiants eux-mêmes et non du gouvernement iranien. Et que l'AI n'est pas un groupement politique, mais une organisation estudiantine, sociale et religieuse. Il reconnaît que le précédent ambassadeur d'Iran au Canada assistait occasionnellement à certaines cérémonies de l'AI, mais qu'il n'y a aucun lien entre l'organisation et l'ambassade.

-        M. SABOUR fait savoir qu'il s'occupait des affaires financières de l'AI pendant six mois, et qu'il avait été nommé à ce poste. Et que l'AI est présente dans tous les pays où il y a un grand nombre d'étudiants iraniens, mais qu'elle n'existe pas aux États-Unis.

-        M. SABOUR fait savoir qu'il était un étudiant parrainé par le gouvernement iranien, auquel il doit quelque 5 000 $. Il n'a pas l'intention de régler cette dette parce qu'il ne prévoit pas de difficultés au cas où il ne rembourserait pas le gouvernement iranien. Il affirme que celui-ci tient à garder de bonnes relations avec les étudiants qui pourraient lui être utiles à l'avenir, pour traiter avec les entreprises, recevoir des délégations, faire fonction de consultants ou peut-être même négocier avec les compagnies canadiennes pour obtenir de meilleurs prix.

-        M. SABOUR indique qu'il a conscience de la présence des Mujahedin-E-Khalq (MEK) au Canada, mais n'appartient pas à cette organisation, disant qu'il n'accepte pas le recours à la violence pour la poursuite d'objectifs politiques.

-        M. SABOUR fait savoir qu'il a eu des contacts avec des représentants du gouvernement iranien. Il reconnaît que les étudiants iraniens au Canada ont un conseiller à l'ambassade iranienne d'Ottawa et que tous les six mois, il lui écrit pour rendre compte de sa propre situation. Il nie avoir pour attributions de recueillir des renseignements.

[Non souligné dans l'original.]

[7]         Le 26 avril 1999, le demandeur a été interrogé par l'agent des visas, qui a consigné la teneur de l'entrevue dans ses notes manuscrites, ses notes STIDI et son affidavit. Les notes manuscrites et les notes STIDI ont été enregistrées le jour même. L'interprétation défavorable que le défendeur fait des réponses faites par le demandeur au cours de l'entrevue sera examinée aux paragraphes 17 à 19 infra, à la lumière des renseignements donnés par celui-ci en 1996 lors de l'entrevue avec le SCRS.


LA DÉCISION DE L'AGENT DES VISAS

[8]         Dans sa lettre portant décision en date du 4 mai 1999, l'agent des visas explique en ces termes sa conclusion que le demandeur était une personne tombant sous le coup de la disposition 19(1)f)(iii)(B) de la Loi :

[TRADUCTION]

Je suis parvenu à cette conclusion parce que vous m'avez dit au cours de notre entrevue du 26 avril 1999 que vous êtes un membre payant de l'Anjoman Islamie. Vous avez dit que vous faisiez partie pendant six mois du bureau de la section montréalaise de cette organisation à titre de « responsable des affaires financières » selon vos propres termes. Vous avez dit que vous recueilliez des fonds pour l'organisation, fréquentiez régulièrement ses membres, et participiez à l'organisation d'activités pour l'Anjoman Islamie.

L'Anjoman Islamie a été identifié par des sources dignes de foi comme étant « composé presque exclusivement de fanatiques musulmans chiites iraniens antiaméricains. Le gouvernement iranien a largement recours à ces étudiants aux États-Unis pour recueillir des renseignements aux échelons inférieurs et assurer l'expertise technique. Cependant, l'Anjoman Islamie représente aussi une réserve notable dans laquelle le gouvernement iranien peut puiser pour maintenir sa capacité de monter, au besoin, des opérations contre les États-Unis. »

Au cours de l'entrevue, je vous ai dit qu'à mon sens, il y a des motifs raisonnables de croire que vous êtes ou avez été membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle s'est livrée ou se livre à des actes de terrorisme. Je vous ai donné la possibilité de dissiper mes craintes à ce sujet. Je vous ai aussi fait savoir que si vous n'y réussissiez pas, je ne vous délivrerais pas un visa et votre demande serait du coup rejetée.

En réfutation, vous avez déclaré :

-        que vous étiez surpris d'apprendre que l'Anjoman Islamie se livrait à des actes de terrorisme;

-        que peut-être d'autres sections de l'organisation dans d'autres villes se livraient à des actes de terrorisme, mais pas la vôtre;

-        que vous ne tolériez pas les discussions politiques dans la section montréalaise de l'Anjoman Islamie, qui était strictement religieuse;

-        que lors de la visite de l'ambassadeur, après que certains étudiants eurent accepté qu'il fît un discours politique après l'office religieux (comme il l'avait fait ailleurs), vous vous y êtes opposé;

-        que vous avez un doctorat et êtes professeur d'université, et qu'il n'y a aucun antécédent terroriste ou criminel dans votre vie.

Dans votre réponse, vous ne niiez pas être un membre du bureau de l'Anjoman Islamie. Vous ne niiez pas qu'il fût une organisation terroriste. Vos tentatives de présenter les activités de l'Anjoman Islamie comme apolitiques ne s'accordent pas avec votre propre affirmation que l'ambassadeur et un attaché d'ambassade représentant le ministère iranien de la Culture et de l'Enseignement supérieur rencontraient régulièrement les membres de l'Anjoman Islamie et d'autres étudiants iraniens à Montréal et que vous participiez à l'organisation de ces rencontres. Vous avez aussi donné la preuve de votre dette au titre de la bourse d'études accordée par le gouvernement iranien (environ 100 800,00 $), qui a toutes les apparences d'un prix payé pour vos activités pour le compte de ce même gouvernement.

Après examen des preuves produites, j'ai conclu que vous n'avez pas réussi à dissiper ma crainte que vous êtes ou avez été membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme.


LE TEXTE APPLICABLE

[9]         Les dispositions (A) et (B) du sous-alinéa 19(1)f)(iii) de la Loi sur l'immigration visent respectivement les organisations se livrant à « des actes d'espionnage ou de subversion » ou à « des actes de terrorisme » :


19.(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

¼

f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles :

¼

(iii) soit sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée :

(A) soit à des actes d'espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s'entend au Canada,

(B) soit à des actes de terrorisme,

le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;

19.(1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

¼

f) persons who there are reasonable grounds to believe

¼

(iii) are or were members of an organization that there are reasonable grounds to believe is or was engaged in

(A) acts or espionage or subversion against democratic government, institutions or processes, as they are understood in Canada, or

(B) terrorism,

except persons who have satisfied the Minister that their admission would no be detrimental to the national interest;


[Non souligné dans l'original.]

[10]       Le rejet par l'agent des visas de la demande de résidence permanente de M. Sabour était uniquement motivé par l'appartenance de ce dernier à une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme. L'avocate du défendeur n'a pu donner aucune réponse concrète à la question de savoir si, du moins en théorie, la disposition 19(1)f)(iii)(A) relative aux actes d'espionnage ou de subversion pourrait s'appliquer en l'espèce. Cette question s'est posée parce que dans sa décision, l'agent des visas faisait état du recours du gouvernement iranien aux étudiants membres de l'Anjoman Islamie « aux États-Unis pour recueillir des renseignements aux échelons inférieurs et assurer l'expertise technique » ainsi que des communications entre des membres de la section montréalaise et des membres de l'ambassade iranienne au Canada.


L'INTERPRÉTATION DU CONCEPT DE « MOTIFS RAISONNABLES DE CROIRE »

[11]       Le concept de « motifs raisonnables de croire » a été analysé dans plusieurs décisions.

[12]       L'avocat du demandeur cite la décision R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378, de la Cour suprême du Canada où le juge Sopinka a noté en page 1385 : « [Le juge de la cour provinciale] doit simplement être convaincu que l'agent de la paix avait des motifs raisonnables de croire ce qu'il a cru : en d'autres termes, il faut que les motifs raisonnables pour lesquels l'agent de la paix a agi aient un fondement objectif » . [Non souligné dans l'original.]

[13]       Dans Qu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 5 Imm. L.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.) (appel pendant sous le numéro A-289-00), mon collègue le juge Lemieux a passé en revue, aux paragraphes 15 à 21, la jurisprudence relative à la norme minimale requise pour établir l'existence des « motifs raisonnables de croire » dans le contexte de l'article 19. De même, j'ai passé en revue deux décisions similaires du juge Denault : Baroud (Re) (1995), 98 F.T.R. 99, et Farahi-Mahdavieh (Re), (1993), 63 F.T.R. 120.

[14]       Ainsi que l'a fait le juge Lemieux dans Qu, je souscris à la norme de preuve formulée par le juge Dubé dans Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 642 (1re inst.), paragraphe 27 :

La norme de la preuve par croyance fondée sur des « motifs raisonnables » exige davantage que de vagues soupçons, mais est moins rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités en matière civile. Et bien entendu, elle est bien inférieure à celle de la preuve « hors de tout doute raisonnable » requise en matière criminelle. Il s'agit de la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi.

[Référence occultée; non souligné dans l'original.]


[15]       Les autorités sous les ordres du défendeur ont établi des lignes directrices sur l'interprétation des « motifs raisonnables de croire » , situant à juste titre ce mode de preuve entre le simple soupçon et la probabilité prépondérante :

[TRADUCTION]

Les mots « motifs raisonnables de croire » s'entendent du mode de preuve qui se situe entre le simple soupçon et la probabilité prépondérante. La probabilité prépondérante est une norme inférieure à celle de la preuve sans l'ombre d'un doute raisonnable en matière pénale. La norme des motifs raisonnables signifie que la croyance doit avoir un fondement objectif et que l'agent d'immigration doit être en mesure de convaincre un tiers comme un arbitre ou un juge qu'il y a vraiment des motifs qui justifient cette croyance. Les renseignements sur lesquels se fonde la croyance doivent être irrésistibles, dignes de foi et corroborés.

[Non souligné dans l'original.]

Selon le ministère défendeur, la condition selon laquelle les renseignements doivent être « irrésistibles, dignes de foi et corroborés » est à tout le moins aussi rigoureuse que la norme définie par le juge Dubé, celle de la « croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » .

L'APPARTENANCE DU DEMANDEUR À L'ANJOMAN ISLAMIE

[16]       Le demandeur reconnaît qu'il faisait partie de l'Anjoman Islamie. Cet aveu ressort clairement des renseignements qu'il donnait à l'agent du SCRS lors de leur entrevue du 3 juillet 1996 ainsi que de ses réponses aux questions posées par l'agent des visas lors de l'entrevue du 26 avril 1999.

[17]       Cependant, bien que le demandeur n'ait pas vraiment nié son appartenance à l'Anjoman Islamie, le défendeur met en doute la franchise dont il aurait fait preuve initialement sur ce point, lors de son entrevue avec l'agent des visas.


[18]       Dans son mémoire d'argumentation, le défendeur indique que le demandeur « passait sous silence » son appartenance à cette organisation dans sa demande de résidence permanente et dans ses réponses initiales à l'agent des visas. Les conclusions écrites du défendeur indiquent aussi que lors de cette rencontre, le demandeur n'était pas très franc dans ses réponses aux questions concernant la durée de sa participation à l'Anjoman Islamie et sur la participation de non-membres, comme l'ambassadeur d'Iran au Canada.

[19]       Le dossier révèle effectivement quelques contradictions mineures au sujet de la participation du demandeur à l'Anjoman Islamie. Cependant, lors de son entrevue avec l'agent du SCRS, trois ans avant l'entrevue avec l'agent des visas, et au même lieu, il a reconnu : a) qu'il « a participé aux réunions mensuelles de l'AI pendant ses 18 premiers mois au Canada » ; b) qu'il a payé sa cotisation semestrielle à trois reprises; c) qu'il « s'est occupé des affaires financières de l'AI pendant six mois » ; et d) que « le précédent ambassadeur d'Iran au Canada assistait occasionnellement à certaines cérémonies de l'AI » . Il est difficile de voir comment le défendeur a pu affirmer que le demandeur, du moins au début, « passait sous silence » ses activités au sein de l'Anjoman Islamie, vu les renseignements contenus dans le rapport du SCRS qui fait partie intégrante du dossier du tribunal et devait être à la disposition de l'agent des visas.

L'ACTIVITÉ TERRORISTE DE L'ANJOMAN ISLAMIE

[20]       À l'appui de la conclusion par l'agent des visas qu'il y a des motifs raisonnables de croire que l'Anjoman Islamie se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme, le défendeur cite une déclaration attribuée au demandeur, deux déclarations de responsables du Federal Bureau of Investigation des États-Unis et certains renseignements communiqués par le Service canadien du renseignement de sécurité.


[21]       Lors de l'entrevue du 26 avril 1999, l'agent des visas a demandé au demandeur si celui-ci pouvait dissiper sa croyance que l'Anjoman Islamie se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme. Voici la réponse consignée par l'agent des visas au paragraphe de son affidavit portant sur cette question, lequel paragraphe reproduit en grande partie le passage correspondant de ses notes STIDI :

[TRADUCTION]

Il a répondu : Il était surpris d'apprendre que l'Anjoman Islamie se livrait à des actes de terrorisme. Peut-être d'autres sections de l'organisation dans d'autres villes le faisaient-elles, mais pas la sienne. Il ne tolérait pas les discussions politiques au sein de l'Anjoman Islamie, qui était strictement une association religieuse. Lors même de la visite de l'ambassadeur, après que certains étudiants eurent accepté qu'il fît un discours politique après l'office religieux (comme il l'avait fait ailleurs), il s'y est opposé.

[Non souligné dans l'original.]

[22]       Le défendeur soutient que la phrase soulignée dans la réponse attribuée au défendeur vaut « aveu » qui satisfait à la condition de l'existence de motifs raisonnables de croire que l'Anjoman Islamie se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme. Je ne suis pas de cet avis. Cet « aveu » , que consigne l'agent des visas, est juste une conjecture dans le contexte du déni par le demandeur que sa section de l'Anjoman Islamie fût une organisation terroriste. Dans son affidavit, le demandeur affirme encore qu'à sa connaissance, aucun membre de l'organisation ne se livrait à des actes de terrorisme en Amérique du Nord ou en Europe. Il n'a pas été contre-interrogé à ce sujet. Au vu du dossier soumis à la Cour, je n'accepte pas qu'une vague déclaration prêtée par l'agent des visas au demandeur vaut motif raisonnable de croire que l'Anjoman Islamie est ou était une organisation terroriste.

[23]       Le défendeur s'appuie encore sur deux déclarations faites par des hauts fonctionnaires du Federal Bureau of Investigation. Le 24 février 1998, le chef de la Section du terrorisme international participait à l'audience d'une sous-commission du Sénat des États-Unis. Son exposé couvrait divers sujets, dont la présence de groupes terroristes étrangers aux États-Unis. Voici ce qu'il a déclaré à ce sujet :

[TRADUCTION]

Le Hamas palestinien, le Hezbollah soutenu par l'Iran, et l'Al-Gama' Al-Islamiyya établi en Égypte ont chacun une présence active aux États-Unis. Les activités des cellules américaines de ces organisations consistent en général à recueillir des fonds et des renseignement aux échelons inférieurs.


En outre, il y a encore un nombre considérable d'étudiants iraniens dans les universités et établissements d'enseignement technique aux États-Unis. En 1997, 419 visas on été délivrés à des étudiants iraniens, dont des nouveaux et d'autres qui avaient été déjà aux États-Unis. Un grand nombre de ces individus sont des membres inconditionnels de l'organisation estudiantine pro-iranienne connue sous le nom d'Anjoman Islamie, composée presque exclusivement de fanatiques musulmans chiites iraniens antiaméricains. Le gouvernement iranien a largement recours à ces étudiants aux États-Unis pour recueillir des renseignements aux échelons inférieurs et assurer l'expertise technique. Cependant, l'Anjoman Islamie représente aussi une réserve notable dans laquelle le gouvernement iranien peut puiser pour maintenir sa capacité de monter, au besoin, des opérations contre les États-Unis.

On n'y trouve aucun renseignement expliquant pourquoi des visas ont été délivrés à des « étudiants iraniens, dont des nouveaux et d'autres qui avaient été déjà aux États-Unis » si un grand nombre d'entre eux appartiennent à une organisation qui se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme.

[24]       Le 24 février 1999, le directeur du Federal Bureau of Investigation a comparu avec le procureur général et le secrétaire d'État des États-Unis devant une autre sous-commission du Sénat. L'exposé du directeur portait sur diverses questions de sécurité nationale, avec un aperçu sur le terrorisme à l'échelle internationale. Sous cette dernière rubrique, il a parlé des organisations comme le Hezbollah libanais, l'Al-Gama' Al-Islamiyya et le Hamas palestinien, et de leurs partisans aux États-Unis, qui pouvaient être mobilisés pour les actes de terrorisme. Il a mentionné expressément les attaques terroristes antiaméricaines montées par le Hezbollah dans d'autres pays. Au sujet de l'Anjoman Islamie, il a ajouté ce qui suit :

[TRADUCTION]

Les activités des cellules américaines du Hezbollah, du Hamas et de l'Al Gama' Al-Islamiyya consistent en général à recueillir des fonds et des renseignement aux échelons inférieurs. En outre, il y a encore un nombre considérable d'étudiants iraniens dans les universités et établissements d'enseignement technique aux États-Unis. Un grand nombre de ces individus sont des membres inconditionnels de l'organisation estudiantine pro-iranienne connue sous le nom d'Anjoman Islamie, et qui est composée presque exclusivement de fanatiques musulmans chiites iraniens antiaméricains. Le gouvernement iranien a largement recours à ces étudiants aux États-Unis pour recueillir des renseignements aux échelons inférieurs et assurer l'expertise technique. Cependant, l'Anjoman Islamie représente aussi une réserve notable dans laquelle le gouvernement iranien peut puiser pour maintenir sa capacité de monter, au besoin, des opérations contre les États-Unis.

[Non souligné dans l'original.]

C'est le passage souligné de la déclaration ci-dessus que l'agent des visas a adopté et incorporé dans sa lettre portant décision.


[25]       Les déclarations des deux hauts responsables du F.B.I. concernant l'Anjoman Islamie sont presque identiques. On n'y trouve cependant aucun renseignement prouvant que cette organisation se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme. Ces déclarations donnent la preuve que le gouvernement d'Iran utilise les étudiants iraniens aux États-Unis pour « recueillir des renseignements aux échelons inférieurs et assurer l'expertise technique » . L'organisation en question est décrite comme étant « une réserve notable dans laquelle le gouvernement iranien peut puiser pour maintenir sa capacité de monter, au besoin, des opérations contre les États-Unis » [non souligné dans l'original]. Toute mention d'activité terroriste de sa part est purement conjecturale. À mon avis, ce renseignement ne satisfait pas au critère des motifs raisonnables de croire que l'Anjoman Islamie se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme.

[26]       Enfin, j'ai aussi examiné attentivement le peu d'information générale sur l'Anjoman Islamie et les services de renseignement iraniens, que donne le Service canadien du renseignement de sécurité dans un rapport à Citoyenneté et Immigration et qu'invoque l'agent des visas dans son affidavit :

[TRADUCTION]

72. ¼ J'ai pris note de l'information donnée par le Service canadien du renseignement de sécurité, savoir que l'Anjoman Islamie est une organisation internationale, contrôlée et parrainée par le gouvernement iranien pour exploiter la ressource que représentent les étudiants à l'étranger, et que les activités du gouvernement iranien menacent la sécurité du Canada.

L'agent des visas a résumé fidèlement les brefs rapports du SCRS. Cette information est cependant, elle aussi, loin de constituer un motif raisonnable de croire que l'Anjoman Islamie est une organisation qui se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme.


[27]       L'agent des visas avait aussi à sa disposition trois décisions de la Cour au sujet des « actes de terrorisme » au sens de la disposition 19(1)f)(iii)(B) de la Loi. Cette information a été transmise au consulat canadien à Buffalo dans une note de service émanant du directeur de l'Examen sécuritaire à l'administration centrale de Citoyenneté et Immigration, dans le cadre de l'instruction de la demande de résidence permanente de M. Sabour. Il ressort de ces décisions que la preuve des activités de terrorisme était dans ces cas bien plus concluante qu'en l'espèce.

[28]       Dans Noori c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1996] A.C.F. no 187 (1re inst.), il était question des activités des Moudjahidin du Peuple (MEK) et l'agent des visas chargé du dossier avait à sa disposition l'information suivante donnée par le SCRS :

Le geste de protestation le plus violent des MEK au Canada a été commis le 05-04-1992 lorsque des membres de l'organisation ont pris d'assaut et occupé l'ambassade d'Iran à Ottawa. L'incident s'est produit parallèlement à des incidents semblables en Allemagne, en France, en Angleterre, en Suisse, en Hollande, en Suède, en Norvège, en Australie et aux États-Unis.

Le passage ci-dessus est extrait du rapport du SCRS qui fait partie du dossier soumis à la Cour dans Noori (IMM-1814-95), où il n'est pas cité en détail.

[29]       Dans Kashmiri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 116 F.T.R. 316, paragraphe 2, le juge Gibson a conclu que les activités d'une organisation de lutte pour l'indépendance du Cachemire, le Jammu Kashmir Liberation Front, avaient « un lien avec des actes de terrorisme contre des civils, tels que les rapportent les preuves documentaires en la matière » . La question de savoir si cette organisation se livrait à des actes de terrorisme ne se posait pas dans la cause Kashmiri.

[30]       Dans Suresh (Re) (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 247, le juge Teitelbaum a conclu que les activités des Tigres pour la Libération de l'Eelam étaient des « actes de terrorisme » quelle qu'en soit la définition (paragraphes 30 à 33 ) :


Je n'ai pas l'intention d'énumérer les incidents concernant des actes que les LTTE auraient commis. Il n'y a qu'à se reporter à l'annexe B où sont énumérés quelque cent quarante incidents, qu'il s'agisse de l'assassinat du maire progouvernement de Jaffna, Alfred Duraippah, survenu le 27 juillet 1975 et vraisemblablement perpétré par les LTTE, ou de l'incident survenu le 10 septembre 1995 et au cours duquel les LTTE auraient tué sept soldats qui, semble-t-il, faisaient partie d'une patrouille d'ouverture de route.

Des témoins cités par M. Suresh ont nié le caractère « terroriste » de la plupart de ces incidents étant donné que les LTTE peuvent, selon eux, être considérés comme des combattants de la liberté et, partant, ont le « droit » de tirer sur des soldats ou des personnes qui n'appuient pas cette organisation ou ses objectifs.

Il ne me paraît pas possible de partager cet avis. Même si c'était le cas, l'assassinat du maire de Jaffna par les LTTE le 27 juillet 1975 pour la seule raison qu'il avait des tendances progouvernementales me paraît être un acte qu'on peut considérer comme du « terrorisme » . L'exécution d'un agent de la paix le 14 février 1977 permet raisonnablement de conclure qu'un « acte de terrorisme » a été commis. Le meurtre d'un député est un « acte de terrorisme » . La destruction par explosion d'un avion civil est un « acte de terrorisme » . Des attentats commis contre des civils sont, comme je l'ai dit, des « actes de terrorisme » , peu importe que la cible soit un village de pêcheurs ou des fermes. L'attentat commis le 14 mai 1985 à Anuradhapura au Sri Lanka, au cours duquel entre cent trente-huit et cent quarante-six civils ont été massacrés et tués, peut être considéré comme un « acte de terrorisme » .

Je pourrais continuer longtemps. Je suis convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que les LTTE ont commis des « actes de terrorisme » , quelle que soit la façon dont on définirait le « terrorisme » ou un « acte de terrorisme » .

Dans Suresh, comme dans Noori et Kashmiri, l'autorité administrative avait à sa disposition des renseignements spécifiques sur les activités terroristes de chacune des organisations en question, ce que n'avait pas l'agent des visas en l'espèce au sujet de l'Anjoman Islamie.

CONCLUSION

[31]       Par ces motifs, je conclus qu'il faut annuler le rejet de la demande, faite par le demandeur, de résidence permanente pour cause d'appartenance à une organisation se livrant à des actes de terrorisme. Même au regard de la norme des « motifs raisonnables de croire » , l'agent des visas a rendu cette décision au mépris des éléments d'information à sa disposition.


[32]       Il y a lieu de relever un point de procédure à titre de post-scriptum. Le dossier du tribunal soumis à la Cour a été expurgé, visiblement parce que la pleine divulgation « porterait atteinte à l'intérêt national du Canada ou compromettrait les efforts d'enquête ou d'application de la loi dans le pays » . Ni l'une ni l'autre partie n'a soulevé ce point de procédure. En réponse à ma question à ce sujet, l'avocate du défendeur a reconnu qu'elle avait accès à l'original non expurgé des documents communiqués à l'agent des visas.

[33]       Selon le bordereau d'envoi du consulat, joint au dossier du tribunal, certaines parties de trois documents ont été occultées : a) à peu près un tiers du rapport ministériel sur M. Sabour, adressé au consulat par le directeur de l'Examen sécuritaire à l'administration centrale de Citoyenneté et Immigration (voir paragraphe 27 supra); b) tout le document de deux pages intitulé Justification de l'exemption ministérielle, préparé selon toute évidence au regard de l'exception prévue à l'alinéa 19(1)f) : « le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national » (paragraphe 9 supra); et c) plus d'un quart du rapport de 4 pages adressé par le SCRS au directeur de l'Examen sécuritaire de Citoyenneté et Immigration (paragraphes 5 et 6 supra).

[34]       Le dossier soumis à la Cour est incomplet. Il ne renferme pas tous les renseignements dont disposait l'agent des visas lorsqu'il conclut que l'Anjoman Islamie se livrait à des actes de terrorisme. Le défendeur aurait pu invoquer le paragraphe 82.1(10) de la Loi sur l'immigration pour produire ces renseignements à titre confidentiel dans le cadre du recours en contrôle judiciaire. Il ne l'a pas fait. La présente décision est fondée sur le dossier soumis à la Cour par les parties.


[35]       En conséquence, la Cour fera droit au recours au contrôle judiciaire et renverra l'affaire pour nouvelle instruction par un autre agent de visas. L'avocat de chaque partie pourra, dans les 14 jours de la date des présents motifs, soumettre ses conclusions quant à la certification d'une question grave, après avoir notifié à la partie adverse ses arguments à ce sujet.

                                                                                                                                      « Allan Lutfy »                     

                                                                                            ________________________________

                                                                                                                              Juge en chef adjoint                

Ottawa (Ontario),

le 4 octobre 2000

Traduction certifiée conforme,

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :                                    IMM-3268-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Mohammad Reza Sabour

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                19 juillet 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE EN CHEF ADJOINT LUTFY

LE :                                                      4 octobre 2000

ONT COMPARU:

Me Stewart Istvanffy                                                      POUR LE DEMANDEUR

Me Martine Valois                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Stewart Istvanffy                                                      POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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