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Date : 20040114

Dossier : IMM-6090-02

Référence : 2004 CF 55

Toronto (Ontario), le 14 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                                 JUNG HEE KIM

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration, David Rydygier (l'agent), datée du 15 octobre 2002. Par cette décision, l'agent avait refusé la demande présentée par M. Jung Hee Kim pour que soit prorogé son permis d'études au Canada. M. Kim voudrait une ordonnance annulant la décision de l'agent.


LES FAITS

[2]                M. Kim est un ressortissant sud-coréen. Il est arrivé au Canada en février 1997 à la faveur d'un permis d'études afin d'étudier l'anglais à titre de langue seconde au collège George Brown. Son épouse l'accompagnait au Canada. Il a commencé ses cours d'anglais au collège George Brown en janvier 1998. Il affirme que, depuis le jour où il est arrivé au Canada jusqu'à ce qu'il commence ses cours au collège George Brown, il a suivi des cours particuliers d'anglais. M. Kim a sans interruption fait renouveler son permis d'études jusqu'en septembre 2002.

[3]                Par lettre datée du 24 juillet 2002, le collège George Brown a confirmé que M. Kim était alors inscrit au programme des études en administration des affaires (B145). La lettre mentionne que M. Kim avait été admis au premier semestre de ce programme et que la date d'achèvement de ce programme était le 15 décembre 2004, les cérémonies de remise des diplômes devant avoir lieu à la fin de juin 2005.

[4]                Au moyen de formulaires de demande signés le 29 juillet 2002, le demandeur a sollicité la prorogation de son permis d'études au Canada. Il voulait que son permis d'études soit prorogé jusqu'au 31 août 2005.


[5]                M. Kim et son épouse se sont présentés à une entrevue avec l'agent le 15 octobre 2002. M. Kim affirme dans son affidavit que cette entrevue avait été fixée à la dernière minute et qu'on ne lui avait pas expliqué la nature de l'entrevue. Il affirme qu'il avait pensé qu'il se rendait dans les bureaux de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour recevoir la prorogation de son permis d'études.

[6]                L'agent affirme que, avant comme pendant l'entrevue, il avait conféré avec un représentant du collège George Brown et reçu des informations sur les études poursuivies par M. Kim dans cette institution.

La décision de l'agent

[7]                La décision de l'agent a été communiquée par lettre datée du 15 octobre 2002. L'agent affirme aussi avoir dit au demandeur à la fin de l'entrevue qu'il ne prorogerait pas son permis d'études. La lettre de refus indiquait que le permis était refusé pour la raison suivante :

Il semble que le motif ou l'objet initial de votre séjour au Canada est maintenant accompli. Votre demande est donc refusée.

[8]                La lettre de refus du 15 octobre 2002 mentionnait que le demandeur avait sollicité une « prorogation du statut de résident temporaire » et non un « permis d'études » . L'agent reconnaît que c'était là une erreur, causée par un problème de traitement informatique survenu dans les bureaux de CIC. Cette erreur fut rectifiée lorsque M. Kim avait reçu le 21 novembre 2002 un exemplaire télécopié des notes de l'agent préalables à sa décision. Ces notes constituent les motifs de la décision.


[9]                Il appert de ces notes que l'agent ne croyait pas que M. Kim fût véritablement un étudiant, vu la période de temps qu'il avait consacrée à la quête d'un diplôme au Canada, se contentant d'un minimum de cours et parfois même n'assistant à aucun cours.

CONCLUSIONS DU DEMANDEUR

[10]            Le demandeur affirme avoir subi un déni d'équité procédurale, parce que l'agent a obtenu des renseignements auprès du collège George Brown et s'est fondé sur ces renseignements sans les communiquer au demandeur et sans informer celui-ci des doutes que ces renseignements suscitaient dans son esprit. M. Kim affirme dans son affidavit produit dans la présente instance que l'agent ne lui a pas communiqué, avant et durant l'entrevue, les renseignements qu'il avait obtenus par téléphone du collège George Brown. M. Kim dit qu'il n'a pas eu l'occasion de réagir à cette preuve extrinsèque recueillie par l'agent.


[11]            Le demandeur affirme aussi que les déclarations de l'agent contenues dans son affidavit déposé dans la présente instance ne s'accordent pas avec les notes du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (le SSOBL) consignées durant son entrevue. Nulle part dans ces notes l'agent ne précise qu'il a communiqué à M. Kim les renseignements obtenus par téléphone du collège George Brown, et les notes ne font non plus état d'aucune réaction de M. Kim à tels renseignements, pas même d'une réaction non satisfaisante. Une telle réaction aurait tout probablement été consignée, d'affirmer le demandeur, si la preuve extrinsèque en question lui avait véritablement été communiquée durant l'entrevue. Le demandeur fait observer que, contrairement à ce qu'affirme l'agent dans son affidavit, les notes du SSOBL ne disent « absolument rien » du partage des renseignements importants que l'agent avait obtenus du collège George Brown.

[12]            Le demandeur invoque la section 5.14 des lignes directrices en matière d'immigration, OP 12 Étudiants, qui invite les agents à informer les requérants de tout renseignement externe recueilli par eux et à donner aux requérants l'occasion de dissiper les doutes suscités chez l'agent par tels renseignements.

[13]            Le demandeur dit aussi que l'agent a ignoré les faits lorsqu'il a rendu sa décision. Il se réfère à la preuve annexée à son affidavit. Lors de l'instruction de cette affaire, le demandeur a reconnu que certaines pièces annexées à son affidavit n'étaient pas en la possession de l'agent lorsque celui-ci avait rendu sa décision. Cependant, le demandeur dit que cet affidavit et les pièces y annexées devraient néanmoins être utilisés par la Cour pour l'évaluation de sa crédibilité. Le demandeur dit aussi que l'agent s'est fondé, pour refuser sa demande, sur des facteurs hors de propos, à savoir son bulletin scolaire et le pourcentage des cours achevés.


CONCLUSION DU DÉFENDEUR

[14]            Le défendeur a soutenu, dans ses pièces de procédure, que la Cour devrait radier certains paragraphes de l'affidavit du demandeur, ainsi que les pièces « I » , « K » et « L » y annexées, parce que l'agent ne disposait pas de ces éléments lorsqu'il a rendu sa décision. Les pièces en question sont postérieures à la décision et ne figurent pas dans le dossier du tribunal. Lors de l'instruction de cette affaire, le défendeur faisait valoir que ces renseignements ne devraient pas être radiés en bloc, mais servir uniquement à évaluer la crédibilité du demandeur. Le défendeur soutenait aussi que ces éléments de preuve, que n'avait pas l'agent, ne pouvaient servir à contester la décision de l'agent.

[15]            Selon le défendeur, la décision de l'agent était raisonnable et a été rendue en conformité avec les principes de justice naturelle. L'agent affirme dans son affidavit produit dans la présente instance qu'il a communiqué au demandeur tous les renseignements qu'il avait obtenus du collège George Brown. Le défendeur invoque les notes du SSOBL, consignées par l'agent lors de l'entrevue, notes qui constituent les motifs de la décision contestée, et il soutient que ces notes montrent que les doutes de l'agent à propos de la scolarité du demandeur avaient été communiqués au demandeur au cours de l'entrevue. L'agent affirme avoir donné à M. Kim l'occasion d'y réagir, mais que le demandeur n'avait pas été en mesure de les dissiper à la satisfaction de l'agent.

[16]            Le défendeur dit qu'il appartenait au demandeur de prouver qu'il avait véritablement l'intention de demeurer temporairement au Canada à titre d'étudiant. En l'espèce, le demandeur n'a pas apporté cette preuve.

[17]            Par ailleurs, le défendeur dit que le demandeur n'a pas prouvé que l'agent a ignoré des éléments de preuve. Il soutient que le demandeur n'a pas communiqué à l'agent les renseignements complémentaires se rapportant à ses études poursuivies dans d'autres établissements et aux difficultés qu'il traversait avec son enfant.

[18]            Finalement, le défendeur dit que l'agent n'a pas fondé sa décision sur des facteurs hors de propos. L'agent affirme qu'il a tenu compte des notes de M. Kim et du nombre de cours suivis par lui pour savoir s'il avait véritablement l'intention de quitter le Canada après la fin de ses études, selon ce que prévoit l'alinéa 216(1)b) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

POINTS LITIGIEUX

[19]            1. Quel poids convient-il d'accorder à l'affidavit du demandeur et de quels éléments de preuve disposait l'agent lorsqu'il a rendu sa décision?

2. L'agent a-t-il négligé d'observer les principes de l'équité procédurale lorsqu'il a décidé de ne pas proroger le permis d'études de M. Kim au Canada?


ANALYSE

[20]            Un point préliminaire à décider dans ce contrôle judiciaire est celui de savoir si certains éléments de preuve, annexés à l'affidavit de M. Kim dans la présente instance, étaient en la possession de l'agent lorsqu'il a rendu sa décision. Il est bien établi que les éléments dont ne disposait pas le décideur lorsqu'il a rendu sa décision ne peuvent, dans une demande de contrôle judiciaire, servir à contester la décision : Lemeicha c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 72 F.T.R. 49, et Asafov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 713 (1re inst.)(QL). Certains des éléments de preuve évoqués dans l'affidavit de M. Kim, et en particulier les pièces « I » , « K » et « L » , n'étaient pas en la possession de l'agent lorsqu'il a rendu sa décision. Par conséquent, je n'accorderai aucune valeur, en tant que telle, à ces parties de son affidavit et aux pièces qui sont postérieures à la décision. Ces éléments de preuve ne peuvent fonder un argument selon lequel l'agent aurait ignoré des faits dont il n'avait pas connaissance lorsqu'il a rendu sa décision le 15 octobre 2002.


[21]            Cependant, ces éléments peuvent servir à évaluer la crédibilité de l'affirmation du demandeur selon laquelle il n'a pas été informé, lors de l'entrevue, des doutes de l'agent. Selon le défendeur, les pièces annexées à l'affidavit de M. Kim révèlent que, au cours des jours qui ont suivi l'entrevue, il était allé se renseigner sur son programme d'études et sur les raisons pour lesquelles il devait suspendre ses études. À mon avis, les pièces produites par M. Kim jettent le doute sur l'affirmation contenue dans son affidavit, selon laquelle l'agent ne lui aurait pas fait part de ses inquiétudes au cours de l'entrevue. Les indications recueillies par M. Kim après la décision montrent qu'il a dû prendre acte des inquiétudes de l'agent. Les inquiétudes de l'agent résultaient des renseignements qu'il avait obtenus par téléphone du collège George Brown, et l'agent a donc dû communiquer les renseignements en question au demandeur.

[22]            La présente affaire fait apparaître un désaccord fondamental dans la preuve. Les deux affidavits produits dans la présente instance font état d'éléments contradictoires sur le point essentiel du présent contrôle judiciaire, celui de savoir si l'agent a communiqué à M. Kim les renseignements qu'il avait obtenus d'un représentant du collège George Brown et qui concernaient son assiduité au collège et les études qu'il y poursuivait. M. Kim affirme que les renseignements en question ne lui ont pas été communiqués ou qu'il n'a pas eu l'occasion d'y réagir. L'agent affirme qu'il a bel et bien communiqué ces renseignements au demandeur au cours de l'entrevue.


[23]            À mon avis, la version des événements donnée par l'agent doit être préférée, et cela parce que je ne puis ajouter foi à l'affirmation contenue dans l'affidavit de M. Kim, lorsqu'il dit que l'agent ne lui a pas communiqué les renseignements obtenus du collège George Brown ou ne lui a pas donné l'occasion d'y réagir. Les mesures prises par M. Kim après l'entrevue donnent à penser que l'agent lui avait fait part de ses doutes au cours de l'entrevue. Par ailleurs, la dernière page des notes du SSOBL permet de croire que M. Kim a été informé des inquiétudes de l'agent, car autrement l'agent n'aurait pas écrit que M. Kim avait déclaré qu'il ne pouvait étudier en raison de ses enfants. Je suis donc d'avis que l'équité procédurale a été observée ici.

[24]            Le défendeur dit que l'agent n'était pas tenu de consigner les réponses du demandeur dans ses notes du SSOBL et que, par conséquent, si ces notes ne font pas état des réponses détaillées du demandeur, cela ne veut pas dire que l'agent n'a pas respecté l'équité procédurale. Je n'accepte pas cet argument. Le silence des notes d'un agent concernant les réponses d'un demandeur aux inquiétudes de l'agent sera souvent un indice révélateur sur la question de savoir si l'équité procédurale a été observée. Il convient de remarquer que le système de tenue d'archives de CIC relève entièrement du pouvoir de l'agent d'immigration, et un requérant devrait être en mesure de compter que l'agent donnera une description juste, exacte et complète du déroulement de l'entrevue, sans oublier les réponses du requérant aux questions. Pour diverses raisons, les notes consignées par un agent au cours d'une entrevue d'immigration donnent souvent un résumé incomplet de l'entrevue. L'une de ces raisons pourra être que l'agent a omis d'informer le requérant de ses doutes concernant la demande.


[25]            Il est préférable pour l'agent de consigner les réponses du requérant aux renseignements, surtout lorsque tels renseignements ont été recueillis par l'agent auprès d'une source extérieure. L'agent n'est peut-être pas juridiquement tenu de consigner de tels renseignements, mais c'est un moyen plus pratique et plus systématique de rendre des décisions. Souvent, la décision n'est pas rendue sur-le-champ, et l'agent qui a consigné à la fois ses impressions et les connaissances qu'il a de la situation du requérant, sans compter les réponses du requérant, sera en mesure de rendre une décision éclairée, plus facilement et d'une manière plus équitable. Un compte rendu complet et concomitant de l'entrevue d'immigration aidera aussi la Cour si elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire.

[26]            S'agissant des autres arguments du demandeur, je ne crois pas que, pour arriver à sa décision, l'agent ait tenu compte de facteurs hors de propos ou ignoré des faits portés à sa connaissance. Le nombre de cours suivis par un requérant, les notes du requérant et la période de temps consacrée par lui à ses études, y compris les périodes où il n'a pas étudié, tous ces aspects sont des facteurs qui permettent de dire si un requérant continue d'être véritablement un étudiant.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que cette demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                          « Richard G. Mosley »                 

                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-6090-02

INTITULÉ :                                          JUNG HEE KIM

                                                                                           demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 13 JANVIER 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                    TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                          LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                         LE 14 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Harvey Savage

pour le demandeur

Pamela Larmondin

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harvey Savage

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                      pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                                                      pour le défendeur


             COUR FÉDÉRALE

                             

Date : 20040114

Dossier : IMM-6090-02

ENTRE :

JUNG HEE KIM

                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

             ET ORDONNANCE

                                                                                                                 


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