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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Cyber Sea Technologies, Inc. c. Underwater Harvester Remotely Operated Vehicle (1re inst.) [2003] 1 C.F. 569

Date : 20020716

Dossier : T-445-02

Référence neutre : 2002 CFPI 794

ENTRE :

                                           CYBER SEA TECHNOLOGIES, INC.

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                       UNDERWATER HARVESTER REMOTELY OPERATED

VEHICLE, SERIAL NO. UHROV-101

ET TRITON LOGGING COMPANY INC.,

également connue sous le nom de TRITON LOGGING COMPANY LTD.

                                                                                                                                 défenderesses

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE


             Dans cette action, la demanderesse, un constructeur, cherche à recouvrer le solde du prix d'un appareil submersible qui est conçu pour être manoeuvré dans un réservoir inondé mais inexploité en vue d'abattre le bois sur pied et de faire ensuite flotter chaque arbre à la surface à l'aide d'un des coussins d'air qui se trouvent à bord. Cet appareil sans équipage, que j'appellerai pour le moment d'une façon neutre le submersible, est propulsé par quatre hélices, mais il est attaché à un chaland ou à un poste de contrôle situé à terre et manoeuvré depuis ce chaland ou ce poste au moyen d'un câble ombilical d'une longueur de 400 pieds composé de câbles d'alimentation, de câbles de commande et d'une conduite d'air comprimé. L'opérateur qui dirige la marche du submersible à la surface se guide sur un vidéo en circuit fermé.

             Dans la présente action, le submersible a été saisi. La défenderesse, qui est apparemment une entité ayant une part, cherche à mettre fin à la saisie en alléguant que la Cour n'a pas compétence sur le submersible, ou à faire suspendre l'instance, de façon que l'on procède à l'arbitrage. Toutefois, dans le cas où la Cour aurait compétence, la société défenderesse demande qu'il soit mis fin à la saisie ou que le submersible fasse l'objet d'une mainlevée sans garantie d'exécution, ou qu'un montant soit fixé à l'égard de la garantie d'exécution.


             En statuant sur cette requête, j'ai tenu compte du fait que je n'ai pas à déterminer d'une façon absolue si le submersible est un navire. À coup sûr, si j'étais en mesure de rendre une décision absolue à ce sujet, de sorte que cela indiquerait clairement si la Cour a compétence, cette décision pourrait bien être déterminante. Toutefois, puisque la question se pose dans le contexte d'une radiation fondée sur le défaut de compétence en vertu de l'article 221 des Règles, je n'ai qu'à déterminer si, d'une part, l'action est clairement et hors de tout doute vouée à l'échec puisqu'il n'y a aucun navire à l'égard duquel il est possible d'exercer une compétence ou, d'autre part, s'il existe une possibilité, même légère, que le submersible soit un navire, auquel cas le résultat ne serait pas hors de tout doute. Cette idée, à savoir qu'il doit être clair et hors de tout doute que l'objet n'est pas un navire, aux fins de la radiation de la déclaration, a été utilisée par Monsieur le juge Dubé dans la décision Imperial Oil c. Expo Spirit (L') (1987), 6 F.T.R. 156, page 158. En l'espèce, j'hésite à dire d'une façon absolue que le submersible est un navire. Toutefois, il existe de fortes indications montrant qu'il s'agit bien d'un navire. L'action doit donc se poursuivre, mais il faut faire une mise en garde : le juge qui présidera l'instruction, qui pourra bien avoir à sa disposition des éléments de preuve plus amples et plus précis ainsi qu'une argumentation plus complète, pourra sans aucun doute conclure à l'absence de compétence.

ANALYSE

La question de la compétence


             La question de la compétence peut être abordée de diverses façons. En se fondant sur le chef général de réparation fondé sur le droit maritime canadien et sur la catégorie des affaires concernant la navigation et la marine marchande dont il est fait mention au paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale, la demanderesse soutient que la Cour a compétence. Elle soutient en outre que la Cour a compétence sous plusieurs des chefs précis prévus au paragraphe 22(2), notamment à l'alinéa 22(2)a), demandes portant sur les titres de propriété ou la possession d'un navire; ou l'alinéa m), demandes relatives à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien et à l'alinéa n), demandes fondées sur un contrat de construction d'un navire. Pour que la Cour fédérale puisse exercer sa compétence, il faut que le submersible soit visé par la définition du mot « navire » , qui est ainsi libellée :

« navire » Bâtiment ou embarcation conçus, utilisés ou utilisables, exclusivement ou non, pour la navigation, indépendamment de leur mode de propulsion ou de l'absence de propulsion. Y sont assimilés les navires en construction à partir du moment où ils peuvent flotter, [...]

"ship" means any vessel or craft designed, used or capable of being used solely or partly for navigation, without regard to method or lack of propulsion, and includes

(a) a ship in the process of construction from the time that it is capable of floating, ...

             Je donnerai d'abord des précisions au sujet du fait qu'à l'exception des alinéas 22(2)j) et k), se rapportant à la compétence sur les aéronefs, et peut-être de l'alinéa 22(2)s), se rapportant aux droits de bassin, un navire, tel que ce mot est défini dans la Loi sur la Cour fédérale, doit être en cause pour que l'article 22 de la Loi s'applique. La compétence générale prévue au paragraphe 22(1) exige que l'affaire concerne « la navigation ou la marine marchande » . L'expression « marine marchande » se passe d'explications : il faut qu'un navire soit en cause. Toutefois, pour ce qui est de la navigation, je ne connais aucune définition exhaustive qui soit donnée dans la jurisprudence; je reviendrai bientôt sur ce point. Les chefs précis de compétence mentionnés au paragraphe 22(2), sur lesquels la demanderesse se fonde également, exigent tous clairement qu'un navire soit en cause.


             Deux définitions du mot « navigation » qui sont de temps en temps citées sont données dans les décisions The « Warkworth » (1884) 9 P.D. 145 (C.A.) et SS Lord c. Newsum, Sons & Company Ltd. [1920] 1 K.B. 846 (K.B.). Dans l'arrêt The « Warkworth » , lord Fry a retenu une définition lexicographique de la navigation, énoncée par M. Phillimore, à savoir que [TRADUCTION] « [...] la navigation est la science ou l'art de conduire un navire sur l'eau d'un endroit à un autre; [...] » (page 148).

             Dans la décision Lord, page 849, Monsieur le juge Bailhache, dans le contexte d'une charte-partie, a défini la navigation comme se rapportant [TRADUCTION] « [...] à un navire qui est en mouvement, un navire qui est navigué » . Toutefois, dans la décision Hayn c. Culliford (1878) 3 C.P.D. 410, confirmé (1879) 4 C.P.D. 182, Monsieur le juge Denman a signalé qu'un navire n'a pas à être en mouvement pour être en état de naviguer, en mentionnant à cet égard l'arrêt Good c. London Steam Ship-Owners Association (1871) 6 C.P. 563 (C.A.) :

[TRADUCTION] Je ne crois pas que cette décision soit utile aux fins qui nous occupent, si ce n'est qu'elle fait autorité à l'appui de la thèse selon laquelle le navire n'a pas à être en mouvement pour être en état de naviguer, au sens où cette expression est employée dans l'acte en question. Selon d'autres décisions, le mot « navigation » comprend à certaines fins une période pendant laquelle le navire n'est pas en mouvement, par exemple lorsqu'il est à l'ancre.


             Ces décisions, qui portent sur le sens du mot « navigation » dans divers contextes, ont en commun la présence d'un navire. Par conséquent, en l'espèce, indépendamment de la disposition de l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale qui s'appliquerait à la réclamation, la compétence dépend de la question de savoir si le submersible est visé par la définition du mot « navire » figurant dans la Loi sur la Cour fédérale.

             Comme point de départ, j'examinerai la portée de la définition du mot « navire » figurant à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, que je cite de nouveau en partie pour plus de commodité :

« navire » Bâtiment ou embarcation conçus, utilisés ou utilisables, exclusivement ou non, pour la navigation, indépendamment de leur mode de propulsion ou de l'absence de propulsion. [...]

            L'avocat de la défenderesse affirme qu'il s'agit d'une définition exhaustive stricte parce que le libellé actuel de la définition ne renferme pas l'expression « comprend toute espèce de » qui modifie ce qui, selon la législation antérieure, pouvait être désigné comme un navire, à savoir un « bâtiment, bateau ou embarcation » . Il est soutenu que la définition est maintenant plus stricte car le mot « navire » s'entend uniquement d'un « bâtiment ou [d'une] embarcation » . Il est malheureux que les personnes qui sont chargées de rédiger la législation canadienne n'aient pas pu, au fil des ans, s'entendre sur une définition type du mot « navire » . Même dans le contexte de la Loi sur la Cour fédérale, les rédacteurs ont de temps en temps hésité entre diverses définitions internes et des définitions incorporées par renvoi.


            En définissant un navire comme étant un bâtiment ou une embarcation, soit des mots fort généraux et de portée fort étendue, la définition semblerait englober tout ce qui est utilisé sur ou dans l'eau. De fait, selon ce qui est raisonnable dans un contexte donné, [TRADUCTION] « tout ce qui flotte peut être appelé une embarcation [...] » : United States Shipping Board c. Vigers Brothers [1924] 20 Lloyd's Rep. 62, page 63 (K.B.). La portée de ce mot est donc fort étendue, la seule restriction étant que le bâtiment ou l'embarcation doit servir au moins en partie pour la navigation. Je ne vois pas comment, s'il fallait donner une définition inclusive en ajoutant l'expression « y compris » , la portée des mots « bâtiment » et « embarcation » , qui sont compris dans la définition du mot « navire » , pourrait être sensiblement plus large.


            En concluant que l'omission de l'expression « y compris » n'a pas pour effet de modifier vraiment la portée des définitions, je tiens bien compte de la décision Conseil des ports nationaux c. St. John Ship Building & Dry Dock Co. Ltd. (1982), 43 N.R. 15. Dans cet arrêt-là, page 26, la Cour d'appel a signalé que la définition du mot « navire » , telle qu'elle était alors libellée dans la Loi sur la Cour fédérale, était une définition inclusive ayant pour effet d'élargir la portée de ce mot. Il convient toutefois de faire certaines observations. Premièrement, comme Monsieur le juge Urie l'a fait remarquer dans l'arrêt St. John Ship Building, page 24, la jurisprudence n'établit pas un principe particulier à appliquer lorsqu'il s'agit de déterminer si un objet donné est un navire. Deuxièmement, la définition du mot « navire » sur laquelle se penchait la Cour d'appel dans l'arrêt St. John Building comprenait « toute espèce de bâtiment ou bateau [...] » , ce qui limitait de beaucoup le choix des objets susceptibles d'être désignés comme étant des navires, par opposition au mot général et de portée étendue « embarcation » figurant dans la définition actuelle. Troisièmement, selon l'ancienne définition, le navire devait servir pour la navigation, plutôt qu' « exclusivement, ou non, pour la navigation » comme l'exige la définition actuelle. La définition inclusive englobait peut-être bien sous une forme ou une autre une gamme plus étendue d'objets en tant que navires, mais je ne crois pas qu'en droit, la définition actuelle ait pour effet de restreindre sensiblement ce qui peut être désigné comme un navire; cette définition a peut-être même eu l'effet contraire.

            En concluant que le submersible est probablement un navire, j'ai rejeté l'idée selon laquelle il existe un principe général que je pourrais appliquer afin de trancher la question; je me suis plutôt guidé sur divers éléments qui font partie de la définition du mot « navire » , y compris ceux qui sont énoncés à la page 26 de l'arrêt St. John Ship Building. En effet, je ne crois pas que la liste qui est établie dans cet arrêt-là soit exhaustive, et ce, indépendamment de la question de savoir si le submersible doit être considéré comme un navire. Dans l'arrêt St. John Ship Building, la Cour d'appel a tenu compte de divers faits pertinents afin de conclure qu'une grue flottante était un navire :

a)    le chaland était construit pour être utilisé sur l'eau;

b)    le chaland pouvait être déplacé d'un endroit à un autre et on le déplaçait de fait de temps en temps;

c)    le chaland pouvait transporter des marchandises et il en avait transporté;


d)    le chaland pouvait transporter des gens et il devait clairement en transporter afin de fournir un équipage pour assurer le fonctionnement de la grue;

e)    le fait que le chaland n'avait pas son propre moyen de propulsion et ne pouvait pas naviguer de lui-même ne l'empêchait pas d'être peut-être un navire.

En l'espèce, j'ajouterais les facteurs additionnels ci-après énoncés :

(i)       le submersible est conçu et construit pour être utilisé dans l'eau;

(ii)      le submersible est équipé de son propre moyen de propulsion et peut naviguer d'un endroit à l'autre;

(iii)     le submersible doit avoir certains équipements afin de pouvoir naviguer, notamment un sonar, des caméras ainsi que des systèmes d'éclairage, de ballasts et de flottaison;

(iv)     le submersible a à son bord un certain nombre de ballons gonflables et d'autres équipements, analogues à de la cargaison, lui permettant de faire flotter les arbres abattus à la surface;


(v)      le fait que le submersible n'a pas d'équipage n'entre pas réellement en ligne de compte; en effet, les chalands de charge qui sont toués ne sont qu'un exemple d'objets sans équipage qui peuvent être des navires;

(vi)     le fait que le submersible est dirigé et navigué depuis la surface, de sorte que son déplacement dans l'eau ne dépend pas de quelqu'un qui est à son bord est un facteur neutre, comme c'est le cas pour un chaland non propulsé toué qui est de fait navigué par le remorqueur;

(vii)    le fait que le submersible, qui est conçu pour fonctionner surtout dans l'eau sauf lorsqu'il est ramené à la surface pour que d'autres ballons gonflables, des câbles de retenue pour les ballons et les boulons que l'on enfonce dans les arbres soient mis à son bord, navigue dans l'eau n'entre pas en ligne de compte lorsqu'on détermine s'il s'agit d'un navire, et je songe ici aux sous-marins normaux, qui sont des navires.


            Comme je l'ai dit, la liste des caractéristiques d'un navire qui est établie dans l'arrêt St. John Ship Building n'est pas exhaustive. En outre, les décisions mentionnées dans l'arrêt St. John Ship Building indiquent que les éléments ne sont pas tous nécessairement essentiels lorsqu'il s'agit de déterminer si un objet est un navire. Toutefois, pour être visé par la définition du mot « navire » , l'objet doit certes être utilisé exclusivement ou non pour la navigation. J'ai déjà parlé de la notion de navigation, qui comprend le déplacement d'un bâtiment d'un endroit à l'autre. J'ajouterai que ce déplacement doit être effectué à certaines fins et qu'il ne doit pas s'agir simplement d'un déplacement au hasard, et je mentionnerai ici la décision Steedman c. Scofield and another [1992] 2 Lloyd's Rep. 163, page 166, dans laquelle Monsieur le juge Sheen a signalé que [TRADUCTION] « naviguer ne veut pas nécessairement dire se déplacer sur l'eau » , mais [qu']il s'agit plutôt d'un déplacement planifié et ordonné, d'un déplacement effectué dans un but déterminé, d'un endroit à un autre, plutôt qu'un déplacement à grande vitesse aux seules fins d'accélérer, comme c'est le cas pour une moto marine.

            En l'espèce, si l'on se guide sur tous les éléments susmentionnés, un submersible est utilisé, du moins en partie, pour la navigation, ou doit être navigué et navigue de fait dans l'eau à l'aide de son propre moyen de propulsion, en vue de trouver un arbre sur pied et, après l'avoir abattu et l'avoir envoyé à la surface à l'aide d'une partie du matériel non réutilisable qui est à son bord, navigue jusqu'à l'arbre suivant. Comme j'en ai fait mention, le submersible transporte une cargaison composée de matériel non réutilisable, à savoir des ballons, des câbles de retenue et des boulons ou des tire-fond permettant d'attacher les ballons aux arbres. Le submersible est pourvu de matériel et d'accessoires comme l'est un navire, et notamment de caméras et de feux et, à l'heure actuelle, il peut avoir à son bord un sonar, ce matériel et ces accessoires étant tous nécessaires pour la navigation.


            En concluant qu'un submersible est selon toute probabilité un navire, je n'ai pas omis de tenir compte de la décision Dome Petroleum Ltd. c. Hunt International Petroleum Company, [1978] 1 C.F. 11 (1re inst.). L'affaire Dome Petroleum se rapportait à ce que les parties avaient appelé un navire de forage, c'est-à-dire une plate-forme de forage installée sur un navire, dans le contexte de la définition du mot « navire » qui figurait alors dans la Loi sur la marine marchande du Canada, selon laquelle, pour qu'un objet soit un navire, il fallait qu'il soit « employé à la navigation » . La Cour a conclu que toute navigation requise pour touer la plate-forme de forage en position était purement accessoire. Bien sûr, comme l'a signalé Monsieur Wylie Spicer dans son ouvrage intitulé Canadian Admiralty Law, 1990, université Dalhousie, ces remarques sont simplement des obiter, car il a été statué sur l'affaire compte tenu du fait que l'entente en cause n'était pas une entente relative à l'utilisation ou à la location d'un navire, mais qu'il s'agissait fondamentalement d'une entente concernant le forage d'un puits dans le sol, ce qui n'avait rien à voir avec le droit maritime. De fait, on a par la suite passé outre aux remarques incidentes qui avaient été faites dans la décision Dome : je citerai ici à titre d'exemple l'ouvrage de M. Spicer et l'arrêt Re Seafarers's Union and Crosbie Services Ltd. (1982), 135 D.L.R. (3d) 485, de la Cour d'appel. Dans cet arrêt, page 495, Monsieur le juge en chef Thurlow a fait les remarques suivantes au sujet de la nature des plates-formes de forage :

Les plates-formes sont aussi des navires. Elles sont autopropulsées, mais pour une raison ou une autre, peuvent être remorquées jusqu'à un lieu de forage. Une fois mise en place, la plate-forme peut être en partie submergée et fonctionne tout en reposant sur le fond lorsque l'eau n'a pas plus de 120 pieds de profondeur. En eau plus profonde et en particulier dans les eaux dont il s'agit, la plate-forme est partiellement submergée mais flotte. Elle est maintenue en position par des ancres qui, comme il a été indiqué, sont mises en place par les navires de servitude.


Le juge en chef n'a pas mentionné la décision Dome. L'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Crosbie Services, a été refusée.

            Je suis certes au courant de la décision Perks c. Clark [2001] 2 Lloyd's Rep. 431 (C.A.). Dans l'arrêt Perks, la Cour d'appel a appliqué le critère relatif à l'utilisation effective ou au travail réel, l'objet en cause étant une plate-forme autoélévatrice qui n'était touée qu'accessoirement d'un endroit à un autre. En outre, il s'agissait de savoir si une plate-forme était visée par la définition du mot « navire » aux fins de l'impôt. Dans l'arrêt Perks, la cour a statué qu'une plate-forme de forage autoélévatrice n'était pas un navire, mais elle a limité ses conclusions aux faits, en faisant remarquer que les navires de forage et les chalands de forage étaient des navires, et elle a fait remarquer qu'il y avait d'autres genres de plates-formes de forage, notamment les plates-formes autoélévatrices, qui ne pouvaient pas servir aux fins visées à moins de reposer sur le fond et que, cela étant, même s'il semble que les plates-formes de forage soient divisées d'une façon non satisfaisante entre les navires et les non-navires, les plates-formes autoélévatrices n'étaient pas des navires parce que leur travail réel consistait à forer des puits.


            Les décisions Dome et Perks n'aident pas particulièrement la défenderesse lorsqu'elle soutient que le submersible n'est pas un navire. La décision Dome Petroleum se rapportait en fait à une autre question et, dans les décisions subséquentes, on y a passé outre. De plus, pareille approche semble être fondée sur l'idée selon laquelle, lorsqu'une plate-forme de forage est utilisée pour des travaux de forage, elle n'est pas un navire, point que M. Spicer a considéré passablement avec raison comme étant un argument dangereux et illogique. De fait, cet argument est incompatible avec la notion de navire en tant qu'objet qui n'a pas à être utilisé exclusivement pour la navigation. L'affaire Perks a non seulement été réglée dans un contexte fiscal, mais il y était aussi reconnu que certaines plates-formes de forage étaient des navires.

            Eu égard à toutes ces circonstances, il est fort probable qu'un submersible soit un navire. Par conséquent, le premier volet de la requête de la défenderesse doit être rejeté.

La suspension de l'instance

            Au cas où il serait conclu que la Cour a compétence, la défenderesse sollicite la suspension, en se fondant sur une clause d'arbitrage figurant dans le contrat de construction. La demanderesse, comme il convient de le faire, ne s'oppose pas à la suspension.

Mainlevée sans qu'une garantie d'exécution soit fournie


            Au cas où l'action n'est pas radiée pour défaut de compétence, la défenderesse demande la mainlevée de la saisie du submersible, et ce, sans qu'une garantie d'exécution soit fournie. Elle allègue à cet égard que la demande n'est pas fondée. La défenderesse mentionne de nombreux documents et une preuve par affidavit qui, dit-elle, démontrent que la demande est peu fondée ou même dénuée de fondement. Comme je l'ai signalé à l'avocat de la défenderesse, il ne s'agit pas ici d'une audience ou d'une demande visant l'obtention d'un jugement sommaire. Je donnerai toutefois des précisions sur ce point.


            Dans la décision Argosy Seafoods Ltd. c. The Atlantic Bounty (1991), 45 F.T.R. 114, page 119, Monsieur le juge MacKay a fait remarquer que « [...] la Cour a le pouvoir discrétionnaire de lever la saisie de biens effectuée par mandat et ce, aux conditions qu'elle estime appropriées » . Dans la décision Pictou Industries Ltd. c. Secunda Marine Services Ltd. (1994), 78 F.T.R. 78, page 80, Monsieur le juge en chef adjoint Jerome a dit que ce n'est que dans les cas exceptionnels que la Cour ordonne, en l'absence de tout consentement, la mainlevée sans cautionnement de la saisie d'un navire, même quand l'arbitrage est en cours entre les parties. Dans Meeson on Admiralty Jurisdiction and Practice, Lloyd Shipping Law Library, 2000, on fait remarquer que la mainlevée est discrétionnaire et que, même si un tribunal peut accorder une mainlevée sans qu'une garantie d'exécution soit fournie, [TRADUCTION] « [...] cela n'arrive qu'exceptionnellement et uniquement lorsqu'une autre solution de rechange satisfaisante est adoptée à la place de la fourniture de la garantie ordinaire » ; l'auteur mentionne à ce sujet les décisions The Vanessa Ann [1985] 1 Lloyd's Rep. 549, page 551 (Q.B.) et North Saskatchewan Riverboat Co. c. 573475 Alberta Ltd. (1995), 96 F.T.R. 166. Dans cette dernière affaire, j'ai refusé d'accorder la mainlevée de la saisie de l' « Edmonton Queen » , en l'absence d'un cautionnement ou d'une garantie d'exécution parce que, entre autres choses, « [l]a mainlevée de la saisie d'un navire sans cautionnement ou garantie signifie, implicitement, que la saisie était illégale et la garantie superflue : [...] » (page 170), en me fondant à cet égard sur l'arrêt Armada Lines Ltd. c. Chaleur Fertilizers Ltd., [1995] 1 C.F. 3, page 18 (C.A.F.), infirmé pour d'autres motifs [1997] 2 R.C.S. 617. De fait, la pratique habituelle est d'accorder la mainlevée uniquement sur fourniture d'une garantie suffisante pour couvrir le montant de la demande, des intérêts et des dépens, compte tenu de la meilleure cause raisonnablement défendable que peut faire valoir la demanderesse : The Bazias 3 [1993] 1 Lloyd's Rep. 101, page 105 (C.A.).

            Si je reviens au concept antérieur, une mainlevée ne sera pas accordée simplement parce que le litige sous-jacent est soumis à l'arbitrage. En outre, la compétence de la Cour peut être invoquée principalement aux fins de l'obtention d'une garantie pour l'arbitrage. Cette idée est examinée à fond dans la décision Atlantic Lines & Navigation Co. c. Didymi, [1985] 1 C.F. 240 (C.F. 1re inst.), rendue par Madame le juge Reid. Dans cette décision, le juge fait une distinction entre les diverses décisions qui peuvent sembler contraires et applique la décision The Rena K [1979] QB 377, dans laquelle le maintien de la garantie a été ordonné même si l'arbitrage était en cours au moment de la saisie. En l'espèce, le submersible sert également de garantie à l'heure actuelle à l'égard de tout montant accordé par arbitrage. Cela nous amène à la question du montant de la garantie.


Le montant de la garantie

            Selon un principe bien établi, « [...] à la suite de la saisie, le demandeur a droit à un cautionnement suffisant pour couvrir la meilleure indemnisation raisonnablement possible y compris les intérêts et dépens, jusqu'à concurrence de la valeur du navire concerné [...] » : voir Atlantic Shipping (London) Ltd. c. Captain Forever (Le) et al. (1995) 97 F.T.R. 32, page 34. Il ne faut pas porter un jugement prématuré sur la meilleure cause défendable au stade interlocutoire car la cour ne statue pas alors sur l'affaire. Je mentionnerai ici la décision Captain Forever et la décision faisant autorité qui la sous-tend, The Moschanthy [1971] 1 Lloyd's Rep. 37, rendue par Monsieur le juge Brandon, qui a conclu que la demanderesse avait [TRADUCTION] « [...] une cause défendable en fait et en droit dont on ne peut pas, et dont on ne devrait pas, préjuger à ce stade » , le stade en question étant celui de la requête interlocutoire qui avait été présentée afin de faire réduire le montant du cautionnement. Le juge Brandon a ajouté qu'il existait toujours un recours en dommages-intérêts pour une saisie injustifiée ou pour une demande injustifiée de cautionnement excédentaire (page 46).


            En l'espèce, le montant demandé pour la garantie représente la pleine valeur de la demande, soit un montant de 206 535 $US, plus 50 p. 100 pour les intérêts et les dépens. Le montant principal est justifié, car il correspond à la meilleure cause raisonnablement défendable. Toutefois, le montant proposé à l'égard des intérêts et des dépens est élevé, étant donné en particulier que les parties doivent soumettre l'affaire à l'arbitrage, auquel cas chaque partie doit payer ses propres frais. Par conséquent, si un montant correspondant à deux ans d'intérêt et si un montant modéré est accordé pour les dépens et les débours dans la présente instance, un montant de 235 000 $US est approprié au titre de la garantie.

            Je remercie les avocats, qui ont fait de leur mieux pour présenter leurs documents et leur argumentation.

« John A. Hargrave »

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 16 juillet 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      T-445-02

INTITULÉ :                                                                     Cyber Sea Technologies, Inc.

c.

Underwater Harvester Remotely Operated Vehicule et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 8 juillet 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           Monsieur le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                                                  le 16 juillet 2002

COMPARUTIONS:

M. Peter G. Bernard, c.r.                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

M. John S. Waldie                                                             POUR LES DÉFENDERESSES

Avocat

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernard et associés                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Jones Emery Hargreaves Swan                                        POUR LES DÉFENDERESSES

Avocats

Victoria (Colombie-Britannique)

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