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Date: 20010515

Dossier : IMM-2229-00

Référence neutre: 2001 CFPI 485

Ottawa (Ontario), le mardi 15 mai 2001

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                ZHI JI DU

                                                                                                  demandeur

                                                    - et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]    Zhi Ji Du est un citoyen de 52 ans de la République populaire de Chine qui a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des parents aidés. La profession qu'il envisageait d'exercer était celle de mécanicien d'équipement lourd, CNP 8584-112. Monsieur Du a introduit la présente demande en vue d'obtenir le contrôle judiciaire de la décision en date du 27 mars 2000 par laquelle un agent des visas du consulat canadien à Hong Kong a refusé sa demande de résidence permanente.


LES FAITS

[2]    L'agent des visas a évalué M. Du en tant que mécanicien d'équipement lourd et lui a attribué 61 points d'appréciation. Monsieur Du a donc reçu quatre points de moins que le nombre minimal requis pour avoir droit à première vue à un visa dans la catégorie des parents aidés. L'agent des visas a attribué à M. Du le nombre maximal de points pour le facteur professionnel et pour celui de l'expérience, dix points pour les études, aucun point pour la langue et trois points pour la personnalité. L'agent n'a pas motivé sa décision dans sa lettre de refus.

[3]    Monsieur Du a déposé un affidavit à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, mais l'agent des visas n'en a pas déposé. Les notes STIDI ont été versées au dossier du tribunal administratif. Il y a cependant lieu de signaler qu'elles n'ont été enregistrées que le 22 mars 2000, quelque trois mois et demi après que M. Du et sa femme eurent été reçus en entrevue par l'agent des visas le 7 décembre 1999. Aucune explication n'a été fournie pour justifier ce retard. Le dossier du tribunal administratif ne renferme aucune note ou autre document rédigé par l'agent des visas au cours de cette entrevue.

LES QUESTIONS EN LITIGE


[4]                 Monsieur Du affirme que l'agent des visas a commis dans son appréciation deux erreurs qui justifient la révision de sa décision. En premier lieu, l'agent des visas aurait commis une erreur en lui attribuant dix points au lieu de treize pour ses études. En second lieu, l'agent des visas lui aurait refusé l'équité procédurale et aurait agi de façon manifestement déraisonnable en ne lui accordant que trois points d'appréciation pour sa personnalité.

ANALYSE

(i) L'agent des visas a-t-il commis une erreur en attribuant dix points à M. Du pour ses études?

[5]                 L'annexe I du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement) prévoit que 13 points doivent être attribués pour les études aux requérants qui sont titulaires d'un diplôme ou d'un certificat d'apprentissage d'un collège, d'une école de métiers ou de tout autre établissement postsecondaire, qui comporte au moins un an d'études à temps plein en salle de cours, si le programme d'études menant à un tel diplôme ou certificat exige un diplôme d'études secondaires qui rend son titulaire admissible à des études universitaires. Si le programme d'études menant à un tel diplôme ou certificat exige un diplôme d'études secondaires qui ne rend pas son titulaire admissible à des études universitaires, ou s'il confère une qualification de membre d'un corps de métier ou d'un groupe professionnel, dix points doivent être accordés pour les études.


[6]                 Monsieur Du affirme que le fait qu'il a terminé l'école intermédiaire le rendait admissible à des études universitaires. Il a déclaré sous serment que l'agent des visas ne lui a posé qu'une seule question au sujet de ses études, en l'occurrence celle de son niveau de scolarité. Il souligne le fait qu'on l'a convoqué à une entrevue pour obtenir de plus amples renseignements au sujet de ses études. Comme l'agent des visas ne lui a pas posé de questions pour lever toute ambiguïté que pouvait comporter sa demande écrite, l'agent des visas a commis selon lui une erreur justifiant la révision de sa décision.

[7]                 Dans sa demande de résidence permanente, M. Du signale qu'alors qu'il fréquentait l'école intermédiaire no 10 de Guangzhou, le diplôme qu'il a reçu concernait des études secondaires de premier cycle. Il a fréquenté une école secondaire de premier cycle de 1962 à 1965. Dans son formulaire de demande, M. Du poursuit en précisant qu'il a étudié ensuite à l'école de formation professionnelle en industrie légère no 2 de Guangzhou, qui lui a délivré en 1968 un diplôme spécialisé en équipements de matières plastiques. Monsieur Du a consacré trois de ses douze années d'études à l'étude spécialisée des équipements de matières plastiques.


[8]                 Le dossier du tribunal administratif ne contient aucune preuve permettant de penser que le diplôme d'études secondaires de premier cycle que M. Du a obtenu le rendait admissible à des études universitaires en Chine. Le diplôme décerné par l'école de formation professionnelle en industrie légère no 2 de Guangzhou précise que M. Du possédait des qualifications équivalentes à celles d'un diplômé ayant étudié à plein temps dans une école technique secondaire, ce qui permet de conclure qu'après avoir achevé ses études secondaires de premier cycle, M. Du a poursuivi ses études dans une école secondaire professionnelle.

[9]                 Vu ces éléments de preuve contenus dans le dossier du tribunal administratif, je ne suis pas disposée à conclure que l'agent des visas a commis une erreur en décidant que M. Du avait droit à dix points d'appréciation pour ses études.

(ii) L'agent des visas a-t-il commis une erreur dans son appréciation de la personnalité ou a-t-il autrement manqué à son obligation d'agir avec équité?

[10]            Pour répondre à cette question, il est nécessaire de s'interroger sur l'usage que l'on peut faire des notes STIDI de l'agent des visas dans les cas où elles ne sont pas appuyées par un affidavit souscrit par leur auteur.


[11]            Dans l'arrêt Wang c.Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 C.F 165 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a statué que les notes prises par un agent des visas au cours d'une entrevue ne sont pas admissibles comme preuve de leur contenu lorsqu'aucun affidavit en attestant la véracité n'a été déposé. Appliquant l'arrêt Wang dans l'affaire Qiu c.Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2000), 4 Imm. L.R. (3d) 247 (C.F. 1re inst.), Mme le juge Reed a déclaré qu' « en l'absence d'un affidavit de l'agent des visas qui a une connaissance personnelle des événements en cause, la valeur des notes [STIDI] à titre d'élément de preuve des faits qui y sont évoqués est douteuse » et « le défendeur n'est pas tenu de présenter un affidavit à l'appui de ses prétentions, mais le défaut de le faire fera en sorte que les seuls éléments déposés en preuve sous serment devant la Cour sur ce qui s'est passé lors de l'entrevue seront ceux produits par la demanderesse » . Le juge Reed a également cité le jugement que notre Cour avait auparavant rendu dans l'affaire Yan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1999), 169 F.T.R. 139 (C.F. 1re inst.), dans lequel M. le juge Cullen avait conclu, dans des circonstances analogues, que la version des faits présentée par le demandeur devait être présumée véridique lorsqu'elle n'est pas contredite par un affidavit souscrit par l'agent des visas.

[12]            Je trouve convaincants les principes énoncés dans ces décisions et je les fais miens. Il s'ensuit que, bien qu'elles soient admissibles et qu'elles puissent être versées au dossier comme preuve des motifs de la décision à l'examen, les notes STIDI n'établissent pas les faits sous-jacents qu'elles constatent et sur lesquels elles reposent.

[13]            Qui plus est, en l'espèce, les notes STIDI n'ont certainement pas été prises en même temps que l'entrevue qu'elles sont censées constater. Toute inférence de fiabilité est fonction de la rapidité avec laquelle les notes sont enregistrées dans le système STIDI. Le retard inexpliqué qu'a accusé l'enregistrement des notes et l'absence de tout élément de preuve au sujet de la provenance du contenu exact des notes m'amènent à conclure que les notes ne peuvent dans le cas qui nous occupe être considérées comme fiables.


[14]            Il s'ensuit que je ne suis pas persuadée que les notes satisfont aux critères de nécessité et de fiabilité de la méthode d'analyse de l'admissibilité de la preuve par ouï-dire fondée sur des principes. Je ne suis pas non plus convaincue que les notes en question peuvent être considérées comme une déclaration faite dans l'exercice d'une fonction ou qu'on a soumis des éléments de preuve tendant à établir qu'elles remplissent les conditions d'admissibilité applicables aux dossiers d'entreprise.

[15]            Je passe à l'appréciation que l'agent a faite de la personnalité de M. Du telle qu'il l'a consignée dans ses notes STIDI :

[TRADUCTION]

PERSONNALITÉ : INFÉRIEUR À LA MOYENNE EN CE QUI CONCERNE LES CARACTÉRISTIQUES PERSONNELLES AYANT TRAIT À LA PERSONNALITÉ ; AUCUNE MANIFESTATION DIGNE DE MENTION EN CE QUI CONCERNE SON ESPRIT D'INITIATIVE, SA MOTIVATION, SA FACULTÉ D'ADAPTATION ET SON INGÉNIOSITÉ. IL N'A PAS FAIT PREUVE D'ESPRIT D'INITIATIVE EN ESSAYANT DE PERFECTIONNER OU D'AMÉLIORER SES COMPÉTENCES LINGUISTIQUES, MALGRÉ SES DIFFICULTÉS ÉVIDENTES À S'EXPRIMER EN ANGLAIS. IL N'A JAMAIS VOYAGÉ À L'ÉTRANGER. IL A TRAVAILLÉ TOUTE SA VIE POUR LE MÊME EMPLOYEUR ET N'A PAS D'EXPÉRIENCE EN CE QUI CONCERNE LE MARCHÉ CONCURRENTIEL DU TRAVAIL. IL S'EN REMET À SON BEAU-FRÈRE POUR TROUVER UN EMPLOI. SA FACULTÉ D'ADAPTATION AU CANADA SEMBLE TRÈS LIMITÉE.

[16]            Monsieur Du a déclaré sous serment que l'échange suivant avait eu lieu lors de l'entrevue :

[TRADUCTION]

Q :            Je suis convaincu que vous possédez l'expérience et les compétences requises pour exécuter les fonctions de mécanicien d'équipement lourd. Votre demande est toutefois refusée parce que vous n'avez pas recueilli assez de points.


R :            Je ne comprends pas comment il se fait que malgré le fait que je remplisse les conditions pour travailler comme mécanicien d'équipement lourd, je n'ai pas assez de points.

Q :            Vous ne parlez pas anglais.

R :            Je conviens que je ne parle pas l'anglais, mais j'ai des membres de ma famille au Canada qui peuvent m'aider.

Q :            Cela ne vous est d'aucune utilité si vous ne parlez pas anglais. L'entrevue est terminée.

[17]            En réponse aux motifs invoqués dans les notes STIDI en ce qui concerne l'appréciation de sa personnalité qu'a faite l'agent des visas, M. Du a déclaré ce qui suit sous serment :

[TRADUCTION]

9.              Je ne comprends pas que le fait de travailler pour le même employeur soit mal vu. J'ai gravi les échelons au sein de la même entreprise et je n'ai pas toujours occupé le même poste. En outre, l'agent des visas ne m'a pas laissé répondre à cette question.

10.            On m'a également dit lors de l'entrevue que je n'avais pas d'expérience sur le marché compétitif du travail. Si l'on m'avait donné la possibilité de répondre, je leur aurais dit que j'ai eu à me battre pour obtenir cet emploi et que ce n'est pas automatique. Je ne comprends pas ce que l'agent veut dire.

[18]            Faute d'affidavit souscrit par l'agent des visas pour attester le contraire, les assertions formulées par M. Du dans son affidavit doivent être considérées comme attestant la véracité de ce qui s'est passé à l'entrevue. Aucune valeur ne peut être accordée à l'inscription finale des notes STIDI suivant laquelle les motifs du refus de la demande ont été exposés et suivant laquelle M. Du s'est vu accorder la possibilité de répondre.


[19]            Les préoccupations exprimées par l'agent des visas au sujet du fait que le demandeur n'avait travaillé que pour un seul employeur et qu'il n'avait aucune expérience sur le marché compétitif du travail découlaient de sa propre perception de l'expérience professionnelle antérieure de M. Du. Dans son affidavit, M. Du affirme qu'il était prêt à fournir des éléments d'information pertinents pour répondre à ces préoccupations. Je conclus donc que l'agent des visas a commis une erreur en n'exprimant pas ses préoccupations et en n'accordant pas à M. Du la possibilité d'y répondre.

[20]            Le défendeur affirme que, même si l'agent des visas a commis une erreur dans son appréciation de la personnalité de M. Du, il fallait que celui-ci obtienne quatre points d'appréciation de plus pour avoir droit à première vue à un visa. Le défendeur soutient qu'il serait « inconcevable » que M. Du obtienne quatre points de plus pour sa personnalité et que, dans ces conditions, la Cour ne devrait pas annuler la décision.

[21]            En moyenne, une appréciation de la personnalité se situe entre cinq et six points. Je ne suis donc pas capable de conclure qu'il est inconcevable que l'agent des visas aurait attribué sept points à M. Du.


[22]            Aspect le plus important, ainsi que M. le juge Evans (maintenant juge à la Cour d'appel) l'a fait remarquer dans le jugement Lin c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1999), 171 F.T.R. 289 (C.F. 1re inst.), les tribunaux saisis de demandes de contrôle judiciaire ont souvent été invités à ne pas refuser d'accorder une réparation en raison d'un manquement à l'obligation d'agir avec équité parce qu'il est dangereux de la part d'une cour de justice de spéculer sur ce qui aurait pu arriver si une personne n'avait pas été effectivement empêchée de présenter un élément de preuve et à cause de l'importance des valeurs sous-jacentes à l'obligation d'agir avec équité. Ainsi, une décision devrait être annulée lorsque l'intéressé a été privé de la « possibilité raisonnable d'influencer le tribunal par la production d'éléments de preuve et la présentation d'observations » .

[23]            J'en conclus donc que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie parce que M. Du a été privé de cette possibilité.

[24]            L'avocate du défendeur a proposé la certification de la question déjà certifiée dans l'affaire Chou, si elle est déterminante. L'avocate du demandeur ne s'est pas opposée à la certification de la question.

[25]            En l'espèce, le retard inexpliqué qu'accusait l'enregistrement des notes STIDI fait en sorte que les faits de la présente espèce sont différents de ceux de l'affaire Chou. Pour cette raison, j'ai décidé qu'aucune question ne devait être certifiée.


                                           ORDONNANCE

[26]            PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE :

La décision rendue le 27 mars 2000 par l'agent des visas est par la présente annulée et l'affaire est renvoyée pour qu'elle soit tranchée par un autre agent des visas.

        « Eleanor R. Dawson »      

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                     IMM-2229-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                  Zhi Ji Du

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     le 17 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE PAR :                                        MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                            le 15 mai 2001

ONT COMPARU

Mary Lam                                                                  pour le demandeur

Amina Riaz                                                                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Mary Lam                                                                  pour le demandeur

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                        pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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