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Date : 20000613

Dossier : T-1503-98

OTTAWA (Ontario), le 13 juin 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

demanderesse

- et -

BARRY CRAMM

demandeur

- et -

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

(TERRA TRANSPORT)

défenderesse

- et -

FRATERNITÉ DES PRÉPOSÉS À L'ENTRETIEN DES VOIES

défenderesse

- et -

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

intervenante


Page : 2

VU la demande de contrôle judiciaire et d'annulation d'une décision datée du 23 juin 1998 du Tribunal d'appel de la Commission canadienne des droits de la personne qui a accueilli l'appel interjeté par la défenderesse Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Terra Transport) et rejeté la plainte du demandeur, M. Cramm, qui a été déposée contre les défenderesses, la compagnie de chemins de fer et son syndicat, en vertu de l'alinéa 10b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

ET APRÈS AVOIR ENTENDU l'avocate de la Commission demanderesse, M. Cramm qui souscrit aux observations de la Commission, l'avocate de la compagnie de chemins de fer défenderesse et l'avocat de l'intervenante, l'Alliance de la fonction publique du Canada, à St-Jean (Terre-Neuve), les 17 et 18 juin 1999, date à laquelle le prononcé de la décision a été remis, et après avoir examiné les observations alors présentées;

ORDONNANCE

LA COUR rejette la demande.

(signature) W. Andrew MacKay      

                                                              

JUGE                          

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules, LL.B.


Date : 20000613

Dossier : T-1503-98

ENTRE :

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

demanderesse

- et -

BARRY CRAMM

demandeur

- et -

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

(TERRA TRANSPORT)

défenderesse

- et -

FRATERNITÉ DES PRÉPOSÉS À L'ENTRETIEN DES VOIES

défenderesse

- et -

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

intervenante


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal d'appel de la Commission canadienne des droits de la personne (le « Tribunal d'appel » ), présentée en vertu de la Loi sur la Cour fédérale[1], relativement à la plainte déposée par M. Barry Cramm. Ce dernier a déposé une plainte en vertu de l'alinéa 10b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne[2] (la Loi) contre son employeur, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Terra Transport) (le CN) et contre son syndicat, la Fraternité des préposés à l'entretien des voies (FPEV), alléguant une discrimination fondée sur la déficience dans le cadre de son emploi. Un Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a accueilli la plainte de M. Cramm et a conclu que les défenderesses, la compagnie et le syndicat, avaient commis des actes discriminatoires au sens de la Loi. La défenderesse CN a interjeté appel de cette décision et le Tribunal d'appel l'a accueilli en concluant que M. Cramm n'avait pas établi prima facie la commission d'actes discriminatoires. La Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) et M. Cramm sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal d'appel.

Le contexte


[2]         M. Cramm a débuté sa carrière au CN en 1974 comme ouvrier et il est ensuite devenu agent d'entretien de la voie, un emploi permanent dont les fonctions s'exerçaient sur une base saisonnière en raison de la nature du travail. Au mois de septembre 1980, il a subi un grave accident dans l'exercice de ses fonctions et il a été grièvement blessé. Il a reçu des indemnités d'accident du travail jusqu'au mois d'août 1981, mais il n'est pas retourné au travail par suite de cet accident avant 1984. En 1988, le CN a avisé ses employés que le chemin de fer de Terre-Neuve allait être fermé. Suite à cela, M. Cramm a continué de travailler pour le CN jusqu'en 1990, travaillant à démonter l'infrastructure du chemin de fer dans la province.

[3]         En raison de la décision de mettre fin aux opérations du chemin de fer à Terre-Neuve, certaines dispositions des conventions collectives conclues entre la compagnie de chemin de fer et les syndicats représentant ses employés sont devenues applicables. La convention à l'origine de la plainte de M. Cramm est le Régime de garantie d'emploi et de revenu (RGER) conclu entre son syndicat et le CN. Les dispositions du RGER donnaient aux employés touchés par la fermeture le droit à la garantie d'emploi et à certains avantages connexes dépendant de ce qui est appellé le service cumulatif rémunéré ( « SCR » ) d'un employé. Les deux avantages étaient différents et le temps de SCR requis pour chacun d'eux afin d'y avoir droit était aussi différent. Le SCR est défini dans le RGER et les parties pertinentes de sa définition se lisent comme suit :

[traduction]

G. Service cumulatif rémunéré signifie :

i) un mois de service cumulatif rémunéré comptera 21 jours ou la majeure partie de cette période.

ii) [...]


iii) est compris dans le calcul du service cumulatif rémunéré, le temps hors travail pendant lequel un employé qui fournit des services rémunérés au cours d'une année civile est absent pour cause de maladie réelle, de blessure, de congé de maternité autorisé, de participation à des réunions de comités, de témoignage devant un tribunal, ou de l'exercice non rémunéré des fonctions de juré, ne dépassant pas un total de 100 jours au cours d'une année civile.

[4]         La règle générale énoncée à la clause G i) de la définition est qu'une unité de SCR est accordée pour chaque mois dans lequel un employé a travaillé au moins onze jours. De plus, la clause G iii) accorde des unités de SCR pour le temps hors travail ne dépassant pas cent jours par année aux employés qui fournissent des services rémunérés pendant une année civile mais qui ne travaillent pas en raison des diverses circonstances énumérées dans la clause. Être absent du travail en raison d'une blessure ou d'une maladie constituent deux de ces circonstances. L'exigence de fournir des services rémunérés pendant une année civile a été traitée par les parties comme signifiant qu'un employé devait fournir des services rémunérés pendant une journée dans l'année civile.

[5]         Quand le CN a décidé de fermer le chemin de fer à Terre-Neuve, les employés permanents ayant huit années de SCR avaient droit à la sécurité d'emploi, c'est-à-dire à un emploi garanti ou au paiement de leur salaire en entier jusqu'à l'âge de cinquante-cinq ans. M. Cramm n'était pas admissible parce qu'à ce moment, il n'avait pas accumulé les 96 mois de SCR exigés. Les parties s'entendent sur le fait que si M. Cramm avait accumulé du SCR en vertu de la clause G iii) pendant toutes ses années d'absence dues à sa blessure, il aurait eu droit à la sécurité d'emploi. M. Cramm a allégué que le calcul du SCR dans les dispositions du RGER constituait de la discrimination fondée sur la déficience, et c'est le fondement de la plainte qu'il a présentée à la Commission canadienne des droits de la personne contre le CN et contre son syndicat.


[6]         La plainte a été référée au Tribunal canadien des droits de la personne, qui a tranché en faveur de M. Cramm. Le Tribunal a conclu que la méthode de calcul du SCR établissait une discrimination à l'endroit de ceux qui ne pouvaient travailler en raison d'une déficience et que cela constituait un acte discriminatoire au sens de l'alinéa 10b) de la Loi, qui prévoit :

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale_:

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.


[7]         Le Tribunal a conclu que M. Cramm souffrait d'une déficience en raison du fait qu'il était incapable de travailler et que l'exigence implicite de la clause G iii) de la définition de SCR, selon laquelle une personne devait travailler au moins une journée dans l'année civile pour accumuler du SCR, constituait de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Le Tribunal a aussi conclu que la limite de cent jours de SCR prévue à la clause G iii) du RGER était discriminatoire parce qu'elle traitait ceux atteints d'une incapacité à court terme différemment de ceux atteints d'une incapacité à long terme[3]. Le Tribunal a accueilli la plainte de M. Cramm et a conclu que la convention intervenue entre le CN et le syndicat contrevenait à l'alinéa 10b) de la Loi en ce qu'elle causait à M. Cramm et à d'autres employés un effet préjudiciable en raison de la déficience.

[8]         À ce moment-là, les articles 55 et 56 de la Loi, qui ont depuis été abrogés[4], prévoyaient la possibilité d'interjeter appel et d'obtenir une nouvelle audience auprès d'un tribunal d'appel dans certaines circonstances. Le CN a interjeté appel de la décision du Tribunal devant le Tribunal d'appel, au motif que le Tribunal avait commis plusieurs erreurs. Premièrement, le CN a allégué que le RGER n'était pas une entente au sens de l'article10 de la Loi. Le Tribunal d'appel a rejeté cet argument. Deuxièmement, le CN a soutenu que le Tribunal avait commis une erreur en concluant que la définition de SCR était susceptible de créer à l'encontre de certains employés de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la déficience. Cet argument a été accepté par le Tribunal d'appel et la décision du Tribunal de première instance a été infirmée. Le Tribunal d'appel n'a pas examiné les autres questions soulevées en appel, étant donné qu'il avait conclu que la convention n'était pas prima facie discriminatoire et qu'elle n'était pas susceptible d'établir une distinction défavorable fondée sur la déficience à l'encontre d'employés. Ainsi, le Tribunal d'appel n'a pas examiné la question de savoir si la convention avait été appliquée de façon à créer de la discrimination à l'encontre de M. Cramm en raison de sa déficience.


[9]         Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs, la Commission canadienne des droits de la personne et M. Cramm, sollicitent une ordonnance annulant la décision du Tribunal d'appel, renvoyant l'affaire pour un nouvel examen et enjoignant au Tribunal d'appel d'examiner les autres questions qui lui avaient été soumises en appel.

La norme de contrôle et les questions en litige

[10]       La question de la norme de contrôle que la Cour doit appliquer à la décision du Tribunal d'appel doit nécessairement être réglée de façon préliminaire. Cette question a été examinée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop[5], dans lequel la majorité a conclu que les cours de révision n'avaient pas à faire preuve de retenue sur des question générales de droit. Dans les cas où ces questions sont examinées par ces tribunaux, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6], le juge Bastarache, s'exprimant au nom de la Cour suprême, a confirmé que cette norme de contrôle était applicable aux questions de droit. Il a aussi reformulé l'analyse sur laquelle doit se fonder la détermination de la norme de contrôle applicable à l'occasion de l'examen d'une décision administrative. La norme à appliquer doit être déterminée au cas par cas, en prenant en considération a) l'existence d'une clause privative, b) l'expertise relative du décideur par rapport à celle du tribunal judiciaire, c) l'objet de la loi dans son ensemble et de la disposition en cause, et d) la nature de la question soumise au tribunal judiciaire.


[11]       Dans la présente affaire, la Loi ne contient aucune clause privative ni d'autre clause limitant l'autorité de la Cour dans le cadre d'un contrôle judiciaire. L'objet de la Loi énoncé à l'article 2 est de donner effet, dans les lois du Canada, au principe selon lequel tous les individus ont droit à l'égalité des chances indépendamment des considérations énumérées, dont fait partie la déficience. Cet objet doit être accompagné d'une interprétation large de la Loi et plus particulièrement, en l'espèce, de l'alinéa 10b), qui porte sur les relations de travail et les négociations collectives.

[12]       L'expertise comparative du Tribunal d'appel, plus particulièrement par rapport aux questions de fait portant sur les droits de la personne, doit faire l'objet d'une grande retenue de la part de la cour de révision comme le requiert l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. Pour que la Cour intervienne quand un tribunal a commis une erreur en tirant une conclusion de fait, elle doit être convaincue que la décision qui fait l'objet de la révision est fondée sur une conclusion abusive, arbitraire, ou à laquelle on est arrivé sans égard aux éléments de preuve présentés.

[13]       Quand la question qui fait l'objet de la révision est une question mixte de fait et de droit, ou même lorsqu'il s'agit d'une question précise à l'intérieur du domaine d'expertise particulier du décideur administratif, la norme de contrôle applicable pourrait bien être celle de la décision raisonnable. À moins qu'elle ne conclue que la décision est déraisonnable, la Cour doit s'en remettre à la décision du tribunal et s'abstenir d'intervenir.


[14]       Le choix de la norme de contrôle applicable en l'espèce, comme dans d'autres affaires, dépend de la nature de l'affaire et de la question soumise à la cour de révision. Dans la présente affaire, deux questions principales se posent. Les demandeurs soutiennent que le Tribunal d'appel a commis une erreur en concluant que la définition de SCR contenue au RGER n'était pas susceptible d'établir une distinction fondée sur une déficience par suite d'un effet préjudiciable. Selon les demandeurs, le Tribunal d'appel a commis une erreur en tirant cette conclusion dans son analyse du groupe comparatif approprié et en concluant que l'entente ne constituait pas prima facie de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable fondée sur la déficience. La deuxième question qui ressort des observations de la Commission est celle de savoir si le Tribunal d'appel a commis une erreur en omettant de déterminer si le SCR, tel qu'il est défini dans le RGER, défavorisait effectivement M. Cramm en raison de sa déficience.

[15]       À mon avis, la nature de l'affaire en l'espèce relativement à chacune des deux questions fait en sorte que chacune de celles-ci est une question de droit, mais la première question soulève une question générale de droit à laquelle il faut appliquer la norme de la décision correcte tandis que la deuxième soulève une question particulière relevant de la compétence spéciale du Tribunal d'appel. À moins qu'elle ne puisse conclure que cette dernière décision du Tribunal d'appel est déraisonnable, la Cour n'interviendra pas.

Le choix du « groupe comparatif »


[16]       La discrimination par suite d'un effet préjudiciable, ou indirecte, peut se produire lorsqu'une règle relative à l'emploi, adoptée honnêtement et pour des raisons d'affaires ou économiques véritables qui s'applique également à tous les employés, affecte une personne ou un groupe de personnes différemment des autres personnes auxquelles elle s'applique[7]. Lorsque le traitement différent est fondé sur un motif illicite, les conséquences discriminatoires sont interdites.

[17]       Une personne qui allègue la discrimination fondée sur la déficience doit établir qu'elle a été traitée différemment des autres personnes qui possèdent des capacités différentes. Dans la présente affaire, le Tribunal qui a rendu la première décision a comparé la situation de M. Cramm à celle d'autres employés qui ne souffraient pas d'une déficience et qui ne s'étaient pas absentés sans être rémunérés en raison d'une maladie ou d'une déficience, ou qui avaient pris moins de cent jours de congés non rémunérés. Sur ce fondement, le Tribunal a conclu que parce que M. Cramm ne travaillait pas en raison d'une déficience et qu'il avait par conséquent perdu du service cumulatif rémunéré, il avait fait l'objet de discrimination par suite d'un effet préjudiciable attribuable à la méthode de calcul du SCR.    La règle neutre dont les effets ont été évalués par le Tribunal était celle établie par la clause G i) du RGER, selon laquelle une personne accumulait du SCR pour chaque mois dans lequel elle comptait au moins 11 jours de travail.


[18]       À l'opposé, le Tribunal d'appel a identifié un groupe comparatif différent et a conclu que l'on n'avait pas établi prima facie la discrimination fondée sur la déficience. Le Tribunal a comparé la situation de M. Cramm à celle de ceux qui ont été absents du travail pendant une période équivalente pour une des autres raisons énumérées à la clause G iii) du RGER (c'est-à-dire pour cause de maladie réelle, de congé de maternité autorisé, de participation à des réunions de comités, de témoignage devant un tribunal ou de l'exercice non rémunéré des fonctions de juré). Le Tribunal d'appel a conclu que M. Cramm n'avait pas été traité différemment d'une autre personne qui s'était absentée pendant une même période pour l'un de ces motifs et que, par conséquent, sa plainte n'établissait pas prima facie une preuve de discrimination.

[19]       Le Tribunal d'appel s'est fondé sur une décision de la Cour, qu'il appelle la décision Dumont-Ferlatte[8]. Dans cette affaire, les plaignantes avaient allégué qu'elles faisaient l'objet de discrimination en raison d'une règle contenue dans leur convention collective, selon laquelle les crédits de congés de maladie et les primes de bilinguisme n'étaient pas consentis pour les mois pendant lesquels un employé avait travaillé moins de dix jours. Les plaignantes étaient des employées qui avaient pris des congés de maternité sans solde et qui n'avaient pas obtenu ces crédits et ces bonus pendant leurs congés. La Commission a défendu leur position, mais un Tribunal des droits de la personne a rejeté les plaintes en raison de l'absence de preuve prima facie de discrimination. Madame le juge Tremblay-Lamer a confirmé la décision du Tribunal. Comme dans la présente affaire, la question déterminante était celle du choix du groupe comparatif approprié. Dans la décision Dumont-Ferlatte, le Tribunal a comparé les femmes en congé de maternité avec les personnes qui prenaient d'autres types de congés sans solde. Le paragraphe 47 de la décision du juge Tremblay-Lamer se lit comme suit :


Il ressort de la preuve déposée devant le Tribunal que le congé de maternité est un congé sans solde. Du fait de l'absence de prestation de travail en raison de la maternité, l'employée ne reçoit aucune rémunération. C'est donc à bon droit que le Tribunal a comparé le congé de maternité avec les autres congés sans solde prévus dans les conventions collectives, dont notamment le congé de paternité sans solde, le congé d'adoption sans solde, le congé sans solde visant les soins et l'éducation des enfants d'âge préscolaire, le congé sans solde pour réinstallation du conjoint, le congé sans solde pour besoins personnels, le congé de maladie sans solde, le congé sans solde pour études et perfectionnement, le congé militaire sans solde, le congé sans solde en vue de la participation aux activités d'un organisme international, le congé sans solde lors de la candidature à une élection et le congé sans solde pour activités syndicales.


[20]       Dans la présente affaire, la Commission tente de faire la distinction avec la décision Dumont-Ferlatte et allègue qu'il n'est pas approprié en l'espèce de restreindre l'analyse aux catégories limitées de congés non rémunérés auxquels s'applique la clause G iii) du RGER. La Commission soutient que la règle neutre est celle prévue à la clause G i) qui détermine quelles personnes ont droit au SCR. Plutôt que de limiter son analyse aux employés qui sont touchés par la clause G iii), une clause d'exception et restreinte, on allègue que le Tribunal d'appel aurait dû comparer le cas de M. Cramm au groupe auquel s'applique la règle plus générale, soit la clause G i). De plus, la Commission allègue que la preuve statistique présentée dans les instances inférieures démontraient que dans les faits, on pouvait s'attendre à ce que les exceptions de la clause G iii) affectent d'une manière disproportionnée ceux qui souffraient d'une déficience parce que peu d'autres employés étaient susceptibles d'être exclus par les termes de cette clause, dont l'application se limitent à ceux qui ont travaillé une journée dans l'année et qui limite le SCR à cent jours. La preuve statistique, fondée sur les dossiers des accidentés du travail à Terre-Neuve, n'est pas entièrement convaincante. Selon ma compréhension de l'analyse statistique et d'après l'argument qui m'est soumis, l'analyse statistique ne tient pas compte de la catégorie éventuelle des employés absents du travail pour plus d'une des raisons prévues à la clause G iii) pendant une année civile et qui ne seraient pas admissibles parce qu'ils n'ont pas travaillé pendant le minimum de jours par mois prévus à la clause G i), mais qui peuvent réclamer jusqu'à cent jours d'absence au titre de SCR. Même si encore plus de personnes victimes d'une maladie ou d'une blessure ne pouvaient pas réclamer l'avantage prévu à la clause G iii), cela en soi ne réglerait pas la question de l'effet préjudiciable.

[21]       La Commission allègue que conformément à l'arrêt Battlefords and District Co-operative Ltd. c. Gibbs[9], le traitement différent des employés qui s'absentent en raison d'une maladie ou d'une blesure pendant moins de cent jours de celui des employés qui s'absentent pendant plus de cent jours, comme le prévoit la clause G iii), permet de conclure que la clause a un effet préjudiciable sur ceux qui sont invalides pendant une plus longue période. Selon moi, on a conclu dans l'arrêt Gibbs que l'objet de la règle apparemment neutre examinée dans cette affaire affectait d'une façon préjudiciable un groupe identifiable de personnes qui souffraient d'une déficience intellectuelle comparativement aux personnes souffrant d'une déficience physique.

[22]       Dans l'arrêt Gibbs, le juge Sopinka a fait ressortir l'importance de considérer l'objet de la règle que l'on allègue être discriminatoire. Il a écrit :

Il faut commencer par déterminer l'objet du régime d'invalidité, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire. Comparer les prestations versées à des employés conformément à des objets différents n'est pas utile lorsqu'il s'agit de décider s'il y a discrimination -- il est normal que les prestations d'assurance conçues pour des objets distincts soient différentes. Si, toutefois, les prestations sont attribuées conformément au même objet, et sont néanmoins différentes en raison de caractéristiques non pertinentes relativement à cet objet, il se peut bien qu'il y ait discrimination.


[23]       À mon avis, quand on l'analyse conformément à l'arrêt Gibbs, l'objet de la clause G i) est différent de celui de la clause G iii). La première sert à calculer le SCR pour tous les employés, afin de déterminer leur admissibilité aux avantages liés à l'emploi. Les employés qui ne travaillent pas au moins onze jours dans un mois n'accumulent pas de service rémunéré aux fins du calcul des avantages. C'est le temps travaillé qui rend les employés admissibles et ceux qui ne travaillent pas au moins onze jours, pour quelque raison que ce soit, n'accumulent pas de SCR. À mon avis, cette règle n'a pas un effet plus préjudiciable sur les employés malades ou blessés que sur un autre groupe d'employés absents du travail, pour quelque raison que ce soit, pendant une même période au cours du mois. L'objet de la clause G iii) est différent. Elle donne aux employés la possibilité d'accumuler jusqu'à cent jours de SCR par année civile lorsqu'ils ont été absents du travail pour les raisons prévues, pourvu qu'ils aient travaillé au moins une journée cette année-là. C'est la règle établie par la clause G iii) qui est contestée par M. Cramm dans sa plainte. Il s'agit de la règle neutre qui, en l'espèce, doit être évaluée pour vérifier si elle a des effets préjudiciables. Elle s'applique aux employés qui autrement, par l'application de la clause G i), ne pourraient accumuler de SCR parce qu'ils n'ont pas travaillé au moins onze jours dans le mois, et son objet est de permettre d'inclure dans le calcul du SCR certaines périodes d'absence dues à des raisons déterminées, dans une certaine mesure. En l'espèce, les catégories d'employés auxquelles la clause G iii) s'applique forment le groupe comparatif approprié.


[24]       À la lumière de l'objet de la clause G iii), le groupe comparatif approprié pour déterminer si elle a un effet préjudiciable sur ceux qui sont blessés, considérés comme « souffrant d'une déficience » sauf par la compagnie de chemin de fer, comprend les autres employés auxquels elle s'applique, soit ceux qui sont absents en raison d'une maladie, d'un congé de maternité autorisé, d'une participation à des réunions de comité, etc. En l'espèce, le Tribunal d'appel a conclu que M. Cramm n'était pas traité différemment qu'une autre personne ou groupe de personnes qui n'avaient pas travaillé pendant la même période que lui pour les raisons énoncées à la clause G iii). Sa déficience n'a pas fait en sorte qu'il soit traité différemment des autres personnes qui n'ont pas travaillé pendant une même période de temps que lui pour les raisons prévues à la clause G iii).

[25]       À mon avis, le Tribunal d'appel a choisi les bonnes personnes ou le bon groupe comparatif pour procéder à son analyse. Il a examiné attentivement les observations présentées par toutes les parties et a appliqué le raisonnement suivi dans les décisions Gibbs et Dumont-Ferlatte. Le Tribunal a conclu qu'aucune preuve prima facie de discrimination n'avait été établie en l'espèce.


[26]       La Commission a soutenu que le Tribunal d'appel avait commis une erreur en examinant la nature du contrat d'emploi, pour conclure qu'il n'y avait pas de preuve prima facie de discrimination. Le Tribunal d'appel l'a fait en examinant l'objet du RGER, élément essentiel à l'examen des règles relatives à l'emploi, conformément au raisonnement énoncé dans l'arrêt Gibbs. À mon avis, la nature de la règle, fondée sur le principe du contrat d'emploi selon lequel une personne est payée pour les services fournis, est un élément essentiel de l'examen de son objet. Je conclus que le Tribunal d'appel n'a pas commis d'erreur en considérant la nature du contrat d'emploi pour déterminer que la règle évaluée en l'espèce, la clause G iii), n'avait pas d'effet préjudiciable sur ceux qui étaient absents du travail en raison d'une blessure et, en ce sens, de la déficience qui en résulte. Le Tribunal d'appel a eu raison de conclure qu'une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience n'avait pas été établie en l'espèce.

La plainte personnelle

[27]       Les demandeurs, soit la Commission et M. Cramm, allèguent que le Tribunal d'appel a commis une erreur en n'examinant pas la plainte de M. Cramm selon laquelle il faisait l'objet d'une discrimination fondée sur sa déficience en raison du fait qu'il ne faisait pas partie de ceux qui pourraient continuer d'accumuler du SCR, même s'il avait été absent de son emploi plus longtemps que ne le permet la clause G iii).


[28]       À mon avis, le Tribunal d'appel n'a pas commis d'erreur, contrairement à ce que prétendent les demandeurs. Il est vrai qu'il n'a pas examiné la plainte personnelle de M. Cramm, sauf dans le cadre de sa conclusion selon laquelle la convention n'avait pas d'effet préjudiciable sur les employés souffrant d'une déficience, dont M. Cramm fait partie. Si une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience affectant une personne ou un groupe ne ressort pas de la convention, on pourrait difficilement conclure qu'elle est discriminatoire envers M. Cramm en raison de sa déficience personnelle. La compagnie de chemin de fer défenderesse allègue aussi, avec raison, qu'étant donné qu'il n'y avait pas de preuve démontrant que la situation de M. Cramm était différente de celle d'autres personnes souffrant d'une déficience qui sont absentes du travail pendant une période comparable, le Tribunal d'appel n'avait aucune raison de considérer son cas comme différent de celui des autres employés qui avaient été absents du travail pendant une même période en raison d'une blessure ou d'une maladie, ou pour un autre motif prévu. L'évaluation du Tribunal d'appel, fondée sur la preuve, était raisonnable.

[29]       Je conclus que le Tribunal d'appel n'a pas commis d'erreur en n'examinant pas séparément la situation de M. Cramm. À vrai dire, le Tribunal d'appel a eu raison de conclure que la convention ne constituait pas une preuve prima facie de discrimination par suite d'un effet préjudiciable en raison de la déficience. À mon avis, la situation personnelle de M. Cramm ne peut faire en sorte que la convention devienne discriminatoire.

Conclusion

[30]       Il est impossible de ne pas éprouver de sympathie envers M. Cramm. Il a travaillé longtemps pour la compagnie de chemin de fer et il a beaucoup d'ancienneté. S'il n'avait pas été blessé dans l'exercice de ses fonctions, il aurait été admissible à tous les avantages prévus au RGER pour les employés admissibles.


[31]       Néanmoins, je conclus que le Tribunal d'appel a eu raison et n'a pas commis d'erreur de droit susceptible de révision en arrivant à sa conclusion. Pour cette raison, la demande est rejetée par ordonnance datée du 13 juin 2000.

(signature) W. Andrew MacKay               

                                                                              

JUGE                         

OTTAWA (Ontario)

Le 16 juin 2000

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                       T-1503-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                     Commission canadienne des droits de la personne et Barry Cramm c. Compagnie des chemins de fer nationaux et Fraternité des préposés à l'entretien des voies et Alliance de la fonction publique du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          St-Jean (Terre-Neuve)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        Le 17 juin 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           Monsieur le juge MacKay

EN DATE DU :                                                           16 juin 2000

ONT COMPARU

Mme Margaret Rose Jamieson                            POUR LA DEMANDERESSE

Mme Manon Savard                                           POUR LA COMPAGNIE DE

CHEMIN DE FER DÉFENDERESSE

Mme Rebecca Phillips                                         POUR LA FRATERNITÉ DES PRÉPOSÉS À L'ENTRETIEN DES VOIES DÉFENDERESSE

M. David Yazbeck                                            POUR L'INTERVENANTE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

La Commission canadienne des droits de la personne

Service du contentieux

Ottawa (Ontario)                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Ogilvy, Renault                                                  POUR LA COMPAGNIE DE

Montréal (Québec)                                                        CHEMIN DE FER DÉFENDERESSE

Williams, Roebothan, McKay & Marshall                      POUR LA FRATERNITÉ DES

St-Jean (Terre-Neuve)                                      PRÉPOSÉS À L'ENTRETIEN DES VOIES DÉFENDERESSE

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne                             POUR L'INTERVENANTE

Ottawa (Ontario)



[1]               L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1, et modifications.

[2]            L.R.C. (1985), ch. H-6, et modifications.

[3]               Cramm c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, [1997] D.C.D.P. no 9 (QL), aux paragraphes 45 à 56.

[4]            Abrogés par L.C. 1998, ch. 9, art. 29.

[5]            [1993] 1 R.C.S. 554, à la page 585 ( « Mossop » ).

[6]               [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 45, dans lequel le juge Bastarache a écrit : « Notre Cour a conclu à la majorité dans plusieurs arrêts que les cours de justice ne devraient pas faire preuve de retenue envers les tribunaux des droits de la personne relativement aux "questions générales de droit" (Mossop, précité, à la p. 585), ni même relativement à des règles de droit incontestablement au coeur du processus décisionnel en matière de droits de la personne » .

[7]               Commission ontarienne des droits de la personne et Theresa O'Malley c. Simpons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 551.

[8]               Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Tribunal des droits de la personne), [1997] A.C.F. no 1734 (1re inst.).

[9]            [1996] 3 R.C.S. 566.

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