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     Date : 19980427

     Dossier : T-1645-97

ENTRE :

     LE LIEUTENANT-COLONEL PAUL R. MORNEAULT,

     requérant,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Le requérant sollicite, en vertu de l"article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, une ordonnance annulant les conclusions tirées contre lui par la Commission d"enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie (" la Commission "). Les conclusions sont énoncées dans le rapport de la Commission intitulé Un héritage déshonoré .

[2]      Le décret en conseil par lequel la Commission a été nommée avait prévu la tenue d"une enquête sur les événements survenus au cours de la période antérieure au déploiement (c"est-à- dire avant janvier 1993), au cours de la période des opérations sur le théâtre (du 10 janvier au 10 juin 1993) et au cours de la période qui a suivi le déploiement (du 11 juin 1993 au 28 novembre 1994). Fait notoire, la Commission n"a terminé que la première de ces trois phases de l"enquête prévue. Elle était déjà bien engagée dans la deuxième phase de son enquête, c"est-à-dire celle portant sur les opérations sur le théâtre, lorsqu"on a coupé court à ses travaux.

[3]      Le Rapport de la Commission se divise en cinq volumes. Ce sont les quatre premiers volumes qui sont particulièrement pertinents ici. Les volumes 1 à 3 déterminent ce qu"on peut appeler les fautes systémiques ou institutionnelles commises au cours de la période antérieure au déploiement. Ces volumes contiennent beaucoup de narration et la Commission recommande des façons susceptibles de corriger les fautes qu"elle relève. Le volume 4 vise onze officiers supérieurs et fait des constatations d"inconduite à leur endroit. Le requérant fait partie de ce groupe.

[4]      Le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit l"infirmation des décisions d"un office fédéral qui, en prenant une décision :

                      "                 
                 b) n"a pas observé un principe de justice naturelle ou d"équité procédurale ou toute autre procédure qu"il était légalement tenu de respecter;                 
                      "                 
                 d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;                 

     "

[5]      C"est en vertu de ces dispositions que le requérant sollicite une ordonnance annulant ou infirmant les décisions que la Commission a rendues à son endroit. Il conteste ces décisions en invoquant les moyens suivants : (1) la Commission n"a pas pu terminer la phase de son enquête portant sur les opérations sur le théâtre, aussi lui était-il impossible de déterminer l"existence d"un lien de causalité important entre les responsabilités du requérant pendant la période antérieure au déploiement et les événements survenus en Somalie; (2) le requérant n"a pas reçu un préavis suffisant des allégations d"inconduite et n"a pas eu la possibilité d"y répondre avant que les conclusions ne soient tirées contre lui; (3) la Commission a tiré de façon abusive et arbitraire des conclusions de fait sans tenir compte de la preuve dont elle disposait. Je vais commencer par faire un exposé des faits, puis j"examinerai les arguments qui ont été avancés relativement à chacun de ces trois moyens.

Historique

[6]      Le lieutenant-colonel Morneault a été nommé commandant du Régiment aéroporté du Canada (le " RAC ") le 24 juin 1992. L"année précédente, il était le commandant adjoint du RAC. En plus d"une unité de quartier général et d"une unité de service (toutes deux appelées commandos), le RAC était formé de trois commandos de la taille d"une compagnie : le 1er Commando, le 2e Commando et le 3e Commando. Ces commandos relevaient respectivement du commandement des majors Pommet, Seward et Magee. Ces officiers sont appelés des officiers commandants. Le major Seward a été nommé à son poste en juillet 1992. Ce sont les membres du 2e Commando qui ont été reconnus responsables du meurtre de Shidane Arone, commis en Somalie, le 16 mars 1993.

                        

[7]      Le capitaine Walsh était l"officier chargé de l"entraînement pour le RAC; le capitaine Kyle était l"officier des opérations du RAC; l"adjudant-chef Jardine était le sergent-major régimentaire. Le supérieur immédiat du lieutenant-colonel Morneault dans la chaîne de commandement était le brigadier général Beno, commandant de la Force d"opérations spéciales (FOS) dont le RAC était une composante. Le brigadier général Beno a été nommé à son poste le 7 août 1992.

[8]      Le 5 septembre 1992, le RAC a été formellement informé qu"il devait se rendre en Somalie dans le cadre d"une mission de maintien de la paix (opération " Cordon "). Une certaine planification par anticipation s"était faite vers la fin du mois d"août et l"entraînement en vue du déploiement en Somalie a débuté le 8 septembre 1992. Dès le début, la date exacte du déploiement était incertaine. Elle était continuellement reportée; dans la preuve, on qualifie cette situation de " report des dates de déploiement ". Le 21 octobre 1992, le lieutenant-colonel Morneault a cessé d"assurer le commandement du RAC. Il a été relevé de ses fonctions à la demande du brigadier général Beno; le lieutenant-colonel Mathieu l"a remplacé. Jugeant que sa destitution constituait un abus de pouvoir de la part des officiers supérieurs, le lieutenant-colonel Morneault a déposé un grief en vertu de l"article 29 de la Loi sur la défense nationale . Ce grief n"a pas encore été jugé.

[9]      Sous le commandement du lieutenant-colonel Morneault, le RAC s"entraînait en vue de ce qu"on appelle une mission de maintien de la paix des Nations Unies en vertu des dispositions du chapitre VI de la Charte . Le RAC devait se rendre à Bosaso, dans le nord-est de la Somalie, pour assurer la sécurité de l"acheminement de l"aide humanitaire, en veillant par exemple à la sécurité des centres de distribution des vivres. La nature de la mission a changé avant que le RAC ne parte pour la Somalie. Le 2 décembre 1992, le déploiement à Bosaso a été suspendu. La mission du RAC est devenue par la suite une mission d"imposition de la paix (opération " Délivrance "), régie par les dispositions du chapitre VII de la Charte des Nations Unies . Le déploiement devait s"effectuer à Belet Huen, région beaucoup plus instable de la Somalie située près de Mogadiscio. Une mission d"imposition de la paix exige éventuellement, et permet, un plus grand recours à la force qu"une mission de maintien de la paix. Le 13 décembre 1992, un groupe précurseur du RAC est parti pour la Somalie; le gros des troupes a suivi le 27 décembre 1992. La description de la nouvelle mission, comparée à celle qui avait été envisagée au début, figure à la page 296 du volume 1 du Rapport de la Commission. La nouvelle mission y est décrite comme " une mission incertaine, dans une région différente de la Somalie, selon de nouvelles dispositions de commandement et en fonction d"une structure modifiée et de règles d"engagement différentes. "

Inachèvement de l"enquête

[10]      L"argument du requérant selon lequel il était injuste pour la Commission d"imputer des fautes à des personnes désignées en raison de son incapacité de terminer l"enquête sur les opérations sur le théâtre comporte deux branches. Selon la première, l"inachèvement de l"enquête signifiait que la Commission n"était pas en mesure de déterminer si les événements survenus en Somalie avaient été principalement ou seulement indirectement causés par l"une ou plusieurs des raisons suivantes : (1) les actes de quelques renégats, (2) la réaction à des événements particuliers survenus en Somalie ou (3) les actes d"officiers responsables au cours de la période antérieure au déploiement. La seconde est que la conclusion de la Commission selon laquelle il a négligé d"organiser, de diriger et de superviser " comme il convient " les préparatifs de la formation du RAC en vue de l"opération " Cordon " est semblable aux allégations d"inconduite radiées par le juge Teitelbaum dans l"affaire Addy c. Canada (Commissaire et président de la Commission d"enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 3 C.F. 784 (1re inst.).

a) Manque de lien de causalité avec les événements survenus en Somalie

[11]      En ce qui concerne la première branche de l"argument, le requérant fait remarquer que les conclusions qui lui sont défavorables créent dans le public la fausse perception qu"il a participé aux événements survenus en Somalie et qu"il en était directement responsable. Selon lui, le Rapport de la Commission l"a injustement exposé à la désapprobation publique pour des événements auxquels il n"a pas pris part. Il estime qu"il était injuste que la Commission, une fois son mandat écourté, tire des conclusions défavorables contre quiconque avait participé à la période antérieure au déploiement, et particulièrement contre une personne qui ne se trouvait même pas en Somalie lorsque se sont produits les événements objet de l"enquête et qui n"avait pas eu affaire au RAC depuis la mi-octobre 1992 .

[12]      L"argument selon lequel la Commission ne devrait pas être autorisée à tirer des conclusions d"inconduite au sujet d"actes commis au cours de la période antérieure au déploiement a été examiné par le juge Teitelbaum dans l"affaire Addy aux pages 816 à 822. Le juge avait été saisi des requêtes de six officiers supérieurs sollicitant des ordonnances judiciaires en vue d"empêcher la Commission de tirer à leur endroit des conclusions d"inconduite. Ces requêtes s"appuyaient en partie sur le fait qu"on n"avait pas permis à la Commission de terminer la phase de son enquête relative à la période des opérations sur le théâtre, ce qui lui interdisait, en toute justice, de déterminer à quel point les activités survenues avant le déploiement avaient contribué aux événements qui ont donné lieu à l"enquête .

[13]      Le juge Teitelbaum a fait remarquer que le mandat confié à la Commission par le décret en conseil qui a constitué celle-ci était très large : il ne se limitait pas aux opérations sur le théâtre. Il a souligné que les allégations d"inconduite ayant trait à l"entraînement et au leadership du RAC avant son déploiement en Somalie constituaient un domaine autonome d"enquête à l"égard duquel la Commission, suivant son mandat, pouvait tirer des conclusions d"inconduite. Je pense que cette décision répond à l"argument du requérant selon lequel la Commission n"aurait pas dû tirer des conclusions contre les personnes qui avaient participé à la période antérieure au déploiement. Les termes du mandat de la Commission étaient effectivement très larges.

b) Similarité avec les autres allégations radiées

[14]      Je passe maintenant à la seconde branche de l"argument, à savoir que les allégations d"inconduite énoncées contre le requérant étaient semblables à celles qu"avait radiées le juge Teitelbaum dans l"arrêt Addy . Le critère appliqué par le juge Teitelbaum était de se poser à lui-même la question suivante : si les requérants décidaient de réfuter les allégations énoncées dans les préavis, auraient-ils à invoquer, pour ce faire, les preuves et les témoignages relatifs aux opérations " sur le théâtre? " Voir à la page 838 de la décision. J"ai comparé le texte des allégations respectives et appliqué le critère exposé par le juge Teitelbaum. Les allégations dirigées contre le requérant ne sont pas de même nature que celles que le juge Teitelbaum a radiées dans l"arrêt Addy .

[15]      Même si les conclusions tirées contre le requérant font allusion à de la négligence dans les préparatifs de l"entraînement, il n"y a pas là de lien direct avec les événements survenus en Somalie. La norme au regard de laquelle il faut juger si l"entraînement était suffisant est, faut-il présumer, ce qu"on attendrait d"un commandant qui prépare ses troupes en vue de leur participation à une mission de maintien de la paix. L"avocat du requérant fait valoir que cette norme est impossible à établir parce que l"opération " Cordon " n"a jamais eu lieu. La nature de la mission a changé; la mission est devenue une mission d"imposition de la paix de sorte qu"il n"y a pas d"événements réels par rapport auxquels il est possible de déterminer si l"entraînement donné sous la direction du requérant était opportun.

[16]      Bien que cet argument soit bien fondé, si une norme identifiable existe par rapport à laquelle la conduite du requérant peut être jugée sans se reporter à l"expérience des opérations sur le théâtre comme norme, alors le fait que la phase de l"enquête relative aux opérations sur le théâtre soit inachevée est sans importance. S"il y a eu injustice, ce dont je suis convaincue pour des raisons qui deviendront évidentes, cette injustice n"a pas découlé de l"incapacité de la Commission de terminer son enquête sur les événements survenus en Somalie.

Préavis insuffisant

[17]      Les arguments du requérant ayant trait à l"omission de lui donner un préavis suffisant des conclusions de la Commission rendues à son endroit se rapportent à deux types différents de conclusions. L"un renvoie aux déclarations générales de condamnation énoncées dans le Rapport, lesquelles s"appliquent à tous ou à presque tous les officiers supérieurs qui ont comparu devant la Commission, l"autre, aux constatations d"inconduite visant expressément le requérant que l"on trouve au chapitre 35, volume 4, pages 1159 à 1163.

[18]      Comme question préliminaire, l"avocat de l"intimé soulève l"argument selon lequel il n"y avait réellement qu"une seule conclusion d"inconduite tirée contre le requérant, à savoir qu"il a fait preuve d"un manque de leadership et d"un leadership inadéquat au cours de la période antérieure au déploiement, particulièrement en ce qui concerne la formation. Selon lui, c"est dans ce contexte que la suffisance du préavis et la question de savoir si les déclarations générales de condamnation sont des conclusions qui nécessitent un préavis devraient être examinées. J"ai choisi d"examiner cet argument dans le contexte de l"évaluation de la preuve sur laquelle était fondée la décision de la Commission parce que j"estime qu"elle s"y rapporte beaucoup plus logiquement.

a) Déclarations générales de condamnation

[19]      Les volumes 1 à 3, faut-il le répéter, contiennent des commentaires et des observations d"ordre général sur les activités au cours de la période antérieure au déploiement. Dans la préface du volume 1, à la page xxxviii, et au chapitre introductif du volume 4, à la page 1073, des déclarations générales de condamnation sont faites à l"égard de la conduite des officiers supérieurs qui ont comparu comme témoins devant la Commission. Le requérant estime qu"il s"agit là de conclusions d"inconduite à son endroit ainsi qu"à l"endroit des autres officiers. Ainsi, fait-il valoir, ces déclarations n"auraient pas dû être faites sans que le préavis prévu à l"article 13 n"ait été donné.

[20]      L"article 13 de la Loi sur les enquêtes , L.R.C. (1985), ch. C-11, exige que soient donnés à une personne un préavis et la possibilité de se faire entendre avant qu"une commission d"enquête ne conclue dans un rapport que cette personne a commis une faute :

         13. La rédaction d"un rapport défavorable ne saurait intervenir sans qu"auparavant la personne incriminée ait été informée par un préavis suffisant de la faute qui lui est imputée et qu"elle ait eu la possibilité de se faire entendre en personne ou par le ministère d"un avocat.                 

[21]      La déclaration générale que l"on trouve dans les commentaires introductifs du volume 4 caractérise les individus qui sont par la suite nommément désignés dans ce volume comme étant ceux qui ont blâmé d"autres personnes pour leurs actes, qui ne se sont pas élevés contre les commandements irréguliers qu"ils recevaient et qui, dans leurs fonctions, ont manqué au devoir de s"élever contre des actions irrégulières. Un lecteur conclurait que la Commission avait décidé que les individus nommément désignés dans les pages qui suivent avaient manqué à leur devoir d"officiers de l"armée de s"élever contre des actions irrégulières. Il s"agit là d"une conclusion très grave à tirer à l"égard de la conduite d"un officier supérieur de l"armée.

[22]      La déclaration générale de condamnation que l"on trouve au volume 1 précise que plusieurs officiers qui ont comparu devant la Commission ont recouru dans leurs témoignages à de la tromperie et à de l"esquive, ont trahi la confiance du public et qu"il y aurait lieu de réexaminer le statut de ceux d"entre eux qui seraient toujours dans les Forces armées. Selon le requérant, ce jugement général signifie que les personnes visées manquaient de crédibilité et d"intégrité personnelle et morale et qu"elles mentaient. Pourtant, affirme-t-il, la Commission a choisi de ne pas identifier expressément le ou les témoins qui auraient menti ou dont le témoignage équivalait à de la tromperie et n"a pas non plus énoncé d"éléments de preuve ou d"arguments à l"appui de sa condamnation. Si la Commission n"était pas disposée à identifier des individus en particulier à qui, pensait-elle, ces déclarations s"appliquaient, elle aurait dû, dit-il, s"interdire tout simplement de faire ces déclarations. Les termes généraux dans lesquelles ces déclarations sont exprimées noircissent la réputation de tout le monde sans que l"on sache si elles décrivent avec exactitude la conduite de chacun d"eux.

[23]      Le requérant ne tire aucune consolation de l"argument de l"intimé selon lequel il est exclu de la condamnation générale énoncée au volume 1 parce que cette déclaration ne vise que " certains " et non tous les officiers supérieurs qui ont comparu comme témoins. Il souligne que la Commission, à la page 1112 du volume 4, précise que, parmi les cadres supérieurs qui ont comparu devant elle, le major général MacKenzie a été le seul à faire preuve de compréhension à l"égard du processus d"enquête, qu"il a présenté son témoignage de façon honnête et directe et qu"il a semblé être le seul à comprendre la nécessité de reconnaître ses erreurs. Si la Commission a conclu que le major général MacKenzie était le seul à avoir agi de cette façon, il en découle nettement qu"elle voulait que la déclaration générale s"appliquât au requérant.

[24]      Je n"ai pas cru que l"on contestait sérieusement le fait que les déclarations de condamnation générale ne s"appliquent pas au lieutenant-colonel Morneault. Ce ne sont des descriptions exactes ni de ses actions en tant qu"officier supérieur ni de son comportement devant la Commission. On ne m"a mentionné aucune partie du dossier qui appuie la conclusion voulant que le lieutenant-colonel Morneault ait manqué à son devoir de s"élever contre des actions irrégulières.

[25]      Le lieutenant-colonel Morneault a comparu devant la Commission du 22 au 25 janvier 1995. C"était avant que ne soient faites les allégations relatives à la destruction de documents et au camouflage. Il s"est montré respectueux envers la Commission, il a fourni des documents extraits de ses propres dossiers, il a proposé des témoins que la Commission pouvait trouver utile d"appeler à témoigner et il a pris la responsabilité de ses actions. Aucune preuve par affidavit n"a été déposée pour réfuter la description qu"il a faite de son comportement. La lecture de la transcription de son témoignage appuie la description qu"il a faite de son comportement devant la Commission. Le président de la Commission l"a remercié de sa collaboration et de l"aide qu"il avait apportée. (7698-9)1

[26]      L"avocat de l"intimé prétend que les déclarations générales ne sont pas des conclusions d"inconduite, qu"elles constituent plutôt une partie du récit général du Rapport et qu"il n"était pas nécessaire en tant que tel de donner à leur sujet les préavis prévus à l"article 13. La Commission, ajoute-t-il, n"est pas tenue de donner le préavis prévu à l"article 13 pour chaque commentaire négatif mentionné dans le Rapport qui pourrait viser un individu : cela lui imposerait une norme d"équité indûment lourde et nuirait à sa capacité de remplir ses fonctions. Il mentionne les propos du juge Teitelbaum dans l"arrêt Addy où il a approuvé la formulation de déclarations générales quant à la crédibilité. En outre, la deuxième condamnation générale susmentionnée, déclare-t-il, est une conclusion quant à la crédibilité, et non une conclusion d"inconduite. Dès lors, il n"est pas nécessaire de donner le préavis prévu à l"article 13; voir Richards c. Miller, J. (1996), 180 R.N.B. (2e), à la page 24 (C.B.R. 1re inst.).

[27]      Ce qu"on entend par " faute imputée " à l"article 13 de la Loi sur les enquêtes a récemment fait l"objet de commentaires dans les décisions relatives à l"enquête Krever : Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l"enquête sur l"approvisionnement en sang au Canada), [1996], 3 C.F. 259 (1re inst.), confirmé en grande partie au [1997] 2 C.F. 36 (C.A.F.), confirmé au [1997] 3 R.C.S. 440 (parfois mentionné ici comme l"arrêt Krever ). Dans la décision de la Cour suprême, le juge Cory, à la page 471, a assimilé une " imputation " de faute à des " conclusions " faisant état d"une faute susceptibles d"être tirées et, à la page 463, il a assimilé le terme anglais " misconduct " à une " mauvaise conduite ou gestion irrégulière ". Dans la décision de la Cour d"appel fédérale, à la page 60, le juge Décary, décrivant la faute, a déclaré :

         qui dit " faute ", dit nécessairement manquement à un critère de conduite. Ce critère doit être moral, légal, scientifique, social, politique, etc...                 

Selon la jurisprudence, il est également clair que les fonctions d"une commission d"enquête de faire rapport et d"énoncer des avis peuvent l"amener nécessairement à formuler des commentaires négatifs sur la conduite de personnes, mais que ces propos ne vont pas nécessairement justifier que l"on donne le préavis prévu à l"article 13. En ce qui concerne les propos du juge Teitelbaum, je n"ai aucun doute qu"ils étaient fondés sur la présomption que tous les membres du groupe, à l"égard desquels une conclusion générale relative à la crédibilité ou au manque de crédibilité pourrait être tirée, s"étaient conduits d"une façon qui justifiait que la déclaration générale s"appliquât à eux.

[28]      Les deux déclarations générales que le requérant trouve répugnantes attribuent à des personnes nommément désignées un comportement qui est à la fois moralement et légalement mauvais. À mon avis, il s"agit du genre de conclusions pour lesquelles le préavis prévu à l"article 13 aurait dû être donné, à moins qu"elles n"entrassent dans la catégorie des propos qui, selon la jurisprudence, sont nécessaires pour que la Commission formule des avis et fasse rapport : voir l"arrêt que la Cour suprême a rendu dans l"affaire Krever (précitée), aux pages 462 et 463. Je ne peux conclure que ces propos relèvent de cette catégorie; il ne s"agit pas de conclusions nécessaires pour expliquer et étayer les recommandations de la Commission. Par ailleurs, la deuxième déclaration ne peut être décrite tout simplement comme une conclusion relative à la crédibilité. Elle va plus loin encore. Elle caractérise la conduite de ces personnes comme étant de nature à faire naître des doutes graves quant à leur aptitude sur le plan moral et professionnel à se trouver dans les postes qu"elles occupent actuellement. Je suis d"avis que ces déclarations n"auraient pas dû être faites sans être individualisées et sans faire l"objet du préavis prévu à l"article 13.

[29]      Il est malheureux que ces déclarations générales de condamnation aient été consignées dans le Rapport. Elles peuvent avoir pour effet, comme le dit le requérant, de ternir la réputation de personnes innocentes et de causer un préjudice considérable à des personnes qui ne méritent pas une telle désapprobation. À tout le moins, le requérant a le droit d"obtenir de la Cour qu"elle déclare que ni le dossier de la Commission ni les documents déposés pour les fins de cette demande de contrôle judiciaire n"appuient la conclusion voulant que sa conduite fût telle qu"elle l"incluait dans l"une ou l"autre de ces déclarations générales.

b) L"imputation de fautes précises au lieutenant-colonel Morneault au chapitre 35

[30]      Le requérant fait valoir qu"il n"a reçu aucun préavis à l"égard des nombreuses conclusions figurant au chapitre 35 du volume 4 du Rapport, aux pages 1159 à 1163. Afin d"apprécier cet argument, il est nécessaire de décrire le préavis qui lui a été donné ainsi que les précisions y relatives, puis de comparer celui-ci avec les conclusions du Rapport. Je vais aborder l"argument sous les rubriques suivantes : (i) Préavis donné, (ii) Questions abandonnées en tant qu"allégations pouvant étayer une conclusion d"inconduite, (iii) Résumé des conclusions énoncées au chapitre 35 et (iv) Caractère suffisant du préavis donné.

     (i) Préavis donné

[31]      Très tôt, la Commission a donné les préavis que prévoit l"article 13 aux personnes qui, croyait-elle, pouvaient peut-être faire l"objet de conclusions d"inconduite. Le requérant a reçu un de ces préavis en date du 22 septembre 1995. À cette époque, il participait déjà à part entière aux travaux de la Commission. En tant que commandant du RAC du 24 juin au 21 octobre 1992, il avait demandé et obtenu qualité pour comparaître. En effet, à son avis, sa destitution du poste de commandant avait contribué aux problèmes du RAC plutôt qu"à les faire disparaître.

[32]      Les préavis du 22 septembre 1995 étaient de nature générique; par exemple, celui qui avait été remis au requérant énonçait des question à l"égard desquelles il n"avait jamais été responsable. Ils avaient cependant cela d"utile qu"ils avisaient de façon générale leurs destinataires que le résultat de l"enquête pourrait donner lieu à des conclusions qui leur seraient défavorables. Les personnes qui ne suivaient pas déjà les travaux de la Commission étaient ainsi mises en garde qu"elles devaient les suivre si elles le désiraient et, si elles le jugeaient bon, demander l"autorisation d"y participer. Les préavis n"étaient en aucune façon suffisamment détaillés pour répondre aux exigences de l"article 13. La Commission le savait sans doute et tentait seulement de s"assurer que personne, somme toute, ne serait pris au dépourvu.

[33]      Le 31 janvier 1997, une lettre modifiant la teneur du préavis antérieur donné en vertu de l"article 13 a été remise au requérant. Elle comportait quatre rubriques. Deux d"entre elles n"ont fait l"objet d"aucune conclusion qui lui était défavorable. Les deux allégations qui ont donné lieu à des conclusions défavorables portaient (1) qu"il avait négligé d"organiser, de diriger et de superviser comme il convient les préparatifs de la formation en vue de l"opération " Cordon " et (2) qu"il avait manqué à son devoir de commandant, tel qu"il est défini par l"article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux et par les coutumes militaires. Voici le texte du préavis qui lui a été envoyé à l"égard de ces deux allégations :

         [TRADUCTION]Les commissaires m"ont demandé de vous aviser que, conformément au préavis prévu à l"article 13 qui vous a déjà été remis et compte tenu des témoignages rendus devant l"Enquête, ils examineront, dans leur Rapport final, les allégations que vous avez fait preuve d"un manque de leadership et d"un leadership inadéquat au cours de l"étape antérieure au déploiement de la mission en Somalie, en négligeant :                 

     ["]

             2.      d"organiser, de diriger et de superviser comme il convient les préparatifs de la formation du Régiment aéroporté du Canada pendant la période allant de la réception de l"ordre d"avertissement en vue de l"opération " Cordon " jusqu"au moment où vous avez été relevé de son commandement;                 

     ["]

             4.      votre devoir de commandant, tel qu"il est défini par analogie avec l"article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux et par les coutumes militaires.                 
         La présente lettre a pour objet de vous fournir des précisions et des renseignements complémentaires sur les questions qui vous ont été communiquées dans le préavis prévu à l"article 13.                 
         Dans la rédaction de leur rapport final, les commissaires limiteront leurs commentaires concernant votre responsabilité éventuelle à ces questions.                 

[34]      En réponse à la lettre du 31 janvier 1997, l"avocat du requérant a demandé à la Commission d"indiquer les actes ou les omissions du requérant qui étaient supposés constituer un manque de leadership et un leadership inadéquat de sa part dans l"organisation, la direction et la supervision des préparatifs de la formation. Dans la même veine, il a demandé dans quelle mesure le requérant avait négligé son devoir suivant l"obligation qui lui était imposée par l"article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux .

[35]      La Commission a répondu :

         [TRADUCTION]a.      Pour ce qui est du paragraphe 2 du préavis :                 
             Il n"a pas consacré suffisamment de temps à l"observation, à la supervision et à la direction de la formation, tout particulièrement en ce qui concerne le ton de cette formation [voir le témoignage du bgén Beno, aux pages 7795 et 8115; du maj Turner, aux pages 3547 et 3548, 3446, 3449, 3527, 3674 et 3728; du maj Kyle, aux pages 3845, 3808 et 3855 à 3857. Dans son témoignage, le lcol Morneault a déclaré qu"il avait consacré de 15 à 20 p. 100 de son temps à la supervision de la formation. Voir également son témoignage à la page 7321].                 
             Il n"a pas établi un énoncé des concepts, objectifs, normes et priorités dans le plan de formation [voir le témoignage du bgén Beno, à la page 7753; du maj Turner, aux pages 3724, 3435-3438, 3619 et 3620; du maj Seward, à la page 5760, et du maj MacKay, à la page 6485].                 
             Il n"a pas fourni de formation uniforme aux différentes sous-unités [voir le témoignage du maj Turner, aux pages 3449 et 3528 et de l"adjum Murphy, à la page 6646]. Dans ce contexte, les commissaires tiendront compte du rendement du RAC au cours de l"exercice " Stalwart Providence "]                 
             Prière de noter que ces renvois ne sont pas exhaustifs.                 
         c.      Pour ce qui est du paragraphe 4 du préavis :                 
             Les commissaires examineront la question de savoir si le lcol Morneault s"était réservé " les questions importantes qui exigent son attention et sa décision personnelles " conformément à l"article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux . En particulier, les commissaires examineront la question de savoir s"il a supervisé la formation de ses commandos, s"il a supervisé des composantes précises de la formation du 2e Commando, bien qu"on lui eût signalé l"existence de problèmes concernant l"état de préparation des sous-unités, s"il avait corrigé les problèmes de commandement au sein du RAC, s"il avait bien évalué l"état de préparation opérationnelle du RAC et s"il avait bien informé ses supérieurs de l"état de préparation et des problèmes de discipline et de formation au RAC.                 
             Une autre question qui sera abordée est celle de savoir si le lcol Morneault s"était réservé " le contrôle et la surveillance d"ordre général des diverses fonctions " qu"il avait confiées à d"autres. En particulier, avait-il supervisé les plans et les activités de formation des officiers commandants, avait-il bien revu les ordres et les directives que ses commandants subordonnés donnaient et s"était-il assuré que ses ordres et ses directives étaient suivis comme prévu?                 
         d.      Pour ce qui est du paragraphe 4 du préavis :                 
             Les commissaires examineront si le lcol Morneault avait assuré l"ordre et la discipline dans l"unité qu"il commandait.                 
             Avait-il prêché par l"exemple sur le terrain?                 
             Pour en savoir davantage au sujet des " coutumes militaires ", prière de consulter l"article 1.13 des Ordonnances et règlements royaux et l"article 49 de la Loi sur la défense nationale .                 

     (ii) Questions abandonnées en tant qu"allégations pouvant étayer une conclusion d"inconduite

[36]      Comme il a été mentionné précédemment, deux des allégations qui figuraient dans le premier préavis prévu à l"article 13 (paragraphes 1 et 3) n"ont pas servi de fondement à des conclusions d"inconduite à l"endroit du requérant. Les deux allégations qui ont été abandonnées étaient les suivantes : le lieutenant-colonel Morneault avait avisé le brigadier général Beno que le RAC était opérationnellement prêt, alors qu"il savait ou aurait dû savoir qu"il faisait face à des problèmes de discipline, de cohésion, d"entraînement au niveau régimentaire et de leadership informel, et il avait négligé de s"assurer que les membres du RAC avaient reçu une formation satisfaisante sur le droit de la guerre ou le droit des conflits armés, y compris les quatre Conventions de Genève de 1949 sur la protection des victimes des conflits armés, et que leurs connaissances à cet égard avaient été dûment vérifiées.

[37]      En ce qui concerne les précisions relatives aux autres allégations, qui sont énoncées ci-dessus, aucune conclusion de faute n"a été tirée à l"endroit du requérant selon laquelle il n"avait pas fourni de formation uniforme aux diverses sous-unités. Aucune conclusion ne lui reprochait d"avoir délégué ses responsabilités de façon inacceptable. Aucune conclusion ne lui reprochait de ne pas s"être suffisamment occupé de l"état de préparation opérationnelle du RAC ou d" avoir manqué à son devoir d"en informer ses supérieurs. Aucune conclusion ne lui reprochait d"avoir manqué à son obligation de maintenir l"ordre et la discipline. Aucune conclusion ne lui reprochait, enfin, d"avoir manqué à son devoir de prêcher par l"exemple.

[38]      Le fait qu"aucune faute n"ait été imputée au requérant en raison des problèmes de discipline au sein du RAC est important. Le Rapport décrit des problèmes de discipline très graves au sein du RAC, qui existaient avant que le requérant ne prenne le commandement du RAC. Il reconnaît que le lieutenant-colonel Morneault essayait de régler ces problèmes2. En effet, la Commission reproche au brigadier général Beno de n"avoir pas appuyé les efforts du lieutenant-colonel Morneault à cet égard :

         En ce qui concerne le lcol Morneault, le bgén Beno aurait dû le soutenir dans ses efforts pour venir à bout des problèmes de discipline. Plus précisément, il aurait dû appuyer le plan consistant à menacer le 2e Commando de le retrancher de la mission, ou proposer une autre solution. ... Il incombait au bgén Beno d"assumer ses responsabilités de supervision à l"égard de ces problèmes de discipline et de collaborer d"une manière tangible avec le lcol Morneault à leur résolution, ce qu"il n"a pas fait. [Notes de bas de page omises.]                 

     Volume 4, page 1127

[39]      En outre, aucune faute n"a été imputée personnellement au requérant à l"égard de l"allégation voulant qu"il eût manqué à son devoir de commandant tel qu"il est défini par l"article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux et par les coutumes militaires, sauf dans la mesure où cette carence pourrait découler de l"allégation lui reprochant d"avoir négligé d"organiser, de diriger et de superviser comme il convenait les préparatifs de la formation.

     (iii) Résumé des conclusions énoncées au chapitre 35

[40]      Je passe maintenant au résumé des conclusions énoncées au chapitre 35 du Rapport de la Commission qui sont défavorables au lieutenant-colonel Morneault. La partie pertinente du texte commence par la déclaration selon laquelle le lieutenant-colonel Morneault ne s"était pas acquitté de ses importantes responsabilités relatives à la formation parce qu"il n"avait pas inculqué aux membres de ses commandos, par la conception d"un plan de formation approprié et par une supervision directe satisfaisante, une attitude convenant à une mission de maintien de la paix. Le Rapport affirme ensuite qu"il n"avait pas consacré suffisamment de temps à la supervision directe; que la formation était beaucoup trop axée sur les compétences générales au combat et comportait un degré d"agressivité incompatible avec la mission; qu"il aurait dû savoir que la mission nécessitait des connaissances plus étendues; qu"il avait été averti à plusieurs reprises que la formation était empreinte de trop d"agressivité, mais qu"il n"avait pas corrigé cette déficience; qu"il n"avait pas relevé le major Seward de son poste de commandant du 2e Commando lorsqu"on l"avait averti que ce dernier n"était pas apte à commander l"unité et qu"il avait empêché que des mesures immédiates soient prises contre cet officier.

[41]      Le deuxième motif à l"appui de la conclusion d"inconduite tirée par la Commission relativement à la formation et énoncé dans le Rapport est que le lieutenant-colonel Morneault n"avait pas instruit convenablement ses commandants sur le but, la portée et les objectifs de l"entraînement qu"ils devaient donner et n"a pas inclus d"énoncé convenable de ces points dans son plan d"entraînement. Il aurait dû savoir aussi qu"un ordre écrit établissant les priorités dans un concept de formation global est un élément important de l"orientation de l"entraînement. Comme il ne l"avait pas fait, il n"est pas étonnant qu"il y ait eu un manque de cohésion entre les sous-unités du RAC. Il n"avait pas déployé tous les efforts possibles pour assurer la cohésion de son unité.

[42]      Pour ces motifs, la Commission a conclu non seulement que le requérant avait négligé d"organiser, de diriger et de superviser comme il convenait les préparatifs de la formation, mais qu"il avait manqué aussi à son devoir de commandant tel qu"il est défini par analogie avec l"article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux et par les coutumes militaires.

     (iv) Caractère suffisant du préavis donné

[43]      Le requérant déclare qu"il a compris du préavis qu"il a reçu que les préoccupations de la Commission avaient trait au temps qu"il avait consacré à la supervision et à la direction de la formation, au ton de la formation au sein du 2e Commando, au contenu de son plan d"entraînement et à la question de savoir si une formation uniforme avait été offerte à toutes les sous-unités. Il n"a pas compris que la Commission examinait les points suivants : s"il avait négligé ou non d"inculquer à ses commandos une attitude convenant à une mission de maintien de la paix; qu"il savait ou aurait dû savoir qu"il fallait des connaissances beaucoup plus étendues que l"entraînement général au combat permet d"en donner; qu"il avait manqué à son devoir de commandant en négligeant d"effectuer les changements de personnel avant le 21 octobre 1992; qu"il était responsable d"avoir empêché que des mesures immédiates soient prises contre le major Seward en octobre 1992; qu"il n"avait pas déployé tous les efforts possibles pour assurer la cohésion de son unité. Selon lui, s"il avait su que la Commission avait l"intention d"examiner ces questions comme indication de ses carences dans l"exercice de ses fonctions et d"un manque de leadership et d"un leadership inadéquat, il aurait préparé les observations qu"il a présentées à la Commission de façon à répondre à ces préoccupations.

[44]      On trouve dans l"arrêt Krever (précité) des explications de ce qui constitue un préavis raisonnable pour les fins du préavis que prévoit l"article 13. Le juge Décary, qui a prononcé les motifs de la Cour d"appel, a noté, à la page 72, qu"un " préavis suffisant " (" reasonable notice " dans le texte anglais) doit communiquer à son récipiendaire " une bonne idée de la faute qui lui est imputée... ". Le juge Cory, qui a prononcé les motifs de la Cour suprême du Canada, a déclaré, à la page 472, qu"" en toute justice pour les témoins ou les parties qui peuvent faire l"objet de conclusions faisant état d"une faute, les préavis devraient être le plus détaillés possible. "

[45]      Je conviens avec l"avocat de l"intimé qu"un préavis peut être aussi bien implicite qu"explicite. Cependant, le fait que le requérant avait qualité à part entière pour agir devant la Commission, qu"il avait accès à tous les documents déposés et qu"il jouissait du droit de contre-interroger les témoins ne réduit pas nécessairement l"obligation de lui donner un préavis concernant précisément ce qui amenait les commissaires à penser que sa conduite pouvait être qualifiée d"inconduite. La quantité elle-même de documents remis à la Commission et la durée de ses travaux (il s"est écoulé un an entre le témoignage du requérant devant la Commission et la délivrance du préavis détaillé que prévoit l"article 13) augmentent plutôt qu"elles diminuent la nécessité de donner un préavis suffisamment détaillé.

[46]      À mon avis, la question de savoir si un préavis suffisant a été donné peut être examinée en se demandant si une personne raisonnable, qui pense avoir agi sans faute, a reçu suffisamment de renseignements pour savoir quels aspects de sa conduite, selon le décideur, peuvent justifier ou étayer une conclusion d"inconduite. Ce qui constitue un préavis suffisant dépendra des circonstances de chaque espèce. Dans le cas d"une enquête très restreinte, qui se limite à l"examen de la conduite d"un ou de deux individus au cours d"un événement isolé, un préavis formulé de façon générale pourrait suffire. Toutefois, dans un cas comme en l"espèce, et la Commission comme l"avocat du requérant l"ont bien compris, il fallait une abondance de détails. Il en était ainsi pour les raisons mentionnées ci-dessus et parce que, dans le cas du lieutenant-colonel Morneault, la plupart des commentaires négatifs concernant sa conduite émanaient d"une seule personne, dont la version des événements, d"ailleurs, tranchait avec la sienne. Ces commentaires négatifs avaient été répétés par d"autres personnes qui n"avaient pas une connaissance personnelle des questions en cause. Dans ces circonstances, le requérant trouverait très difficile de savoir, à défaut d"un préavis précis, quelles déclarations concernant sa conduite la Commission examinait de près. On ne pouvait s"attendre à ce qu"il réfute chaque commentaire négatif dirigé à son endroit, devinant qu"un ou plusieurs de ceux-ci pourraient inquiéter les commissaires. Cette obligation imposerait un fardeau indûment lourd tant au requérant qu"à la Commission elle-même.

[47]      Lorsqu"on compare le préavis donné, y compris les renvois à la transcription qui y sont mentionnés, avec les conclusions d"inconduite qui ont été tirées, il est manifeste que la position du requérant est bien fondée lorsqu"il affirme qu"il n"a pas reçu de préavis suffisant à propos de plusieurs questions que la Commission a fini par invoquer pour justifier ses conclusions d"inconduite contre lui. Cela est particulièrement évident lorsque la Commission conclut qu"il a manqué à son devoir en ne relevant pas beaucoup plus tôt le major Seward de ses fonctions et qu"il a empêché que des mesures soient prises contre ce dernier.

Conclusions de fait non étayées par la preuve - Principes de droit applicables

[48]      Je passe maintenant à l"argument du requérant selon lequel les conclusions du Rapport ayant trait à sa conduite sont fondées sur des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont la Commission disposait. L"avocat de l"intimé prétend qu"il n"est pas nécessaire d"examiner cet argument parce que les conclusions figurant au chapitre 35 ne sont pas des " décisions " susceptibles de contrôle par la Cour en vertu de l"alinéa 18.1(4)d ) de la Loi sur la Cour fédérale. Il ajoute que, si elles sont susceptibles de contrôle, le critère applicable est celui de la règle de l"" absence de preuve " et donc, que, tant qu"il y a qu"une parcelle de preuve pour étayer les conclusions, celles-ci ne devraient pas être infirmées. À cet égard, il dit qu"il n"y a qu"une seule constatation d"inconduite et elle porte que le requérant " a fait preuve d"un manque de leadership et d"un leadership inadéquat au cours de l"étape antérieure au déploiement de la mission. "

a) Décisions susceptibles de contrôle

[49]      L"alinéa 18.1(4)d ) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit qu"une décision doit être infirmée, si l"office fédéral :

         a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose. [Non souligné dans l"original.]                 

[50]      On prétend que le rapport d"une commission d"enquête n"est pas une décision pour les fins de cet alinéa parce que les constatations qui sont tirées n"ont aucune conséquence juridique. Le mandat d"une commission d"enquête est d"enquêter et de faire rapport. Les descriptions des commissions d"enquête que l"on trouve dans de nombreuses décisions ont été mentionnées3. Ainsi, on prétend que même si les travaux d"une commission d"enquête peuvent faire l"objet d"un contrôle judiciaire pour motif d"erreur juridictionnelle ou omission de respecter les exigences procédurales des principes d"equity, les décisions qui sont éventuellement rendues par la Commission sont insusceptibles de contrôle parce qu"elles sont fondées sur des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire. L"avocat invoque des déclarations faites par la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt Krever (précité), aux pages 59 et 60, et par la Cour suprême, aux pages 460 et 461, et dans l"affaire Guay c. Lafleur, [1965] R.C.S. 12; mais, voir Saulnier c. Commission de police du Québec, [1976] 1 R.C.S. 572. L"avocat invoque particulièrement les propos du juge Cory, à la page 460 de l"arrêt Krever :

         Une commission d"enquête ne constitue ni un procès pénal, ni une action civile pour l"appréciation de la responsabilité. Elle ne peut établir ni la culpabilité criminelle, ni la responsabilité civile à l"égard de dommages. Il s"agit plutôt d"une enquête sur un point, un événement ou une série d"événements. Les conclusions tirées par un commissaire dans le cadre d"une enquête sont tout simplement des conclusions de fait et des opinions que le commissaire adopte à la fin de l"enquête. Elles n"ont aucun lien avec des critères judiciaires normaux... Les conclusions d"un commissaire n"entraînent aucune conséquence légale. Elles ne sont pas exécutoires et elles ne lient pas les tribunaux appelés à examiner le même objet...                 

[51]      Je ne considère pas convaincant l"argument de l"avocat de l"intimé. Pour commencer, il paraît illogique de dire qu"un individu peut contester la décision éventuelle d"un décideur, par exemple en faisant annuler un préavis remis en vertu de l"article 13, mais ne peut contester la décision dès lors qu"elle est rendue pour le motif qu"elle n"est pas étayée par la preuve. Un thème qui sous-tend les décisions ayant trait à l"enquête Krever et à l"arrêt Addy (précités) est que les tribunaux hésitent à limiter les travaux d"une commission d"enquête tôt dans ses travaux parce que l"injustice que craint le requérant peut ne jamais se produire. Cette retenue judiciaire est fondée sur la supposition que, si l"injustice devait survenir, la personne concernée jouirait d"un recours.

[52]      Une commission d"enquête peut exercer deux rôles en vertu de son mandat : d"abord, effectuer des enquêtes systémiques et institutionnelles, faire des constatations et formuler des recommandations, ensuite, tirer des conclusions précises d"inconduite contre des personnes nommément désignées. Des procédures différentes s"appliquent à chaque cas. Celle que la Commission a suivie pour les fins de ses conclusions et de ses recommandations figurant aux volumes 1 à 3 est décrite au volume 1, pages 11 à 13. La procédure que la Commission a suivie pour les fins de ses conclusions figurant au volume 4 comporte de nombreux points de similitude avec celle que suit un tribunal judiciaire : les travaux se déroulent en public, les personnes répondent à des " accusations de faute " portées à leur endroit, elles ont le droit de citer au moins quelques témoins, l"occasion leur est donnée de faire des observations écrites, l"issue étant soit le rejet de l"" accusation " ou une conclusion d"inconduite à leur égard. Il s"agit d"un processus décisionnel quasi judiciaire. En outre, les conclusions de la Commission imputant des fautes à des personnes nommément désignées peuvent entraîner des conséquences graves sur leur réputation et leur carrière. Conclure que des décisions qui découlent d"un tel processus ne sont pas susceptibles de contrôle en vertu de l"alinéa 18.1(4)d ) serait tout à fait contraire à l"objet même du contrôle judiciaire et à son développement en tant que recours en droit.

[53]      L"avocat du requérant a fait état d"un certain nombre de descriptions qui ont été formulées au sujet du préjudice irréparable qui peut être causé à la réputation et à la carrière. J"en citerai quelques-unes ici :

         Ces enquêtes, fonctionnant sous le feu des projecteurs de la presse, ressemblent beaucoup à un procès sans cependant que l"intéressé bénéficie des garanties que lui assurent les règles de pratique judiciaire. Le public a parfaitement raison de demander si ces enquêtes ne sont pas en fait des procès dénommés autrement.                 
         Dans J. Sopinka, The Role of Commission Counsel, dans Commissions of Inquiry (Carswell, 1990, Pross, Christie, Yogis eds.) 75, à la page 76.                 
         Le grand public ne reconnaît pas toujours qu"elles ne visent pas principalement à imputer une responsabilité criminelle ou à rejeter le blâme sur quelqu"un. Aux yeux de la plupart des citoyens, une enquête publique comporte beaucoup des caractéristiques d"un procès criminel.                 
         Dans Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d"enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, à la page 164.                 
         Celui dont la réputation est mise à mal par les accusations contenues dans le rapport d"une commission d"enquête publiquement diffusée ne tirera qu"une maigre consolation du fait que, dans le cadre de sa mission de surveillance, un tribunal a jugé que la Commission avait fait fi des droits de l"intéressé lors de la publication de ses conclusions. Il est donc important que, si l"individu cité à comparaître devant une commission royale doit respecter l"exercice régulier par celle-ci des pouvoirs qui lui sont conférés, la commission et l"enquête, elles aussi, soient tout à fait conscientes et respectueuses des droits de ceux qui comparaissent devant elles ou qui font l"objet d"une enquête.                 
         Dans E. Greenspan, The Royal Commission: History, Powers and Functions, and the Role of Counsel, Administrative Tribunals (Canada Law Book Inc., 1989, F. Moskoff Q.C. ed.) 327, à la page 341.                 

b) Critère applicable

[54]      Lorsqu"on demande à un tribunal judiciaire de contrôler les conclusions de fait d"un office, la question se pose toujours de savoir quel est le critère à appliquer.

[55]      En l"espèce, l"intimé prétend que le critère est celui de l"" absence de preuve ", c"est-à-dire que la Cour ne devrait pas intervenir, à moins qu"aucune preuve n"appuie la décision : Sarco Canada Limited c. Le Tribunal antidumping , [1979] 1 C.F. 247 (C.A.F.), à la page 254; Re Rohm & Haas Canada Ltd. and Anti-Dumping Tribunal (1978), 91 D.L.R. (3d) 212 (C.A.F.), à la page 215. L"avocat de l"intimé invoque également le principe de la retenue due aux tribunaux de première instance énoncé dans les arrêts Stein c. Le navire " Kathy K ", [1976] 2 R.C.S. 802, et Dickason c. Université de l"Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103, à la page 1125 et aux pages 1148 à 1152.

[56]      L"avocat du requérant prétend que l"alinéa 18.1(4)d ) de la Loi sur la Cour fédérale accorde un droit au contrôle beaucoup plus large que le critère de l"" absence de preuve " et que le critère approprié consiste à se demander si la décision est " déraisonnable compte tenu de tous les éléments de preuve " : voir Singh c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1993), 69 F.T.R. 142, et Hristova c. Minister of Employment and Immigration (1994), 75 F.T.R. 18, à la page 23. Il a aussi fait remarquer que, dans l"arrêt Banque canadienne impériale de Commerce c. Refer, [1986] 3 C.F. 486 (C.A.F.) à la page 497, la Cour d"appel n"a pas suivi la décision qu"elle avait rendue dans l"affaire Re Rohm & Haas et a infirmé une décision dans laquelle l"office n"avait pas " tenu compte " de la preuve. À l"appui du principe selon lequel des conclusions négatives fondées sur des inférences qui ne sont pas étayées par la preuve seront infirmées parce qu"elles sont erronées, il invoque les arrêts Frimpong c. Canada (1989), 8 Imm L.R. (2d) 183 (C.A.F.), et Boucher c. Commission d"appel de l"immigration (1989), 105 N.R. 66 (C.A.F.). Il cite également Giron c. Minister of Employment and Immigration (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.), comme source du principe selon lequel la décision du tribunal qui tire des inférences déraisonnables de la preuve devrait être infirmée.

[57]      Il ressort de la jurisprudence récente4 que la norme applicable fait partie d"une gamme de normes allant de celle de la décision correcte à celle de la décision manifestement déraisonnable. L"endroit où se trouve dans cette gamme la norme précise à appliquer à une décision donnée dépend d"un certain nombre de facteurs, dont celui-ci : la contestation de la décision est-elle fondée sur l"allégation selon laquelle le décideur a mal interprété le droit ou sur l"allégation selon laquelle il a tiré des conclusions non étayées par la preuve? Pour ce qui est du premier cas, la norme applicable dans la gamme peut dépendre de la question de savoir si la question de droit est de celles qui exigent les connaissances spécialisées de l"office (le décideur) ou de la question de savoir s"il s"agit d"une question d"interprétation du droit qu"un tribunal judiciaire est mieux placé pour faire que l"office.

[58]      Lorsqu"il s"agit de savoir si la conclusion de fait est correcte, on fait preuve de retenue à l"endroit du décideur qui a personnellement entendu la preuve. Il en est ainsi même quand le droit d"appeler de la décision est entier. Est aussi pertinent dans la détermination de la norme applicable le contexte législatif qui confère la compétence au décideur, c"est-à-dire s"il existe une clause privative, si la loi ne prévoit pas de droit de se pourvoir en contrôle judiciaire ou en appel, si la loi accorde un droit de se pourvoir en contrôle judiciaire ou si elle accorde sans réserve le droit d"appel.

[59]      Dans ce contexte, la Cour d"appel fédérale a récemment indiqué dans l"arrêt Assoc. canadienne des fabricants de pâte alimentaire c. Aurora Importing & Distributing Ltd. (A-473-96. le 31 janvier 1997) que la description énoncée à l"alinéa 18.1(4)d ) de la Loi sur la Cour fédérale correspond au critère de la décision manifestement déraisonnable. J"estime qu"il s"agit là du critère à appliquer en l"espèce.

c) Constatations et conclusions

[60]      Je passe maintenant à l"argument de l"avocat de l"intimé selon lequel, en réalité, une seule " faute a été imputée " au requérant, à savoir qu"il avait fait preuve d"un manque de leadership et d"un leadership inadéquat au cours de l"étape antérieure au déploiement de la mission, particulièrement en ce qui concerne la formation, et qu"il avait manqué à son devoir de commandant.

[61]      Je partage l"opinion de l"avocat de l"intimé selon qui le mot anglais " finding " [traduit selon le cas par " conclusion " et " constatation "] est utilisé un peu trop librement pour décrire différents paliers du processus décisionnel. D"abord, il y a des constatations de fait, par exemple le temps effectivement consacré par le lieutenant-colonel Morneault à la supervision de la formation et le niveau auquel cette formation était dispensée. Ensuite, il y a les conclusions qui sont fondées sur ces constatations de fait, par exemple que le temps consacré était insuffisant. Enfin, il y a un autre palier encore plus élevé de constatations ou de conclusions, par exemple que le fait de ne pas consacrer suffisamment de temps à la supervision de la formation est une conduite qui mérite, soit toute seule, soit lorsqu"elle est associée à d"autres aspects de la conduite du requérant, une décision portant que le requérant a fait preuve d"un manque de jugement et d"un leadership inadéquat en ce qui concerne la formation. Je me rapporterai à ce troisième palier décisionnel comme celui de la décision ultime.

[62]      Je ne pense pas, cependant, que " l"utilisation libre " du mot " constatation " ou " conclusion " crée de la confusion en ce qui concerne les arguments ou les questions en litige. S"il y a des carences au premier palier (lors de la détermination des constatations de fait), alors ces carences entacheront les conclusions au deuxième palier qui sont fondées sur ces constatations de fait. Les conclusions au deuxième palier qui n"ont aucune base factuelle seront invalides. La validité de la décision au troisième palier ou de la décision ultime dépendra du nombre de constatations de fait ou de conclusions invalides au deuxième palier qui existent, et leur importance par rapport à la décision ultime tirée au troisième palier. Lorsqu"une décision est fondée sur des constatations de fait ou sur les conclusions qui en sont tirées, le caractère correct à l"égard d"une question mineure ou d"un certain nombre de questions mineures n"appuiera pas la décision. À mon avis, c"est pourquoi la règle de l"" absence de preuve " a été supplantée, pour l"essentiel, par le critère de la décision " manifestement déraisonnable ".

Conclusions de fait non étayées par la preuve - Évaluation du fondement de la preuve

[63]      Je ferai quelques commentaires généraux concernant la preuve sur laquelle étaient fondées les conclusions énoncées au chapitre 35 avant d"aborder les conclusions précises dans leur ordre d"occurrence. J"accorderai une attention particulière aux parties du dossier invoquées par la Commission pour justifier ses conclusions. En même temps, il est évident que la preuve nécessite un examen beaucoup plus large, lequel a été entrepris afin d"évaluer la preuve qui étaie les décisions de la Commission.

a) Commentaires généraux

[64]      En examinant la preuve, une chose attire immédiatement l"attention : les renvois à la transcription mentionnés dans les détails du préavis remis en vertu de l"article 13 et les extraits de la transcription cités par la Commission au chapitre 35 à l"appui de ses conclusions sont complètement différents, à l"exception d"une page. Les renvois à la transcription donnés pour justifier le préavis remis en vertu de l"article 13 avaient pour objet d"aider le requérant à comprendre les allégations d"inconduite qui étaient formulées contre lui. La Commission a précisé expressément que ces renvois n"étaient pas exhaustifs. Néanmoins, l"abandon de presque tous les renvois originaux, sauf pour une page, paraît inhabituel.

[65]      En outre, les extraits de la transcription invoqués à l"appui des conclusions que la Commission a tirées contre le requérant sont peu nombreux. Il y a 15 renvois, dont deux sont des renvois à des documents. Des 13 autres, six se rapportent au témoignage du lieutenant-colonel Morneault lui-même, trois visent deux pages du témoignage du capitaine Kyle (3808 et 3809), deux visent deux pages du témoignage de l"adjudant chef Jardine (4775 et 4823), l"une vise le témoignage du lieutenant-colonel MacDonald (4985 et 4986) et l"une vise une page du témoignage du major Seward (5757). Il est significatif de constater qu"aucune mention n"est faite du témoignage du brigadier général Beno, si ce n"est celle d"un document qu"il a écrit.

[66]      Le témoignage du brigadier général Beno fourmille de critiques à l"endroit du lieutenant-colonel Morneault, particulièrement sur la façon dont il avait conduit la formation : il critique particulièrement ce qu"il considère être l"incapacité du requérant à suivre un calendrier, à s"en tenir à la mission et à exposer par écrit les objectifs et les priorités. À la page 649 du volume 2, la Commission assimile les désaccords entre les deux hommes à des différences de perspective :

         Le report des dates de déploiement a non seulement nui à la planification, mais il semble également avoir suscité une mésentente entre le bgén Beno et le lcol Morneault au sujet de la façon d"aborder le plan d"instruction et son calendrier de mise en oeuvre. Dès le début, le lcol Morneault était très conscient du retard, et il semble avoir mené ses préparatifs avec ces changements de date à l"esprit. " Nous savions dès le début qu"il y aurait des retards et que nous aurions davantage de temps pour l"instruction ". Pour sa part, le bgén Beno semble s"être attaché aux dates originales fixées dans l"ordre d"avertissement : " En dépit des rumeurs, il était tout à fait clair que nos supérieurs envisageaient toujours [...] les dates plus rapprochées ". Cette différence de perspective explique sans doute les désaccords ultérieurs entre le bgén Beno et le lcol Morneault quant à leur évaluation des progrès de l"instruction, ainsi que le calendrier et l"objet de l"exercice " Stalwart Providence ". [Notes de bas de page omises.]                 

Par ailleurs, il est de notoriété publique que la Commission n"ajoutait pas foi à la teneur d"une partie du témoignage du brigadier général Beno : Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d"enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie), [1997] 1 C.F. 911 (1re inst.); [1997] 2 C.F. 527 (C.A.F.); demande d"autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée, [1997] A.C.S.C. no 322.

b) Conclusions de fait

[67]      Les conclusions de la Commission au chapitre 35 seront examinées sous les rubriques suivantes : (i) Attitude convenant à une mission de maintien de la paix, (ii) Temps consacré à la supervision directe de la formation, (iii) Demande de temps supplémentaire, (iv) Nécessité d"avoir des connaissances plus étendues que l"entraînement général au combat permet d"en donner, (v) Excès d"agressivité du 2e Commando, (vi) Avertissements donnés, (vii) Non-destitution du major Seward, (viii) Instructions insuffisantes données aux commandants, (ix) Manque de cohésion et (x) Commentaires conclusifs sur la formation.

     (i) Attitude convenant à une mission de maintien de la paix

[68]      L"analyse de la Commission au chapitre 35 met d"abord l"accent sur l"importance de la formation dans les préparatifs au cours de la période antérieure au déploiement. Selon elle, la formation constitue la principale activité par laquelle on exerce un leadership, on transmet des attitudes et on vérifie l"état de préparation opérationnelle. La Commission ajoute que le lieutenant-colonel Morneault ne s"est pas acquitté de ses responsabilités à cet égard :

         Premièrement, il n"a pas inculqué aux membres de ses commandos, par la conception d"un plan de formation approprié ["] une attitude convenant à une mission de maintien de la paix . [Non souligné dans l"original.]                 

[69]      La Commission n"appuie pas cette conclusion sur le dossier dont elle disposait. Le requérant déclare qu"il n"a reçu aucun préavis l"informant que la Commission examinait la question de savoir si son plan d"instruction avait été conçu " pour inculquer une attitude convenant à une mission de maintien de la paix " comme raison possible, entre autres, d"une conclusion d"inconduite à son égard. Il soutient également qu"un jugement concernant la question de savoir si une " attitude convenant " à une mission de maintien de la paix avait été inculquée ne pouvait être rendu qu"après avoir entendu les témoins concernant les opérations sur le théâtre. Il note que la Commission a elle-même indiqué que c"est à cette phase de l"enquête qu"elle examinerait les valeurs et l"attitude professionnelles de tous les militaires de tout grade vis-à-vis la conduite licite des opérations en Somalie; voir volume 5, page 1611.

[70]      Je suis d"accord pour dire que la Commission a omis d"aviser de façon précise le requérant qu"elle examinerait la question de savoir s"il avait manqué à son devoir, dans la conception de son plan d"instruction, d"inculquer " une attitude convenant à une mission de maintien de la paix ". Elle ne précise pas au chapitre 35 la norme à laquelle elle se rapporte. J"interprète cette déclaration comme étant une conclusion tirée des autres constatations formulées au chapitre 35. En tant que tel, sa validité dépend de ces autres constatations.

     (ii) Temps consacré à la supervision directe de la formation

[71]      La première des constatations qui suivent est que le lieutenant-colonel Morneault n"a pas consacré suffisamment de temps à la supervision directe :

         En guise de premier exemple, le lcol Morneault a admis lui-même n"avoir consacré que de 15 à 20 p. 100 de son temps à la supervision de la formation de ses soldats. Pour dire les choses simplement, il n"a pas consacré suffisamment de temps à la supervision directe. [Non souligné dans l"original.]                 

[72]      La conclusion de la Commission se fonde sur le témoignage du lieutenant-colonel Morneault lui-même (7068). Il a témoigné qu"il avait consacré de 15 à 20 p. 100 de son temps à Petawawa, pendant la période de la formation, à la supervision (7068) (7306). Le type d"instruction auquel cette estimation se rapporte était la formation au niveau de la section. Le requérant mentionne qu"il s"agit là d"un niveau d"instruction individuelle très élémentaire qui est entreprise par le personnel non officier supérieur et que la supervision directe par l"officier commandant n"est pas courante. Voici ce qu"il a répondu lorsqu"on lui a dit qu"il aurait dû participer beaucoup plus activement à la supervision de cette formation : [TRADUCTION] " Je ne peux pas commander 750 hommes. Je dois me fier à mes subordonnés pour qu"ils me donnent une idée claire de ce qui se passe à leur niveau de responsabilité " (7306).

[73]      Les responsabilités relatives à la formation sont décrites ailleurs dans le Rapport. Au volume 2, à la page 642, elles sont décrites comme suivant la chaîne de commandement, c"est-à-dire que les officiers commandants donnent des directives générales à leurs commandants de compagnie, qui ont une certaine marge de manoeuvre pour former leurs compagnies comme ils le jugent bon, les commandants de compagnie confient la responsabilité du niveau d"instruction suivant aux commandants de peloton, lesquels confient la responsabilité de la formation peu spécialisée aux commandants de section. La description de la nature progressive de la formation allant du niveau individuel au niveau régimentaire se trouve à la page 643. La description du plan d"instruction préalable au déploiement utilisé par le RAC, qui prévoyait d"abord la formation individuelle des soldats, puis la formation collective au niveau de la section, du peloton et de la compagnie, ensuite de l"instruction au niveau régimentaire, se trouve aux pages 639 et 656.

[74]      Tout se passe comme si, selon la Commission, le requérant a reconnu dans son témoignage n"avoir pas consacré suffisamment de temps à la formation des troupes. Cela ne concorde pas avec son témoignage.

[75]      La Commission a ensuite conclu que consacrer de 15 à 20 p. 100 de son temps à la supervision directe de la formation était insuffisant. Cette conclusion n"est étayée par aucun renvoi au dossier. Le requérant déclare dans son affidavit que la Commission n"a pas demandé à un seul parmi plus d"une centaine de témoins militaires qui ont témoigné devant elle si les explications qu"il avait données au sujet de ses responsabilités, de son calendrier quotidien et du temps qu"il avait consacré à la supervision de la formation étaient déraisonnables ou que, pour un officier commandant, le temps qu"il avait consacré à la supervision directe de la formation au niveau de la section était insuffisant. Aucun témoin, déclare-t-il, n"a témoigné en ce sens.

[76]      L"avocat de l"intimé m"a renvoyée au témoignage du colonel Joly (2966) comme appuyant la décision de la Commission. Ce témoignage n"est toutefois qu"une conjecture à propos de ce qui, selon lui, était la préoccupation du brigadier général Beno. Il a déclaré dans son témoignage qu"il ne " s"inquiétait pas personnellement que la formation n"allait pas très bien ".

     (iii) Demande de temps supplémentaire

[77]      Abordant ensuite l"explication du requérant suivant laquelle, de toute façon, il n"avait que très peu de temps à consacrer à la supervision directe en raison de ses nombreuses responsabilités, le Rapport déclare qu"il aurait dû, à tout le moins, demander que soit modifié son emploi du temps afin de lui permettre de participer pleinement à l"entraînement sur le terrain. La Commission conclut qu"il n"en a rien fait avant qu"il ne soit trop tard :

         Il aurait donc dû, à tout le moins, demander de modifier son emploi du temps et ses obligations afin de pouvoir participer pleinement et directement à l"entraînement sur le terrain. Il n"en a rien fait. Certes, il a envoyé une lettre au bgén Beno dans laquelle il exprimait certaines inquiétudes à ce sujet, mais il l"a fait beaucoup trop tard pour pouvoir mettre en oeuvre des mesures correctrices et bien faire comprendre ses normes personnelles à ses soldats. [Non souligné dans l"original.]                 

[78]      La preuve invoquée à l"appui de cette conclusion est une lettre du requérant au brigadier général Beno en date du 9 octobre 1992. Comme l"explique le requérant, au 9 octobre 1992, la formation n"était que partiellement terminée. L"exercice " Stalwart Providence ", l"activité d"instruction la plus importante du RAC, n"avait pas encore eu lieu; il s"est déroulé du 14 au 18 octobre 1992. Par ailleurs, le lieutenant-colonel Morneault avait prévu d"autres activités de formation après cet exercice, dont un deuxième exercice régimentaire, et le RAC n"avait commencé son déploiement en Somalie qu"à la mi-décembre. J"accepte l"affirmation du requérant selon laquelle il est déraisonnable et contraire à la preuve d"avoir conclu que, le 9 octobre 1992, la possibilité pour lui d"influencer la formation avait " pratiquement disparu ".

     (iv) Nécessité d"avoir des connaissances plus étendues que l"entraînement général au combat permet d"en donner

[79]      La Commission conclut ensuite que le requérant aurait dû savoir que les troupes avaient besoin de connaissances plus étendues que l"entraînement général au combat permet d"en donner :

         ... le lcol Morneault savait que ses soldats s"entraînaient en vue d"une mission de maintien de la paix régie par les dispositions du chapitre VI de la Charte des Nations Unies . Il savait ou aurait dû savoir que ces missions nécessitent des connaissances plus étendues que l"entraînement général au combat permet d"en donner. [Non souligné dans l"original.]                 

[80]      Non seulement le requérant n"a-t-il pas reçu de préavis l"informant qu"il s"agissait là d"un sujet de préoccupation pour la Commission, mais celle-ci ne mentionne rien à l"appui de cette conclusion dans le dossier dont elle disposait. De plus, la conclusion est incompatible avec ce qui est indiqué ailleurs dans le Rapport. Les efforts déployés par le lieutenant-colonel Morneault et son état-major pour obtenir des renseignements et des documents utiles à un plan d"instruction en vue d"une mission de maintien de la paix sont décrits au volume 2, aux pages 644 et 645 :

         L"état-major du RAC a aussitôt [après le 1er septembre 1992] entrepris d"élaborer un plan d"instruction pour l"opération " Cordon ". Le lcol Morneault a donné des directives à son officier chargé de l"entraînement, le capt Walsh, compte tenu des renseignements qu"il avait reçus de vive voix, des résultats d"une précédente mission de reconnaissance en Somalie, de plans d"instruction, de comptes rendus de l"opération " Python " et de leur propre expérience collective. À la connaissance du lcol Morneault, il n"existait aucune directive écrite régissant l"élaboration de plans d"instruction pour des missions de l"0NU, et, en effet, notre enquête a confirmé cette surprenante déficience.                 
         Pendant qu"il travaillait sur le plan d"instruction pendant les tout premiers jours de septembre, l"état-major du RAC avait " les nerfs en boule ". Dans l"espoir de trouver des renseignements utiles à l"élaboration d"un plan d"instruction, l"état-major a procédé à de vastes recherches, examinant les dossiers pour y trouver des documents de missions antérieures, notamment celles de Chypre, du Sahara occidental et d"autres opérations sur le continent africain. Selon le capt Walsh :                 
             Nous avons examiné l"expérience et les plans d"instruction des soldats et des unités déployés pendant la guerre du Golfe. Nous avons ensuite interrogé des gens déployés au cours de ces missions pour savoir quelles leçons avaient été retenues.                         

Nous sommes allés aux quartiers généraux de brigade, aux quartiers généraux de zones et aux quartiers généraux de l"armée, dans le but encore d"y trouver des documents portant sur des leçons retenues, de l"aide qui nous permettrait de cerner les secteurs clés sur lesquels nous devions nous concentrer.

Nous avons communiqué avec le module de maintien de la paix du J3 au QGDN, ici à Ottawa. Nous nous sommes aussi entretenus avec les autorités des collèges d"état-major de Kingston et de Toronto. [Traduction libre]

         Les officiers supérieurs d"état-major qui avaient des contacts avec leurs régiments d"appartenance ont aussi contribué à l"élaboration du plan d"instruction.                 
         En dépit de ces efforts intensifs, l"état-major du RAC a constaté qu"il y avait " très peu " de documents écrits. Outre certaines directives sur l"instruction provenant du Quartier général de la FOS et certaines références à des documents portant sur des compétences générales, le capt Walsh n"a reçu aucune trousse d"information sur l"instruction du QGDN, du SCFT ou du Quartier général de la F0S.                 

     . . . .

         CONCLUSION DE FAIT                 
         ...[Le] RAC a déployé des efforts considérables pour essayer de compenser cette absence de doctrine, de lignes directrices et de documents. [Non souligné dans l"original. Notes de bas de page omises.]                 

[81]      L"avocat de l"intimé a mentionné les témoignages du capitaine Walsh (2409) et du capitaine Kyle (3792 et ss.) comme appuyant la conclusion de la Commission. Le témoignage du capitaine Walsh fait ressortir la différence entre la formation axée sur les compétences générales au combat que prévoyait le plan d"instruction qu"ils utilisaient et la formation générale propre à la mission de maintien de la paix qui y était également prévue. Le témoignage du capitaine Kyle relate les difficultés éprouvées par le RAC à organiser l"instruction relative aux véhicules en raison de la livraison tardive des véhicules nécessaires et de leur état mécanique déplorable à leur arrivée.

[82]      Le plan d"instruction qui a finalement été adopté comprenait des connaissances beaucoup plus générales que celles qu"offre une formation axée sur les compétences générales au combat. Il comportait des activités telles l"établissement et la protection des centres de distribution, les règles d"engagement, le contrôle des foules et des réfugiés, les procédures d"arrestation et de détention, la résolution des incidents, notamment l"escalade dans le recours à la force et les procédures de négociation et de compte rendu.

[83]      Au volume 2, pages 644 à 646 , la Commission a conclu que la formation des soldats était caractérisée par une instruction insuffisante en matière de maintien de la paix tant dans ce cas particulier de l"instruction pendant la période antérieure au déploiement que de façon générale. Elle a effectivement recommandé que la formation au maintien de la paix fasse partie intégrante de la formation ordinaire courante du soldat. Mais, il est contraire à la preuve que de conclure que le lieutenant-colonel Morneault manquait de connaissances ou avait choisi d"ignorer le fait que les soldats avaient besoin de connaissances beaucoup plus générales qu"un entraînement général au combat permet de donner5.

     (v) Excès d"agressivité du 2e Commando

[84]      La constatation suivante de la Commission est que le lieutenant-colonel Morneault a permis que la formation du 2e Commando soit trop agressive :

         ["] il a permis que la formation du 2e Commando soit beaucoup trop axée sur les compétences générales au combat et comporte un degré d"agressivité incompatible avec une mission de maintien de la paix. Le lcol Morneault a admis lui-même que le 2e Commando avait consacré trop de temps à l"entraînement général au combat et n"avait pas mené à bien les tâches qui lui avaient été confiées. Le lcol Morneault était également au courant de l"agressivité de ce commando.                 

[85]      La preuve citée par la Commission à l"appui de sa conclusion suivant laquelle le lieutenant-colonel Morneault avait permis au 2e Commando de s"entraîner d"une façon beaucoup trop axée sur les compétences générales au combat provient du lieutenant-colonel Morneault lui-même (7107). Il disait alors que, à bien y penser, il était vrai que le major Seward avait mal réparti le temps au cours de la dernière semaine de formation avant l"exercice " Stalwart Providence " et que lui, le lieutenant-colonel Morneault, l"avait laissé faire. Il a également convenu que toutes les tâches prévues dans le plan de formation n"avaient pas été terminées par le 2e Commando avant l"exercice " Stalwart Providence ". Il s"est dit d"avis qu"au cours de la dernière semaine de formation précédant l"exercice " Stalwart Providence " [TRADUCTION] " l"accent a pu être perdu " par le 2e Commando en raison des problèmes de discipline (le tir illégal de pièces pyrotechniques militaires et l"incendie du véhicule du sergent Wyszynski). On ne mentionne pas que trop de temps a été consacré à la formation axée sur les compétences générales au combat.

[86]      À la page de la transcription qui précède celle qu"invoque la Commission à l"appui de sa conclusion, on dit que le lieutenant-colonel Morneault aurait déclaré qu"il n"était pas préoccupé par la méthode de formation utilisée par le major Seward. Le requérant a témoigné qu"il avait autorisé une formation axée sur les compétences générales au combat pour le 2e Commando parce que, n"ayant pas reçu ce genre de formation depuis un certain temps avant septembre 1992, celui-ci avait besoin de rattraper les deux autres commandos à cet égard.

[87]      La Commission mentionne deux pages de la transcription (7106) (4823) pour conclure que le lieutenant-colonel Morneault était au courant de l"agressivité du 2e Commando. La première mention se rapporte au témoignage du lieutenant-colonel Morneault lui-même. Selon celui-ci, à une occasion, alors qu"il parlait des procédures opérationnelles normalisées avec ses commandants, le major Pommet a fait remarquer au major Seward qu"il était beaucoup trop excessif. La deuxième mention vise le témoignage de l"adjudant chef Jardine : à une occasion, il avait observé que le 2e Commando s"entraînait à l"attaque et il avait signalé au lieutenant-colonel Morneault qu"il pensait que ce genre d"entraînement dépassait les lignes directrices applicables aux missions de l"ONU. Selon l"adjudant chef Jardine, il s"agissait d"une [TRADUCTION] " observation générale concernant la formation ". L"adjudant chef Jardine déclare, ailleurs dans son témoignage, qu"il avait " senti instinctivement " quelque chose à propos du 2e Commando et que tous les commandos paraissaient adopter, selon lui, une attitude trop agressive, mais que cette agressivité s"était quelque peu atténuée à la fin (4805).

[88]      L"avocat de l"intimé a déclaré que la conclusion de la Commission prend appui sur le témoignage du major Seward (6007 et 6008) et de l"adjudant-maître Mills (4336 et 4337). Le major Seward a nié formellement avoir dispensé un entraînement trop agressif à ses troupes, précisant qu"il avait privilégié une formation axée sur des compétences générales au combat. L"adjudant-maître Mills a témoigné que leurs [TRADUCTION] " compétences de base étaient à la baisse " et qu"il n"acceptait pas la critique voulant que leur formation fût trop agressive.

     (vi) Avertissements donnés

[89]      À l"appui de sa conclusion selon laquelle le lieutenant-colonel Morneault était au courant de l"agressivité de la formation du 2e Commando, la Commission précise qu"il avait été averti de ce fait :

         En outre, un certain nombre d"officiers l"avaient averti à plusieurs reprises que le 2e Commando était trop agressif.                

[90]      On indique que la preuve invoquée provient du major Pommet (7106), du capitaine Kyle (3808), du sergent-major régimentaire Jardine (4775) et du lieutenant-colonel MacDonald (4985 à 4986). L"" avertissement " donné par le major Pommet provient du témoignage du lieutenant-colonel Morneault, mentionné ci-dessus, qu"à une occasion il avait entendu le major Pommet dire au major Seward qu"il était beaucoup " trop excessif ". L"" avertissement " du capitaine Kyle concernant l"excès d"agressivité était qu"il avait rapporté au lieutenant-colonel Morneault les commentaires du capitaine Walsh selon lesquels un exercice d"entraînement au tir sur le terrain qui avait été entrepris par le 2e Commando ne correspondait pas au genre d"instruction qu"il aurait dû recevoir à ce moment-là. Le capitaine Kyle a également témoigné qu"il n"avait pas vu la formation dispensée et ne savait pas si le lieutenant-colonel Morneault avait pris des mesures en réponse à ce rapport des commentaires du capitaine Walsh. Le renvoi à la transcription à propos de l"" avertissement " que l"adjudant chef Jardine aurait donné a trait à son témoignage concernant le problème de discipline au sein du RAC. Le témoignage du lieutenant-colonel MacDonald sera décrit ci-dessous parce qu"il se rapporte également à la constatation de la Commission d"après laquelle le requérant avait empêché que le major Seward soit relevé de ses fonctions.

     (vii) Non-destitution du major Seward

[91]      La Commission impute au lieutenant-colonel Morneault la responsabilité de n"avoir pas relevé le major Seward de son commandement du 2e Commando. La preuve relative à la conclusion de la Commission sera évaluée, d"abord, pour la période antérieure au 9 octobre 1992, ensuite, pour la période postérieure au 19 octobre 1992.

         Période antérieure au 9 octobre 1992

[92]      La Commission a conclu que le lieutenant-colonel Morneault savait, peu après le début de la période d"instruction, que le 2e Commando avait des problèmes de leadership et d"agressivité et qu"il aurait donc dû relever le major Seward de son poste.

         ... Si on constatait qu"un des commandants n"était pas à la hauteur, il incombait au lcol Morneault d"effectuer les changements qui s"imposaient. Mais il ne l"a pas fait.                

[93]      La preuve invoquée à l"appui de cette conclusion de la Commission était principalement le témoignage du capitaine Kyle concernant son rapport mentionné ci-dessus des remarques du capitaine Walsh à propos de l"exercice de tir sur le terrain. Étrangement, la Commission cite les conjectures du capitaine Kyle, lequel pensait que cela " ne l"intéressait pas [le lieutenant-colonel Morneault] de régler cette question à ce moment-là " et que le lieutenant-colonel Morneault " ne voulait pas s"ingérer dans les affaires des commandos... " même si, comme on l"a dit précédemment, le capitaine Kyle avait témoigné qu"il n"avait pas vu l"entraînement en question et ne savait pas ce que le lieutenant-colonel Morneault avait fait.

[94]      Le lieutenant-colonel Morneault a témoigné qu"il avait approuvé l"exercice de tir sur le terrain parce qu"il se rapportait à des situations auxquelles les troupes auraient pu avoir à faire face en Somalie. Par ailleurs, le requérant affirme dans son affidavit que, après que le capitaine Kyle lui eut exprimé ses préoccupations, il a examiné avec le major Seward la formation que recevait le 2e Commando et lui a ordonné de mettre fin à au moins un exercice qui, selon lui, n"était pas approprié. Selon le témoignage du major Seward, le requérant avait examiné avec lui son plan d"instruction à au moins deux reprises et avait imposé des restrictions tant sur le type d"instruction que sur le ton de la formation qui devait être donnée. Le major Seward a témoigné que le requérant et lui avaient examiné la question de l"agressivité de la formation dans le contexte d"une mission des Nations Unies.

         Période postérieure au 19 octobre 1992

[95]      Le lieutenant-colonel MacDonald a supervisé la conduite de l"exercice d"entraînement régimentaire " Stalwart Providence " du 14 au 18 octobre 1992. Le lieutenant-colonel Morneault était en mission de reconnaissance administrative en Somalie du 9 au 19 octobre. La fixation des dates de cette mission était indépendante de sa volonté et il ne pouvait pas non plus prendre aucune mesure pour changer les dates qui avaient été fixées pour l"exercice d"entraînement régimentaire " Stalwart Providence ". Le 19 octobre 1992, le lieutenant-colonel MacDonald a donné un compte rendu au lieutenant-colonel Morneault sur l"issue de l"exercice " Stalwart Providence ". La transcription révèle qu"il avait alors indiqué au requérant que tous les commandos étaient trop agressifs le premier jour de l"exercice, que la situation s"était améliorée au fur et à mesure de l"exercice et qu"à la fin de l"exercice tous les commandos " étaient plus ou moins au bon niveau ". Il a exprimé l"avis que le 2e Commando avait été plus lent que les autres à se rajuster. Il a établi un compte rendu écrit des résultats de cet exercice, lequel précisait les secteurs qui nécessitaient un rajustement de la formation. L"excès d"agressivité n"est pas mentionné comme un sujet faisant problème.

[96]      Le lieutenant-colonel MacDonald a également fait rapport qu"il pensait que le major Seward était incompétent et que, personnellement, il le destituerait de ses fonctions. Le lieutenant-colonel Morneault a répondu qu"il pensait que Seward était un bon soldat, qu"il pouvait faire le travail et qu"il se pouvait fort bien qu"il avait eu une mauvaise journée. Il a témoigné que, si on devait congédier Seward, la tâche lui incomberait, car le major Seward relevait de lui. Étant donné qu"il n"avait pas assisté à l"exercice " Stalwart Providence ", il a demandé au lieutenant-colonel MacDonald de retrancher l"évaluation négative du major Seward dans la lettre de compte rendu qu"il rédigeait afin de pouvoir évaluer lui-même la situation. Le lieutenant-colonel MacDonald approuvait la position du lieutenant-colonel Morneault.

[97]      Voici comment la Commission décrit ces événements :

         ... Le lcol MacDonald a retranché la mention comme le lcol Morneault le lui avait demandé, et aucune mesure n"a été prise par la suite pour corriger les graves lacunes en matière de leadership que le lcol MacDonald avait relevées au sein du 2e Commando. Bien que le lcol Morneault ait été relevé de son commandement presque immédiatement après cet incident et ne puisse être tenu responsable de l"inaction d"autres personnes, la directive qu"il a donnée au lcol MacDonald a empêché la prise immédiate de mesures à l"encontre du maj Seward, ce dont il est responsable. [Non souligné dans l"original.]                

[98]      La Commission ne cite ni la transcription ni les documents pour appuyer sa conclusion selon laquelle la " directive " du requérant au lieutenant-colonel MacDonald a empêché la prise de mesures immédiates contre le major Seward. Le lieutenant-colonel Morneault signale qu"il n"a pas donné de " directive " au lieutenant-colonel MacDonald de retrancher de son rapport l"évaluation négative du major Seward. Il ne pouvait pas donner de directive au lieutenant-colonel MacDonald de faire quoi que ce soit parce qu"ils sont de rang égal. Par ailleurs, malgré le manque de mention dans le rapport écrit, le brigadier général Beno avait appris de la bouche du lieutenant-colonel MacDonald ce que celui-ci pensait du rendement du major Seward. Puisque le lieutenant-colonel Morneault a été relevé de son commandement le 21 octobre 1992, il n"était pas en mesure, après cette date, de prendre quelque mesure que ce soit contre le major Seward. En tirant ses conclusions quant au brigadier général Beno, au volume 4, page 1123, la Commission lui reproche de ne pas avoir relevé le major Seward de ses fonctions. Le Rapport note que le brigadier général Beno savait que le major Seward n"était pas " à la hauteur de la situation " et qu"il avait conseillé au lieutenant-colonel Mathieu (le remplaçant du lieutenant-colonel Morneault) d"exclure Seward de la mission, mais ne s"était pas assuré qu"on avait tenu compte de ce conseil, ce qui n"a pas été le cas.

     (viii) Instructions insuffisantes données aux commandants

[99]      La Commission dit ensuite que, outre le fait que le lieutenant-colonel Morneault n"avait pas inclus un énoncé écrit des objectifs et des priorités dans le plan d"instruction, il n"avait pas donné des instructions convenables à ses commandants :

         De plus, le lcol Morneault n"a pas instruit convenablement ses commandants sur le but, la portée et les objectifs de l"entraînement qu"ils devaient donner et n"a pas inclus d"énoncé convenable de ces points dans son plan d"entraînement. Compte tenu de son expérience personnelle et de la formation qu"il avait reçue au Collège d"état-major, le lcol Morneault aurait dû connaître les avantages d"un tel énoncé. [Non souligné dans l"original.]                

[100]      Cette assertion ne fait l"objet d"aucun renvoi précis au dossier dont disposait la Commission. La transcription de la preuve montre que tous les commandants ont indiqué qu"ils avaient reçu des instructions convenables : le major Pommet (37530); le major Seward (6165 et 6179), même s"il a exprimé quelque insatisfaction à l"égard de certains aspects de la formation qui relevaient du capitaine Kyle (5759), et le major Magee (37590 et 37597 à 37599). Tous avaient déjà participé à des missions de maintien de la paix. Aucun n"a dit qu"il n"avait pas été sensibilisé aux buts et aux objectifs de ce genre de mission. Le capitaine Walsh, le responsable régimentaire de la formation, a témoigné qu"il avait reçu suffisamment d"instructions (2300 et 2454 et 2455); le major MacKay, le commandant adjoint du RAC, était également d"avis que des instructions suffisantes avaient été données (6249 et 6250).

[101]      Au volume 2, page 650, la Commission décrit les instructions orales données par le lieutenant-colonel Morneault et reconnaît que les officiers commandants ont déclaré avoir été satisfaits des directives et des conseils qu"ils avaient reçus de celui-ci :

         Devant la Commission, les officiers des trois commandos de fusiliers ont déclaré avoir été satisfaits des directives que leur avait données le lcol Morneault en matière d"instruction. Au niveau de l"unité, des groupes d"ordres se réunissaient toutes les semaines, et il y avait aussi des conférences de coordination quotidiennes auxquelles les sous-unités envoyaient leur commandant adjoint. Au cours de ces réunions, les besoins en formation de chaque sous-unité étaient examinés. Une fois par semaine, le lcol Morneault donnait des directives verbales quant aux éléments d"instruction que devaient aborder les commandos, et on établissait alors un ordre de priorités. Les commandants des commandos intégraient ensuite ces tâches dans leurs plans d"instruction, qui étaient subséquemment transmis au Quartier général du RAC à des fins d"approbation. D"après le lcol Morneault, il a donné aux commandants des directives claires quant à ce qu"il voulait qu"ils accomplissent, leur laissant ensuite la latitude d"organiser eux-mêmes leur travail. [Notes de bas de page omises.]                

[102]      La Commission a conclu au volume 2, page 651, comme elle l"a fait au chapitre 35, que les exposés oraux ne constituaient pas un substitut valable à des directives écrites établissant un concept d"instruction global accompagné d"un énoncé des priorités clair.

     (ix) Manque de cohésion        

[103]      Le Rapport de la Commission poursuit, après avoir souligné l"absence d"un énoncé écrit des objectifs du plan d"instruction :

         ... il n"est pas étonnant qu"il y ait eu un manque de cohésion entre les sous-unités du RAC. À ce propos, une des critiques les plus sévères faites au sujet de l"exercice " Stalwart Providence " a été que les trois commandos avaient fonctionné indépendamment les uns des autres, sans la cohésion que doit avoir un régiment.                

     . . . .

         [Le lcol Morneault] n"a pas déployé tous les efforts possibles pour assurer la cohésion de son unité. [Non souligné dans l"original.]                

[104]      Il est contraire à la preuve de dire dans la version anglaise du texte " cohesiveness within CAR"s sub-units suffered. " [Non souligné dans l"original.] Il se pourrait que cette partie du texte soit une mauvaise traduction du texte qui avait été écrit à l"origine en français. Je note que la version française du Rapport utilise les mots " un manque de cohésion entre les sous-unités du RAC " [Non souligné dans l"original.]

[105]      Il ne fait aucun doute que les trois commandos ont fonctionné de manière indépendante. La Commission l"indique à plusieurs reprises dans son Rapport. C"était le résultat de déficiences structurelles systémiques. Chaque commando avait une affiliation régimentaire différente et il y avait une rivalité entre eux. La Commission a déclaré, à la page 531, qu"" il existait des preuves que RAC n"était pas une unité correctement structurée " et qu"il manquait de cohésion " au niveau le plus fondamental ".

[106]      La preuve invoquée à l"appui du manque de cohésion durant l"exercice " Stalwart Providence " est le livre de documentation no 15, onglet 27. Ce document a été préparé par le brigadier général Beno le 22 octobre 1992 à l"appui de sa lettre du 19 octobre 1992 demandant que le lieutenant-colonel Morneault soit relevé de ses fonctions. Il contient une litanie de plaintes contre celui-ci, certaines apparaissant plutôt insignifiantes. Compte tenu de la réticence de la Commission à s"appuyer sur le témoignage oral du brigadier général Beno à l"appui de ses allégations que le lieutenant-colonel Morneault avait fait preuve d"incompétence dans l"exécution de ses fonctions, il est étrange de voir que la Commission s"appuie sur ce document. Certainement, il ne s"agit pas d"un document objectif. Par exemple, je note que, alors que le brigadier général Beno déclare dans son document qu"après l"exercice " Stalwart Providence " le RAC n"avait pas " reçu une formation suffisante pour s"acquitter de missions comportant des tâches précises " et qu"" à la limite, l"unité est préparée pour exécuter sa tâche opérationnelle ", dans son témoignage devant la Commission d"enquête DeFaye, il a dit :

         [TRADUCTION] Pour tout dire, la formation que [le Régiment] avait reçu jusqu"à l"exercice " STALWART PROVIDENCE " inclusivement au niveau du commando dépassait de loin ce qu"on m"avait demandé de faire.                
         (Enquête DeFaye, Transcription, Beno, page 3R - 13, lignes 40 - 45).                

Devant la Commission, il a témoigné que le RAC était très bien formé à la fin de l"exercice " Stalwart Providence " et que cette formation dépassait celle qu"on lui avait demandé de fournir.

[107]      Quant au manque de cohésion au sein du RAC, le Rapport conclut que le lieutenant-colonel Morneault n"avait pas déployé tous les efforts nécessaires pour assurer la cohésion de son unité. Le lieutenant-colonel Morneault dit qu"il n"a pas reçu de préavis suffisant l"informant que ses efforts en vue d"assurer la cohésion de l"unité était une question qu"examinerait la Commission. Il estime que les constatations de la Commission sont injustes parce qu"il pense qu"on voudrait lui imputer la faute de ne pas avoir accompli en quatre mois ce que d"autres n"ont pas été capables d"accomplir pendant des années. Je suis persuadée qu"il n"a pas reçu de préavis suffisant l"informant que " ses efforts " en vue de susciter la cohésion étaient examinés dans la perspective de lui imputer une faute à cet égard. Par ailleurs, la Commission ne renvoie aucunement au dossier pour étayer cette conclusion. Au surplus, au volume 2, page 676, elle déclare que le lieutenant-colonel Morneault a raté la meilleure occasion de créer de la cohésion au sein de son RAC lorsqu"il a dû se rendre en mission de reconnaissance pendant que se déroulait l"exercice " Stalwart Providence ".

[108]      Je dois également mentionner quelques éléments de preuve concernant les événements survenus après le 21 octobre 1992, même s"ils ne sont pas directement pertinents. Je le répète, lorsque le lieutenant-colonel Morneault a été relevé de son commandement, la formation qu"il avait prévu donner au RAC était incomplète. Il restait environ deux mois avant le déploiement et d"autres activités de formation étaient prévues, dont une formation au niveau régimentaire. Après que le lieutenant-colonel Morneault a été relevé de son commandement, cette formation n"a d"aucune manière été dispensée sérieusement ou systématiquement.

     (x) Commentaires conclusifs sur la formation

[109]      À la lumière de ce qui précède, il est clair que la faute imputée par la Commission au requérant pour le motif qu"il n"avait pas organisé, dirigé et supervisé comme il convenait les préparatifs de la formation du 5 au 21 septembre 1992 est profondément viciée. Plusieurs constatations de fait sont tout simplement incompatibles avec la preuve et plusieurs conclusions ne sont aucunement étayées par la preuve. Je ne pense pas qu"il soit possible d"arriver à d"autres conclusions que de dire que la décision rendue était manifestement déraisonnable.

c) Manquement au devoir de commandant, tel qu"il est défini par l"article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux et par les coutumes militaires

[110]      Les raisons données pour conclure que le lieutenant-colonel Morneault avait manqué à son devoir de commandant tel qu"il est défini par analogie avec l"article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux et par les coutumes militaires sont celles qui sont énoncées sous la rubrique " Ne pas avoir organisé, dirigé et supervisé comme il convient les préparatifs de la formation... ". Le Rapport dit :

         Compte tenu des constatations exposées ci-dessus au sujet des lacunes de leadership du lcol Morneault, et vu l"importance du contrôle et de la supervision de la formation en vue de missions à l"étranger, nous concluons que le lcol Morneault a manqué à son devoir de commandant.                

[111]      Puisqu"il est clair que les constatations relatives à la conduite du lieutenant-colonel Morneault en ce qui concerne la formation étaient manifestement déraisonnables et profondément viciées, cette conclusion s"applique également à celle de la Commission selon laquelle il avait manqué à son devoir tel qu"il est défini par analogie avec l"article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux et par les coutumes militaires.

[112]      Je souligne également que le Rapport contient une erreur au sujet de la description qu"il donne du préavis envoyé au requérant concernant cette allégation d"inconduite. Il décrit le paragraphe 4 de ce préavis comme ayant prétendu que le requérant avait négligé :

         son devoir de commandant, tel qu"il est défini par analogie avec l"article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux et par les coutumes militaires. [Non souligné dans l"original.]                

Le préavis qui a été envoyé au requérant prétendait qu"il avait négligé :

son devoir de commandant, tel qu"il est défini à l"article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux et par les coutumes militaires. [Non souligné dans l"original.]

[113]      L"avocat du requérant soutient que c"était là une erreur intentionnelle commise par la Commission et qu"il s"agissait d"une modification faite en réponse aux déclarations qu"à faites la Cour suprême dans l"arrêt Krever . Dans sa décision, à la page 470, le juge Cory a déclaré que les commissaires, en imputant la faute, devraient éviter tout libellé si ambigu qu"il semble constituer une déclaration de responsabilité civile ou pénale. Selon l"avocat du requérant, la Commission a expressément mal repris dans son Rapport le libellé du préavis qui avait été envoyé pour éviter la critique selon laquelle elle avait eu l"intention de dépasser ces limites. Je ne tire aucune conclusion à cet égard, mais je relève tout simplement l"argument.

Conclusion

[114]      Pour les motifs qui précèdent, il est clair que les fautes imputées par la Commission au requérant sont visées par les alinéas 18.1(4)b) et d) de la Loi sur la Cour fédérale. Quel est alors le recours qui s"impose dans les circonstances? Le Rapport a été largement diffusé dans le public. La Commission n"existe plus. J"ai conclu que le recours qui s"impose est une déclaration de la Cour invalidant l"imputation de fautes au requérant par la Commission telles qu"elles sont énoncées au chapitre 35 de son Rapport. Par ailleurs, comme il a été dit, le requérant a droit à une déclaration portant que le dossier n"étaye aucunement la conclusion selon laquelle les deux déclarations générales de condamnation que l"on trouve dans le Rapport, mentionnées ci-dessus, s"appliquent à lui. Des déclarations d"invalidité seront établies en conséquence.

     B. Reed

                                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 27 avril 1998

Traduction certifiée conforme : Charles Zama, LLM.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-1645-97
ENTRE :                  Le lieutenant-colonel Paul R. Morneault,
                         - et -
                     Le procureur général du Canada
LIEU DE L"AUDIENCE :      Ottawa (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :      Les 16, 17 et 18 mars 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE REED

EN DATE DU 27 avril 1998

ONT COMPARU :

R. Lunau,                      pour le requérant
I.G. Whitehall, c.r.                  pour l"intimé
B. McIsaac, c.r.                  pour l"intimé

L. Watt

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson

Ottawa (Ontario)                  pour le requérant

George Thomson

Sous procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                  pour l"intimé

McCarthy Tétrault

Ottawa (Ontario)                  pour l"intimé
__________________

1      Les mentions de la transcription des travaux devant la Commission seront données dans les présents motifs en plaçant les numéros de page entre parenthèses.

2      Voir volume 2, pages 496 et 497 pour une description.

3      Landreville c. La Reine, [1973] C.F. 1223, à la page 1227 (1re inst.); Canada (Procureur Général) c. Canada (Commission d"enquête sur le système d"approvisionnement en sang au Canada), [1997] 2 C.F. 36 (C.A.F.), aux pages 52 et 59 et 60.; Re Schutz and Ontario Municipal Board (1978), 20 O.R. (2d) 104 (C. Div.); Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d"enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 2 C.F. 527 (C.A.F.), à la page 539; Governor in Council c. Dixon (1997), 149 D.L.R. (4th) 269 (C.A.F.), à la page 278, demande d"autorisation de pourvoi à la C.S.C. rejetée, [1997] A.C.S.C. no 505.

4      SCFP c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Zurich Insurance Co. c. Ontario (C.D.P.), [1992] 2 R.C.S. 321; Canada (P.G.) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; Canada (P.G.) c. AFPC, [1993] 1 R.C.S. 941; Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers, [1994] 2 R.C.S. 557; Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.

5      Un événement qui a pu avoir des répercussions mineures sur la formation de façon générale, mais qui démontre l"intuition du requérant que des connaissances plus générales étaient requises est le fait qu"il a effectivement pris des mesures, grâce aux contacts que sa femme possédait, pour qu"un Somalien, originaire de Bosaso et résidant au Canada, vienne rencontrer certains de ses officiers supérieurs pour leur donner une séance de briefing.

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