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Date : 20020308

Dossier : T-1998-01

OTTAWA (Ontario), le 8 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

                                                    LORNE W. McCLENNAN

                                                                                                                                        demandeur

                                                                          -et-

                                SA MAJESTÉ LA REINE, REPRÉSENTÉE PAR

                                 LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

                                                                                                                                  défenderesse

                                                              ORDONNANCE                                                         

LA COUR, STATUANT SUR une requête présentée pour le compte de Sa Majesté la Reine en vue d'obtenir une ordonnance radiant la déclaration du demandeur ;

APRÈS AUDITION des avocats des deux parties à Halifax le 16 janvier 2002, date à laquelle le prononcé de la décision a été reporté à plus tard, et APRÈS EXAMEN des observations qui ont alors été formulées :


1.                    ACCUEILLE la demande ;

  

2.                    RADIE la déclaration, qui a été déposée le 8 novembre 2001 ;

  

3.                    ADJUGE les dépens à la défenderesse au tarif habituel des dépens entre parties et FIXE les dépens en question à 1 000 $.

    

        W. Andrew MacKay

________________________

    JUGE

     

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a, LL. L.


                                                                                                                              Date : 20020308

                                                                                                                        Dossier : T-1998-01

                                                                                              Référence neutre : 2002 CFPI 244

ENTRE :

                                                    LORNE W. McCLENNAN

                                                                                                                                        demandeur

                                                                         - et -

                                SA MAJESTÉ LA REINE, REPRÉSENTÉE PAR

                                 LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

                                                                                                                                  défenderesse

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

  

[1]         La Cour est saisie d'une requête présentée par la défenderesse, Sa Majesté la Reine (ci-après appelée la Couronne), en vue de radier la déclaration du demandeur au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable. Dans son action, le demandeur sollicite le jugement déclaratoire suivant dans la déclaration qu'il a déposée le 8 novembre 2001 :

i)          il était membre des Forces armées canadiennes (les Forces) jusqu'à sa libération le 15 mai 2001 ;


ii)         en tant que membre des Forces, il bénéficie des droits et des avantages qui auraient été dévolus à tout autre membre des Forces entre le 4 février 1994 et le 15 mai 2001et qui ne lui ont pas été accordés.

  

Genèse de l'instance

[2]         Le demandeur s'est enrôlé dans les Forces canadiennes en juillet 1986. En septembre 1993, son officier divisionnaire a recommandé qu'il soit libéré des Forces pour des raisons liées à son rendement et à la discipline et, quelques jours plus tard, le commandant du demandeur a décidé qu'il fallait mettre fin au service de ce dernier. En janvier 1994, le demandeur a été libéré des Forces, à l'expiration du congé avec solde accumulé qu'il avait été autorisé à prendre.

[3]         Le 12 juin 1998, notre Cour a prononcé une ordonnance annulant la décision prise en 1993 de démobiliser le demandeur (voir le jugement McClennan c. Canada (ministre de la Défense nationale), (1998), 150 F.T.R. 96).

[4]                 Le 29 août 2000, le demandeur a été informé qu'un processus de révision de sa carrière serait engagé en vue de décider de son statut au sein des Forces. Entre les mois de septembre 2000 et d'avril 2001, diverses démarches ont été entreprises pour le compte du demandeur dans le cadre de ce processus pour empêcher son congédiement. Le 15 mai 2001, le demandeur a été informé que la décision avait été prise de confirmer sa libération.


[5]                 Le demandeur n'a pas contesté cette décision. Il conteste toutefois la décision de la défenderesse de fixer la date de prise d'effet de sa libération au 4 janvier 1994, c'est-à-dire à la date de sa libération initiale.

Questions en litige

[6]                 Se fondant sur l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, 74 D.L.R. (4th) 321, 117 N.R. 321, à la page 336, la Couronne soutient qu'un acte de procédure peut être radié lorsqu'il est évident et manifeste que la demande ne révèle aucun cause d'action raisonnable et qu'il s'agit d'un cas « au-delà de tout doute » . La Couronne affirme que la déclaration du demandeur devrait être radiée pour trois motifs :

1) les rapports entre Sa Majesté la Reine et ses militaires ne donnent pas ouverture à des recours devant les tribunaux civils ;

2) le fait que le demandeur qualifie la réparation qu'il sollicite de jugement déclaratoire ne supprime pas l'obstacle qui existe à l'exercice de son action ;

3) le demandeur a peut-être un droit de recours en vertu de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, modifiée.


[7]                 Le demandeur soutient qu'une question préalable se pose l'espèce, en l'occurrence celle de la date à laquelle sa libération des Forces a pris effet. Il soutient que toute réparation qu'il pourrait obtenir dans le cadre de toute instance dépend de la réponse à cette question. Il pourrait effectivement s'agir d'une question préalable si l'affaire devait être instruite, mais ce n'est pas une question qui a été soumise à la Cour dans le cadre de la présente requête que la Couronne a présentée en vue de faire radier la déclaration du demandeur. Dans le cas de la présente requête, la Cour tient pour acquis que les faits articulés dans la déclaration peuvent être établis, mais pas les conséquences juridiques découlant de ces faits.

           

Les rapports entre Sa Majesté la Reine et ses militaires donnent-ils ouverture à des recours devant les tribunaux civils ?

[8]                 La Couronne affirme que les rapports entre Sa Majesté la Reine et ses militaires ne donnent pas ouverture à des recours devant les tribunaux civils. À l'appui de son argument, elle cite l'arrêt Gallant c. La Reine du chef du Canada, (1978), 91 D.L.R. (3d) 695 (C.F. 1re inst.), dans lequel le juge Marceau déclare, à la page 696 :

      [...] celui qui s'enrôle prend un engagement unilatéral en contrepartie duquel la Reine n'assume aucune obligation, et [...] les rapports entre celle-ci et ses militaires, en tant que tels, ne sauraient donner lieu à quelque recours devant les tribunaux civils.

La Couronne cite plusieurs autres décisions à l'appui de ce vieux principe.

[9]                 Le demandeur fait valoir que la jurisprudence qui nie l'existence de quelque rapport contractuel que ce soit entre la Couronne et les militaires et qui exclut tout recours fondé sur ces rapports devant les tribunaux civils reflète une vision du service militaire qui remonte au XIXe siècle et que cette vision fait fi de l'élaboration, dans la loi et la jurisprudence, de principes modernes qui appuient une conception renouvelée de ce type de rapports. Si tel est le cas, la reconnaissance d'un changement dans les rapports fondamentaux en question ne saurait à mon avis être le fruit que d'une intervention du législateur.


[10]            Le demandeur affirme que la Cour commettrait une erreur si elle statuait qu'il n'y a pas de contrat entre lui-même et Sa Majesté sans d'abord examiner les éléments de preuve qu'il pourrait présenter lors de l'enquête préalable et du procès. Par exemple, il pourrait soumettre des éléments de preuve concernant les déclarations verbales qui ont été faites ou les publications qui ont été remises dans des centres de recrutement situés un peu partout au pays et dans lesquels on promettait de rémunérer les éventuelles recrues, amenant ainsi la plupart des Canadiens à croire qu'il existe un lien contractuel entre les Forces et leurs membres. Il fait valoir finalement qu'il pourrait présenter des éléments de preuve démontrant que l'emploi du mot « légalement » au paragraphe 23(1) de la Loi sur la défense nationale témoigne de l'existence de rapports réciproques continus entre les Forces et leurs membres. Ce paragraphe est ainsi libellé :


Toute personne enrôlée dans les Forces canadiennes est obligée d'y servir jusqu'à ce qu'elle en soit légalement libérée, en conformité avec les règlements.

The enrolment of a person binds the person to serve in the Canadian Forces until the person is, in accordance with regulations, lawfully released.


  

[11]            À mon avis, il ressort à l'évidence de la jurisprudence invoquée par la Couronne que les membres des Forces servent à titre amovible. Ils ne possèdent pas de droits contractuels qu'ils pourraient faire valoir contre la Couronne et ce rapport juridique ne peut être modifié par des représentants des Forces. Conformément à la jurisprudence établie, la Cour est tenue de conclure qu'il n'existe pas de contrat de travail entre Sa Majesté et les membres des Forces. L'emploi du mot « légalement » au paragraphe 23(1) de la Loi sur la défense nationale ne change rien au rapport juridique : il ne fait que préciser de quelle manière le service prend fin au sein des Forces, en conformité avec les règlements applicables.

Est-il possible d'obtenir un jugement déclaratoire lorsqu'on ne peut obtenir une autre réparation ?

[12]            La Couronne affirme que la réparation que le demandeur réclame sous forme de jugement déclaratoire ne fait pas disparaître l'obstacle à l'exercice de la présente action. À l'appui de cet argument, la Couronne invoque l'arrêt Campbell c. Canada, [1979] F.C.J. No. 118, au paragraphe 13 (C.F. 1re inst.), conf. à [1981] F.C.J. No. 414 (C.A.), dans lequel la Cour a déclaré irrecevable une demande dans laquelle le demandeur réclamait des dommages-intérêts par suite de son renvoi des Forces. Le demandeur avait ensuite déposé une déclaration modifiée dans laquelle il réclamait un jugement déclarant qu'il avait été congédié injustement et illégalement, mais la Cour a également radié cette déclaration modifiée au motif que le jugement déclaratoire sollicité contredirait les décisions qu'elle avait déjà rendues sur ce point.

[13]            La Couronne invoque en outre le jugement Fitzpatrick c. Canada, [1959] R.C. de l'Éch. 405, dans lequel un ancien membre des Forces sollicitait un jugement déclaratoire ou une ordonnance portant qu'il avait le droit de recevoir la somme de 510,30 $, qui avait été portée au crédit de son compte de paye mais qui ne lui avait pas été versée à la suite de son congédiement. La Cour de l'Échiquier a statué qu'elle n'était pas compétente pour accorder la réparation demandée et elle débouté le demandeur de son action.


[14]            Le demandeur soutient que, même si le jugement déclaratoire qu'il sollicite n'avait aucun effet juridique (étant donné que la Couronne n'est assujettie à aucune obligation légale exécutoire de payer les membres des Forces), notre Cour peut quand même prononcer le jugement déclaratoire qu'il réclame. À l'appui de sa thèse, le demandeur invoque le jugement Landreville c. La Reine, [1973] 2 F.C. 1223 (C.F. 1re inst.), dans lequel la Cour a jugé, au paragraphe 17 :

           

[...] [L]a Cour a compétence pour rendre un jugement déclaratoire qui, bien que dénué d'effet juridique, pourrait avoir quelque utilité d'un point de vue pratique.

  

[15]            Dans le cas qui nous occupe, le demandeur explique que le jugement déclaratoire qu'il sollicite pourrait être utile parce qu'il reconnaîtrait que le statut militaire du demandeur a pris fin en 2001, et non en 1994. Il soutient que ce jugement déclaratoire lui permettrait de poursuivre sa réclamation, notamment par le dépôt d'un grief, et que ce jugement faciliterait le règlement de toute éventuelle demande de pension.


[16]            Je ne suis pas convaincu que, si la présente affaire devait être instruite, la Cour serait compétente pour rendre le jugement déclaratoire sollicité. En l'espèce, le jugement déclaratoire n'est réclamé qu'à titre subsidiaire, pour le cas où la demande de paiement, et notamment de paiement d'une pension, serait rejetée. Le sort de ce genre de réclamation dépend des dispositions législatives et réglementaires qui régissent la solde et les pensions militaires, et non des implications qui pourraient être tirées du jugement déclaratoire que notre Cour pourrait rendre au sujet de la durée du service du demandeur en faisant abstraction de ces dispositions.

[17]            Une question qui n'a pas été débattue par les parties concerne la procédure à suivre pour obtenir un jugement déclaratoire en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 et 18.1, modifiés par L.C. 1990, ch. 8, art. 4. Aux termes de l'article 18, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral et cette réparation ne peut être obtenue qu'en introduisant une demande de contrôle judiciaire conformément à l'article 18.1 de cette loi. En règle générale, une action en jugement déclaratoire n'est admise que si la Cour permet que la demande soit convertie en action en vertu du paragraphe 18.4(2). Bien qu'il soit loisible à la Cour de permettre qu'une instance initialement formulée comme une action soit instruite comme s'il s'agissait d'une instance en contrôle judiciaire -- le plus souvent en permettant que l'instance soit modifiée ou reprise depuis le début -- cette mesure ne conviendrait pas lorsque la réparation sollicitée concerne les modalités du service d'un membre des Forces, lesquelles modalités ne relèvent pas, à mon avis, de la compétence de la Cour, à moins que le législateur fédéral n'ait, par voie législative, soustrait cette compétence aux prérogatives de la Couronne pour l'attribuer à la Cour. Or, aucune des deux parties n'a signalé l'existence d'une telle loi en l'espèce.


Le demandeur a-t-il un droit de recours en vertu de la Loi sur la défense nationale ?

[18]            La Couronne laisse entendre que le demandeur pourrait avoir un droit de recours en vertu de la Loi sur la défense nationale. Pour sa part, le demandeur affirme que, comme le présent litige a déjà été porté devant la Cour (voir le jugement McClennan c. Canada, précité), la présente affaire est soustraite à la compétence du comité des griefs militaires constitué aux termes de l'alinéa 29(2)b) de la Loi sur la défense nationale, et qu'en conséquence, notre Cour est la seule autorité qui soit autorisée à rendre un jugement déclaratoire dans le cas qui nous occupe.

[19]            Faute de débat de fond sur le sujet, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de prendre la peine de formuler des commentaires sur la question de savoir si le demandeur peut réclamer une forme ou une autre de réparation en vertu de la Loi sur la défense nationale pour répondre à ses doléances. D'ailleurs, même s'il existait une possibilité que le demandeur puisse obtenir une telle réparation, la Cour hésiterait à exercer quelque pouvoir discrétionnaire que soit en l'espèce, en rendant, par exemple, un jugement déclaratoire. Même s'il n'existait aucune possibilité qu'il existe une telle réparation, la déclaration ne révélerait toujours pas de cause d'action valable. En bref, la possibilité d'obtenir une réparation en vertu de la Loi sur la défense nationale n'a rien à voir avec la question litigieuse soumise à la Cour dans le cadre de la présente requête en radiation.


Dispositif

[20]            La requête visant à faire radier la déclaration du demandeur est accueillie. Une ordonnance sera rendue en ce sens. Les dépens réclamés par la défenderesse sont adjugés à Sa Majesté au tarif habituel des dépens entre parties et ils sont fixés à 1 000 $.

  

        W. Andrew MacKay

________________________

    JUGE

  

OTTAWA (Ontario)

Le 8 mars 2002

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a, LL. L.

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