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Date : 20000331


Dossier : T-166-99



ENTRE :

     RUTH ABERCROMBIE

     demanderesse


     et


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur



     MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE DAWSON


[1]      Ruth Abercrombie en appelle, en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-33) (la LEFP), de la sélection de Deborah Wipp pour exercer les fonctions du poste d'agent de programmes et services au bureau du ministère du Développement des Ressources humaines (le Ministère) à Kelowna (Colombie-Britannique).

[2]      Avec certaines restrictions qui ne sont pas pertinentes en l'instance, l'article 21 de la LEFP prévoit que toute personne qui veut contester une nomination au motif qu'elle ne respecte pas le principe du mérite peut en appeler devant un Comité d'appel.

[3]      Lors de l'audition de l'appel de Mme Abercrombie par le Comité d'appel, elle a soutenu que l'action de dotation contestée était une nomination et qu'elle avait donc le droit d'en appeler en vertu de l'article 21.

[4]      Pour sa part, le Ministère a soutenu que comme il n'y avait pas eu de « nomination » au sens de la LEFP, l'action de dotation en cause n'était pas susceptible d'appel.

[5]      Le président du Comité d'appel a conclu qu'il n'y avait pas eu de nomination et que, par conséquent, il n'avait pas compétence pour entendre l'appel de Mme Abercrombie.

[6]      Mme Abercrombie présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Ses motifs de contestation portent que la décision est fondée sur un critère juridique inapproprié et sur des considérations non pertinentes, et qu'on n'y a pas tenu compte de questions importantes.

Les faits

[7]      Les faits ne sont pas contestés et ils peuvent être brièvement résumés comme suit :

[8]      Jusqu'en juillet 1995, Deborah Wipp était à l'emploi du Centre des ressources humaines de Vanderhoof (Colombie-Britannique) en qualité de conseiller en emploi (PM-02). Comme son époux a été réinstallé à Kelowna (Colombie-Britannique), on lui a accordé une année de congé sans solde jusqu'au 3 juillet 1996.

[9]      Le 5 juin 1996, Mme Wipp a été « nommée » au Centre des ressources humaines de Kelowna (Colombie-Britannique) à titre d'agent de programmes et services (PM-02). Cette nomination a été faite en vertu du paragraphe 41(1) du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (1993) (DORS/93-286) (le REFP), « pour la période allant du 5 juin au 30 septembre 1996 » .

[10]      Le Ministère a « nommé » Mme Wipp pour un second terme, allant du 1er octobre 1996 au 31 mars 1997.

[11]      Le Ministère a ensuite « affecté » Mme Wipp au même poste du 1er avril au 30 septembre 1997. Cette « affectation » a été renouvelée deux fois, la première fois du 1er octobre 1997 au 31 mars 1998, et la deuxième fois du 1er avril 1998 au 31 mars 1999.

[12]      Le Ministère considérait ces affectations comme temporaires, justifiées du fait qu'il y avait des restrictions ministérielles quant à la dotation pendant que le gouvernement fédéral négociait avec le gouvernement provincial en vue d'un transfert des programmes d'emploi à la province.

Les questions en litige

[13]      Les questions qui me sont soumises sont les suivantes :

         1) Le président a-t-il utilisé le critère juridique approprié lorsqu'il s'est agi de déterminer si l'action de dotation en cause était une nomination au sens de la LEFP et du REFP?
         2) Le président a-t-il tenu compte des facteurs pertinents en appliquant le critère juridique pour déterminer s'il y avait eu une nomination?

[14]      Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable en l'instance est celle de la décision correcte. Ceci va dans le sens des décisions prises antérieurement par cette Cour, notamment Maslanko c. Canada (Procureur général) (1997), 132 F.T.R. 15 (Section de première instance), appel rejeté [1999] J.C.F. no 324 (CAF), dossier A-452-97, et Beaudry c. Canada (Procureur général), [2000] J.C.F. no 37, dossier T-1925-98 (Section de première instance), appel déposé A-63-00.

[15]      Un certain nombre d'arrêts ont porté sur la distinction entre une « affectation » et une « nomination » aux fins du processus d'appel prévu par la LEFP et le REFP. Les arrêts principaux sont Canada (Procureur général) c. Brault, [1987] 2 R.C.S. 489, Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503 et Maslanko c. Canada (Procureur général), précité.

[16]      Ces arrêts permettent de conclure que le Comité d'appel aurait dû utiliser les critères juridiques suivants pour déterminer s'il y avait eu une nomination : (i) l'affectation de Mme Wipp était-elle d'une « durée à ce point importante et indéterminée » qu'elle puisse être présumée disposer d'un « net avantage » dans un processus de sélection subséquent?; (ii) y a-t-il eu une modification importante ou substantielle des fonctions exigeant des « qualifications supplémentaires ou particulières » de sorte que « l'affectation » équivalait à un nouveau poste?; et (iii) la mesure de dotation était-elle en fait une tentative du Ministère d'éviter l'application du principe du mérite?

La décision du Comité d'appel

[17]      Le président du Comité d'appel a d'abord placé l'appel dans son contexte et présenté les faits. Il a ensuite énoncé correctement le critère juridique applicable.

[18]      Le président a ensuite décrit l'argument du Ministère, portant que même si « l'affectation » était longue, elle était de nature temporaire et sa prolongation dépendait essentiellement du résultat des négociations fédérales-provinciales. De plus, il n'y avait pas de vraie modification des fonctions. Il a ensuite résumé l'argument présenté au nom de Mme Abercrombie, portant que « l'affectation » était d'une « durée importante et indéterminée » , accordant ainsi un net avantage à Mme Wipp dans un processus de sélection subséquent. De plus, les postes auraient été « de nature distincte et ils exigeaient des qualifications différentes » .

[19]      Sous l'intitulé « Motifs et dispositif » , le président a ensuite examiné un certain nombre de questions, y compris celle de savoir si une nomination intérimaire avait été faite et s'il y avait une possibilité de mutation. Il a ensuite conclu que [traduction] « Mme Wipp est passée d'un poste à un autre dans le même groupe et au même niveau, transfert qui ne constitue pas une promotion » . En conséquence, il a conclu que « l'affectation » de Mme Wipp au poste à Kelowna ne constituait pas une nomination. Il a conclu que Mme Abercrombie n'avait pas démontré que le poste à Kelowna exigeait des qualifications supplémentaires ou particulières. Au contraire, il a conclu que les fonctions exécutées par Mme Wipp à Vanderhoof étaient très semblables à celles qu'elle avait exécutées à Kelowna.

[20]      Bien que le président a noté que le Ministère reconnaissait que la longueur de l'affectation était en litige, il n'a pas traité de cette question dans sa décision. Il a simplement dit qu'il était d'accord avec la décision du président du Comité d'appel Murby sur une question semblable dans Maslanko. Toutefois, dans Maslanko l'affectation n'était que pour une année et elle n'avait pas été décrite au début par le Ministère comme une « nomination » .

[21]      Étant donné l'importance de cette partie du critère juridique, compte tenu notamment du fait qu'on a déjà jugé que dans certaines circonstances une période de neuf mois était déjà trop longue pour constituer une affectation, je conclus que le président n'a pas appliqué correctement le critère juridique approprié.

[22]      De plus, s'agissant de la troisième partie du critère juridique susmentionné, rien dans les motifs du président ne porte sur cette question même si Mme Abercrombie a soutenu devant le Comité d'appel que l'action de dotation était une tentative de contourner le principe du mérite. Selon la preuve, le Ministère avait des contraintes financières dans la région de Kelowna et il n'était donc pas disposé à créer un nouveau poste au cours des négociations. Il désirait toutefois accommoder la réinstallation de M. Wipp et il aurait fait une nomination n'eut été les négociations. À mon avis, cette preuve exigeait qu'on analyse la question de savoir si le Ministère avait exercé une souplesse de gestion raisonnable ou s'il essayait d'éviter l'application du principe du mérite.

[23]      Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. L'appel de Mme Abercrombie est renvoyé pour nouvel examen par un Comité d'appel différent.




OTTAWA (Ontario)

Le 31 mars 2000

    

     Juge


Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-166-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Ruth Abercrombie c. Le Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 21 mars 2000


MOTIFS DE JUGEMENT DE :          Mme le juge Dawson


EN DATE DU :                  31 mars 2000


ONT COMPARU

M. David Yazbeck                  pour la demanderesse

M. J. Sanderson Graham              pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne      pour la demanderesse

Ottawa (Ontario)

M. Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)




Date : 20000331


Dossier : T-166-99



OTTAWA (ONTARIO), LE 31 MARS 2000

EN PRÉSENCE DE :      MADAME LE JUGE DAWSON


ENTRE :

     RUTH ABERCROMBIE

     demanderesse


     et


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur



     JUGEMENT

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. L'appel de Mme Abercrombie est renvoyé pour nouvel examen par un Comité d'appel différent.


    

     Juge

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

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