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Date : 20020731

Dossier : IMM-3957-01

OTTAWA (ONTARIO), le 31 juillet 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROTHSTEIN

ENTRE :

                                                    ARBEN PEPA et FAVJOLA PEPA

                                                                                                                                                     demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                                     ORDONNANCE

Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire et l'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire.

                                                                                                                                  « Marshall Rothstein »             

                                                                                                                                                                 Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20020731

Dossier : IMM-3957-01

Référence neutre : 2002 CFPI 834

ENTRE :

                                                    ARBEN PEPA et FAVJOLA PEPA

                                                                                                                                                     demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROTHSTEIN (ex officio)

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant la décision prononcée le 1er août 2001 par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans laquelle elle déclarait que les demandeurs, des citoyens albanais, n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[2]                 Dans sa décision, la Commission indique les noms et la nationalité des demandeurs et mentionne ensuite que leur revendication du statut de réfugié se fonde sur l'appartenance à un groupe social, les Albanais liés par le Kanun i Lek.

[3]                 La Commission expose ensuite les allégations des demandeurs. Elle n'énonce aucune conclusion de fait concernant ces allégations. Le Kanun i Lek est une coutume albanaise traditionnelle qui régit un certain nombre de domaines, dont le mariage. Selon cette coutume, le mariage doit être approuvé par les parents de la future mariée et le futur marié doit verser une dot aux parents de la future mariée. Les demandeurs se sont mariés sans avoir obtenu l'approbation des parents de l'épouse et sans avoir versé de dot. C'est pour cette raison que la famille de la femme a menacé de tuer les demandeurs.

[4]                 Les demandeurs affirment être membres d'un groupe social particulier, à savoir, les personnes qui se marient sans avoir respecté le Kanun i Lek et affirment avoir, pour cette raison, une crainte raisonnable d'être persécutés par la famille de la femme.


[5]                 Dans son analyse, la Commission n'a examiné qu'une seule question -- celle de savoir si la crainte des demandeurs d'être persécutés concernait un des motifs énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention que fournit l'article 2 de la Loi sur l'immigration. La Commission a estimé que les demandeurs faisaient l'objet d'une vendetta privée -- la famille de la femme voulant se venger des demandeurs parce qu'ils se sont mariés contre les souhaits de sa famille -- et que la crainte d'être persécutés par la famille de la femme n'était pas reliée à un des motifs énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention.

[6]                 La Commission a examiné les caractéristiques susceptibles de définir un groupe social énumérées dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la p. 739 :

1.             les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

2.              les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et

3.              les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

[7]                 La Commission a uniquement considéré la question de savoir si les demandeurs étaient membres d'un groupe défini par une caractéristique innée ou immuable. La Commission a jugé que le fait d'être l'objet d'une vendetta ne constitue pas une caractéristique immuable et qu'il serait possible de mettre fin à la vendetta en amenant la famille de l'épouse à accepter le mariage.

[8]                 La Commission a par conséquent jugé que les demandeurs n'étaient pas visés par la définition de réfugié fournie par la Convention et déclaré que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


ANALYSE

Les erreurs commises par la Commission

[9]                 Il est difficile de suivre le raisonnement qu'a tenu la Commission dans cette affaire. Premièrement, la Commission semble faire une distinction entre, d'un côté, une vendetta ou une vengeance personnelle, et de l'autre, une crainte raisonnable d'être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social. La Commission n'explique pas l'hypothèse sur laquelle repose implicitement sa conclusion selon laquelle, sur le plan des principes, la personne qui fait l'objet d'une vendetta privée ne peut prétendre être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social. La Commission n'explique pas pourquoi, lorsqu'une personne fait l'objet d'une vendetta privée, elle ne peut être visée par la définition de réfugié au sens de la Convention si cette vendetta se fonde sur l'origine raciale de la victime ou sur un autre motif mentionné par la Convention. En l'absence d'explications de la part de la Commission et de décisions sur ce point, il n'existe pas, à ma connaissance, de principe voulant que le fait d'être victime d'une vendetta privée et celui d'être un réfugié au sens de la Convention soient mutuellement et nécessairement exclusifs.


[10]            Deuxièmement, la Commission a jugé que les demandeurs n'appartenaient pas à un groupe social défini par une caractéristique innée ou immuable. La Commission est arrivée à cette conclusion en s'attachant uniquement à l'attitude de la famille de l'épouse qui, note-t-elle, pourrait fort bien accepter le mariage. Compte tenu du fait qu'elle a fondé sa conclusion sur cet aspect pour affirmer que le critère de la caractéristique innée ou immuable ne s'applique pas dans ce cas-là, la Commission s'est limitée, de façon inappropriée, à la situation des auteurs de la persécution et non pas sur celle des victimes.

[11]            Troisièmement, la Commission n'a pas tenu compte des autres caractéristiques que peut avoir un groupe social et qui sont énumérées dans l'arrêt Ward, précité. Même si le groupe auquel les demandeurs prétendent appartenir n'est pas défini par des caractéristiques innées ou immuables, la Commission aurait néanmoins dû examiner si, en l'espèce, le fait d'être associé à un groupe, même de façon volontaire, est immuable en raison d'une permanence historique, c'est-à-dire, en raison du fait que le mariage a été célébré sans le consentement de la famille, ce qui constitue nécessairement un fait immuable.

Autres considérations

[12]            Devant la Cour, les demandeurs ont affirmé que la question en litige est celle de savoir si la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Le défendeur a abordé les mêmes questions.

[13]            Il me semble cependant qu'il y a lieu d'aborder un certain nombre de questions de droit ou de questions mixtes de fait et de droit. Par exemple, quelle est la définition exacte du groupe auquel les demandeurs affirment appartenir? Est-ce qu'un tel groupe constitue un groupe social, au sens que donne à ce terme la définition de réfugié au sens de la Convention? La définition de réfugié au sens de la Convention exige-t-elle que les auteurs de la persécution soient un gouvernement ou un organisme quasi gouvernemental ou peut-il s'agir d'individus ou d'une seule famille?

[14]            En outre, même si la Commission en arrivait à la conclusion que les demandeurs font partie d'un groupe social, il faudrait encore décider s'ils peuvent invoquer la protection de l'État en Albanie et s'ils ont une possibilité de refuge intérieur dans ce pays.

[15]            Enfin, la Commission ne s'est pas prononcée sur la crédibilité des allégations des demandeurs. Elle ne déclare aucunement si elle accepte ou écarte les allégations des demandeurs.


[16]            En l'espèce, il n'est pas certain que les allégations faites par les demandeurs soient nécessairement vraies. La Commission a signalé que le demandeur s'était vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention aux États-Unis. Sa famille habite dans ce pays. Il a été déporté en Albanie à partir des États-Unis en mars 1999 et affirme qu'il a épousé sa femme, contre le gré de la famille de cette dernière, trois mois plus tard, soit en juillet 1999. Il n'appartient pas à notre Cour de se prononcer sur la crédibilité des témoins et je n'ai pas l'intention de le faire ici. Néanmoins, compte tenu des faits établis dans cette affaire, il me semble qu'il incombait à la Commission d'évaluer la crédibilité des allégations des demandeurs.

CONCLUSION

[17]            Compte tenu des trois erreurs de droit exposées ci-dessus, il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'elle soit examinée par un tribunal différemment constitué, en tenant compte des considérations mentionnées dans les présents motifs.

   

                                                                              « Marshall Rothstein »             

                                                                                                             Juge                          

  

Ottawa (Ontario)

Le 31 juillet 2002

   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                  IMM-3957-01

INTITULÉ :                 ARBEN PEPA

FAVJOLA PEPA

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 8 juillet 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE ROTHSTEIN (ex officio)

DATE DES MOTIFS :                                     Le 31 juillet 2002

COMPARUTIONS :

Mme Lori A. O'Reilly                                            POUR LES DEMANDEURS

Mme Kerry A. Franklin                                        POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

O'Reilly Law Office                                              POUR LES DEMANDEURS

Calgary (Alberta)

M. Morris Rosenberg                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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