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Date : 20020709

Dossier : T-2198-00

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                                 DOUGLAS M. LEE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                               LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE

                                                                                                                                               défenderesse

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission canadienne des droits de la personne est annulée et la plainte du demandeur est renvoyée à la Commission pour qu'elle rende une nouvelle décision en conformité avec les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, à condition que la personne qui sera désignée en vertu du paragraphe 43(1) soit une personne différente de celle qui a participé à la rédaction du rapport à l'origine de la décision annulée.

                                                                                                                 « Carolyn A. Layden-Stevenson »     

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20020709

Dossier : T-2198-00

Référence neutre : 2002 CFPI 753

ENTRE :

                                                                 DOUGLAS M. LEE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                               LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE

                                                                                                                                               défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 22 mars 2000 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté une plainte déposée par le demandeur, Douglas M. Lee, qui affirmait avoir fait l'objet d'une distinction fondée sur des motifs illicites - l'âge et la race - de la part de son ancien employeur, la Banque de Nouvelle-Écosse. M. Lee sollicite en l'espèce une ordonnance faisant droit à sa demande de contrôle judiciaire et lui accordant une réparation convenable qui lierait la Commission. M. Lee reproche à la Commission d'avoir manqué à son devoir d'équité procédurale lors de l'instruction de sa plainte.


[2]                 M. Lee a commencé à travailler pour la Banque de Nouvelle-Écosse en 1967 et, à l'exception de deux années au cours des années soixante-dix, il a travaillé sans interruption pour la défenderesse à divers titres jusqu'à son congédiement, en janvier 1999. En 1998, le demandeur travaillait comme agent des opérations au Service des produits de retraite collectifs (SPRC). En juin de la même année, la Banque a décidé de transférer ce service à Stratford, en Ontario, et a annoncé que les employés de ce service qui ne désiraient pas déménager à Stratford auraient à se trouver de nouveaux postes au sein de la Banque. Les employés concernés se sont vus offrir une protection salariale pour une période de deux ans, ce qui signifiait que si leur nouveau poste était d'un niveau inférieur à celui de leur poste actuel, la Banque leur garantissait un salaire et des avantages correspondant à leur ancien poste pour les deux années suivantes.

[3]                 Après qu'un certain temps se fut écoulé après l'annonce du transfert en question, la Banque a commencé à avoir l'impression que le demandeur refusait de déménager et elle a commencé à l'informer d'autres vacances. La Banque soutient avoir offert plusieurs postes à M. Lee, dont le premier était un poste de conseiller en placements au Service de soutien des produits de placements. La Banque affirme avoir offert ce poste au demandeur en septembre 1998 et elle ajoute que M. Lee l'a refusé au motif qu'il était d'un niveau inférieur à celui qu'il occupait au SPRC.


[4]                 Le demandeur a reconnu avoir reçu au moins une des présumées offres de la Banque. Il affirme que le 1er octobre 1998 on lui a tout à coup dit de se présenter au service des Fonds communs Scotia (FCS) le lendemain pour un poste de niveau inférieur. Il a refusé de postuler cet emploi et soutient que les tentatives faites par la Banque pour le forcer à accepter un poste d'un niveau inférieur à son emploi actuel équivalaient à un congédiement déguisé. À compter du 2 octobre 1998, le demandeur a cessé de se présenter au travail.

[5]                 Le 15 octobre 1998, le demandeur a envoyé à la Banque une lettre dans laquelle il se plaignait de traitement injuste. Le même jour, il a demandé de façon informelle à la Commission de le conseiller sur la façon de porter plainte. À la suite de la plainte qu'il lui a adressée, la Banque a invité le demandeur à rencontrer le vice-président principal des Ressources humaines, le 22 octobre 1998. À cette rencontre étaient également présents deux autres cadres de la Banque.

[6]                 La Banque soutient que, lors de cette rencontre, on a offert au demandeur un poste de conseiller fiscal et successoral. Il s'agissait d'un poste de niveau inférieur, mais on a offert au demandeur une formation et une protection salariale. Certaines négociations ont été entamées, mais le demandeur ne s'est finalement pas présenté au travail et a donc été présumé avoir refusé l'offre au plus tard le 21 décembre 1998. Suivant la preuve, le demandeur ne pensait pas qu'il possédait les qualités requises pour le poste et il estimait que la formation proposée par la Banque était insuffisante.


[7]                 Le 3 novembre 1998, le vice-président principal des Ressources humaines de la Banque a écrit au demandeur pour lui signaler son absence prolongée et lui faire savoir qu'à moins qu'il n'explique son absence au plus tard le 12 novembre 1998, son salaire ne lui serait plus versé. Dans sa lettre, le vice-président expliquait également que, si le demandeur reprenait le travail, il serait affecté au Service à la clientèle [Traduction] « pour exécuter les fonctions qui vous seront confiées, y compris les fonctions associées aux méthodes de rapprochement en matière de produits de retraite collectifs » et que cette affectation serait valable jusqu'au 29 janvier 1999. Le vice-président concluait sa lettre en déclarant que la Banque ne pouvait pas protéger l'emploi du demandeur s'il continuait à décliner les offres qui lui étaient faites et que, s'il ne se trouvait pas un travail, sa protection d'emploi prendrait fin le 1er février 1999, à la suite de quoi son emploi prendrait fin.

[8]                 Le 13 novembre 1998, la Banque a envoyé au demandeur une deuxième lettre dans laquelle elle précisait qu'elle ne désirait pas le licencier mais que, s'il continuait à s'absenter et s'il ne fournissait pas [Traduction] « d'explications valables pour justifier son absence » au plus tard le 23 novembre, la Banque considérerait qu'il avait abandonné son emploi.

[9]                 La Banque a écrit une troisième fois au demandeur le 19 décembre 1998 pour l'informer que, s'il ne se présentait pas au travail au plus tard le 21 décembre, il serait réputé avoir démissionné de son poste.

[10]            Le demandeur a été licencié par lettre datée du 6 janvier 1999.


[11]            Le demandeur a déposé deux plaintes au sujet de son licenciement. Le 11 janvier 1999, il a porté plainte devant le ministère du Développement des ressources humaines du Canada (DRHC) au sujet des questions de « main-d'oeuvre » liées à son congédiement. Le 28 janvier 1999, le demandeur a déposé une plainte devant la Commission, en alléguant que son congédiement constituait un acte discriminatoire fondé sur l'âge et la race. Plus précisément, le demandeur a fait remarquer que, lorsque son service avait été transféré, ses collègues plus jeunes de race blanche avaient obtenu des postes équivalents ou meilleurs alors que lui et un cadre, qui étaient les employés les plus âgées du service, s'étaient vus offrir des rétrogradations. C'est la décision que la Commission a rendue au sujet de cette dernière plainte qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Plus précisément, la Cour est appelée à se prononcer sur l'équité de la procédure suivie par l'enquêteur de la Commission.

[12]            Le 28 avril 1999, la Commission a confié le dossier du demandeur à un enquêteur. Comme elle avait reçu une copie de la plainte du demandeur, la Banque a soumis une réponse à l'enquêteur le 22 juin. Le 7 juillet, l'enquêteur a transmis un résumé des observations de la Banque au demandeur pour qu'il y réponde au plus tard le 17 août 1999. Le demandeur a envoyé une réponse de 197 pages le 19 août.


[13]            En date du 8 décembre 1999, l'enquêteur avait terminé la rédaction de son rapport, dans lequel il recommandait que la Commission rejette la plainte du demandeur. Ce rapport a été envoyé aux parties pour qu'elles l'examinent et formulent leurs observations avant qu'il ne soit soumis à la Commission. Le rapport a d'abord été envoyé au demandeur puis à la banque défenderesse.

[14]            Dans la lettre qui accompagnait le rapport que l'enquêteur a adressée au demandeur et dans laquelle il invitait ce dernier à lui faire connaître ses observations au sujet du rapport, l'enquêteur fixait une limite de 10 pages à la longueur de la réponse et, comme date limite pour la présentation de cette réponse, le 27 décembre 1999. Le demandeur a soumis ses observations, qui faisaient 8½ pages, le 15 décembre. L'enquêteur a ensuite fait parvenir son rapport accompagné de la réponse du demandeur à la Banque, à qui il a fait savoir qu'elle avait le droit [Traduction] « de formuler des observations au sujet de tout fait nouveau digne de mention » . L'enquêteur a fixé à 10 pages la longueur maximale de la réponse et, comme date limite, le 10 janvier 2000. Le 27 janvier, la Banque a soumis un document de 24 pages dans lequel elle répondait point par point aux observations formulées par le demandeur le 15 décembre. La Banque a joint à ce document environ 40 pages d'annexes, dont le texte intégral de sa réponse du 22 juin 1999.


[15]            Il ressort du dossier de la Commission qui a été déposé devant la Cour que la Commission disposait des documents suivants au moment de sa décision : i) le formulaire de plainte; ii) le rapport de l'enquêteur; iii) les observations formulées le 15 décembre 1999 par le demandeur au sujet du rapport; iv) les observations formulées le 27 janvier 2000 par la défenderesse au sujet du rapport, qui comprenaient la réponse de la défenderesse aux observations formulées le 15 décembre par le demandeur ainsi que 40 pages d'annexes.

[16]            Dans des lettres datées du 22 mars 2000, la Commission a communiqué sa décision aux deux parties. La Commission précisait qu'elle avait lu le rapport de l'enquêteur et les réponses des parties et qu'elle avait décidé de rejeter la plainte pour les motifs suivants :

1)         La preuve n'appuyait pas l'allégation que la défenderesse avait établi contre le demandeur une distinction illicite fondée sur la race ou l'âge;

2)         La preuve démontrait effectivement que la défenderesse avait offert deux postes au demandeur, mais que celui-ci avait rejeté ces offres;

3)         La preuve appuyait la thèse de la défenderesse suivant laquelle le demandeur n'avait été licencié qu'après qu'il eut fait défaut de se présenter au travail.

C'est la décision dont le demandeur sollicite le contrôle judiciaire.

[17]            Comme la question en litige a été soulevée à l'audience, et par souci de commodité et de clarté, je vais évoquer brièvement la procédure que suit la Commission pour instruire une plainte.

[18]            Une fois que la Commission a désigné une personne pour instruire la plainte, il incombe à l'enquêteur ainsi nommé de constituer un dossier dont la Commission se servira pour décider soit de rejeter la plainte, soit de constituer un tribunal chargé de résoudre la question. L'article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi), régit cette étape de la procédure. En voici les extraits pertinents :



44.(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission_ :

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue_ :

(i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,

(ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

b) rejette la plainte, si elle est convaincue_ :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

44.(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).


En l'espèce, la Commission a rejeté la plainte en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i).

[19]            Lorsqu'elle exerce le rôle que lui confie l'article 44, la Commission exécute une fonction d'examen préalable qui est de nature discrétionnaire et qui donne par conséquent lieu à un degré élevé de retenue judiciaire. Dans l'arrêt récent Gee c. Ministre du Revenu national, 2002 CAF 4, [2002] A.C.F. no 12, la Cour d'appel fédérale a examiné la norme de contrôle judiciaire applicable dans le cas des décisions de la Commission et, au paragraphe 13, a examiné la jurisprudence pertinente :

La présente Cour a à plusieurs reprises indiqué le degré de retenue judiciaire dont il faut faire preuve à l'égard de la Commission lorsqu'elle décide, après la réception d'un rapport d'enquête, si elle doit rejeter la plainte ou la renvoyer à un tribunal. Par exemple, il a été déclaré dans l'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier ([1999] 1 C.F. 113 (C.A.)) :

  

L'exercice du pouvoir discrétionnaire

[38]          La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude à l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 42 et 44 regorgent d'expressions comme « à son avis » , « devrait » , « normalement ouverts » , « pourrait avantageusement être instruite » , « des circonstances » , « estime indiqué dans les circonstances » , qui ne laisse aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a)) ou, carrément de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion (voir Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.), à la page 698, le juge Le Dain), mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

Plus récemment, dans l'arrêt Zundel c. Procureur général du Canada et al. ((2000) 267 N.R. 92, au paragraphe 5), la présente Cour a endossé une décision de la Section de première instance ([1999] 4 C.F. 289, aux paragraphes 46 à 49), selon laquelle la norme de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission prise en vertu de l'article 44, c'est-à-dire celle de déférer après enquête une question à un tribunal, devait être de savoir si la décision s'appuyait sur un motif rationnel. Dans l'arrêt Bradley c. Procureur général du Canada ((1999) 238 N.R. 76), la présente Cour a statué que la norme de contrôle d'une décision prise par la Commission en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi de rejeter une plainte au lieu de nommer un conciliateur était celle de la décision raisonnable. Avec respect, je suis d'accord avec mes collègues sur ce point et j'accepte que la norme de contrôle relative à l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui est conféré au sous-alinéa 44(3)b)(i) de rejeter une plainte est celle de la décision raisonnable. C'est la norme qu'il faut appliquer en l'espèce. [...]

  

[20]            Comme la Commission a délégué ses pouvoirs d'enquête et qu'elle cherche simplement, à cette étape-ci, à déterminer si la plainte justifie la constitution d'un tribunal chargé de faire enquête, il est logique que l'enquêteur passe en revue et résume les observations des intéressés et qu'il soumette à la Commission un dossier dont le contenu se limite au rapport de l'enquêteur et aux réponses à ce rapport. Cette façon de procéder semble s'accorder avec la coutume de la Commission de demander à l'enquêteur de ne soumettre que la plainte initiale, le rapport de l'enquêteur et la réponse des parties au rapport dans le dossier qu'il présente à la Commission conformément au paragraphe 44(1) de la Loi.


[21]            En conséquence, bien qu'en l'espèce, les parties aient présenté des observations supplémentaires à l'enquêteur, en l'occurrence la réponse de la Banque à la plainte du 22 juin 1999 du demandeur, et la réponse subséquente présentée par le demandeur le 19 août 1999, l'enquêteur a vraisemblablement reçu ces observations avec l'intention d'en tenir compte uniquement pour rédiger son rapport à la Commission.

[22]            Il y a un autre aspect de la procédure de la Commission qui exige des commentaires et des éclaircissements. Il semble que l'usage courant à la Commission, à l'étape de l'enquête, consiste à préparer un résumé de la thèse du mis en cause et d'en fournir un résumé au plaignant pour qu'il y réponde. Il semble toutefois que le mis en cause reçoive la version intégrale des observations du demandeur et qu'il soit invité à les commenter.

[23]            La question centrale qui se pose dans le cadre de la présente instance en contrôle judiciaire est celle de savoir si ces aspects de la procédure de la Commission sont équitables et, dans l'affirmative, s'ils ont été appliqués de façon équitable aux parties, eu égard aux circonstances de l'espèce.

[24]            Bien que les parties aient soulevé plusieurs moyens dans leurs observations, le débat était axé, à l'audience, sur la question de l'équité procédurale. La présente demande soulève essentiellement deux questions :

1)         La communication à la Banque du texte intégral des observations de M. Lee, alors que celui-ci n'a reçu qu'un résumé des observations de la Banque, porte-t-elle atteinte au droit du demandeur à l'équité procédurale?


2)         La quantité inégale d'éléments d'information émanant des parties dont disposait la Commission a-t-elle conduit celle-ci à décider de rejeter la plainte de M. Lee pour des raisons inéquitables?

La thèse du demandeur est que ces irrégularités procédurales équivalent en fait à un déni de justice et que la décision de la Commission est mal fondée.

[25]            Le demandeur s'inquiète de n'avoir reçu qu'un résumé des observations de la défenderesse, alors que celle-ci a reçu le texte intégral de ses documents. Le demandeur affirme que cela constitue une communication insuffisante ou, à tout le moins, un traitement inégal.

[26]            Sur cette question, la défenderesse cite le jugement Miller c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), (1996), 112 F.T.R. 195, dans lequel, à la page 203, le juge Dubé discute des principes applicables en matière de communication :

Selon la règle d'équité procédurale, un plaignant doit connaître les allégations formulées contre lui. Il n'a pas le droit d'en connaître les moindres détails, mais il devrait être informé des prétentions générales de la partie adverse [Jennings c. Canada (Ministre de la Santé), supra, p. 8, et Mercier c. Commission canadienne des droits de la personne (1994), 167 N.R. 241, p. 254.]. Le plaignant n'a pas le droit d'exiger les notes d'entrevues de l'enquêteur ou les déclarations obtenues des personnes interrogées. Il a le droit d'être informé du fond de l'affaire et de s'attendre à ce que l'enquêteur résume entièrement et fidèlement la preuve obtenue au cours de son enquête [Labelle c. Canada (Conseil du Trésor), (1987), 25 Admin L.R. 10, à la p.19 (C.A.F.) et Radulesco c. Commission des droits de la personne, [1984] 2 R.C.S. 407, à la p. 410]. Il doit avoir la possibilité de répondre. Il a également le droit d'être informé des observations de la partie adverse qui concernent des faits différents de ceux qui sont exposés dans le rapport d'enquête [Mercier c. Commission canadienne des droits de la personne, précité, à la p. 254]. Pour que l'erreur soit susceptible de révision, le plaignant doit démontrer que les renseignements ont été retenus à tort et que ces renseignements sont fondamentaux pour le résultat de la cause [Slattery c. Canada, [1994] 2 C.F. 574, à la p. 603].

  

La défenderesse fait remarquer que le demandeur a été mis au courant du fond de l'affaire et qu'il a donc bénéficié de toute l'équité procédurale qui convenait dans les circonstances.


[27]            Le demandeur s'inquiète également du fait que, lorsqu'elle a décidé de rejeter sa plainte, la Commission n'avait pas en mains la réponse très volumineuse de 197 pages qu'il avait fait parvenir à l'enquêteur le 19 août 1999. Cette question se pose parce que, bien que seulement cinq pour cent des observations du demandeur aient été portés à la connaissance de la Commission, la totalité des observations de la défenderesse se sont retrouvées dans le dossier que l'enquêteur a soumis à la Commission.

[28]            Ainsi que je l'ai déjà mentionné, l'enquêteur a invité les deux parties à formuler des observations au sujet de son rapport et les deux parties se sont prévalues de cette possibilité. L'enquêteur a fixé un délai à chacune des deux parties, ainsi qu'une limite de 10 pages aux observations de chacune. Le demandeur a respecté les consignes de l'enquêteur et a présenté un document de 8½ pages, 12 jours avant la date limite. L'enquêteur a ensuite fait parvenir les observations du demandeur à la défenderesse pour que celle-ci puisse répondre à tout élément nouveau qui avait été soulevé. La défenderesse est allée beaucoup plus loin en soumettant un document de 24 pages 17 jours après l'expiration du délai fixé par l'enquêteur et en répondant non seulement point par point aux observations du demandeur, mais en joignant à ses observations une quarantaine de pages d'annexes, y compris le texte intégral de ses observations du 22 juin 1999.


[29]            Le demandeur fait remarquer qu'il s'est ainsi retrouvé considérablement désavantagé par rapport à la défenderesse lorsque le dossier a été soumis à la Commission. Ce déséquilibre est ce que M. Lee a appelé [TRADUCTION] « le noeud du litige » dans les observations qu'il a formulées devant la Cour. Il estime que cette situation est injuste et qu'elle est incompatible avec la mission de la Commission, étant donné qu'elle lui laisse l'impression que la justice n'a pas été rendue en l'espèce par un office dont la raison d'être est de veiller à ce que les gens soient traités de façon équitable et sans discrimination.

[30]            La Banque soutient que l'enquêteur a examiné toutes les observations du demandeur et qu'il en a résumé les parties pertinentes dans le rapport qu'il a soumis à la Commission. La Commission disposait donc selon elle de l'essentiel des observations du demandeur au moment où elle a rendu sa décision. La défenderesse affirme en outre que le demandeur a eu pleinement la possibilité de répondre au rapport de l'enquêteur. En ce qui concerne le délai et la limite de pages, la défenderesse signale que c'est l'enquêteur qui les a imposés.

[31]            Par ailleurs, l'essentiel de la réponse de la Banque au rapport consistait en des documents qui avaient déjà été soumis à l'enquêteur, qui ne soulevaient aucune nouvelle question ou nouveau moyen de défense, de sorte que le demandeur a eu amplement l'occasion de répondre à ces observations au cours de l'enquête. En résumé, il n'y avait rien de neuf dans la réponse de la défenderesse, indépendamment du volume de cette réponse.


[32]            Bien que les décisions de la Commission aient droit à un degré élevé de retenue judiciaire, il est de jurisprudence constante que la Commission doit néanmoins respecter les principes de justice fondamentale. L'enquêteur qui mène l'enquête le fait en tant que prolongement de la Commission : Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 (SEPQA). Ainsi, la norme qui s'applique à la Commission s'appliquerait aussi à l'enquêteur dans ses rapports avec les parties.

[33]            La question qui se pose devient alors celle du contenu de l'obligation d'équité en pareil cas. Dans le jugement Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 574 (C.F. 1re inst.), conf. à (1996) 205 N.R. 383 (C.A.F.), le juge Nadon (maintenant juge à la Cour d'appel) a statué, à la page 598 :

Pour qu'il existe un fondement juste pour que la CCDP estime qu'il y a lieu de constituer un tribunal en vertu de l'alinéa 44(3)a) de la Loi, je crois que l'enquête menée avant cette décision doit satisfaire à au moins deux conditions : la neutralité et la rigueur.

[34]            Le sens de ces termes a été défini par le juge Dubé dans le jugement Miller, précité, à la page 201 :

[...] Les enquêtes que l'enquêteur mène avant la décision doivent respecter au moins deux conditions : la neutralité et l'exhaustivité. En d'autres termes, l'enquête doit être menée de façon qu'elle ne puisse être décrite comme une enquête empreinte de partialité ou d'iniquité et elle doit être exhaustive, c'est-à-dire qu'elle doit tenir compte des différents intérêts des parties concernées. [...]   

  

[35]            Dans l'affaire Slattery, le débat portait sur la question de savoir si l'enquêteur avait préparé son rapport de manière neutre et exhaustive. Le juge Nadon y explique à fond la raison d'être de ces deux conditions - neutralité et exhaustivité - lorsqu'il cite les propos suivants tenus par le juge Noël (alors juge à la Section de première instance) dans le jugement Société Radio-Canada (SRC) c. Canada (Commission des droits de la personne), (1993), 71 F.T.R. 214, à la page 226 : « si le rapport que [la CCDP] a adopté dans le cadre de sa décision est défectueux, il s'ensuit que la décision est, elle aussi, défectueuse » .

[36]            En l'espèce, je n'ai pas l'intention d'évaluer le rapport de l'enquêteur, mais plutôt le contenu du dossier soumis à la Commission. Le même principe fondamental s'applique. Comme la décision est défectueuse lorsque le rapport est défectueux, il s'ensuit que, si le dossier est défectueux, la décision elle-même est défectueuse.

[37]            Il est de jurisprudence constante que l'équité exige que les parties aient la « possibilité » de répondre au rapport de l'enquêteur (SEPQA, précité, Slattery, précité, Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.). C'est la possibilité de M. Lee de répondre qui a été compromise en l'espèce.

[38]            Je suis d'accord avec M. Lee pour dire que c'est la seconde question, celle qui a trait au dossier soumis à la Commission, qui constitue le « noeud du litige » . À mon avis, la Commission a commis plusieurs erreurs importantes en acceptant les observations finales de la Banque.


[39]            Les observations de la Banque étaient irrégulières en ce sens qu'elles n'étaient pas conformes à leur raison d'être, qui était, selon l'enquêteur, i) de répondre au rapport de l'enquêteur, et ii) de répondre à [Traduction] « tout fait nouveau digne de mention » soulevé par M. Lee dans sa réponse au rapport. Après avoir, dans une seule phrase, souscrit à [Traduction] « la totalité des conclusions [du rapport] » , la Banque poursuit sa réponse en réfutant point par point, pendant 23 pages, les observations finales de M. Lee, qui ne renferment aucun fait nouveau. La Banque a également joint à ce document le texte intégral de ses observations du 22 juin 1999 dans le but d'étayer sa thèse.

[40]            La réponse de la Banque est également irrégulière en ce sens que la Banque n'a pas respecté les limites de pages et de temps fixées par l'enquêteur. Je n'ai pas l'intention de me prononcer sur la question de savoir si un enquêteur peut, dans sa sagesse, imposer des limites aux observations des parties, et je suis disposée à présumer, en l'espèce, qu'il lui est loisible d'imposer de telles limites. L'équité exige toutefois que ces limites soient appliquées de façon uniforme. Si l'enquêteur était prêt à renoncer aux règles qu'il avait lui-même fixées - ce qui, dans certains cas, peut s'avérer le meilleur parti à prendre - il devait en aviser d'abord M. Lee, qui aurait alors pu réclamer plus de temps et d'espace pour formuler ses observations.

[41]            La Commission n'a pas divulgué la teneur des observations finales de la Banque à M. Lee, de sorte que ce dernier ne s'est pas vu offrir la possibilité de s'y opposer ou d'y répondre. Il me semble que, lorsqu'une partie soumet des observations entachées d'irrégularités, la Commission devrait les écarter ou ne pas en tenir compte ou du moins accorder à l'autre partie la possibilité d'y répondre. Bien que je puisse comprendre que la Commission ne souhaite pas crouler sous une avalanche de réponses et de répliques, j'estime que, pour endiguer cette marée, il lui suffit de faire preuve de vigilance lorsqu'elle accepte des observations. La Commission n'est pas un simple dépositaire de documents, qu'elles qu'en soient la qualité et la pertinence.


[42]            Lorsqu'un plaignant n'est pas en mesure de corriger la mauvaise appréciation ou l'erreur dont est entaché le rapport d'enquête en signalant l'erreur ou en fournissant les renseignements manquants, le problème est suffisamment grave pour justifier le contrôle judiciaire. Sinon, une injustice, ou du moins une iniquité procédurale, en résulterait, parce que la Commission ferait reposer sa décision sur des preuves viciées ou irrégulières : Singh c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 247, [2002] A.C.F. no 885. Le même raisonnement vaut pour un dossier entaché d'irrégularités. Dans le cas qui nous occupe, ayant reçu des observations entachées d'irrégularités et ayant choisi de les accepter et de les considérer comme une réponse valable, que ce soit par le truchement de l'enquêteur ou par l'intermédiaire de la Commission, la Commission disposait, lorsqu'elle a rendu sa décision, d'un dossier vicié ou irrégulier. La Commission faisait donc reposer sa décision sur « des preuves viciées ou irrégulières » . Le plaignant n'a pas eu la possibilité de relever ces irrégularités car il en ignorait l'existence. M. Lee était en droit de supposer que les mêmes règles et la même procédure avaient été appliquées aux deux parties. L'erreur aurait pu être corrigée si les observations avaient été communiquées au demandeur et si on lui avait donné la possibilité de répondre. Or, cela n'a pas été fait.


[43]            Je tiens à signaler que, pour rendre ma décision, j'ai tenu compte du fait qu'aucun avocat n'occupe pour M. Lee. En pareil cas, lorsqu'une partie n'est pas représentée et que la partie adverse est défendue par un avocat aussi compétent, le tribunal doit s'assurer que les règles du jeu demeurent néanmoins uniformes pour les deux parties. Il est essentiel d'expliquer les règles et la procédure au plaideur profane pour s'assurer qu'il est en mesure de participer pleinement au débat. Il est également essentiel que les règles et la procédure établies soient respectées et suivies d'une manière équitable pour les deux parties. Or, il ressort de la preuve que M. Lee n'était pas au courant du fait que la Commission ne disposerait pas, au moment de sa décision, des observations très abondantes de 197 pages qu'il avait soumises à titre de réponse à l'enquêteur le 19 août 1999. Je suis convaincue que, si la possibilité lui en avait été offerte, M. Lee aurait aimé joindre les observations en question à sa réponse finale comme la Banque l'a fait en joignant son document du 22 juin 1999 à ses observations.

[44]            En conséquence, je conclus qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, il y a eu en l'espèce un manquement à l'équité procédurale qui a pour effet de vicier la décision de la Commission.

[45]            Ayant décidé de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire sur le second moyen qui a été invoqué, je n'ai pas à me prononcer sur la question de savoir si la communication des éléments pertinents au demandeur par l'enquêteur était, dans ces conditions, suffisante.

[46]            Pour les motifs qui ont été exposés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission canadienne des droits de la personne est annulée et la plainte du demandeur est renvoyée à la Commission pour qu'elle rende une nouvelle décision en conformité avec les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6,


à condition que la personne qui sera désignée en vertu du paragraphe 43(1) soit une personne différente de celle qui a participé à la rédaction du rapport à l'origine de la décision annulée.

  

                                                                                                                 « Carolyn A. Layden-Stevenson »     

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 9 juillet 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-2198-00

INTITULÉ :                                        Douglas M. Lee c. La Banque de Nouvelle-Écosse

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              28 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                      9 juillet 2002

COMPARUTIONS:

                                                              

Douglas M. Lee                                                                              POUR SON PROPRE COMPTE

Peigi R. Ross                                                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Peigi R. Ross                                                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

Toronto (Ontario)

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