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Date : 19990120


Dossier : T-577-87

ENTRE


LA COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LTÉE

et sa subdivision PARAMINS,


demanderesses,


et


THE LUBRIZOL CORPORATION

et LUBRIZOL CANADA, LIMITED,


défenderesses,


et


FRED W. BILLMEYER FILS,


intervenant.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]      Il s"agit d"une demande que la demanderesse a présentée en vue d"obtenir une ordonnance de cessation d"occuper à l"égard du cabinet d"avocats Lang Michener qui était l"avocat des défenderesses inscrit au dossier. Le vendredi 15 janvier 1999, j"ai rejeté la demande, et ce, pour les motifs suivants.

[2]      Dans cette instance, la demanderesse cherche à faire infirmer, conformément à l"article 17331 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, un jugement rendu par Monsieur le juge Cullen le 17 septembre 1990. Par ce jugement, le juge a conclu que la demanderesse avait contrefait le brevet des défenderesses. Selon la preuve que la demanderesse présente en l"espèce en vue de faire infirmer le jugement de Monsieur le juge Cullen, M. Fred Billmeyer fils, témoin expert dont les services avaient été retenus par les défenderesses, a délibérément induit le juge en erreur en ce sens que dans le cadre de l"audience il a sciemment présenté un faux témoignage sur lequel le juge s"est fondé pour conclure que la demanderesse avait contrefait le brevet. Au paragraphe 3 de son mémoire des faits et du droit, la demanderesse présente l"affaire comme suit :

         [TRADUCTION]         
         3.      L"Impériale soutient essentiellement que M. Billmeyer a adopté une conduite que Lubrizol lui avait dictée et qui l"a amené à présenter à l"audience un faux témoignage sur lequel le juge de première instance s"est fondé pour conclure que l"Impériale était coupable de contrefaçon. En particulier, l"Impériale allègue qu"à la demande de Lubrizol et de ses avocats internes et externes, M. Billmeyer ne s"est pas conduit comme un témoin expert devrait le faire, mais qu"il a plutôt été recruté comme membre de l"équipe de Lubrizol chargée du litige et qu"il a activement pris part à l"élaboration et à l"application d"une stratégie destinée à établir que l"Impériale avait contrefait le brevet en question.         

[3]      La demande que l"Impériale a présentée en vue de faire infirmer la décision de Monsieur le juge Cullen a été déposée au début du mois de janvier 1997. Peu de temps après, les défenderesses ont présenté une requête dans laquelle elles demandaient le rejet de la demande. En mars 1997, la demanderesse a déposé un nouvel avis de requête en vertu de l"article 1733 des Règles . Les défenderesses ont demandé que des détails soient donnés au sujet de certaines allégations figurant dans le nouvel avis et, le 10 avril 1997, le juge Cullen a refusé d"enjoindre à l"Impériale de donner les détails demandés parce qu"aucun motif juridique ne permettait d"ordonner la communication des détails demandés au sujet d"allégations faites dans le cadre d"une requête. L"ordonnance de Monsieur le juge Cullen a été portée en appel et a été entendue par la Cour d"appel en même temps que l"appel interjeté par la demanderesse à l"égard d"une autre ordonnance par laquelle le juge avait refusé d"enjoindre aux défenderesses de produire certains documents que l"Impériale avait demandés. Les appels ont été entendus le 15 mai 1997 et la Cour d"appel a rendu l"ordonnance suivante :

         Ces deux appels ont été entendus conjointement. Ils contestent deux décisions préliminaires de la Section de première instance, la première refusant la demande d"Impérial en vue d"obtenir des documents, la deuxième refusant la demande de Lubrizol en vue d"obtenir des précisions. Le tout s"inscrit dans le contexte d"une demande présentée en vertu de la règle 1733 pour annuler un jugement fondé, notamment, sur des allégations de fraude sérieuses. Lors de la préparation de l"audience, nous en sommes tous venus à la conclusion que, compte tenu de la nature de l"allégation, il était presque inconcevable que la demande présentée en vertu de la règle 1733 soit tranchée sans qu"un procès soit tenu. La règle 327 prévoit précisément ce genre de situation. [...] nous avons soulevé cette question auprès des avocats qui, après un bref ajournement, ont convenu qu"ils devraient en fait communiquer avec le juge du procès pour lui demander des directives appropriées. Cela étant le cas, l"audition de ces appels sera ajournée sine die afin que les parties puissent agir en conséquence.         

[4]      Comme on peut le constater, la Cour d"appel a fait savoir aux parties qu"étant donné les graves allégations de fraude que la demanderesse avait faites, une audience devait être tenue; elle a cité l"article 3272 des Règles de la Cour fédérale.

[5]      Le 23 juin 1997, la demanderesse a déposé et signifié une déclaration à l"égard de l"audition des questions en vertu de l"article 1733 des Règles . Aux paragraphes 22 et 23 de la déclaration, les allégations suivantes sont faites :

         [TRADUCTION]         
         22.      Monsieur Billmeyer a présenté le faux témoignage susmentionné en sachant qu"il n"était pas exact ou en ne se préoccupant pas de la question de savoir s"il l"était.         
         23.      Dans un cas comme dans l"autre, le témoignage était frauduleux au sens de l"article 1733 des Règles .         

[6]      La demanderesse donne ensuite des détails au sujet de la présumée fraude. Enfin, au paragraphe 51 de sa déclaration, la demanderesse fait la déclaration suivante :

         [TRADUCTION]         
         51.      La demanderesse allègue que la conclusion que cette cour a tirée au sujet de la contrefaçon était fondée sur le témoignage de M. Billmeyer. Le jugement de première instance était donc fondé sur des éléments de preuve que Lubrizol avait présentés d"une façon frauduleuse ou sans se préoccuper de leur exactitude. Subsidiairement, Lubrizol est responsable du fait d"autrui à l"égard de la fraude commise par son témoin expert.         

[7]      Le 30 juin 1997, les défenderesses ont déposé leur défense. Aux paragraphes 16 à 20, voici ce qu"elles disent :

         [TRADUCTION]         
         16.      Lubrizol a initialement eu recours à M. Billmeyer au milieu de l"année 1989 en vue d"agir comme expert à l"égard de procédures engagées au Canada contre la Compagnie pétrolière impériale Ltée (l"Impériale) à l"égard de la contrefaçon du brevet canadien no 1,094,044 (le brevet). En 1989, M. Billmeyer a été cité pour expliquer certains aspects de la théorie et de la pratique dans le domaine de la chimie des polymères telle qu"elle se rapporte à l"objet du brevet.         
         17.      Vers le 4 janvier 1990, M. Billmeyer a assisté à une réunion au cours de laquelle il a été question de certains essais qu"il pourrait faire en vue de mesurer les valeurs de Mn de certains échantillons de PIB au moyen de la méthode de la chromatographie sur gel en utilisant les Waters 200 de Lubrizol. Avant d"accepter cette tâche, Lubrizol a informé M. Billmeyer que l"énoncé des tâches était le suivant :         
                 Déterminer au moyen de la chromatographie sur gel le TH approprié et défendable selon le mémoire descriptif du brevet américain et du brevet canadien [...] c"est-à-dire un ensemble de valeurs déterminé par les normes d"étalonnage énoncées dans le description du brevet américain.                 
         18.      Monsieur Billmeyer a accepté cette tâche et s"en est pleinement acquitté d"une façon satisfaisante à tous les égards.         
         19.      En faisant les essais, M. Billmeyer agissait à titre de scientifique; il a tiré ses propres conclusions en se fondant sur son jugement de scientifique à ce moment-là. Il n"avait pas de mandat de Lubrizol lui demandant d"arriver à des résultats contraires à son jugement de scientifique et il ne s"est pas acquitté de pareil mandat.         
         20.      En présentant son témoignage dans l"instance canadienne, M. Billmeyer a témoigné d"une façon franche et sincère en énonçant des faits et des opinions auxquels il croyait fermement à ce moment-là.         

[8]      En août 1997, la demanderesse a déposé une réponse et une déclaration de contestation liée à la suite de la défense de Lubrizol.

[9]      La demanderesse et les défenderesses ont procédé aux interrogatoires préalables entre le 10 septembre et le 26 novembre 1997. Le 14 novembre 1997, Monsieur le juge Cullen a ordonné que l"audience relative à la question fondée sur l"article 1733 des Règles commence à Toronto le 2 février 1998. Il a également ordonné que le témoignage de M. Billmeyer recueilli par commission commence le lundi 8 décembre 1997. Le témoignage de M. Billmeyer a été recueilli par commission à Toronto entre le 8 décembre et le 18 décembre 1997. Monsieur le juge Cullen a été nommé commissaire à cette fin. Le 8 janvier 1998, l"avocat principal de la demanderesse dans cette affaire, Ian Binnie, c.r., a été nommé juge à la Cour suprême du Canada. Le 26 janvier 1998, en raison de cette nomination, Monsieur le juge Cullen a ajourné l"audience au 11 mai 1998, de façon à permettre au nouvel avocat de la demanderesse d"étudier le dossier.

[10]      Le 24 mars 1998, le nouvel avocat de la demanderesse a écrit à l"avocat des défenderesses pour l"informer que sa cliente avait l"intention de soulever la question de la conduite de certains avocats du cabinet Lang Michener. L"avocat de la demanderesse a soutenu que Lang Michener devrait immédiatement cesser de représenter les défenderesses dans l"affaire. Le 22 avril 1998, la présente requête pour cessation d"occuper a été signifiée et déposée.

[11]      Pour des raisons que je n"ai pas à préciser, Monsieur le juge Cullen s"est retiré de l"affaire et l"audience a donc été ajournée au 12 avril 1999.

[12]      Me Slaght, au nom de la demanderesse, soutient que Lang Michener devrait cesser d"occuper parce que les avocats de ce cabinet témoigneront probablement à l"audience. Je devrais souligner que l"avocat des défenderesses, Me Nelligan, a fait savoir que ses clientes n"avaient pas l"intention de citer un membre du cabinet Lang Michener comme témoin. Rien ne montre non plus que la demanderesse a l"intention de citer des avocats de Lang Michener à l"appui de sa cause. Dans la décision Heck v. Royal Bank , (1993) 22 C.P.C. (3d) 63, la Cour divisionnaire de la Division générale de la Cour de l"Ontario a examiné entre autres une requête visant à rendre un avocat inhabile pour le motif qu"un avocat du cabinet serait cité comme témoin à l"audience. En statuant sur cette question, la Cour divisionnaire a fait les remarques suivantes aux pages 71 à 73 :

         [TRADUCTION]         
         Deuxième question - L"avocat agit dans l"instance alors qu"un membre ou un associé de son cabinet témoignera ou pourra témoigner à l"audience.         
              Il existe un certain chevauchement entre cette question et les remarques qui ont été faites ci-dessus. La question découle directement de l"appel.         
              Les arguments invoqués pour que le cabinet d"avocats représentant Membery cesse d"occuper dans l"affaire sont entre autres qu"il pourrait y avoir apparence d"irrégularité, ou que l"avocat qui cite ou interroge son propre associé fait valoir d"une façon qui va plus loin qu"habituellement que la preuve présentée est exacte.         
              On dit également qu"il y a conflit d"intérêts si pareil témoin est cité par l"autre partie. Il est soutenu que le témoin sera cité pour aider la partie contre laquelle le cabinet agit. En sa qualité de membre du cabinet, le témoin a intérêt à faire en sorte que le demandeur ait gain de cause. S"il est cité comme témoin de la défense, il doit témoigner honnêtement même si sa déposition aide les défendeurs. Il est soutenu que cela peut donner lieu à un conflit d"intérêts.         
              Ce dernier argument a été retenu dans Kitzerman v. Kitzerman (25 janvier 1993), décision inédite du protonotaire Donkin (protonotaire de la Cour de l"Ontario) dans l"action no 72584/91Q à Toronto.         
              Dans les plaidoiries qu"il a présentées en l"espèce, l"avocat de la défense a soutenu qu"il y aurait apparence d"irrégularité si le cabinet Graham, Wilson Green ne cessait pas d"occuper; l"avocat s"est fondé sur les remarques que le juge Sopinka a faites dans l"arrêt Succession MacDonald c. Martin , [1990] 3 R.C.S. 1235, à la page 1265.         
              Dans cet arrêt, le juge Sopinka a fait remarquer qu"il est important que le public ait confiance en l"intégrité de la profession d"avocat et dans l"administration de la justice.         
              Les faits de l"espèce sont fort différents de ceux qui existaient dans l"affaire MacDonald . Dans cette affaire-là, la question se rapportait à la cessation d"occuper d"un cabinet d"avocats, un avocat junior ayant changé de cabinet. Pendant qu"il travaillait pour un cabinet, l"avocat avait aidé l"avocat junior qui agissait pour une partie au litige, mais le cabinet que l"avocat a par la suite joint agissait pour la partie adverse. La Cour suprême a confirmé que le second cabinet était inhabile.         
              Un grand nombre des questions qui se posaient dans cette affaire-là ne se posent pas en l"espèce. En particulier, il n"y a pas de crainte raisonnable dans l"esprit du client que des renseignements confidentiels donnés à un cabinet d"avocats soient communiqués à la partie adverse.         
              Je crois que les tribunaux devraient hésiter à rendre des ordonnances qui peuvent bien être prématurées en vue d"empêcher des avocats de continuer à agir. Compte tenu des frais qu"un litige occasionne ainsi que de l"énorme gaspillage de temps et d"argent et de l"important retard qui peuvent résulter d"une ordonnance de cessation d"occuper, les tribunaux ne devraient rendre pareille ordonnance que dans les cas les plus clairs. J"adopte l"approche qui a été énoncée sur ce point dans la décision Carlson v. Loraas Disposal Services Ltd. (1988), 30 C.P.C. (2d) 181 (B.R. Sask.), à la page 188.         
              Comme il en a été question dans la décision Carlson, une demande d"ordonnance de cessation d"occuper peut être présentée au juge présidant l"audience lorsqu"il est certain qu"il existe un problème. En l"espèce, il se peut que Me Green soit cité comme témoin. Il se peut qu"on fasse des concessions ou des aveux qui permettront d"éviter d"avoir à le citer. La preuve qu"il pourrait présenter sera peut-être facilement obtenue d"autres témoins. Au fur et à mesure que les questions litigieuses sont examinées ou réglées au cours de l"audience, il se peut qu"il n"ait pas du tout à témoigner. Le juge qui préside l"audience sera bien mieux placé pour déterminer si son cabinet est habile à agir.         
              Je ne retiens pas l"argument selon lequel lorsqu"un avocat est contraint à témoigner contre l"" autre " partie dans une poursuite judiciaire, le cabinet de cet avocat doit toujours être empêché d"agir dans la poursuite. Diverses situations pourraient survenir à l"audience ou au cours de l"audience. Le conflit possible, tel qu"il en est fait mention dans la décision Kitzerman (supra) , ne devrait pas automatiquement vouloir dire que le cabinet d"avocats cesse d"occuper dans l"affaire. Dans le cours du litige, un témoin honnête est souvent contraint à présenter un témoignage destiné à aider une partie qui, selon le témoin, est la partie " adverse ". Je ne suis pas d"accord pour dire qu"à cause d"un conflit possible, la cessation d"occuper est toujours nécessaire. Il se peut qu"elle le soit. Je ne suis pas convaincu que la décision doive être prise au stade préalable à l"audience dans ce cas-ci.         
              Il faudrait également se rappeler que les demandes de cessation d"occuper ne sont pas toujours présentées pour des motifs légitimes. Les frais et le retard occasionnés par la désignation d"un nouvel avocat peuvent dans certains cas comporter énormément d"avantages pour la partie adverse.         
              Les tribunaux devraient également examiner minutieusement le droit que possède un client d"être représenté par un avocat de son choix.         
              Je retiens les arguments invoqués par l"avocat de l"Advocates" Society, à savoir que dans les demandes de ce genre, le tribunal devrait se montrer souple et tenir compte du bien-fondé de la demande sur une base individualisée. Il faudrait tenir compte de divers facteurs et notamment :         
              -      du stade auquel en est l"instance;         
              -      de la possibilité que le témoin soit cité;         
              -      de la bonne foi (ou du manque de bonne foi) de la partie qui présente la      demande;         
              -      de l"importance de la preuve qui doit être présentée;         
              -      de l"effet que la cessation d"occuper a sur le droit que possède la partie en      cause d"être représentée par un avocat de son choix;         
              -      du fait que le procès se déroule devant un juge seul ou devant un juge et jury;         
              -      de la possibilité qu"un véritable conflit prenne naissance ou que la preuve soit      " entachée de vice ";         
              -      de la question de savoir qui citera le témoin; ainsi, s"il est possible que      l"avocat ait à contre-interroger un témoin favorable, le juge qui préside l"audience peut      décider d"empêcher cet avantage inéquitable;         
              -      du lien ou du rapport qui existe entre l"avocat, le témoin éventuel et les      parties au litige.         
              Conclusion         
                  Si j"applique cette approche en l"espèce, je suis d"avis que l"ordonnance par      laquelle Graham, Wilson et Green ont cessé d"occuper dans l"affaire a été rendue      prématurément et qu"elle doit être infirmée.         

[13]      Je souscris entièrement à l"avis de la Cour divisionnaire lorsqu"elle dit que le juge devrait faire preuve de souplesse en examinant une requête visant à rendre des avocats inhabiles à agir et que chaque cas est un cas d"espèce. Je suis également d"avis que les facteurs proposés par la Cour divisionnaire sont utiles lorsqu"il s"agit d"arriver à une conclusion au sujet de pareille demande. Les motifs suivants m"amènent à conclure que le cabinet Lang Michener ne devrait pas, à ce stade, cesser d"occuper pour les défenderesses.

[14]      Premièrement, comme je l"ai déjà dit, ni l"une ni l"autre des parties n"a fait savoir qu"elle a l"intention de citer comme témoin des avocats de Lang Michener à l"appui de sa cause. Deuxièmement, l"audience qui doit maintenant commencer le 12 avril 1999 devait commencer le 2 février 1998, mais elle a été ajournée lorsque Monsieur le juge Binnie a été nommé juge à la Cour suprême du Canada. À ce moment-là, les demanderesses ne s"étaient pas opposées à la participation du cabinet Lang Michener à titre d"avocat des défenderesses. Troisièmement, au cours des interrogatoires préalables qui ont eu lieu entre le 10 septembre et le 26 novembre 1997, Peter E.J. Wells, Donald N. Plumley et Donald H. Wright, avocats chez Lang Michener, ont assisté aux interrogatoires préalables et y ont pris part en leur qualité d"avocats adjoints de l"avocat principal, John P. Nelligan. En ce qui concerne le témoignage de M. Billmeyer qui a été recueilli par commission, la preuve a été présentée par Me Plumley, Me Nelligan agissant à titre d"avocat adjoint. Cependant, la demanderesse ne s"est jamais opposée à ce que les avocats de Lang Michener participent à l"instance. Au début du témoignage de M. Billmeyer, Me Binnie, au nom de la demanderesse, a demandé que les témoins soient exclus. Me Nelligan a informé Monsieur le juge Cullen que les défenderesses n"avaient pas l"intention de citer comme témoins des avocats de Lang Michener. Ces discussions ont eu lieu en présence de Mes Wells et Wright, de Lang Michener. À la page 4 de la transcription, Me Binnie a fait la remarque suivante :

         [TRADUCTION]         
              Me BINNIE :      C"est pourquoi je demanderais, Monsieur le juge, que la transcription soit traitée conformément à une ordonnance d"exclusion, de façon que les témoins d"une partie ou de l"autre qui feront une déposition au sujet des faits n"en prennent pas connaissance. En ce qui concerne la question des avocats, étant donné que mon ami a déclaré qu"il ne prévoit pas citer des gens qui sont dans la salle, nous pourrions examiner la question lorsqu"elle se présentera, comme vous l"avez dit. J"aimerais que l"ordonnance de base soit prononcée parce qu"il se peut qu"un grand nombre d"autres personnes, chez Lubrizol et ailleurs, soient citées pour témoigner sur les faits. Je ne le sais pas, mais j"aimerais que ces gens n"aient pas connaissance du témoignage de M. Billmeyer avant de témoigner eux-mêmes.         

[15]      J"aimerais mentionner que les défenderesses ont retenu les services de Me Nelligan à cause d"allégations d"irrégularité qui pourraient être faites contre les avocats de Lang Michener. Me Nelligan a informé la Cour d"appel de la chose à l"audience du 15 mai 1997. Le nouvel avocat de la demanderesse ayant écrit à Me Nelligan au sujet de la question de la cessation d"occuper, Me Nelligan a répondu en proposant que Me Plumley continue à interroger les témoins sur des points techniques ne se rapportant pas à la question du " mandat "3 conféré à M. Billmeyer et que lui, Me Nelligan, traiterait des questions liées au " mandat ", à la crédibilité générale et à la fraude. Dans le mémoire des faits et du droit qu"il a présenté en l"espèce, Me Nelligan, en parlant de cette proposition, fait les observations suivantes au paragraphe 36 :

         [TRADUCTION]         
         36.      " Une ordonnance de cessation d"occuper rendant l"avocat inhabile à agir dans une instance, qu"elle soit de nature civile ou criminelle, est une mesure qui ne devrait pas être prise s"il existe une solution de rechange claire et sage et si l"équité fondamentale et l"intérêt public, en ce qui concerne la bonne administration de la justice, n"exigent pas que pareille ordonnance soit rendue [...] ". En l"espèce, une solution de rechange claire et sage a été adoptée. La disponibilité de Me Nelligan et la proposition qu"il a faite d"examiner toute preuve présentée par les avocats de Lang Michener ou au sujet de ces avocats, le cas échéant :         
              a)      permet à la Cour d"avoir un avocat indépendant et objectif pour présenter pareille preuve et l"examiner;         
              b)      permet à Lubrizol d"obtenir des conseils juridiques indépendants à l"égard de pareille preuve et des points litigieux;         
              c)      permet d"éviter d"embarrasser la Cour ou les avocats, lorsqu"ils doivent examiner les observations qu"un avocat fait au sujet de la preuve présentée par un autre avocat;         
              d)      permet d"éliminer toute question qui pourrait se poser au sujet de la question de savoir si la justice semble être faite tout en protégeant l"efficacité et l"intégrité de l"instance, le droit du client d"avoir l"avocat de son choix et la possibilité pour la Cour d"avoir l"aide d"avocats compétents qui examinent les questions respectives qui les intéressent avec un détachement approprié.         

[16]      À mon avis, il est prématuré de rendre une ordonnance de cessation d"occuper. Pour l"instant, je suis convaincu que la participation continue de certains avocats de Lang Michener ne déconsidère pas ou ne tend pas à déconsidérer l"administration de la justice. À mon avis, le fait qu"il faut s"assurer que le public ait confiance dans l"administration de la justice n"exige pas en ce moment que le cabinet Lang Michener cesse d"occuper dans l"affaire. Lorsqu"un avocat de Lang Michener sera cité comme témoin, le cas échéant, et je n"oublie pas qu"il est possible qu"un avocat de ce cabinet soit cité, j"examinerai la question de façon à protéger l"intégrité de notre système d"administration de la justice. S"il convient de rendre une ordonnance de cessation d"occuper pour garantir pareille intégrité, je n"hésiterai pas à agir en conséquence.

[17]      Finalement, j"aimerais dire quelques mots au sujet de la décision que j"ai rendue dans l"affaire International Business Machines c. Printech Ribbons Inc. et al. [1994] 1 C. F. 692. Dans cette affaire-là, j"avais à décider si les avocats de la demanderesse devaient cesser d"occuper dans l"affaire pour le motif qu"un avocat du cabinet avait signé un affidavit que la demanderesse avait versé au dossier. En premier lieu, je devais décider si le cabinet d"avocats pouvait agir dans la requête à l"égard de laquelle l"affidavit avait été produit. En second lieu, je devais décider si le cabinet d"avocats pouvait continuer à agir à titre d"avocat inscrit au dossier et, par conséquent, représenter la demanderesse à l"audience.

[18]      En réglant l"affaire comme je l"ai fait, je me suis clairement fondé sur la décision que le juge Ferguson avait rendue dans l"affaire Heck v. Royal Bank of Canada (1993), 12 O.R. (3d) 111. La décision du juge Ferguson a été portée en appel devant la Cour divisionnaire. Dans sa décision dont j"ai déjà fait mention la cour infirmait l"ordonnance de cessation d"occuper rendue par le juge Ferguson. Comme je l"ai également déjà dit, je souscris entièrement à l"avis exprimé par la Cour divisionnaire.

[19]      Dans l"affaire International Business Machines , j"ai conclu que la demande de cessation d"occuper était fondée, en ce qui concerne la requête en radiation, mais qu"en ce qui concerne l"instance principale, elle était prématurée. Après avoir cité avec approbation le jugement dissident du juge d"appel Marceau dans l"arrêt Enerchem Ship Management Inc. c. Coastal Canada (Le) , [1988] 3 C.F. 421, et la décision du juge Walker de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan dans l"affaire Carlson v. Loraas Disposal Services Ltd. (1988), 30 C.P.C. (2d) 181, j"ai fait la remarque suivante, aux pages 708-709 :

              J"estime donc ne pas pouvoir, à cette étape des procédures, rendre l"ordonnance demandée par les défendeurs, c"est-à-dire exclure le cabinet d"avocats de la totalité des procédures dans le présent litige. De toute façon, il ne m"apparaît pas clairement que le témoignage de Me MacDonald soit ou puisse devenir pertinent relativement aux points en litige que le juge du procès sera appelé à trancher.         
              Cela ne résout toutefois pas le problème en ce qui a trait à la requête en radiation. Dans l"état actuel du dossier, l"affidavit de Me MacDonald a été produit devant la Cour et les demanderesses l"invoqueront sans doute en défense à la requête en radiation présentée par les défendeurs.         
              Selon moi, il importe peu que la question se pose au procès, ou peu avant le procès comme ce fut le cas dans l"affaire Heck , ou encore à une étape préliminaire des procédures, comme en l"espèce. Dans tous les cas, la question de l"indépendance de l"avocat est primordiale. Les exceptions ne doivent pas être accordées à la légère.         

[20]      Comme je l"ai déjà dit, l"avis exprimé par la Cour divisionnaire dans la décision Heck est fort valable. Il permet aux tribunaux, dans un cas donné, d"examiner les faits au fur et à mesure qu"ils se présentent. Je reconnais que l"avis que j"ai exprimé dans la décision International Business Machines ne permet pas la même souplesse que celle dont les tribunaux devraient faire preuve selon la Cour divisionnaire.

[21]      Pour ces motifs, la demande que l"Impériale a présentée pour que le cabinet Lang Michener cesse d"occuper pour les défenderesses est rejetée, les dépens devant suivre l"issue de la cause.

                         " MARC NADON "
                                 JUGE

Ottawa (Ontario)

Le 20 janvier 1999

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-577-87
INTITULÉ DE LA CAUSE :      LA COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LTÉE c. THE LUBRIZOL CORPORATION ET AL.
LIEU DE L"AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L"AUDIENCE :          LE 21 DÉCEMBRE 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE NADON EN DATE DU 20 JANVIER 1999.

ONT COMPARU :

RONALD SLAGHT, c.r.                  POUR LA DEMANDERESSE
JOHN P. NELLIGAN, c.r.                  POUR LA DÉFENDERESSE
ROGER T. HUGHES, c.r.                  POUR L"INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LENCZNER SLAGHT ROYCE              POUR LA DEMANDERESSE

SMITH GRIFFIN

TORONTO (ONTARIO)

NELLIGAN POWER                  POUR LA DÉFENDERESSE

OTTAWA (ONTARIO)

SIM, HUGHES, ASHTON                  POUR L"INTERVENANT

& MCKAY

TORONTO (ONTARIO)

__________________

1      1      1733. A party entitled to maintain an action for the reversal or variation of a judgement or order upon the ground of matter arising subsequent to the making thereof or subsequently discovered, or to impeach a judgment or order on the ground of fraud, may make an application in the action or other proceeding in which such judgment or order was delivered or made for the relief claimed.
........................................................................................................................................................................................................          1733. Une partie qui a droit de demander en justice l"annulation ou la modification d"un jugement ou d"une ordonnance en s"appuyant sur des faits survenus postérieurement à ce jugement ou à cette ordonnance ou qui ont été découverts par la suite, ou qui a droit d"attaquer un jugement ou une ordonnance pour fraude, peut le faire, sans intenter d"action, par simple demande à cet effet dans l"action ou autre procédure dans laquelle a été rendu ce jugement ou cette ordonnance.

2      2      327. Upon any motion the Court may direct the trial of any issue arising out of the motion, and may give such directions with regard to the pre-trial procedure, the conduct of the trial and the disposition of the motion as may seem expedient.........................................................................................................................................................................................................          327. Sur toute requête, la Cour pourra prescrire l"instruction d"un point litigieux soulevé à l"occasion de la requête, et pourra donner, au sujet de la procédure préalable à l"instruction, de la procédure d"instruction et la décision sur la requête, les directives qu"elle estime opportunes.

3 3      Le mot " mandat " vient de certaines allégations que la demanderesse a faites dans sa déclaration. Aux paragraphes 18, 19 et 20, la demanderesse allègue ce qui suit :
     [TRADUCTION]      18.      Néanmoins, entre le mois de janvier et le mois de mai 1990, comme il sera ci-dessous expliqué, Lubrizol a offert, et M. Billmeyer a accepté, un mandat qui a été défini graduellement et qui en fin de compte comprenait les tâches suivantes :
     19.      M. Billmeyer a accepté les différentes étapes du mandat en sachant que celui-ci n"exigeait pas que les résultats soient déterminés au moyen d"une enquête scientifique indépendante appropriée, mais qu"ils " correspondent " aux résultats nécessaires pour que Lubrizol puisse faire valoir sa cause. Les détails relatifs à la communication des résultats prédéterminés que l"Impériale connaît à l"heure actuelle comprennent : [...]
     Au lieu de ne pas tenir compte des directives susmentionnées de Lubrizol ou de les mettre de côté, M. Billmeyer a entrepris de s"acquitter du mandat que Lubrizol lui avait confié en mettant de côté des faits qui, comme il le savait ou comme il aurait dû le savoir, étaient exacts, comme il en sera ci-dessous fait mention.
     20.      Entre les mois de février et avril 1990, M. Billmeyer s"est acquitté du mandat : [...]

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