Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20021011

Dossier : T-1006-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1068

OTTAWA, ONTARIO, CE 11e JOUR DU MOIS D'OCTOBRE 2002

EN PRÉSENCE DE :    L'HONORABLE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                       LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

pour et au nom de Sa Majesté la Reine du chef du Canada

(Ministre du Revenu National)

                                                                                                                                             Demanderesse

                                                                              - et -

                                                BANQUE NATIONALE DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                               Défenderesse

                                     MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

CONSIDÉRANT que par action simplifiée la demanderesse réclame la somme de             9 249,31 $ à la défenderesse, et ce en raison de déductions à la source retenues mais non versées à Sa Majesté par la compagnie numérique 9030-4700 Québec Inc. (la "débitrice");

CONSIDÉRANT que cette réclamation est contestée par la défenderesse;


CONSIDÉRANT que la présente cause a été entendue avec l'action intentée par la demanderesse contre la même défenderesse, la Banque Nationale du Canada, dans le dossier de la Cour T-712-01;

CONSIDÉRANT les admissions, les affidavits et les pièces produits au dossier, les autorités invoquées par les parties, ainsi que les arguments contenus aux mémoires et ceux présentés à l'audience tenue à Montréal le 11 juin 2002 dans les dossiers T-1006-01 et                  T-712-01;

                                                                         LES FAITS

CONSIDÉRANT que les faits qui suivent ne sont pas contestés;

CONSIDÉRANT que la débitrice est redevable envers la demanderesse de la somme de 11 818,16 $ en date du 26 avril 2001, dont 9 249,31 $, en raison de déductions à la source retenues mais non versées à Sa Majesté :

a)         la somme de 7 783,79 $ qu'elle a retenue sur la rémunération versée à ses employés en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e supp.) (la "LIR") pour la période allant d'avril 1999 au 9 septembre 1999; et


b)         la somme de 1 465,52 $ qu'elle a retenue sur la rémunération versée à ses employés au titre des cotisations ouvrières payables par ses employés en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la "LAE") pour la période allant d'avril 1999 au 9 septembre 1999;

CONSIDÉRANT que la demanderesse réclame maintenant la somme de 9 249,31 $ à la défenderesse suite au délaissement forcé par la débitrice de tout l'équipement, l'outillage et le mobilier de bureau lui appartenant ("les biens meubles") que la défenderesse a pris en paiement dans les circonstances ci-après mentionnées;

CONSIDÉRANT que le 9 septembre 1999, la défenderesse, conformément aux articles 2748 et suivants du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 ("C.c.Q,") a inscrit un préavis d'exercice d'un droit hypothécaire, soit la prise en paiement, au Registre des droits personnels et réels mobiliers ("RDPRM");

CONSIDÉRANT qu'à la date du préavis la débitrice était alors en défaut de rembourser à la défenderesse un prêt dont le solde, intérêts compris était de 186 613,11 $;


CONSIDÉRANT que ledit prêt était garanti par une hypothèque mobilière enregistrée au RDPRM depuis le 17 décembre 1996;

CONSIDÉRANT que le droit hypothécaire de la défenderesse est antérieur au droit de bénéficiaire de Sa Majesté;

CONSIDÉRANT qu'à l'époque où ledit préavis a été publié, la débitrice avait fait une cession de ses biens auprès du syndic de faillite "Tremblay & Cie Ltée" (le "syndic") en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (la "LFI");

CONSIDÉRANT que par lettre en date du 30 septembre 1999, le syndic a informé la défenderesse, de même que la demanderesse (Revenu Canada Impôt) et le Ministère du Revenu du Québec, qu'il accordait une mainlevée en faveur de la défenderesse à l'égard des biens meubles de la débitrice;

CONSIDÉRANT que par lettre (amendée) en date du 3 novembre 1999, la demanderesse a avisé la défenderesse que la débitrice devait à Sa Majesté des déductions à la source pour un montant total de 11 578,99 $, et que ce montant était par ailleurs visé par la fiducie présumée établie par les paragraphes 227(4) ou (4.1) LIR, 86(2) ou (2.1) LAE, et également par les paragraphes 57(2) et (3) de la Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. 1985, ch. U-1, abrogée par L.C. 1996, ch. 23, art. 155;


CONSIDÉRANT que par cette même lettre la demanderesse met la défenderesse en demeure de lui confirmer dans les 15 jours si elle entend ou non liquider ou réaliser les biens meubles de la débitrice :

Le syndic responsable du dossier nous a informés qu'il n'exercera pas son pouvoir de réalisation des biens. Il a confirmé le délaissement des biens au profit des créanciers garantis.

Considérant que nous sommes créancier prioritaire sur lesdits actifs, veuillez nous indiquer votre intention versus la liquidation des actifs.

Dans l'alternative où vous déciderez de liquider ou réaliser les biens, nous attirons votre attention sur l'article 159 de la Loi de l'impôt sur le revenu, copie ci-jointe. Cet article vous oblige à vous assurer du paiement du solde dû à notre Ministère.

Cependant, si vous n'avez pas l'intention de réaliser les biens, nous vous demandons d'abandonner votre statut de créancier garanti et de remettre les biens au syndic, afin qu'il procède à la liquidation de ceux-ci en vertu de la Loi sur la faillite et de l'insolvabilité.


Veuillez nous faire part de vos intentions d'ici les 15 prochains jours. Faute de réponse de votre part, nous nous verrons dans l'obligation de procéder légalement afin de récupérer notre créance.

CONSIDÉRANT que la défenderesse a ignoré la mise en demeure de la demanderesse;

CONSIDÉRANT que la défenderesse s'est plutôt adressée, par voie de requête, à la Cour supérieure du Québec en vertu des articles 795 et suivants du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25 ("C.p.c.") et des articles 2781 et suivants C.c.Q. pour lui demander d'ordonner à la débitrice de délaisser les biens meubles et de déclarer la défenderesse propriétaire de ceux-ci à compter du 9 septembre 1999, date de la publication du préavis;

CONSIDÉRANT que dans les procédures intentées en Cour supérieure par la défenderesse, le syndic a été mis en cause;

CONSIDÉRANT que le 11 novembre 1999, un jugement ordonnant le délaissement des biens meubles et déclarant la défenderesse propriétaire de ceux-ci à compter du 9 septembre 1999 a été rendu par la Cour supérieure du Québec en faveur de la défenderesse contre la débitrice dans le dossier 150-05-002012-997;


CONSIDÉRANT que la défenderesse a par la suite vendu à une date non précisée dans l'action de la demanderesse les biens meubles de la débitrice pour une somme de 30 000,00 $;

CONSIDÉRANT que le 6 juin 2001, soit plus de vingt mois après l'envoi de la mise en demeure du 3 novembre 1999, la demanderesse a institué la présente action personnelle contre la défenderesse;

                                                        DISPOSITIONS FÉDÉRALES

CONSIDÉRANT que le fardeau de prouver que la présente réclamation contre la défenderesse est fondée repose sur la demanderesse;

CONSIDÉRANT que la demanderesse fonde sa réclamation contre la défenderesse sur les paragraphes 227(4) et (4.1) LIR et 86(2) et (2.1) LAE (les "dispositions fédérales");

CONSIDÉRANT que la demanderesse a abandonné toute prétention relative à l'application de la Loi sur l'assurance-chômage;

CONSIDÉRANT que les dispositions fédérales créent une fiducie présumée;


CONSIDÉRANT que les dispositions fédérales établissent certaines présomptions légales;

CONSIDÉRANT qu'en vertu des paragraphes 227(4) LIR et 86(2) LAE le débiteur fiscal est réputé détenir en fiducie pour Sa Majesté tout montant déduit ou retenu en vertu de la LIR ou de la LAE;

CONSIDÉRANT qu'en vertu des paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE, Sa Majesté possède un "droit de bénéficiaire" ("beneficial ownership") sur tout bien visé par la fiducie présumée, auquel cas celui-ci est réputé ne pas faire partie du patrimoine du débiteur fiscal;

CONSIDÉRANT que les paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE visent d'une part les biens du débiteur fiscal et d'autre part les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) LIR qui, en l'absence d'une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de cette personne;

CONSIDÉRANT que ces présomptions s'appliquent dès lors qu'un débiteur fiscal fait défaut de remettre à Sa Majesté, dans les délais prévus à la LIR, les montants visés aux paragraphes 227(4) LIR et 86(2) LAE;


CONSIDÉRANT que ces présomptions s'appliquent malgré les autres dispositions de la LIR, la LFI (sauf les articles 81.1 et 81.2 LFI), tout autre texte législatif ou provincial, ou toute règle de droit;

CONSIDÉRANT que ces présomptions ont principalement pour objet de faciliter les procédures de recouvrement intentées au nom de Sa Majesté contre un débiteur fiscal et de prévenir les contestations que l'exercice du droit de bénéficiaire de Sa Majesté peut faire naître vis-à-vis d'autres créanciers du débiteur fiscal, en particulier les créanciers garantis au sens du paragraphe 224(1.3) LIR;

CONSIDÉRANT qu'en vertu des paragraphes 227(4.1) in fine LIR et 86(2.1) in fine LAE, le produit découlant de la réalisation de ces biens est payé au receveur général par priorité;

CONSIDÉRANT que les dispositions fédérales ne prévoient pas la manière ni les modalités particulières selon lesquelles Sa Majesté peut faire valoir son droit de bénéficiaire et sa créance prioritaire;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 222 LIR, tous les impôts, intérêts, pénalités, frais et autres montants payables en vertu de la LIR sont des dettes envers Sa Majesté et sont recouvrables devant la Cour fédérale ou devant tout autre tribunal compétent, ou de toute autre manière prévue par la LIR;


CONSIDÉRANT que les déductions à la source prévues à l'article 153 LIR devaient exclusivement être effectuées par l'employeur, en l'occurrence la débitrice, le débiteur fiscal;

CONSIDÉRANT qu'en vertu du paragraphe 223(3) LIR, le ministre peut faire enregistrer au nom de Sa Majesté un certificat à la Cour fédérale attestant qu'un débiteur fiscal, qui n'a pas effectué certaines déductions à la source, est endetté pour le montant indiqué audit certificat;

CONSIDÉRANT que les paragraphes 223(5) et (6) LIR permettent également d'enregistrer au nom de Sa Majesté, dans la province où sont situés les biens du débiteur fiscal, en vue de grever ceux-ci d'une charge, conformément à la loi provinciale, un document délivré par la Cour fédérale et faisant preuve du contenu du certificat enregistré à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 223(3) LIR;

CONSIDÉRANT que lorsque des procédures d'exécution sont prises au nom de Sa Majesté contre un débiteur fiscal suite à l'enregistrement en vertu de l'article 223 LIR d'un certificat à la Cour fédérale, les brefs de saisie-exécution sont, sauf disposition contraire des

Règles, exécutés autant que possible de la manière fixée par le droit de la province où sont situés les biens à saisir, et tel que prévu au paragraphe 56(3) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la "Loi") et la règle 448 des Règles;


CONSIDÉRANT qu'il n'a pas été allégué ni prouvé que des procédures de recouvrement en vertu de la LIR ont été prises par la demanderesse contre la débitrice;

                                                    DISPOSITIONS PROVINCIALES

CONSIDÉRANT qu'en l'absence de procédure particulière prévue dans la LIR ou la LAE pour faire valoir le droit de bénéficiaire que Sa Majesté possède, en vertu des dispositions fédérales, les règles de droit provincial s'appliquent subsidiairement et par analogie, en faisant les adaptations nécessaires;

                                                         Droit de bénéficiaire et fiducie

CONSIDÉRANT que l'expression "droit de bénéficiaire" ("beneficial ownership") que l'on retrouve aux paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE n'est pas définie par le législateur fédéral;

CONSIDÉRANT que le concept de "beneficial ownership" est une notion issue de la common law;


CONSIDÉRANT que dans la province de Québec, c'est le droit civil en vigueur qui fait autorité en matière de propriété et de droit civil;

CONSIDÉRANT que le concept de "beneficial ownership" est inconnu en droit civil québécois;

CONSIDÉRANT les articles 947 et suivants et 1260 et suivants C.c.Q.;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 1261 C.c.Q., le patrimoine fiduciaire, formé des biens, transférés en fiducie, constitue un patrimoine d'affectation autonome et distinct de celui du constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire, sur lequel aucun d'entre eux n'a de droit réel;

CONSIDÉRANT par analogie l'article 1263 C.c.Q. et également l'article 1290 C.c.Q.;

                                                              Priorités et hypothèques

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2644 C.c.Q., les biens du débiteur sont affectés à l'exécution de ses obligations et constituent le gage commun de ses créanciers;


CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2646 C.c.Q., les créanciers peuvent agir en justice pour faire saisir et vendre les biens de leur débiteur;

CONSIDÉRANT qu'en cas de concours entre les créanciers, la distribution du prix se fait en proportion de leur créance, à moins qu'il n'y ait entre eux des causes légitimes de préférence;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2647 C.c.Q., les causes légitimes de préférence sont les priorités et les hypothèques;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2650 C.c.Q., est prioritaire la créance à laquelle la loi attache, en faveur d'un créancier, le droit d'être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires, suivant la cause de sa créance;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2651, paragraphe 4, C.c.Q., les créances de l'État pour les sommes dues en vertu des lois fiscales constituent une créance prioritaire;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2655 C.c.Q., les créances prioritaires sont opposables aux autres créanciers, ou à tous les tiers lorsqu'elles sont constitutives d'un droit réel, sans qu'il soit nécessaire de les publier;


CONSIDÉRANT par ailleurs qu'en vertu de l'article 2725 C.c.Q., les hypothèques légales de l'État, y compris celles pour les sommes dues en vertu des lois fiscales, peuvent grever des biens meubles et des biens immeubles;

CONSIDÉRANT que ces hypothèques ne sont acquises que par leur inscription sur le registre approprié;

CONSIDÉRANT que l'inscription, par l'État, d'une hypothèque légale mobilière pour les sommes dues en vertu des lois fiscales, ne l'empêche pas de se prévaloir plutôt de sa créance prioritaire;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2732 C.c.Q., le créancier qui a inscrit son hypothèque légale conserve son droit de suite sur le bien meuble qui n'est pas aliéné dans le cours des activités d'une entreprise, de la même manière que s'il était titulaire d'une hypothèque conventionnelle;

                                                   Droits des créanciers hypothécaires

CONSIDÉRANT que dans la province de Québec, selon le C.c.Q., le créancier hypothécaire n'est pas propriétaire du bien visé par la garantie;


CONSIDÉRANT que la situation est différente dans les autres provinces où les biens grevés par des charges fixes et spécifiques de la common law confèrent un droit de propriété au créancier garanti;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2748 C.c.Q., outre leur action personnelle et les mesures provisionnelles prévues au C.p.c., les créanciers hypothécaires peuvent, lorsque leur débiteur est en défaut et que leur créance est liquide et exigible, exercer l'un ou l'autre des droits hypothécaires suivants:

a)         prendre possession du bien grevé pour l'administrer;

b)         le prendre en paiement de leur créance;

c)         le faire vendre sous contrôle de justice; ou

d)         le vendre eux-mêmes.

CONSIDÉRANT qu'en vertu des articles 2757 et suivants C.c.Q., préalablement à l'exercice de l'un de ces droits hypothécaires, le créancier doit faire enregistrer au RDPRM un préavis de l'exercice indiquant le droit hypothécaire qu'il entend exercer à l'expiration du délai accordé pour remédier au défaut constaté dans le préavis;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2758 C.c.Q. les formalités suivantes doivent être remplies :


Le préavis d'exercice d'un droit hypothécaire doit dénoncer tout défaut par le débiteur d'exécuter ses obligations et rappeler le droit, le cas échéant, du débiteur ou d'un tiers, de remédier à ce défaut. Il doit aussi indiquer le montant de la créance en capital et intérêts, s'il en existe, et la nature du droit hypothécaire que le créancier entend exercer, fournir une description du bien grevé et sommer celui contre qui le droit hypothécaire est exercé de délaisser le bien, avant l'expiration du délai imparti.

Ce délai est de vingt jours à compter de l'inscription du préavis s'il s'agit d'un bien meuble, de soixante jours s'il s'agit d'un bien immeuble, ou de dix jours lorsque l'intention du créancier est de prendre possession du bien; il est toutefois de trente jours pour tout préavis relatif à un bien meuble grevé d'une hypothèque dont l'acte constitutif est accessoire à un contrat de consommation.

CONSIDÉRANT qu'il n'est pas contesté en l'espèce par la demanderesse que lesdites formalités ont été respectées par la défenderesse;


                                                    Délaissement et prise en paiement

CONSIDÉRANT que le délaissement et la prise en paiement de biens suite à l'inscription d'un préavis d'exercice d'un droit hypothécaire sont régis par les articles 2778 et suivants C.c.Q. et 795 et suivants C.p.c.;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2763 C.c.Q., le délaissement est volontaire ou forcé;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2764 C.c.Q., le délaissement est volontaire lorsque avant l'expiration du délai indiqué dans le préavis, celui contre qui le droit hypothécaire est exercé abandonne le bien au créancier afin qu'il en prenne possession ou consent, par écrit, à le remettre au créancier au moment convenu;

CONSIDÉRANT dans ce dernier cas que si le droit hypothécaire exercé est la prise en paiement, le délaissement doit être constaté dans un acte consenti par celui qui délaisse le bien et accepté par le créancier;


CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2779 C.c.Q., les créanciers hypothécaires subséquents ou le débiteur peuvent, dans les délais impartis pour délaisser, exiger que le créancier abandonne la prise en paiement et procède lui-même à la vente du bien ou le fasse vendre sous contrôle de justice;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2780 C.c.Q., le créancier requis de vendre doit procéder à la vente, à moins qu'il ne préfère désintéresser les créanciers subséquents qui ont dans les délais impartis signifié et inscrit l'avis requis par l'article 2779 C.c.Q.;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2781 C.c.Q., lorsqu'il n'a pas été remédié au défaut ou que le paiement n'a pas été fait dans le délai imparti pour délaisser, le créancier prend le bien en paiement par l'effet du jugement en délaissement, ou par un acte volontairement consenti par celui contre qui le droit hypothécaire est exercé, et accepté par le créancier, si les créanciers subséquents ou le débiteur n'ont pas exigé qu'il procède à la vente;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2781 C.c.Q., le jugement en délaissement ou l'acte volontairement consenti et accepté constitue le titre de propriété du créancier;

CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2782 C.c.Q., la prise en paiement éteint l'obligation, et le créancier qui a pris le bien en paiement ne peut réclamer ce qu'il paie à un créancier prioritaire ou hypothécaire qui lui est préférable;


CONSIDÉRANT qu'en vertu de l'article 2783 C.c.Q., le créancier qui a pris le bien en paiement en devient le propriétaire à compter de l'inscription du préavis;

CONSIDÉRANT que le créancier prend alors le bien dans l'état où il se trouvait alors, mais libre des hypothèques publiées après la sienne;

CONSIDÉRANT que les dispositions provinciales ne sont ni contraires ni incompatibles avec les dispositions fédérales et qu'elles n'empêchent pas Sa Majesté de se prévaloir de son droit de bénéficiaire et d'invoquer sa créance prioritaire;

CONSIDÉRANT que les dispositions fédérales ne dispensent pas Sa Majesté de l'obligation de faire valoir son droit de bénéficiaire et sa créance prioritaire en temps utile, dans les délais et de la manière prévus à la loi;

                                                             LOI SUR LA FAILLITE

CONSIDÉRANT que la débitrice a fait cession de ses biens;

CONSIDÉRANT les articles 67, 69, 72, 86 et 136 LFI;


CONSIDÉRANT que sous réserve des paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE, dès la faillite de la débitrice, tous les biens visés à l'article 67 LFI sont dévolus au syndic et sont traités conformément à la LFI;

CONSIDÉRANT que les dispositions de la LFI n'empêchent pas Sa Majesté de faire valoir auprès du syndic son droit de bénéficiaire dans les biens de la débitrice en vertu des dispositions fédérales;

CONSIDÉRANT que les dispositions fédérales n'empêchent pas un créancier garanti, avec l'autorisation du syndic, de s'adresser devant les tribunaux pour demander le délaissement forcé et la prise en paiement de tout bien visé par la fiducie présumée;

                   COURONNE FÉDÉRALE LIÉE PAR LE CODE CIVIL DU QUÉBEC

                                              ET LE CODE DE PROCÉDURE CIVILE

CONSIDÉRANT l'argument invoqué par les procureurs de la demanderesse à l'effet que Sa Majesté n'est pas liée par les dispositions du C.c.Q. et du C.p.c. susceptibles de s'appliquer en l'espèce;


CONSIDÉRANT les articles 1, 42 et 61 de la Loi d'interprétation (Québec), L.R.Q., ch. I-16;

CONSIDÉRANT les articles 2, 17 et 35 de la Loi d'interprétation (Canada), L.R.C. (1985), ch. I-21;

CONSIDÉRANT les principes généraux établis par la doctrine et la jurisprudence;

CONSIDÉRANT que la Couronne peut être assujettie à une loi non seulement dans l'hypothèse d'une disposition expresse liant celle-ci, mais également lorsque le contexte d'une disposition ou son objet font voir la volonté du législateur de lier la Couronne;

CONSIDÉRANT que les paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE font expressément référence à la LFI, à tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit;

CONSIDÉRANT a contrario que Sa Majesté est liée par les articles 81.1 et 81.2 LFI, et par voie d'implication nécessaire, par tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit relative à l'objet des dispositions fédérales, la fiducie, les biens, les garanties et les priorités, et qui n'est par ailleurs pas contraire ou incompatible avec l'exercice du droit de bénéficiaire et la priorité que les paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE confèrent à Sa Majesté;


CONSIDÉRANT que lorsque les dispositions fédérales en cause sont interprétées dans le contexte d'autres dispositions de la LIR comme les articles 222 et 223 LIR, et de la Loi sur la Cour fédérale, supra, p. 10 - qui renvoient à l'application des règles de droit provincial en matière de recouvrement, d'exécution des jugements, d'enregistrement et de publicité des              droits -, il en ressort une intention claire du Parlement de lier la Couronne fédérale et ce, en autant que les règles provinciales applicables ne soient pas incompatibles avec les dispositions de la LIR;

CONSIDÉRANT en outre que les dispositions fédérales ainsi que les articles 222 et 223 LIR seraient privés de toute efficacité si Sa Majesté n'était pas liée par lesdites règles de droit provincial;

CONSIDÉRANT que l'assujettissement de principe de la Couronne fédérale au droit commun constitue une exigence du principe de la primauté du droit ("Rule of Law");

CONSIDÉRANT que dans la province de Québec, le C.c.Q. et le C.p.c. constituent le "droit commun" de la province, même s'il s'agit de textes législatifs;

CONSIDÉRANT qu'il faut distinguer entre la nature d'un droit et les modalités d'exercice de ce droit;


CONSIDÉRANT que les dispositions provinciales d'ordre général applicables en l'espèce s'appliquent à tous les créanciers;

CONSIDÉRANT que lesdites dispositions ne diminuent pas le droit de bénéficiaire et ne nient pas la créance prioritaire que Sa Majesté possède en vertu des dispositions fédérales;

CONSIDÉRANT en conséquence que Sa Majesté est liée par ces dispositions provinciales;

CONSIDÉRANT que dans la présente action prise contre la défenderesse, la demanderesse désire se prévaloir des dispositions du C.c.Q., puisque dans les conclusions de son action, elle demande notamment que la Cour condamne la défenderesse à lui verser, en plus du montant de la réclamation, l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q.;

CONSIDÉRANT que lorsque la Couronne choisit de tirer avantage de la loi, elle en assume les obligations et les inconvénients;

CONSIDÉRANT que selon le paragraphe 39(1) de la Loi sur la Cour fédérale, sauf disposition contraire d'une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particulier s'appliquent à toute instance devant la Cour dont le fait générateur est survenu dans cette province;


CONSIDÉRANT que puisque les dispositions fédérales ne prévoient pas de délai pour faire valoir le droit de bénéficiaire et la créance prioritaire de Sa Majesté, celle-ci devait faire valoir ceux-ci dans les délais auxquels les créanciers d'un débiteur doivent se conformer;

CONSIDÉRANT que si Sa Majesté décide de ne pas entreprendre elle-même une action personnelle contre le débiteur fiscal ou de ne pas exercer les recours que lui confère la LIR pour réaliser sa créance prioritaire, elle ne peut faire valoir son droit de bénéficiaire qu'en se conformant elle-même aux dispositions provinciales applicables en l'espèce;

                          OPPOSABILITÉ DES ACTES JURIDIQUES À SA MAJESTÉ

CONSIDÉRANT que le délaissement forcé et la prise en paiement des biens meubles de la débitrice ont été effectués en conformité avec les dispositions du C.p.c. et du C.c.Q.;

CONSIDÉRANT qu'il n'a pas été allégué ni prouvé que la demanderesse serait intervenue auprès du syndic ou de la Cour supérieure pour faire valoir sa créance prioritaire et son droit de bénéficiaire sur les biens meubles de la débitrice, ou pour demander que ceux-ci soient vendus en justice par la défenderesse;


CONSIDÉRANT que la défenderesse n'était pas obligée de liquider les biens meubles mais qu'elle pouvait les prendre en paiement;

CONSIDÉRANT qu'en vertu des dispositions de la LFI, une mainlevée a été donnée par le syndic, et la prise en paiement des biens meubles de la débitrice a été autorisée en vertu des dispositions du C.c.Q. et du C.p.c. par la Cour supérieure, et ce sans aucune intervention ni opposition de la part de la demanderesse;

CONSIDÉRANT qu'il aurait été loisible à Sa Majesté de prendre des mesures en recouvrement contre la débitrice en vertu de la LIR ou encore d'enregistrer une hypothèque légale sur les biens de débitrice;

CONSIDÉRANT que contrairement à la situation examinée par la Cour fédérale dans la décision qu'elle a rendue le 13 septembre 2002 dans l'affaire Les Entreprises Forestières P.S. Inc. etNewCourt Financial Ltd., (2002 CFPI 968), portée en appel, il n'y a eu aucune saisie par Sa Majesté des biens meubles de la débitrice;

CONSIDÉRANT que selon le certificat délivré le 13 décembre 1999 par le greffier-adjoint de la Cour supérieure, les délais pour en appeler du jugement prononcé le 11 novembre 1999 sont expirés, et aucun appel n'a été enregistré, aucune demande en nullité n'a été déposée et aucune requête en rétractation n'a été présentée à l'encontre de ce jugement;


CONSIDÉRANT qu'en l'absence d'un jugement rendu par le tribunal compétent annulant la prise en paiement, il y a lieu de considérer cet acte juridique valide et pleinement opposable à la demanderesse et à Sa Majesté;

                     AUCUN DROIT RÉEL OU DE SUITE SUR LES BIENS MEUBLES

CONSIDÉRANT que les paragraphes 227(4.1) in fine LIR et 86(2.1) in fine LAE visent les cas de vente en justice ou autres cas semblables où le produit de réalisation d'un bien doit être partagé entre les créanciers.

CONSIDÉRANT que dans le cadre d'une prise en paiement effectuée de bonne foi aux termes de l'exercice légal d'un recours hypothécaire visant le délaissement d'un bien assujetti à la fiducie présumée, aucune somme d'argent n'est remise par le débiteur au créancier;

CONSIDÉRANT que puisqu'il n'y a pas réalisation du bien, il n'y a aucun produit découlant de la vente du bien, le créancier ayant pris le bien en paiement étant toujours libre de conserver ou de vendre ledit bien;

CONSIDÉRANT que le droit de bénéficiaire prévu aux paragraphes 227(4.1) LIR ou 86(2.1) LAE, en tant que tel, ne confère aucun droit réel ni droit de suite sur le bien;


                    AUCUNE ACTION PERSONNELLE CONTRE LA DÉFENDERESSE

CONSIDÉRANT que les dispositions fédérales ne confèrent aucun droit de recours personnel contre l'acquéreur de bonne foi d'un bien assujetti à la fiducie présumée, que celui-ci ait été ou non un créancier du débiteur fiscal;

CONSIDÉRANT qu'en l'absence de termes clairs dans la LIR, la Cour ne peut retenir l'interprétation proposée par la demanderesse de l'effet des paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2.1) LAE, qui équivaut, en l'absence de fraude ou de collusion, à tenir les créanciers, garantis ou non garantis, ainsi que les tiers-acquéreurs de bonne foi, solidairement et personnellement responsables de la non-remise des déductions à la source, qui doivent être exclusivement effectuées par le débiteur fiscal en vertu de l'article 153 LIR;

CONSIDÉRANT que la demanderesse n'a ni avancé à la défenderesse les sommes nécessaires à la vente des biens meubles de la débitrice ni offert dans son action de remboursement les frais engagés par la défenderesse;

CONSIDÉRANT que le régime de sûretés mobilières établi au C.c.Q. a pour objet d'instaurer une certitude en matière d'opérations commerciales;


CONSIDÉRANT que la Cour doit interpréter les dispositions fédérales d'une manière qui respecte, d'une part, l'atteinte de résultats prévisibles en matières commerciales et, d'autre part, le partage des pouvoirs exclusifs assignés par les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 au Parlement et aux législatures des provinces;

CONSIDÉRANT que si la Cour accepte l'interprétation proposée par la demanderesse de l'effet des dispositions fédérales, cela risque d'engendrer une incertitude juridique qui serait préjudiciable à la sécurité des opérations commerciales et qui compromettrait également le fonctionnement et l'efficacité dans la province de Québec des dispositions provinciales;

CONSIDÉRANT que lorsque le législateur fédéral a décidé d'imputer une quelconque responsabilité de paiement à l'égard d'un tiers autre que le débiteur fiscal, il le fait d'une manière expresse en prévoyant l'envoi d'une demande de paiement à ce tiers, comme dans le cas de l'article 224 LIR où il a notamment conféré un droit de saisie-arrêt au Ministre lorsque les conditions particulières prévues à cette disposition sont remplies;

CONSIDÉRANT qu'il aurait été loisible au législateur fédéral d'intervenir clairement et de préciser la responsabilité solidaire des personnes autres que le débiteur fiscal et ce, tel que le prévoient entre autres les articles 160 ou 227.1 LIR;


CONSIDÉRANT que Sa Majesté n'a de droit d'action contre un tiers que si ce dernier était dans une position où il aurait pu être tenu conjointement et solidairement responsable dans une action personnelle prise par Sa Majesté contre le débiteur fiscal;

CONSIDÉRANT que malgré la référence faite à l'article 159 LIR par la représentante de la demanderesse dans sa lettre de mise en demeure, il n'y a aucune preuve au dossier permettant à cette Cour de conclure que la défenderesse ait pu être à un moment donné le représentant légal de la débitrice;

CONSIDÉRANT par conséquent que la défenderesse ne saurait être tenue, en vertu de l'article 159 LIR, personnellement et solidairement responsable avec la débitrice de la remise à Sa Majesté des déductions à la source prélevées par cette dernière;

CONSIDÉRANT que la somme de 9 249,31 $ réclamée personnellement contre la défenderesse ne constitue pas un impôt, intérêt, pénalité, frais ou autre montant payable personnellement par la défenderesse en vertu de l'article 222 LIR;

CONSIDÉRANT que la demanderesse n'a aucune cause d'action en vertu des dispositions fédérales contre la défenderesse et que sa réclamation est non fondée;


PAR CES MOTIFS, LA COUR ORDONNE QUE :

L'action de la demanderesse soit rejetée;

Le tout avec dépens contre la demanderesse.

                                                                                                                                                                                                                                      

                                                                                                                                   Juge


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE LA COUR :                       T-1006-01

INTITULÉ :                                    LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA ET BANQUE NATIONALE DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :             Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :           11 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE

L'HONORABLE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

EN DATE :                                     11 octobre 2002

COMPARUTIONS :

Me Patrick VézinaPOUR LA DEMANDERESSE

Me Nadine Dupuis

Me Raynald AugerPOUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris RosenbergPOUR LA DEMANDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Kronstrom DesjardinsPOUR LA DÉFENDERESSE

Sainte-Foy (Québec)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.