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Date : 19990407

Dossier : T-4178-78

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 7 AVRIL 1999.

DEVANT : LE JUGE HUGESSEN

ENTRE

JOSEPH APSASSIN, chef de la bande indienne de la rivière Blueberry River, et

JERRY ATTACHIE, chef de la bande de la rivière Doig River, en leur nom

et en celui de tous les autres membres de la bande indienne

de la rivière Blueberry et de la bande indienne de la rivière Doig

ainsi que de tous les descendants encore vivants de la bande indienne des Castors,

demandeurs,

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par le

ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien,

et le directeur des terres destinées aux anciens combattants,

défendeurs.


ORDONNANCE

            Je réponds à la question par la négative. Aucune ordonnance n'est rendue à l'égard des dépens.

                                                                                                        James K. Hugessen                   

                                                                                                            Juge

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date : 19990407

Dossier : T-4178-78

ENTRE

JOSEPH APSASSIN, chef de la bande indienne de la rivière Blueberry River, et

JERRY ATTACHIE, chef de la bande de la rivière Doig River, en leur nom

et en celui de tous les autres membres de la bande indienne

de la rivière Blueberry et de la bande indienne de la rivière Doig

ainsi que de tous les descendants encore vivants de la bande indienne des Castors,

demandeurs,

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par le

ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien,

et le directeur des terres destinées aux anciens combattants,

défendeurs.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HUGESSEN

INTRODUCTION

[1]         Il s'agit d'une décision préliminaire sur un point de droit exposé, conformément à l'article 220 des Règles, dans une ordonnance de cette cour datée du 19 novembre 1998. Il s'agit du point suivant :


[TRADUCTION]

Y a-t-il des personnes, c'est-à-dire des descendants encore vivants de la bande indienne des Castors, qui ne sont pas à l'heure actuelle membres de la bande indienne de la rivière Doig et de la bande indienne de la rivière Blueberry, et qui ont individuellement ou collectivement droit d'être considérés comme des membres de la collectivité à qui sera versé le produit du jugement.

L'HISTORIQUE

[2]         Par un jugement daté du 14 décembre 1995 (qui a été révisé le 23 mai 1996), la Cour suprême du Canada a accueilli l'appel des demandeurs, tels qu'ils sont maintenant désignés dans l'intitulé de la cause, et a ordonné ce qui suit :

Les appelants ont droit à des dommages-intérêts de la part de la Couronne par suite du manquement de celle-ci à l'obligation de fiduciaire qui lui incombait relativement aux droits miniers attachés à la Réserve indienne 172 qui ont été cédés par le Directeur de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants, après le 9 août 1949, par convention de vente et, dans le cas des cessions à Pacific Petroleum et Clement Brooks, par acte de vente. L'action est renvoyée à la Cour fédérale, Section de première instance, pour établir les dommages.

[3]         Le 2 mars 1998, cette cour a rendu sur consentement une ordonnance dans laquelle elle fixait à 147 000 000 $ le montant des dommages-intérêts, y compris les intérêts et les dépens. L'ordonnance précisait en outre qu'elle ne créait pas de droits en faveur des personnes désignées dans l'intitulé de la cause comme étant les « descendants encore vivants de la bande indienne des Castors » ou en faveur des personnes désignées au paragraphe 3 de la déclaration comme étant « tous les descendants identifiés ou non de la bande des Castors de Fort St. John et de la bande des Castors de St. John, et leurs représentants juridiques » . L'ordonnance prévoyait en outre que


les droits de pareilles personnes (ci-après parfois appelées les « réclamants » ) devaient être déterminés conformément à une procédure énoncée dans un appendice joint à l'ordonnance.

[4]         La procédure en question prévoyait la publication d'avis et la présentation de réclamations par des personnes qui alléguaient avoir droit au produit du jugement. L'ordonnance elle-même prévoyait également la création d'un fonds en fiducie d'un montant de 12 000 000 $ visant à garantir le paiement des réclamations de ce genre sans toutefois limiter le montant de pareilles réclamations à la valeur du fonds. Près de 500 personnes ont maintenant présenté des réclamations conformément aux conditions de l'ordonnance du 2 mars 1998. Le délai dans lequel d'autres réclamations pouvaient être présentées est maintenant expiré depuis longtemps.

[5]         Le 19 novembre 1998, en accueillant une requête présentée par les demandeurs à laquelle les réclamants s'opposaient, cette cour a exposé le point de droit préliminaire qui a été cité au début des présents motifs. L'ordonnance fixait un calendrier aux fins de dépôt du dossier nécessaire à la décision et aux fins de l'échange de mémoires. L'audience a été tenue à Vancouver (Colombie-Britannique) les 3 et 4 mars 1999.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]         Les questions en litige seront examinées sous trois rubriques :

1)La récusation du juge présidant l'audience;

2)La question de la chose jugée et de la fin de non-recevoir fondée sur la chose jugée;

3)Le droit au produit.

LA RÉCUSATION DU JUGE PRÉSIDANT L'AUDIENCE

[7]         Au début de l'audience, le 3 mars 1999, l'avocat d'un groupe de réclamants, Me Ferguson, m'a demandé de me déclarer inhabile à entendre l'affaire et à déterminer le point de droit. J'ai rejeté cette demande sans appeler les autres avocats et j'ai donné de brefs motifs oraux à l'appui. Étant donné qu'il se peut que l'affaire aille plus loin, je crois qu'il est opportun de résumer ici mes motifs.

[8]         On m'a demandé de me récuser à cause des motifs que j'avais prononcés à l'appui d'une ordonnance datée du 24 février 1999 concernant une requête présentée par certains réclamants en vertu de l'article 369 des Règles. Cette requête visait à l'obtention d'une ordonnance préalable en vue du paiement des dépens des réclamants sur la base avocat-client. En rejetant la requête, j'ai dit qu'à mon avis, aucun réclamant n'avait établi qu'il avait droit à une partie du produit visé par l'ordonnance du 2 mars 1998 qu'il serait donc erroné de rendre l'ordonnance demandée. Cet avis était contraire à l'avis exprimé par un grand nombre des réclamants, sinon tous, qui ont présenté des observations dans lesquelles ils affirmaient que la Cour suprême du Canada avait réglé en leur faveur la question du droit au produit. Me Ferguson a fait valoir qu'étant donné que j'avais exprimé un avis au sujet d'une question qui était en litige dans l'instance dont j'étais saisi, je devais me récuser.

[9]         J'estime que l'avis que j'ai exprimé dans mes motifs du 24 février 1999 faisait nécessairement partie de la décision relative à l'affaire dont j'étais alors saisi. Lorsque le juge, dans le cadre ou dans l'exercice de ses fonctions judiciaires, exprime un avis au sujet de l'état du droit sur un point donné, il ne devient pas pour autant inhabile à entendre, et encore moins à continuer d'entendre, les affaires dans lesquelles ce point ou des points connexes peuvent être en litige. Autrement, aucun juge ne pourrait rendre un jugement interlocutoire de crainte d'être inhabile à poursuivre l'audition de l'affaire. Si l'argument était poussé à l'extrême, aucun juge ne pourrait rendre une décision motivée dans une affaire de crainte d'être inhabile à entendre d'autres affaires. Il incombe au juge d'exprimer son avis juridique au sujet d'un point se rapportant au règlement d'une question dont la Cour est saisie et nécessaire au règlement de cette question. Si le juge commet une erreur, une structure d'appel est en place pour corriger l'erreur. Cependant, notre obligation judiciaire exige que nous rendions une décision et que nous énoncions nos motifs, à tort ou à raison. En nous acquittant de cette obligation, nous ne faisons pas preuve de partialité et nous ne devenons pas inhabiles à continuer à exercer nos fonctions.

LA CHOSE JUGÉE ET LA FIN DE NON-RECEVOIR FONDÉE SUR LA CHOSE JUGÉE


[10]       L'argument le plus fort et initialement le plus convaincant que les réclamants ont invoqué pour justifier que l'on réponde par l'affirmative au point de droit soulevé est que la Cour suprême du Canada l'a déjà réglé en leur faveur. Ce jugement reconnaît le droit des « appelants » , c'est-à-dire des personnes qui figuraient alors, et qui figurent encore, dans l'intitulé de la cause, et notamment de tous les descendants encore vivants de la bande des Castors. La question du droit au produit ne faisait pas partie du renvoi de la Cour suprême et la question est donc maintenant réglée une fois

pour toutes. La personne qui peut démontrer qu'elle appartient à la catégorie de demandeurs représentés peut se prévaloir du jugement.

[11]       À mon avis, cet argument doit être rejeté, et ce, pour deux raisons.

[12]       En premier lieu, la force de la chose jugée ne dépend pas du palier qui a rendu le jugement invoqué à l'appui; elle dépend plutôt de la nature définitive de ce jugement. Par conséquent, un jugement rendu par la Cour suprême du Canada n'est pas plus ni moins obligatoire en tant que chose jugée qu'un jugement rendu par cette cour[1]. Ce qui importe, c'est que le jugement a réglé la question d'une façon définitive. Lorsque des jugements successifs sont rendus dans une affaire, comme c'est ici le cas, il est naturel qu'ils viennent s'ajouter les uns aux autres et que les derniers jugements puissent interpréter, modifier ou nuancer le sens qui doit être attribué aux jugements antérieurs. Il se peut même que par erreur ou inadvertance, un jugement subséquent contredise un jugement antérieur rendu dans la même affaire. Lorsque cela se produit, et à supposer que les deux jugements soient de nature définitive, ce qui constitue l'élément essentiel de tout argument fondé sur la chose jugée, c'est le jugement postérieur qui doit normalement l'emporter étant donné qu'il a été rendu en dernier lieu et qu'il constitue probablement l'expression la plus judicieuse de l'avis de la Cour.

[13]       À cet égard, la doctrine fort technique de la chose jugée devient, eu égard aux circonstances de l'espèce, une arme à double tranchant pour les réclamants. Quels que soient la portée et le sens qu'il convient d'attribuer au jugement rendu par la Cour suprême du Canada en l'espèce, cette cour avait ce jugement à sa disposition lorsqu'elle a rendu l'ordonnance du 2 mars 1998. Cette ordonnance renferme des dispositions précises au sujet du droit des réclamants ici en cause.

[TRADUCTION]

                LA COUR ORDONNE que le présent jugement et le règlement auquel la Cour est parvenue ne créent aucun droit en faveur des personnes décrites dans l'intitulé de la cause comme étant les « descendants encore vivants de la bande indienne des Castors » , ou en faveur de personnes décrites au paragraphe 3 de la déclaration comme étant « tous les descendants, identifiés ou non, de la bande des Castors de Fort St. John et de la bande des Castors de St. John, et leurs représentants juridiques » , notamment un droit au partage du produit du règlement. La question de leurs droits reste à déterminer conformément à l'annexe A aux termes de toute autre ordonnance de la Cour;

[...]

LA COUR ORDONNE que la question du droit des personnes décrites dans l'intitulé de la cause comme étant les « descendants encore vivants de la bande indienne des Castors » ou des personnes décrites au paragraphe 3 de la déclaration comme étant « tous les descendants, identifiés ou non, de la bande des Castors de Fort St. John et de la bande des Castors de St. John, et leurs représentants juridiques » (les descendants) de réclamer un droit au partage du produit du règlement sera tranchée de la façon prévue à l'annexe A de cette ordonnance.

[14]       Cela est tout à fait clair : le 2 mars 1998, la Cour a ordonné en des termes formels que la question du droit des réclamants encore vivants soit laissée en suspens et soit réglée conformément à la procédure énoncée dans l'ordonnance, procédure qui est ici maintenant suivie.

[15]       L'ordonnance du 2 mars 1998 est sans aucun doute définitive. Le délai d'appel est expiré depuis longtemps. Lors d'une réunion relative à la gestion de l'instance tenue le 16 septembre 1998 à Vancouver, j'ai attiré l'attention des avocats sur le fait que l'ordonnance du 2 mars était définitive et qu'elle n'avait fait l'objet d'aucun appel. Personne m'a demandé alors ou par la suite la prorogation du délai d'appel. L'ordonnance lie les réclamants et établit indubitablement que la Cour suprême du Canada n'a pas réglé la question du droit au produit. Si cette ordonnance était erronée, qu'il en soit ainsi; le délai imparti pour y remédier est depuis longtemps expiré.

[16]       Cela m'amène au second motif pour lequel l'argument fondé sur la chose jugée doit être rejeté, soit bien sûr qu'à mon avis l'ordonnance du 2 mars 1998 n'était pas erronée et ne contredisait pas le jugement de la Cour suprême du Canada et que cette dernière n'a aucunement réglé la question du droit au produit. Pour comprendre pourquoi j'ai exprimé cet avis, que je partage encore, il faut dans une certaine mesure connaître l'historique de l'action et son évolution d'un palier à l'autre, tels qu'ils ressortent des documents versés au dossier. J'aimerais ajouter que l'avocat des demandeurs a porté ces documents à l'attention de la Cour avant le 2 mars 1998.

[17]       L'action a été intentée en septembre 1978; il était entre autres choses allégué que Sa Majesté avait violé une obligation fiduciaire à l'égard d'opérations relatives à la réserve indienne 172. Cette réserve était composée de terres qui avaient été mises de côté par Sa Majesté, conformément à ce qui est maintenant l'article 18 de la Loi sur les Indiens[2], à l'usage de la bande des Castors. Toutefois, au moment où l'action a été intentée, la bande des Castors n'existait plus; l'année précédente, cette bande avait été divisée en deux bandes distinctes, la bande de la rivière Doig et la bande de la rivière Blueberry. Ces bandes ont hérité des droits de la bande des Castors; elles existent encore de nos jours. Toutefois, l'obligation fiduciaire qui, selon la Cour suprême du Canada, avait été violée en 1949 n'existait bien sûr qu'envers la bande des Castors.

[18]       Au début de l'audience, en janvier 1987, il y a eu des discussions entre les avocats qui représentaient alors les bandes et le juge Addy, de la Section de première instance. Le juge se préoccupait clairement de ce que l'intitulé de la cause, en particulier s'il était lu avec le paragraphe 3 de la déclaration, puisse être interprété comme voulant dire que les représentants demandeurs étaient censés représenter des personnes décédées et des personnes qui n'étaient pas encore nées. L'avocat a confirmé qu'il avait l'intention de représenter les descendants de la bande des Castors, mais qu'il ne s'opposait pas à ce que le mot « encore vivants » soit ajouté après le mot « descendants » dans l'intitulé de la cause, qui a été modifié en conséquence. La question de savoir si ces « descendants encore vivants » appartenaient à la même catégorie ou à une catégorie différente dont les intérêts étaient différents de ceux des membres des deux nouvelles bandes ne semble avoir été soulevée ni à ce moment-là ni par la suite[3]. En particulier, la question n'a pas été mentionnée dans le jugement définitif du juge Addy; elle n'avait pas à l'être étant donné que le juge était d'avis que l'action devait être rejetée. De même, lorsque la Cour d'appel a été saisie de l'affaire, la question de la composition précise de la catégorie représentée de demandeurs ne s'est pas posée, et ce, pour la même raison. Enfin, il ressort des longs motifs de la Cour suprême du Canada que la question n'a pas été débattue devant cette cour ni même examinée.

[19]       Ce qui ressort clairement tant du jugement officiel de la Cour suprême du Canada que des motifs prononcés à l'appui, c'est que la violation de l'obligation fiduciaire par suite de laquelle Sa Majesté a été tenue responsable du paiement de dommages-intérêts se rapportant à la réserve indienne 172 et que c'était la bande des Castors qui était bénéficiaire de l'obligation.

[20]       La règle de la chose jugée est une règle technique, mais elle n'est pas, malgré tout, complètement dénuée de sens ou sans rapport avec la façon dont les tribunaux et les juges fonctionnent réellement. Il est reconnu que la doctrine s'applique uniquement à la décision même de la Cour ou aux questions nécessairement accessoires. À mon avis, il est évident que dans le cours du litige qui s'est déroulé devant les différentes cours, la question du droit des descendants de la bande des Castors qui ne sont pas membres de l'une ou l'autre des nouvelles bandes n'a jamais été tranchée. Le juge Addy et la Cour d'appel n'ont pas tranché cette question parce qu'ils n'avaient pas à le faire; la Cour suprême du Canada ne l'a pas tranchée parce qu'on ne lui a pas demandé de le faire. On a toujours considéré que l'action avait été intentée par les successeurs de la bande des Castors, quels qu'ils soient[4]. La question se pose encore et doit maintenant être tranchée.

[21]       Avant de passer à autre chose, il convient de parler brièvement de la question connexe de la fin de non-recevoir, que certains réclamants ont également soulevée dans une plaidoirie distincte. Il est soutenu que les représentants demandeurs ne peuvent pas maintenant nier que les réclamants encore vivants ont droit au produit du jugement étant donné qu'ils les ont eux-mêmes désignés dans l'intitulé de la cause et qu'ils ne peuvent pas se dédire.

[22]       Cet argument est inexact. Les réclamants encore vivants n'ont subi aucun préjudice en étant désignés dans l'intitulé de la cause et s'ils ont des droits (qui auraient par ailleurs été prescrits), ils sont maintenant en mesure de les revendiquer. On ne soutient pas que les réclamants ont été incités à ne rien faire et il est difficile de concevoir ce qu'ils auraient pu faire s'ils n'avaient pas été inclus dans l'intitulé de la cause. Il n'est pas soutenu qu'un réclamant a modifié sa position d'une façon qui lui est préjudiciable par suite de la mesure prise par les représentants demandeurs.

[23]       En second lieu, j'aimerais ajouter que de toute façon il est de droit constant que la fin de non-recevoir ne peut pas servir de fondement à une réclamation de plein droit; il s'agit d'une défense et si les réclamants ont droit à une partie du produit, ce doit être pour une autre raison.

LE DROIT AU PRODUIT

[24]       Cela m'amène en dernier lieu à la question du droit au produit du jugement. Une fois que tous les arguments fondés sur la chose jugée ou sur la fin de non-recevoir sont écartés, il est relativement simple de déterminer si les réclamants encore vivants ont un droit quelconque sur le produit du jugement.

[25]       La réserve indienne 172 a été mise de côté au profit de la bande des Castors. Les bandes sont créées par la loi et sont régies par la Loi sur les Indiens. Une bande est formée d'un groupe d'Indiens pour lequel des terres ont été mises de côté par Sa Majesté et au profit duquel ces terres sont détenues. Une bande ne doit pas être assimilée à une première nation. La qualité de membre d'une bande ne dépend pas d'une succession héréditaire ou d'un lien de descendance, mais de la loi elle-même. Une bande est une collectivité et les droits qu'elle possède sur une réserve qui est mise de côté à son profit sont des droits collectifs et non des droits individuels. Ces droits peuvent englober des droits ancestraux ou des droits issus de traités, mais ils ne sont pas dévolus qu'à la bande. Ils ne sont pas transmissibles par succession héréditaire; le descendant d'un membre d'une bande n'acquiert pas les droits de ce membre dans la collectivité à moins d'être ou de devenir lui-même membre de la bande.

[26]       Les droits que la bande des Castors possédait sur la réserve indienne 172 étaient des droits collectifs dont bénéficiaient les membres de la bande à ce moment-là. Lorsque la bande des Castors a cessé d'exister, ces droits ont été transmis aux membres des deux nouvelles bandes, soit les bandes de la rivière Blueberry et de la rivière Doig. Étant donné qu'il s'agissait de droits collectifs et non de droits individuels, ces droits ne pouvaient pas être exercés par des particuliers ou transmis à des particuliers. L'obligation fiduciaire qui a été violée a été établie dans ce cas-ci en faveur de la bande des Castors et le droit d'action en résultant a été transmis aux nouvelles bandes. Ce droit était également un droit collectif que possédaient et que possèdent encore les membres actuels de ces bandes collectivement et non individuellement. C'est l'appartenance et non l'ascendance qui détermine le droit aux terres de la réserve et, par conséquent, aux dommages-intérêts découlant de toute violation d'une obligation fiduciaire y afférente. Par conséquent, les descendants qui ne sont pas membres de la bande ne peuvent pas avoir droit à une partie du produit du jugement.

[27]       Certains réclamants revendiquent un droit au produit du jugement par suite des droits qu'ils ont en leur qualité de descendants des signataires du traité no 8. Cette réclamation est elle aussi fondée sur une idée fausse. Elle confond les droits ancestraux et les droits issus de traités qui étaient conférés aux premières nations qui ont signé le traité no 8 ou qui y ont adhéré et les droits que possédait la bande des Castors sur la réserve 172 que Sa Majesté a mise de côté au profit de cette bande en exécution partielle de ses obligations conventionnelles. L'appartenance à une première nation et l'exercice d'un droit ancestral ou d'un droit issu d'un traité qui peut découler de pareille appartenance n'ont rien à voir avec l'appartenance à une bande et l'exercice des droits découlant du statut de membre. Bien sûr, les deux peuvent se chevaucher et se chevauchent souvent, mais cela ne veut pas pour autant dire que c'est la même chose.

[28]       Je n'ai pas jugé nécessaire d'examiner en détail les dispositions de la Loi sur les Indiens concernant les transferts en faveur des bandes ou les cessions effectuées par des bandes et les conséquences y afférentes. Ces dispositions traitent des droits des personnes qui cessent d'être membres d'une bande d'obtenir une indemnité ou d'acquérir une partie des droits collectifs d'une nouvelle bande, mais elles n'étayent absolument pas les réclamations qui sont faites par des personnes qui ne sont pas maintenant membres d'une bande particulière à l'égard d'une partie des droits collectifs de cette bande. Telle est la position des réclamants ici en cause, position qui doit être rejetée.

CONCLUSION

Je réponds à la question par la négative. Aucune ordonnance n'est rendue à l'égard des dépens.

                                                                                                        James K. Hugessen                   

                                                                                                            Juge

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :T-4178-78

INTITULÉ DE LA CAUSE :JOSEPH APSASSIN ET AUTRES c. SA MAJESTÉ LA REINE ET AUTRE

LIEU DE L'AUDIENCE :VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :LES 3 ET 4 MARS 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE HUGESSEN EN DATE DU 7 AVRIL 1999.

ONT COMPARU :

Thomas Berger, Gary A. Nelson            pour le demandeur

Margaret D. Vanderkruyk

Mitchell Taylor                                                 pour le ministère de la Justice, défendeur

Allan A. Greber                                                 pour les réclamants

Robert Easton                                                   pour les réclamants

David Mitchell                                       représentant d'Ackroyd Piasta Roth

William Furgeson                                               pour les réclamants

John Hope                                                         pour les réclamants

Stan Ashcroft, Sophia Mishimato                       pour les réclamants

Paul Rosenberg                                                 pour les réclamants

Maryam Rafi                                                     représentant de Field Atkinson Perraton


Bruce Beattie                                                     pour les réclamants

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thomas Berger, Gary A. Nelson & pour le demandeur

Margaret D. Vanderkruyk

Gerber & Nelson

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg pour le ministère de la Justice, défendeur

Sous-procureur général du Canada

Allan A. Greberpour les réclamants

Allan A. Greber

Grande Prairie (Alb.)

Swinton & Companypour les réclamants

Vancouver (C.-B.)

William Furgesonpour les réclamants et représentant d'Ackroyd,

Furgeson GiffordPiasta Roth & Day

Vancouver (C.-B.)

John Hopepour les réclamants

Hope Lord

Fort St. John (C.-B.)

Stan Ashcroft, Sophia Nishimatopour les réclamants

Ganapathi, Aschroft & Company

Vancouver (C.-B.)

Paul Rosenbergpour les réclamants

Rosenberg & Rosenberg

Vancouver (C.-B.)

Maryam Rafireprésentant de Field Atkinson Perraton

Edmonton (Alb.)

Bruce Beattypour les réclamants

Vernon (C.-B.)



     [1]Le stare decisis est bien sûr quelque chose de tout à fait différent. Le fait qu'un jugement a valeur de précédent est en bonne partie fonction de la place qu'occupe dans la hiérarchie judiciaire le tribunal qui l'a rendu.

     [2]L.R.C. (1985), ch. I-5.

     [3]Le paragraphe 1711(1) des anciennes Règles (maintenant paragraphe 114(1)) semble montrer clairement que tous les demandeurs représentés et les représentants devraient avoir un « intérêt commun » .

     [4]Il serait possible de faire une analogie avec une action intentée au nom d'une succession qui n'a pas encore été réglée; le droit à la succession est une question distincte de l'identification des héritiers.

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