Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050310

Dossier : IMM-1070-04

Référence : 2005 CF 347

Montréal (Québec), le 10 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                FRANCIS SEBAMALAI FIGURADO

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 19 décembre 2003, prise par S. Morgan, agent d'évaluation des risques avant renvoi (l'agent ERAR), dans laquelle l'agent a rejeté la demande de protection du demandeur au motif qu'il n'était pas un « réfugié au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).


CONTEXTE

[2]                Le demandeur est un Tamoul, citoyen du Sri Lanka. Il allègue qu'en janvier 1999, les Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul (TLET) ont saisi son bateau, l'ont enlevé et l'ont libéré après cinq jours de détention. Le demandeur allègue que, par la suite, il a été arrêté par l'armée sri-lankaise (l'armée) puis battu parce qu'on le soupçonnait d'appartenir aux TLET. Il a été relâché après trois jours de détention, mais il devait se présenter à l'armée chaque semaine. En outre, le demandeur allègue que son bateau a été volé et que, peu après, l'armée l'a arrêté et de nouveau battu. Le demandeur s'est enfui au Canada quand l'armée l'a relâché.

[3]                Le demandeur a revendiqué le statut de réfugié en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne Loi), aujourd'hui abrogée, et en décembre 1999, la Section du statut de réfugié, Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), a rejeté sa demande au motif qu'il n'avait pas établi qu'il craignait avec raison d'être persécuté par l'armée et par les TLET.


[4]                Depuis le rejet de sa demande de statut de réfugié en décembre 1999, le demandeur vit au Canada. En juillet 2000, le demandeur a déposé une demande d'établissement comme membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC) en vertu du Règlement sur l'immigration, 1978, DORS/78-172 (l'ancien Règlement), aujourd'hui abrogé. Toutefois, lors de l'entrée en vigueur de la LIPR en juin 2002, aucune décision n'avait encore été prise au sujet de la demande relative à la CDNRSRC. Le paragraphe 346(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR) prévoit, dans une telle situation, que la « demande d'établissement » est assimilée à une « demande de protection » en vertu des articles 112 à 114 de la LIPR et que ces dernières dispositions s'appliquent.

[5]                Dans les observations supplémentaires écrites envoyées à l'agent ERAR à l'automne 2003, le demandeur a manifesté, encore une fois, son désir d'être autorisé à demander et à obtenir le statut de résident permanent au Canada et il a de nouveau allégué qu'il craignait que, s'il devait retourner au Sri Lanka, sa vie serait menacée du fait qu'il était un Tamoul et qu'il avait été détenu tant par l'armée que par les TLET. Il a allégué que les circonstances qui l'avaient amené à fuir le Sri Lanka en 1999 n'avaient pratiquement pas changé en 2003 et, qu'à bien des égards, la situation était encore plus dangereuse parce que son départ du Sri Lanka le rendait plus suspect aux yeux de l'armée et des TLET.

[6]                Le 19 décembre 2003, l'agent ERAR a décidé que le demandeur ne serait pas exposé au risque d'être persécuté, ni soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il était renvoyé au Sri Lanka (la décision ERAR).


[7]                Le 28 janvier 2004, le demandeur a été avisé, en personne, de la décision ERAR négative. Au même moment, il a été avisé que la mesure de renvoi prise contre lui devenait donc exécutoire. D'ailleurs, on lui a remis, par la même occasion, une convocation pour qu'il se présente le lundi, 1er mars 2004, à 18 h 30, au Centre d'immigration Canada, aéroport international Pearson.

[8]                Le demandeur sollicite l'annulation de la décision ERAR et le renvoi de la question à un agent différent pour nouvel examen. Toutefois, entre-temps, le 16 février 2004, la Cour a rejeté la requête en sursis d'exécution de la mesure de renvoi du demandeur jusqu'à ce que la présente demande de contrôle judiciaire soit entendue et tranchée. Le juge des requêtes a décidé qu'il n'y avait aucune question sérieuse à trancher. Par la suite, le demandeur a été renvoyé du Canada. Cela dit, le 17 septembre 2004, le juge des requêtes a autorisé la demande de contrôle judiciaire.

QUESTION THÉORIQUE


[9]                Le paragraphe 48(2) de la LIPR prévoit qu'une mesure de renvoi est « exécutoire » depuis sa prise d'effet dès lors qu'elle ne fait pas l'objet d'un sursis. D'ailleurs, la mesure de renvoi est « exécutée » lorsque l'étranger quitte le territoire du Canada. Cela dit, la décision positive prise par un agent ERAR a pour conséquence principale (il peut y en avoir d'autres) de différer la mesure de renvoi (article 114 de la LIPR; alinéa 232d) du RIPR). En l'espèce, suivant le rejet de la demande de statut de réfugié, la mesure de renvoi conditionnel prise contre le demandeur est devenue exécutoire. Toutefois, en conformité avec l'article 232 du RIPR, il a été « sursis » à la mesure de renvoi jusqu'à ce qu'une décision soit prise au sujet de la demande d'ERAR. Dans le cas qui nous occupe, la décision ERAR a été négative et la Cour a donc refusé de reporter l'exécution de la mesure de renvoi. Puisque le demandeur a été renvoyé du Canada, il me faut d'abord décider si la présente demande n'est que théorique et, le cas échéant, si je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire pour entendre l'affaire (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342).

Position des parties

[10]            L'avocat du demandeur n'a pas changé d'avis depuis février 2004 lorsque la requête en sursis d'exécution a été débattue, savoir que si le demandeur était renvoyé, sa demande de contrôle judiciaire serait sans objet. Cela étant dit, il invite néanmoins la Cour a exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre et trancher l'affaire. En septembre 2004, un autre juge de la Cour a accueilli la demande d'autorisation. L'avocat prétend, à cet égard, que la principale question de fond, savoir la décision ERAR - si le demandeur serait exposé à un risque au Sri Lanka - fait toujours l'objet d'un litige entre les parties et crée un contexte contradictoire. En outre, il soutient que la nécessité d'économiser les ressources judiciaires n'est pas un facteur suffisamment important pour empêcher l'exercice du pouvoir discrétionnaire en l'espèce. Enfin, les questions que soulève le présent litige sont celles qui se posent habituellement lors d'un contrôle judiciaire et elles ne sont pas susceptibles de nuire à l'exercice régulier des fonctions de la Cour en tant qu'organisme juridictionnel plutôt que législatif.

[11]            Si, en fin de compte, la Cour devait décider que l'agent ERAR a commis une erreur susceptible de contrôle, l'avocat du demandeur soutient également que la Cour devrait annuler la décision contestée et ordonner un nouvel examen de la demande ERAR, avec instructions au défendeur. Autrement, le nouvel examen pourrait s'avérer inutile puisque le demandeur serait peut-être toujours exposé à un risque au Sri Lanka. À cet égard, l'avocat reconnaît que la LIPR ne confère pas précisément compétence à la Cour pour ordonner au défendeur de ramener une personne au Canada lorsqu'une mesure de renvoi a été exécutée conformément à la loi; cependant, il prétend que, soit en vertu de l'alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F-7 (la Loi sur les Cours fédérales), soit en vertu de la compétence inhérente de la Cour, la Cour dispose d'un large pouvoir afin de rendre toutes les ordonnances et de donner toutes les instructions nécessaires pour que les nouveaux examens aient un effet pratique. Cela comprend le pouvoir d'ordonner le retour du demandeur au Canada et ce, peut-être aux frais de l'État (Freitas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 C.F. 432, au paragraphe 29 (C.F. 1re inst.); Ramoutar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 370 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17; Lazareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1019, [2004] A.C.F. no 1245 (C.F.) (QL), aux paragraphes 19 à 22; Lazareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1372, [2004] A.C.F. no 1661 (C.F.) (QL), aux paragraphes 11 à 13).


[12]            La position du défendeur est quelque peu différente. L'avocat prétend qu'une demande de contrôle judiciaire d'une décision ERAR négative n'est pas sans objet lorsque le demandeur a été renvoyé avant la décision finale concernant la demande de contrôle judiciaire de ladite décision ERAR; Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 261, [2004] A.C.F. no 1200 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 20; Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 321, [2003] A.C.F. no 452 (C.F. 1 re inst.) (QL). En l'espèce, la requête en sursis du demandeur a été rejetée en mars 2004. Le juge des requêtes a conclu qu'il n'y avait aucune question sérieuse à trancher et le demandeur a été renvoyé dans son pays d'origine, le Sri Lanka. Si toutefois la Cour devait reconnaître le bien-fondé des arguments du demandeur et annuler la décision ERAR, elle a certainement compétence pour ordonner un nouvel examen de la décision ERAR contestée.


[13]            L'avocat du défendeur prétend également que la LIPR prévoit dans quelles circonstances précises une personne peut être autorisée à entrer au Canada ou à y revenir. Le demandeur se trouve déjà à l'étranger et aucune disposition légale ou réglementaire ne permet à la Cour d'ordonner le retour du demandeur aux fins d'un nouvel examen, si la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. D'ailleurs, pour l'instant, il est interdit au demandeur de revenir au Canada « sauf autorisation de l'agent ou dans les autres cas prévus par règlement » (paragraphe 52(1) de la LIPR). Sauf l'exception mentionnée à l'alinéa 42b) de la Loi (inadmissibilité familiale), une mesure d'expulsion oblige l'étranger visé à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l'exécution de la mesure (paragraphe 226(1) du RIPR). Par voie de conséquence, le défendeur nie que le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales confère le pouvoir d'ordonner le retour du demandeur au Canada, soit aux fins du nouvel examen lui-même, soit si le résultat de celui-ci était positif.

[14]            Cela dit, même si la mesure de renvoi a été exécutée conformément à la loi, l'avocat du défendeur fait néanmoins valoir que la loi n'interdit pas un nouvel examen de l'ERAR du demandeur pendant que ce dernier se trouve au Sri Lanka. Par conséquent, si, après un nouvel examen ordonné par la Cour, la demande ERAR est accueillie et qu'un agent ERAR reconnaît qualité de personne à protéger au demandeur, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) facilitera l'entrée au Canada de ce dernier (paragraphe 18(1) de la LIPR). Le demandeur aura alors le droit de demander le statut de résident permanent au Canada (paragraphe 21(2) de la LIPR). Dans ce contexte, dans la mesure où une deuxième ERAR s'est avérée positive, l'avocat soutient qu'une ordonnance de la Cour en vue de renvoyer l'affaire pour nouvel examen aura, en bout de ligne, un certain effet pratique, même si le pouvoir de la Cour de donner des instructions est quelque peu limité en l'espèce. Par conséquent, le défendeur conteste la principale prémisse présentée par le demandeur, savoir qu'une ERAR n'a plus d'effet lorsque la mesure de renvoi a été exécutée. Il s'ensuit, selon le défendeur, que le contrôle judiciaire de l'ERAR n'est pas que théorique.


Jurisprudence de la Cour et de la Cour d'appel fédérale

[15]            Les juges de la Cour et de la Cour d'appel fédérale ne sont pas unanimes quand il s'agit de décider si le renvoi d'une personne du Canada a pour effet de rendre sans objet une demande de contrôle judiciaire, ou inutile toute réparation que pourrait accorder la Cour en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales. Les décisions suivantes font ressortir la diversité et la complexité des opinions (quelquefois divergentes) qui ont été exprimées sur cette question. Nous le verrons plus loin, la plupart de ces décisions ont porté, à une étape préliminaire, sur la question de savoir si le renvoi d'une personne pouvait avoir pour effet de rendre sans objet une demande de contrôle judiciaire ou s'il fallait accorder un sursis dans ce type de situation.


[16]            Dans Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 86 N.R. 302, [1988] A.C.F. no 587 (C.A.F.) (QL), le demandeur, un résident permanent du Canada qui avait été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité demandait à la Cour d'appel fédérale de surseoir à l'exécution d'une mesure d'expulsion prise contre lui en attendant la décision relativement à son appel. Il avait présenté la même demande au sujet de la décision de la Commission d'appel de l'immigration qui avait refusé d'examiner de nouveau sa décision antérieure selon laquelle la mesure d'expulsion devait être exécutée dès que les circonstances le permettraient. La Cour d'appel fédérale a conclu qu'il avait été satisfait au critère à trois volets (question sérieuse à trancher, préjudice irréparable et prépondérance des inconvénients) et elle a accordé le sursis de la mesure d'expulsion. Toutefois, la Cour d'appel fédérale devait d'abord décider si elle avait compétence pour accorder le sursis. À cette époque, la compétence de la Cour d'appel pour différer l'exécution de la décision en cause ou d'une mesure connexe (notamment une mesure d'expulsion) n'était pas claire puisque l'ancienne Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1970, ch. 10 n'en faisait pas précisément mention (aujourd'hui, l'article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales confère ce pouvoir). La Cour d'appel fédérale a réaffirmé qu'elle avait implicitement compétence pour différer l'exécution d'une mesure d'expulsion « lorsque l'appel deviendrait autrement inopérant » (Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited et la Commission nationale de l'énergie), [1985] 2 C.F. 13 (C.A.F.)).


[17]            Il a été décidé dans Toth, précité, que si le demandeur était expulsé, il subirait un préjudice irréparable puisque son entreprise familiale ferait probablement faillite et que sa famille immédiate, ainsi que d'autres personnes qui dépendaient de celle-ci, en souffriraient. Toutefois, je constate que le fait que « l'appel deviendrait autrement inopérant » , bien que cela fasse nécessairement partie du raisonnement de la Cour d'appel fédérale pour affirmer sa compétence dans Toth, précité, n'est pas mentionné expressément dans les motifs du juge Heald (qui ont été entérinés par les deux autres juges de la Cour d'appel fédérale) comme facteur spécifique pouvant établir un préjudice irréparable. Cela dit, le juge Robertson a affirmé dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 206 (C.A.F.) que la perte du bénéfice d'une demande peut entraîner un préjudice irréparable au sens du critère tripartite de l'arrêt Toth, précité, et il a dit, au paragraphe 16, que « [l]es cours de l'Ontario n'ont été disposées à connaître de poursuites concurrentes que si le refus d'une injonction rendrait la poursuite devant la Cour fédérale sans objet » . [Non souligné dans l'original.]

[18]            D'ailleurs, après l'arrêt Toth, précité, mais avant Suresh, précité, dans des affaires où la demande principale n'aurait plus qu'un intérêt théorique, les tribunaux avaient déjà dit que cela pouvait constituer un « préjudice irréparable » selon les circonstances en cause. Par exemple, dans De Medeiros c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 11 (C.F. 1re inst.) (QL), le juge Nadon (aujourd'hui, juge de la Cour d'appel fédérale) a ordonné le sursis d'une mesure d'expulsion prise dans des circonstances semblables à celles de Toth, précité, en attendant que la Cour tranche la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel de l'immigration (la Section d'appel) qui avait refusé de rouvrir l'appel interjeté par le demandeur. Dans cette affaire, la Cour a mentionné que la compétence « d'equity » de rouvrir l'appel continuait d'exister tant que la mesure d'expulsion n'était pas prise. Ainsi, selon les termes du juge Nadon, le demandeur « subirait sans doute un préjudice irréparable » .


[19]            Dans Hosein c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 53 F.T.R. 86, [1992] A.C.F. no 226 (C.F. 1re inst.) (QL), la Cour a rejeté une demande d'ordonnance portant suspension d'une enquête devant un arbitre de l'immigration jusqu'à ce que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire soit tranchée. Dans cette affaire, l'intimé soutenait que la compétence de la Cour, en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, de différer une mesure était limitée aux cas où l'autorisation d'introduire une demande de contrôle judiciaire avait été accordée. La Cour a rejeté cet argument. Dans Hosein, précité, la Cour a appliqué sensiblement la même approche que dans Toth, précité, selon laquelle, de manière générale, le pouvoir de la Cour d'ordonner une suspension d'instance n'est pas limité par l'article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales ou par la nécessité d'obtenir l'autorisation de demander le contrôle judiciaire, surtout lorsque la question soulevée dans une demande d'autorisation est plaidable mais perdrait son intérêt pratique ou deviendrait futile si la suspension n'était pas accordée. Cela dit, dans Hosein, précité, la Cour a dit que le préjudice irréparable, si la suspension n'était pas accordée, n'avait pas été établi puisque l'audience n'avait pas pris fin et que le requérant pourrait toujours demander le contrôle judiciaire par la suite. À cet égard, le juge MacKay a dit :

En l'espèce, je ne suis pas persuadé que si les procédures du tribunal ne sont pas maintenant suspendues, la possibilité pour la Cour d'examiner les procédures du tribunal sera perdue, ni que le pouvoir relatif au contrôle judiciaire deviendra futile. D'autres étapes dans le processus d'examen de la situation du requérant sous le régime de la Loi sur l'immigration s'imposent avant qu'il ne puisse être exclu du Canada, et la possibilité d'un contrôle judiciaire, que recherche maintenant la demande d'autorisation déposée, peut suivre le cours ordinaire. Si ce processus n'est pas complété avant que des mesures soient prises pour renvoyer le requérant du Canada, il peut à ce moment demander l'autorisation, le cas échéant, de suspendre l'application de ces procédures jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d'autorisation, et toutes procédures de contrôle judiciaire découlant de cette demande si l'autorisation est accordée. [Non souligné dans l'original.]


[20]            Dans Ramoutar, précité, le requérant avait été expulsé avant que la Cour n'entende sa demande de contrôle judiciaire. Il sollicitait l'annulation du refus, par l'agent d'immigration, de déférer son cas au gouverneur en conseil en vue d'obtenir, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense de l'obligation de demander, à l'étranger, le statut de résident permanent ou d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement. Dans sa lettre de refus, l'agent mentionnait qu'il avait des doutes raisonnables au sujet de l'authenticité du mariage du requérant avec une citoyenne canadienne et que le requérant avait fourni à la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié des renseignements qui contredisaient ce qu'il avait déclaré aux conseillers en immigration. Le requérant alléguait que l'intimé avait appliqué la mauvaise norme de preuve et qu'il y avait eu déni d'équité procédurale. En fin de compte, les motifs invoqués se sont avérés bien fondés. Cela dit, pendant les observations, l'avocat de l'intimé a soutenu que toute l'affaire était sans objet puisque le requérant avait déjà été expulsé du Canada. Toutefois, la Cour a dit qu'une décision fondée sur la mauvaise norme de preuve sans faire bénéficier le requérant de l'équité procédurale pouvait être préjudiciable à ce dernier puisqu'elle figurait dans son dossier d'immigration. Ainsi, le préjudice immédiat n'était pas l'exécution de la mesure de renvoi en conformité avec la loi, mais le fait qu'il serait plus difficile pour le requérant de revenir au Canada ou de demander de nouveau le droit d'établissement. Ce raisonnement ne s'applique pas à une décision ERAR qui vise nécessairement un changement de circonstances depuis l'évaluation antérieure effectuée par la Commission ou par un autre agent ERAR.

[21]               Dans Ramoutar, précité, le juge Rothstein (aujourd'hui, juge de la Cour d'appel) a également dit, aux paragraphes 15 et 16 de sa décision :

[...] L'expulsion d'une personne du Canada est une mesure qui a des conséquences négatives pour la personne en question et n'efface pas tous les droits que peut lui conférer la Loi sur l'immigration. Il ne faudrait pas qu'une décision, prise à la suite de l'application de la mauvaise norme de preuve et sans faire bénéficier le requérant de l'équité procédurale, ait une incidence négative sur ces droits. Je conclus donc que cette affaire n'est pas sans objet.

Même si l'affaire était sans objet, j'exercerais le pouvoir discrétionnaire qui m'est conféré pour la trancher. La relation d'opposition entre les parties subsiste. La décision qui fait l'objet d'un appel, si elle est maintenue, aura des conséquences secondaires pour le requérant. Et nous n'avons pas affaire en l'espèce à un cas où l'on pourrait considérer d'une manière raisonnable qu'une décision de la présente Cour s'immisce dans les fonctions du pouvoir législatif du gouvernement.

[Non souligné dans l'original.]



[22]            Cependant, le juge Rothstein ne précise pas la nature de ces « droits que peut conférer » l'ancienne Loi à une personne qui a été expulsée du Canada. Cela dit, comme l'a reconnu la Cour suprême du Canada dans Canada (Ministrede l'Emploi et de l'Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, au paragraphe 27 : « Le Parlement a donc le droit d'adopter une politique en matière d'immigration et de légiférer en prescrivant les conditions à remplir par les non-citoyens pour qu'il leur soit permis d'entrer au Canada et d'y demeurer » . C'est ce qu'il a fait dans la LIPR. Le principe des « droits acquis » est difficile à appliquer dans le contexte de l'immigration. À cet égard, aucune personne autre qu'un citoyen canadien et un Indien inscrit en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 n'a le droit absolu d'entrer au Canada et d'y demeurer. Le droit d'un étranger, qu'il soit résident permanent ou temporaire, ou d'une personne à protéger d'entrer au Canada et d'y demeurer est assujetti aux conditions prescrites par la LIPR; il faut, notamment que la personne ne soit pas interdite de territoire pour l'un des motifs énumérés à la LIPR. En outre, conformément au paragraphe 52(1) de la LIPR, si une mesure de renvoi a été exécutée, l'étranger ne pourra revenir au Canada, « sauf autorisation de l'agent ou dans les autres cas prévus par règlement » . La question est donc de savoir si la demande de contrôle judiciaire d'une décision négative ERAR n'a plus d'objet lorsqu'une mesure de renvoi a été exécutée en conformité avec la loi. Selon moi, la question se distingue de celle de savoir si les difficultés qu'éprouvera le demandeur à poursuivre son litige de l'extérieur du Canada constituent un préjudice irréparable aux fins d'une demande de sursis de la mesure de renvoi. Le demandeur peut certainement être représenté par un avocat compétent pendant qu'il se trouve à l'extérieur du Canada, mais si la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision ne sera peut-être d'aucune utilité. Il est intéressant de constater que des droits qui peuvent être acquis lors d'une demande de protection sont en quelque sorte limités lorsqu'il s'agit d'un demandeur qui quitte volontairement le Canada, lors de l'exécution de la mesure de renvoi en application de l'article 240 ou lorsque le demandeur quitte autrement le Canada. Le cas échéant, conformément à l'alinéa 169b) du RIPR, le « désistement de la demande de protection est prononcé » . Il en est ainsi parce que le demandeur n'est pas autorisé, en vertu de la LIPR ou du RIPR, à revenir au Canada « sauf autorisation de l'agent ou dans les autres cas prévus par règlement » .

[23]            La Cour a peut-être « insinué » la possibilité du retour « forcé » d'un demandeur renvoyé du Canada en vertu de son pouvoir discrétionnaire dans Ramoutar, précité, quand le juge Rothhstein a dit : « Je n'envisage pas que le requérant doive être ramené à cette fin au Canada. Le réexamen peut se faire au moyen d'observations écrites, de fac-similés ou d'autres communications, sans qu'il faille que le requérant soit présent » . En soulevant cette affirmation du juge Rothstein, l'avocat du demandeur laisse entendre que le juge a, en quelque sorte, pensé que la Cour avait peut-être le pouvoir d'ordonner le retour du demandeur si nécessaire. Nous le verrons incessamment, cette question a été abordée dans l'arrêt que nous allons maintenant examiner.


[24]            Dans Freitas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 C.F. 432, la Cour a finalement annulé la décision de la Commission selon laquelle le demandeur était exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, article 1Fc), à cause du lien existant avec le complot pour lequel il avait été reconnu coupable de trafic de drogues. Entre-temps, le ministre avait déjà renvoyé le demandeur du Canada en l'expulsant au Venezuela. Comme en l'espèce, le défendeur avait exécuté la mesure de renvoi suivant le refus de la Cour d'accorder au demandeur le sursis de la mesure de renvoi prise contre lui. Cela dit, la Cour a décidé, par la suite, que la Commission avait commis une erreur de droit en déterminant que le demandeur devait être exclu au titre d'une considération comme réfugié au sens de la Convention à la lumière de l'arrêt Pushpanathan de la Cour suprême du Canada (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982). La Cour a décidé que la demande n'était pas théorique étant donné que lorsque la décision faisant l'objet du contrôle est fondée sur une erreur de droit, l'expulsion de la personne n'annihile pas tous les droits que peut lui conférer l'ancienne Loi. La Cour a mentionné, à cet égard, la décision Ramoutar, précitée.

[25]               En outre, la Cour a décidé dans Freitas, précité, qu'elle n'était pas disposée à fournir une réparation vide de sens en renvoyant l'affaire à la Commission qui n'avait d'autre choix que de décider que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'il ne se trouvait pas hors du pays dont il avait la nationalité. À cet égard, le juge Gibson a écrit, aux paragraphes 29, 30, 36 et 44 :


[...] En l'absence de dispositions expresses de la Loi qui m'obligeraient à le faire, je ne suis pas disposé à conclure que le droit conféré au demandeur par le paragraphe 82.1(1) de la Loi est rendu inopérant du fait que le défendeur s'acquitte de son obligation d'exécuter une mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent. Je ne suis pas non plus disposé à accepter que le droit du demandeur soit rendu indirectement inopérant par suite d'une décision de notre Cour qui confère un droit vide de sens à une nouvelle décision de la part de la SSR. Je considère que la présente demande n'est pas théorique et qu'elle constitue la poursuite d'un litige réel. Je suis convaincu que cette conclusion est fidèle à la décision du juge Rothstein dans Ramoutar, précité.

Si j'ai tort de conclure qu'un litige réel continue d'exister d'après les faits de l'espèce, le passage précité de Borowski indique clairement que j'ai néanmoins le pouvoir discrétionnaire de m'écarter du principe général de refuser d'entendre une affaire qui est théorique [...]

[...]

[...] Il n'a pas été contesté que, si je tranche cette affaire en faveur du demandeur, j'ai le pouvoir d'ordonner au défendeur de ramener le demandeur au Canada, aux frais du défendeur, afin qu'une nouvelle décision prise par la SSR puisse avoir un sens. Je reviendrai plus loin dans les présents motifs pour décider si une telle ordonnance sera ou non nécessaire.

[...]

Essentiellement, j'accorde réparation selon les modalités suivantes: la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SSR concernant le demandeur est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvelle décision. Si la Commission de l'immigration et du statut de réfugié estime nécessaire que le demandeur comparaisse de nouveau devant la SSR pour qu'elle puisse se conformer à la présente ordonnance, et qu'elle en avise le défendeur en conséquence, j'ordonne au défendeur de prendre sur-le-champ toutes les mesures nécessaires pour ramener le demandeur au Canada, aux frais du défendeur. Si la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, sans exiger le retour du demandeur et en partant de l'hypothèse que le demandeur se trouve au Canada, alors que ce n'est pas le cas, conclut que le demandeur est un réfugié au sens de la Convention à l'égard du Venezuela, alors j'ordonne au défendeur de prendre sans délai toutes les mesures nécessaires pour ramener le demandeur au Canada, aux frais du défendeur.

[Non souligné dans l'original.]


[26]            Le juge Gibson ne mentionne pas les sources précises sur lesquelles il fonde l'ordonnance rendue. Toutefois, il ressort des motifs de Freitas, précité, que les parties n'ont pas contesté que la Cour avait le pouvoir d'ordonner au ministre de ramener le demandeur au Canada, aux frais de l'État, pour qu'une nouvelle décision ait un sens. Aujourd'hui, le défendeur n'est pas disposé à lui reconnaître ce pouvoir. Plusieurs décisions de la Cour d'appel fédérale donnent à penser que le pouvoir général de la Cour de donner des instructions en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales est un peu plus limité, surtout si la déclaration ou la réparation en cause aurait réellement pour effet de conférer qualité de réfugié ou de personne à protéger, ou de restreindre le pouvoir discrétionnaire du ministre lorsqu'une demande d'établissement a été présentée pour des considérations humanitaires. (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Sharbdeen, [1994] A.C.F. no 371 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 7; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Forde, [1997] A.C.F. no 310 (C.A.F.) (QL), aux paragraphes 9 et 10; Turanskaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 254 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 6; Rafuse c. Canada (Commission d'appel des pensions), 2002 CAF 31, [2002] A.C.F. no 91 (C.A.F.) (QL), aux paragraphes 13 et 14; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 2 R.C.F. 635, 2004 CAF 38, [2004] A.C.F. no 158, (C.A.F.) (QL), au paragraphe 12; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lazareva, 2005 CAF 39, [2005] A.C.F. no 186 (C.A.F.) (QL)).


[27]            L'affaire Freitas, précitée, a été tranchée en vertu de l'ancienne Loi et avant la plupart des décisions susmentionnées. Aujourd'hui, on peut dire que le pouvoir de la Cour d'ordonner le retour d'un demandeur au Canada est limité, en termes exprès, par le paragraphe 52(1) de la LIPR, qui prévoit, dans ce cas, que l'exécution de la mesure de renvoi contre l'étranger « emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l'agent ou dans les autres cas prévus par règlement » . Par conséquent, même si je n'ai pas d'opinion définitive sur cette question, je suis enclin à accepter l'argument du défendeur selon lequel la Cour n'a pas le pouvoir d'ordonner le retour d'un demandeur au Canada. Il est également clair que la Cour n'a pas le pouvoir d'ordonner à l'agent ERAR d'accueillir la demande de protection du demandeur, sauf si la décision ERAR négative est fondée sur une quelconque erreur de droit décisoire.

[28]               Dans Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 403 (C.F. 1re inst.) (QL), la Cour a accepté de différer l'exécution d'une mesure d'expulsion prise contre un résident permanent en raison de son casier judiciaire, jusqu'à ce qu'une décision soit prise concernant sa demande de contrôle judiciaire du rejet de sa demande de réexamen de la mesure d'expulsion par la Section d'appel de l'immigration. Le juge Pelletier (aujourd'hui juge de la Cour d'appel fédérale) a adopté une approche qui tient compte de la définition du préjudice irréparable appliquée dans Toth, précité, et dans Suresh, précité. Le juge Pelletier a décidé que l'intérêt des enfants soulevait une question grave et la possibilité d'un préjudice irréparable, puisque le contrôle judiciaire serait en fait sans objet. Plus précisément, le juge Pelletier a dit, au paragraphe 22 :

Si je n'avais pas conclu que la question grave à trancher dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire était celle de l'importance à accorder à l'intérêt des enfants de M. Melo pour ce qui est de la demande en réouverture de l'appel, l'affaire serait réglée. La demande de sursis serait rejetée. Mais si cela se produisait, l'intérêt des enfants serait affecté avant qu'un jugement devant porter sur leur intérêt ne soit rendu. Cela rendrait effectivement le contrôle judiciaire sans effet. Les circonstances ressemblent à celles de l'affaire Suresh c. Canada, [1999] 4 C.F. 206, [1999] A.C.F. no 1180, dans laquelle le juge d'appel Robertson a conclu que la perte de l'avantage de pouvoir présenter une demande pouvait causer un préjudice irréparable au sens du critère en trois volets de l'arrêt Toth. Pour que la demande de contrôle judiciaire ait un quelconque effet, le statu quo doit être maintenu. Bien que l'avantage en question puisse sembler être un avantage pour les enfants, il s'agit aussi d'un avantage pour M. Melo. Je suis d'avis que la perte de l'avantage de pouvoir présenter la demande de contrôle judiciaire constitue un préjudice irréparable aux fins de la présente demande.

[Non souligné dans l'original.]

[29]            Dans Ero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1276, [2002] A.C.F. no 1747 (C.F. 1re inst.) (QL), les faits étaient assez semblables aux faits de l'espèce. Il n'y avait qu'une seule différence, à savoir que l'évaluation négative des risques avant renvoi avait été faite en vertu de l'ancienne Loi. Dans cette affaire, le demandeur sollicitait le contrôle judiciaire de la décision d'un agent de révision des revendications refusées (ARRR) qui avait été prise en vertu de l'ancien Règlement et selon laquelle le demandeur ne faisait pas partie de la catégorie DNRSRC. La question a été entendue quelques mois après l'entrée en vigueur de la LIPR. La Cour a conclu que le renvoi du demandeur, conformément à la mesure de renvoi, avait rendu le contrôle judiciaire théorique.

[30]            À cet égard, la juge Snider a dit, dans Ero, précité:

Si j'avais, en l'espèce, accepté les arguments du demandeur, annulé la décision de l'ARRR et renvoyé l'affaire pour un nouvel examen, celui-ci aurait été régi par l'article 199 de la LIPR, qui prévoit ce qui suit :

199. Les articles 112 à 114 s'appliquent au nouvel examen en matière de droit d'établissement d'une personne faisant partie de la catégorie de demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada au sens du Règlement sur l'immigration de 1978 et la décision à prendre en l'espèce est rendue sous son régime.

* * *

199. Sections 112 to 114 apply to a redetermination of a decision set aside by the Federal Cour with respect to an application for landing as a member of the post-determination refugee claimants in Canada class within the meaning of the Immigration Regulations, 1978.

                                                                                   


Les articles 112 à 114 de la LIPR se rapportent à l'ERAR. Compte tenu du fait que le demandeur est retourné au Nigeria, la Cour ne peut ordonner un ERAR, lequel constitue essentiellement une évaluation des risques effectuée avant le renvoi de la personne du Canada. Il s'ensuit que les questions touchant l'équité procédurale sont maintenant devenues théoriques. Même si j'avais accepté les arguments du demandeur quant à la question de l'équité procédurale, la réparation sollicitée par le demandeur n'aurait pu être accordée. Il en résulte que la décision de la Cour quant à la question de l'équité procédurale n'aura aucun effet pratique sur les droits du demandeur. Par conséquent, le premier volet de l'analyse du caractère théorique établie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 a été réalisé.

Le second volet du critère de l'arrêt Borowski, précité, consiste à décider si je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire pour entendre l'affaire. À mon avis, cette question devrait recevoir une réponse négative. Dans l'arrêt Borowski, précité, la Cour suprême du Canada a énoncé trois facteurs justifiant l'exercice du pouvoir discrétionnaire pour entendre une question théorique : les conséquences accessoires de la décision pour les parties, la nature répétitive de la question et sa courte durée (une grève illégale, par exemple) et l'importance publique ou nationale qu'elle revêt. Aucun de ces facteurs n'est présent en l'espèce. Tel qu'il a été mentionné précédemment, la Cour n'a pas le pouvoir d'ordonner au ministre de fournir au demandeur un ERAR. De plus, comme l'a fait remarquer le défendeur, le demandeur n'a pas de demande CH en instance, laquelle pourrait donner lieu à une évaluation des risques très semblable à l'ERAR. Par conséquent, le demandeur a la possibilité d'obtenir une autre évaluation des risques, peu importe le résultat de la présente demande de contrôle judiciaire. Le demandeur ne subira ainsi aucune injustice si la présente demande est rejetée en raison du caractère théorique de la question.

[Non souligné dans l'original.]


[31]            Il appert des commentaires de la juge dans Ero, précité, qu'elle a tenu pour avéré que, de par sa nature, l'ERAR ne peut avoir lieu qu'avant le renvoi d'une personne du Canada. Sans le dire expressément, il semble qu'elle ait également pris pour acquis qu'un nouvel examen de l'évaluation des risques en vertu du nouveau processus ERAR, s'il était ordonné par la Cour par la suite, voulait dire que le demandeur se trouvait toujours au Canada. Cela est impossible puisqu'il avait déjà été renvoyé. Dans son raisonnement, la juge n'a pas mentionné directement les « droits acquis » en vertu de l'ancienne Loi. En outre, bien que la juge mentionne l'article 199 de la LIPR, la conclusion tirée dans Ero, précité, est fondée, pour l'essentiel, sur la ferme opinion de la Cour qu'elle n'avait pas le pouvoir d'accorder la réparation demandée.

[32]               Dans Kim, précité, décision dans laquelle les faits étaient semblables aux faits de l'espèce sauf que l'article 199 de la LIPR ne s'appliquait pas (comme en l'espèce), la Cour a adopté une position légèrement différente que dans Ero, précité. Dans Kim, précité, la demanderesse demandait à la Cour de différer l'exécution de la mesure de renvoi du Canada vers la Corée du Sud en attendant la décision relative à sa demande de contrôle judiciaire d'une ERAR négative. La demanderesse prétendait qu'elle subirait un préjudice irréparable si elle était renvoyée en Corée parce que, si sa demande de contrôle judiciaire visant la décision de l'agent ERAR était accueillie, elle n'aurait aucun recours. Son renvoi rendrait le contrôle judiciaire théorique. L'avocat de la demanderesse a invoqué la décision Ero, précitée. En distinguant les faits de cette affaire des faits dans Ero, précité, le juge O'Reilly a dit, au paragraphe 9 :

L'avocat de Mme Kim a prétendu que sa cliente subirait un préjudice irréparable si elle était renvoyée en Corée parce que, dans l'éventualité où sa demande de contrôle judiciaire visant la décision de l'agent d'ERAR était accueillie, elle n'aurait aucun recours. Son avocat s'est appuyé sur la décision Ero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1276, dans laquelle Mme la juge Snider a conclu que le renvoi d'un demandeur du Canada rendait théorique le nouvel examen d'une demande présentée à titre de membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC). Cette conclusion était fondée sur l'interprétation de l'article 199 de la Loi - une mesure transitoire - et sur la condition prévue à l'article 112 selon laquelle la demande de protection doit être présentée par une personne se trouvant au Canada. Cette mesure transitoire ne s'applique cependant pas en l'espèce. Je ne vois rien dans la Loi ou dans le Règlement qui fasse obstacle au droit d'un demandeur d'un ERAR qui a été renvoyé du Canada et dont la demande de contrôle judiciaire a été accueillie d'obtenir un nouvel examen de sa demande.

[Non souligné dans l'original.]

[33]            Quoi qu'il en soit, apparemment dans un contexte semblable, dans Resulaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1168, [2003] A.C.F. no 1474 (C.F.) (QL), décision qui a été rendue quelques mois après Kim, précité, la Cour a accordé un sursis en attendant le résultat d'une demande de contrôle judiciaire visant à obtenir l'annulation d'une ERAR négative. Cette fois, en décidant que le demandeur avait soulevé une question sérieuse, le juge O'Reilly a reconnu le bien-fondé de l'argument de l'avocat du demandeur qui prétendait que le renvoi rendrait inutile toute réparation dont pourrait se prévaloir le demandeur à l'avenir :

La présente affaire soulève la question de savoir si l'évaluation des risques que le renvoi de Mme Resulaj lui ferait courir a été adéquatement faite. Exécuter son renvoi et lui faire courir ces risques, alors qu'une instance judiciaire se penche sur sa situation juridique, rendrait inutile toute réparation que cette instance pourrait éventuellement lui accorder.Un tel état de fait constitue un dommage irréparable : Melo c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 403 (QL) (1re inst.).

[Non soulignédans l'original.]

[34]            Je constate que dans Resulaj, précité, le juge O'Reilly mentionne Melo, précité, qui reconnaît explicitement que « la perte de l'avantage de pouvoir présenter une demande pouvait causer un préjudice irréparable au sens du critère à trois volets de l'arrêt Toth » . Si l'agent ERAR n'a pas tenu compte de la preuve documentaire sur la situation du pays ou s'il a appliqué la mauvaise norme de preuve, cela aura très certainement une influence sur le droit d'une personne de demeurer au Canada avant qu'elle n'obtienne l'intervention de la Cour. Le raisonnement est semblable à celui du juge Pelletier pour ce qui touche l'intérêt supérieur de l'enfant. Toutefois, les juges de la Cour et de la Cour d'appel fédérale n'ont pas tous adopté le raisonnement de Resulaj, précité, et de Melo, précité.


[35]            Dans Selliah, précité, avant l'audition de l'appel interjeté par les demandeurs, ces derniers avaient demandé à la Cour d'appel fédérale de prononcer le sursis de leur renvoi. Dans cette affaire, la Cour avait déjà rejeté leur demande de contrôle judiciaire de la décision de l'agent ERAR selon laquelle ils n'étaient pas exposés au risque d'être persécutés s'ils étaient renvoyés au Sri Lanka, et du rejet, par le même agent, de leurs demandes d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire. Cela dit, le juge Blanchard n'a certifié aucune question relativement à la demande de contrôle de la décision pour des raisons d'ordre humanitaire. Le rejet de la Cour fédérale de la demande de contrôle judiciaire de la décision pour des considérations humanitaires n'était donc pas visé par l'appel interjeté devant la Cour d'appel fédérale. La requête en sursis des demandeurs en attendant l'appel a été tranchée par le juge Evans qui l'a rejetée.

[36]            Même si, de l'avis du juge Evans, la question certifiée concernant le fardeau de la preuve en vertu de l'article 97 de la LIPR soulevait un « point plaidable » , la requête en sursis devait néanmoins être rejetée au motif que les demandeurs n'avaient pas établi qu'ils subiraient un préjudice irréparable si leur renvoi n'était pas différé en attendant le résultat de leur appel. À cet égard, compte tenu de la preuve au dossier, le juge Evans a commencé par dire que les demandeurs n'avaient pas prouvé, d'une manière décisive, que s'ils retournaient au Sri Lanka, ils seraient personnellement exposés au risque d'être soumis à la persécution dont parle le paragraphe 97(1) de la LIPR. En outre, il a rejeté l'argument des demandeurs selon lequel l'appel deviendrait illusoire. À cet égard, le juge Evans a dit, au paragraphe 20 de l'arrêt :


Puisque l'appel pourra être habilement plaidépar une avocate d'expérience, en l'absence des appelants, et puisque, si les appelants obtiennent gain de cause en appel, ils seront probablement autorisés à revenir au Canada aux frais de l'État, je ne puis souscrire à l'idée que leur renvoi rendra illusoire leur droit d'appel.

[Non souligné dans l'original.]

[37]            Cela dit, en l'espèce, l'avocat du défendeur n'était pas disposé à reconnaître, à l'audience, que si la présente demande de contrôle judiciaire était accueillie, le demandeur « sera[it] probablement autorisé à revenir au Canada aux frais de l'État » , comme l'a mentionné le juge Evans dans Selliah, précité. Le paragraphe 52(2) de la LIPR prévoit le retour d'un étranger aux frais du ministre si la mesure de renvoi non susceptible d'appel est cassée à la suite d'un contrôle judiciaire, mais la disposition ne s'applique pas en l'espèce puisque la validité de la mesure de renvoi qui a déjà été exécutée contre le demandeur n'a jamais été contestée.


[38]               Dans El Ouardi c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42, [2005] A.C.F. no 189 (C.F.) (QL), le juge Rothstein a rejeté la demande de sursis d'une mesure de renvoi en attendant le résultat de l'appel interjeté contre la décision du juge Blais de la Cour dans laquelle ce dernier avait refusé de différer l'exécution de la mesure de renvoi en attendant la décision relative aux deux demandes de contrôle judiciaire déposées par l'appelante. L'une des demandes de contrôle judiciaire visait une décision négative ERAR alors que l'autre visait le refus de différer le renvoi de l'appelante en attendant la décision relative à une demande pour des raisons d'ordre humanitaire. Le juge Rothstein a dit que l'appelante n'avait pas établi l'existence d'un préjudice irréparable. L'avocat a prétendu que l'appelante avait un enfant au Canada, que l'intérêt supérieur de ce dernier était un élément pertinent et que l'agent ERAR n'en avait pas tenu compte dans l'évaluation des risques. Le juge Rothstein a dit que l'intérêt de l'enfant était une question pertinente, mais que rien n'indiquait que cette question avait été soulevée lors de l'évaluation des risques de l'appelante et qu'il n'était pas évident que ladite évaluation était le meilleur moment de le faire. Quant à l'argument fondé sur l'aspect théorique de la question, il était vrai que le renvoi pouvait entraîner des difficultés mais il n'était pas clair, dans la situation en cause, que [traduction] « si l'appel est illusoire, il en résultera un préjudice irréparable » . Sur cette question, le juge Rothstein a dit, au paragraphe 8 :

[traduction]

L'appelante prétend que son appel sera rendu illusoire si le sursis n'est pas accordé, et que cela lui causera un préjudice irréparable. Toutefois, l'argument selon lequel un appel illusoire entraîne un préjudice irréparable soulève une difficulté. En effet, si cet argument est adopté comme principe, il s'appliquera à presque tous les cas de renvoi dans lesquels un sursis est demandé et privera en fait la Cour de son pouvoir discrétionnaire de décider s'il y a un préjudice irréparable, compte tenu des faits en cause. Dans certaines affaires, le fait que l'appel sera rendu illusoire entraînera un préjudice irréparable. Dans d'autres, non. Les documents révèlent que l'époux de l'appelante pourrait parrainer son retour au Canada. Il est vrai que le renvoi entraînera des difficultés, mais il n'est pas certain que si l'appel est illusoire, il en résultera un préjudice irréparable.

[Non souligné dans l'original.]


[39]            Dans El Ouardi, précité, l'appelante ne semblait pas être exposée à un risque de menace à sa vie ou à sa sécurité. En outre, la prépondérance des inconvénients favorisait nettement le ministre puisque l'appelante avait déposé sa demande de contrôle judiciaire de la décision ERAR tardivement et qu'elle n'aurait pas dû attendre la veille de son renvoi pour demander un sursis. Cela dit, le raisonnement du juge Rothstein dans El Ouardi, précité, semble se distinguer des commentaires généraux des arrêts Toth, précité, et Melo, précité, concernant le préjudice irréparable ou en limiter l'application. Toutefois, contrairement à l'opinion exprimée par le juge Evans dans Selliah, précité, une interprétation large de El Ouardi, précité, laisse également à penser que le juge Rothstein a implicitement reconnu que le renvoi allait très certainement rendre la demande de contrôle judiciaire inutile ou théorique. Toutefois, ce fait, à lui seul, ne devrait pas être décisif pour ce qui touche le pouvoir discrétionnaire de la Cour d'accorder un sursis puisqu'il priverait en fait « la Cour de son pouvoir discrétionnaire de décider s'il y a un préjudice irréparable, compte tenu des faits en cause » . Il faut tenir compte, en même temps, des répercussions de la décision sur la personne. Cette affirmation donne à penser que si la personne était exposée à un risque de menace à sa vie ou à sa sécurité et qu'elle serait également privée d'un recours utile, il faut accorder le sursis si l'affaire soulève une question sérieuse puisque il s'agira d'un préjudice irréparable et que, dans une telle situation, la prépondérance des inconvénients sera très nettement favorable au demandeur.

Décision


[40]            Le processus ERAR a été mis en oeuvre pour qu'une personne puisse demander l'examen des risques avant son renvoi du Canada plutôt qu'après. D'ailleurs, l'ERAR est le résultat de décisions de la Cour d'appel fédérale et de la Cour suprême du Canada dans lesquelles les juges ont demandé une évaluation en temps utile des risques, aux fins de l'article 7 de la Charte (Farhadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 646 (C.A.F.) (QL); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3). Bien entendu, en adoptant le processus ERAR, le législateur voulait surtout respecter les engagements nationaux et internationaux du Canada relativement au principe du non-refoulement (Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, RIPR, Gazette du Canada, Partie I, le 15 décembre 2001, aux pages 4550 et 4552). En vertu du paragraphe 115(1) de la LIPR, Section 3 - Examen des risques avant renvoi qui englobe les articles 112 à 116 de la LIPR, aucune personne ne sera renvoyée du Canada à un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, ou encore risque la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités. Bien entendu, ce droit souffre quelques exceptions qui sont mentionnées au paragraphe 115(2) de la LIPR (toutefois, pour les fins de la présente affaire, il n'est pas nécessaire de décider si ces exceptions contreviennent à l'article 7 de la Charte). Par conséquent, l'ERAR est étroitement liée à la date de renvoi prévue et elle est effectuée juste avant l'exécution de la mesure.


[41]            Conformément à l'article 232 du RIPR, les demandeurs d'ERAR bénéficient d'un sursis de la mesure de renvoi. Le législateur voulait donc que l'ERAR soit complétée avant le renvoi des demandeurs pour faire face au risque qu'ils allèguent. L'ERAR a pour objet principal de décider si une personne peut être renvoyée d'une manière sécuritaire du Canada sans qu'elle soit exposée à la persécution, à la torture ou à des traitements inhumains. Cet objet cesse d'exister si la personne est renvoyée. En outre, si le demandeur est renvoyé et qu'il a été persécuté ou soumis à la torture ou à un traitement inhumain, la nouvelle ERAR n'aura peut-être aucun effet pratique. Dans ce contexte, on peut comprendre que les juges des diverses juridictions aient dit que, dans ce type de situation, lorsqu'il y a une question sérieuse à trancher, il y a lieu d'accorder un sursis pour éviter un préjudice irréparable. Comme l'a décidé le juge Lane de la Cour de l'Ontario (Division générale) dans Suresh c. R. 38 O.R. (3d) 267, lorsque [traduction] « la preuve révèle que [le demandeur] sera fort probablement détenu et interrogé et exposé à un risque de torture et d'exécution sommaire [...] il est fort probable que les tribunaux canadiens ne seront à même d'exercer aucune influence sur la situation. Sa demande sera inutile puisque toute réparation obtenue ne sera pas exécutoire » . [Non souligné dans l'original.]. Il s'ensuit que le refus par la Cour d'accorder un sursis à un demandeur en attendant qu'une décision soit prise au sujet de sa demande de contrôle judiciaire « sera définitif » et constituera très certainement, dans ces circonstances, un préjudice irréparable.

[42]            D'ailleurs, le raisonnement du juge Lane dans Suresh, précité, a été entériné par le juge Southes dans Suresh c. R. (1999), 42 O.R. (3d) 797, à la page 799, confirmé (1998), 38 O.R. (3d) 267 (Division générale) et par le juge Robertson dans Suresh, précité, aux paragraphes 13, 14 et 16 (C.A.F.):

À l'évidence, il est possible de répondre à la question du préjudice irréparable de deux façons. La première consiste à évaluer le risque de préjudice personnel en cas de renvoi dans un pays donné. La seconde consiste à évaluer l'effet du rejet d'une demande de sursis sur le droit d'une personne d'obtenir une décision sur le fond de sa cause et de profiter des avantages rattachés à une décision positive.

L'autre moyen invoqué par l'avocat de M. Suresh est que l'appel en instance deviendra « sans objet » ou « futile » si M. Suresh est expulsé avant l'audition de son appel. En supposant que M. Suresh soit déporté et détenu au Sri Lanka avant l'audition de son appel, et en supposant que son appel soit accueilli, une décision favorable à M. Suresh quant à la contestation constitutionnelle serait une fausse victoire puisqu'il est peu probable que les autorités sri-lankaises le mettraient en liberté et, partant, il ne serait pas en mesure de profiter des fruits de sa victoire, c'est-à-dire, fort probablement, le droit de demeurer au Canada jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur son cas en conformité avec la Charte. S'il devait demeurer au Canada et avoir gain de cause en appel, je présume que le ministre ne serait pas en mesure de donner suite à la mesure d'expulsion.

[...]


[...] Selon mon interprétation de la jurisprudence, la seule raison pour laquelle les cours de l'Ontario ont été disposées à connaître des poursuites concurrentes réside dans le fait que le refus d'une injonction rendrait la poursuite devant la Cour fédérale sans objet. À cet égard, je souscris aux remarques suivantes que le juge Southey a faites dans l'affaire Suresh c. R. (1999), 42 O.R. (3d) 797 (Cour divisionnaire) [à la page 799], confirmant (1998), 38 O.R. (3d) 267 (Division générale) :

[traduction] Il nous semble que, sans l'intervention du juge Lane, l'ordonnance rendue par la Cour fédérale du Canada le 16 janvier 1998 comportait le risque injustifiable de rendre pratiquement futile toute réparation qui peut être accordée dans l'instance en contrôle judiciaire encore pendante devant la Cour fédérale.

[Non souligné dans l'original.]


[43]            Le défendeur ne nie pas que si un tribunal ordonne, par la suite, une nouvelle ERAR, la décision n'effacera en rien l'expérience ou la souffrance du demandeur qui aura été persécuté ou torturé dans son pays et elle ne sera pas utile s'il a été exécuté. En fait, si la personne est persécutée, si elle est torturée ou qu'elle est soumise à un traitement inhumain dans son pays, le Canada ne pourra certainement pas lui assurer une protection efficace. Logiquement, il faudrait donc qu'un demandeur ne soit pas renvoyé dans ce pays. Le demandeur a le droit de ne pas être renvoyé dans un pays où ce risque existe à cause du principe du non-refoulement, principe qui, en fait, serait violé dans un tel cas. Une demande de protection en vertu de l'article 112 de la LIPR n'a pas pour objet principal l'obtention du statut de résident permanent ni d'un visa une fois le renvoi exécuté. Il devient très certainement plus difficile, voire impossible, pour le Canada de protéger efficacement une personne qui se trouve en dehors de ses frontières, en attendant le réexamen d'une demande de protection si la Cour a annulé une décision ERAR négative. Par conséquent, j'estime que l'argument présenté par l'avocat du demandeur est très percutant. Ce dernier soutient que toute demande de contrôle judiciaire d'une décision négative ERAR est sans objet si la personne visée a été renvoyée du Canada. En outre, si la Cour ne peut pas réellement ordonner le retour immédiat du demandeur à cause d'une erreur grave de l'agent ERAR, pour quelle raison le tribunal ordonnerait-il une nouvelle appréciation du risque comme si le demandeur se trouvait toujours au Canada alors que, dans les faits, il y a bien longtemps qu'il a été renvoyé?


[44]            Le défendeur fait valoir que le renvoi d'une personne qui a déposé une demande de protection en vertu de l'article 112 de la LIPR n'a pas pour effet de rendre inutiles toutes les réparations possibles. D'ailleurs, le défendeur prétend même que le législateur voulait qu'une ERAR soit effectuée, même après le renvoi du Canada du demandeur. Selon le défendeur, l'intention du législateur est claire puisqu'il n'a pas exigé que le sursis en cause demeure en vigueur jusqu'à la décision relative à une demande de contrôle judiciaire d'une ERAR ni prévu un sursis lors d'une ERAR subséquente. Selon le défendeur, la situation révèle que le législateur ne voulait pas que le contrôle judiciaire d'une ERAR soit inutile en cas de renvoi. Je ne suis pas convaincu du bien-fondé de cet argument. Il pourrait y avoir des situations dans lesquelles, malgré une décision ERAR négative, la mesure de renvoi n'a pas été exécutée (article 165 du RIPR). Compte tenu du changement de circonstances, et sous réserve des délais applicables, la personne qui est demeurée au Canada pourrait présenter une autre demande de protection. On comprendra qu'elle ne bénéficierait toutefois pas d'un nouveau sursis conformément au Règlement. Le RIPR ne prévoit pas un sursis chaque fois qu'une ERAR fait l'objet d'un contrôle judiciaire (articles 163, 165 et 232 du RIPR), mais cette position est conforme à l'intention du législateur selon laquelle, lorsque le risque a été évalué une première fois par un agent ERAR, la mesure de renvoi est exécutoire et devrait être appliquée dès que les circonstances le permettent (paragraphe 48(2) de la LIPR). Par conséquent, le choix du législateur ou du gouvernement de ne pas accorder un sursis dans ces circonstances est un choix délibéré pour permettre à la Cour fédérale de décider dans quels cas il faut accorder un sursis lorsqu'il y a contrôle judiciaire d'une décision ERAR.


[45]            Lorsqu'il y a une question sérieuse à trancher concernant une décision ERAR négative qui exposera le demandeur au risque d'être persécuté ou qui l'exposera personnellement à un danger de torture ou de menace à sa vie ou à un traitement ou peine cruel ou inusité, et qu'un sursis est demandé en attendant la décision relative à la demande principale de contrôle judiciaire, il s'ensuivra nécessairement un préjudice irréparable et, en règle générale, la prépondérance des inconvénients favorisera le demandeur. Donc, la Cour devrait normalement accorder le sursis dans ces circonstances mis à part la question de savoir si la demande principale de contrôle judiciaire sera sans objet si le demandeur est renvoyé. Par contre, suivant une décision ERAR négative, lorsque le juge des requêtes estime que la demande de sursis ne soulève aucune question sérieuse, il n'y a aucune raison logique de différer la mesure de renvoi en attendant la décision relative au contrôle judiciaire d'une décision ERAR qui en soi, si elle est positive, entraîne un sursis. Si le demandeur est renvoyé et la demande de contrôle judiciaire est rendue inutile puisque le sursis a été refusé pour absence de question sérieuse à trancher, habituellement, le juge rejette la demande d'autorisation (puisqu'il sera difficile, dans ces circonstances, de prétendre que la cause est plaidable). Toutefois, cette hypothèse de base ne s'est pas appliquée en l'espèce et la Cour est aujourd'hui saisie de l'affaire. Cet élément précis a pour effet, très certainement, de rendre la présente affaire exceptionnelle.

[46]            La question de savoir si le demandeur sera exposé à un risque au Sri Lanka n'a pas été résolue par les parties et elle continue de créer un contexte contradictoire, mais ce n'est pas la question principale que la Cour doit trancher en l'espèce. Au contraire, la Cour doit décider si l'agent ERAR a violé les règles d'équité procédurale ou s'il a commis une autre erreur susceptible de contrôle. Il ne s'agit pas d'un appel contre la décision ERAR. La Cour n'a pas le droit de rendre la décision qui aurait dû être prise dès le début. Elle ne peut qu'ordonner un nouvel examen. D'ailleurs, la Cour n'est pas invitée à substituer son opinion sur la question de risque à celle de l'agent ERAR. Il n'appartient pas à la Cour de décider si, compte tenu du changement de situation dans le pays, le demandeur était exposé à un risque au Sri Lanka et qu'il l'est toujours. Il s'agit d'une décision purement factuelle qui relève exclusivement de la compétence de l'agent ERAR. Même si la Cour décide, en fin de compte, que la conclusion de l'agent ERAR à cet égard était abusive, arbitraire, non fondée sur la preuve ou autrement déraisonnable, la Cour ne serait pas pour autant autorisée à réévaluer la preuve et à tirer une conclusion différente. Nous l'avons déjà dit, la Cour ne peut qu'annuler la décision et ordonner que la question soit renvoyée devant un agent ERAR différent pour nouvel examen.


[47]            Je suis disposé à reconnaître qu'il pourrait y avoir d'autres avantages, pour le demandeur, de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire de l'extérieur du Canada, mais cela ne découle pas directement de la décision de la Cour selon laquelle l'agent ERAR a commis une erreur susceptible de contrôle. Il n'est pas certain, si la décision ERAR est annulée et la question renvoyée devant un agent ERAR différent pour nouvel examen, que la demande de protection du demandeur sera accueillie. La deuxième décision ERAR pourrait être la même. Ce n'est que lorsqu'il y a une évaluation positive du risque que le demandeur peut alors demander l'autorisation de revenir au Canada et le statut de résident permanent et cela, à condition qu'il satisfasse toutefois à toutes les autres exigences prescrites par la LIPR et ses règlements d'application. Cependant, cet avantage hypothétique ne fait qu'ajouter au fardeau sur les ressources déjà insuffisantes et beaucoup sollicitées du système judiciaire en matière d'immigration. Ce ne serait pas le cas en l'espèce mais, dans d'autres instances, antérieures ou parallèles à une ERAR, la Cour aura peut-être déjà eu l'occasion d'examiner la légitimité d'une décision de la Commission de refuser la protection ou du refus du ministre d'exempter un demandeur des exigences de la LIPR lorsque le risque est également invoqué comme facteur dans une demande pour des raisons d'ordre humanitaire.


[48]            Enfin, en ordonnant à l'agent ERAR d'examiner de nouveau une demande de protection lorsque le demandeur a été renvoyé du Canada, je ne suis pas certain que, ce faisant, la Cour ne s'écarte pas de son rôle juridictionnel habituel dans notre système politique. Dans un tel cas, on pourrait dire que le nouvel examen ordonné par la Cour constitue presque la création d'une nouvelle catégorie de personne à protéger, à savoir les personnes renvoyées du Canada qui persistent à dire, de l'extérieur du Canada, qu'elles sont soumises à un risque. Je constate que l'article 95 de la LIPR établit déjà la catégorie de « personne à protéger » et qu'elle définit cette notion. À cet égard, je constate que, selon le RIPR, un étranger qui se trouve à l'extérieur du Canada a déjà le droit de demander un visa de résident permanent comme membre de la catégorie des réfugiés outre-frontières, la catégorie de personnes de pays d'accueil et la catégorie de personnes de pays source (alinéa 70(2)c) du RIPR). Dans ces circonstances, il n'est pas déraisonnable de conclure que la protection ne devrait être accordée qu'aux personnes hors frontières qui font partie de l'une ou de l'autre de ces catégories.

[49]            Toutefois, vu la situation inhabituelle et exceptionnelle en la présente espèce (puisque l'autorisation a été accordée après le refus du sursis au motif d'absence de question sérieuse à trancher); vu que les deux parties ont insisté pour que la Cour examine l'affaire sur le fond; vu que des opinions divergentes ont été exprimées sur le point de savoir si le contrôle a perdu son objet et que cela crée une incertitude dans ce domaine du droit de l'immigration, j'ai décidé d'exercer mon pouvoir discrétionnaire pour entendre l'affaire sur le fond et pour trancher la demande principale de contrôle judiciaire. Je n'en estime pas moins, toutefois, que : premièrement, les questions soulevées en l'espèce sont, pour la plupart, théoriques; deuxièmement, il n'a pas été satisfait aux trois critères de l'arrêt Borowski, précité (conséquences juridiques accessoires défavorables dans le contexte d'un cadre réellement contradictoire; préoccupations concernant l'économie des ressources judiciaires; sensibilité à l'efficacité de l'intervention judiciaire) relatifs à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour en cas de question théorique.

FOND DU LITIGE

[50]            Le demandeur prétend, pour l'essentiel, que la décision de l'agent ERAR a été prise contrairement à la loi puisque l'agent ERAR n'a pas régulièrement apprécié le risque, pour le demandeur, de tomber entre les mains des TLET et qu'il n'a pas tenu compte d'une preuve pertinente produite par le demandeur lorsqu'il a conclu que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l'État sri-lankais. Sous réserve des observations supplémentaires et des motifs invoqués dans les paragraphes suivants, j'accepte les arguments écrits du défendeur selon lesquels l'agent ERAR n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle et que le demandeur sollicite tout simplement une nouvelle appréciation de la preuve.

[51]            À mon avis, en appliquant l'approche pragmatique et fonctionnelle, lorsque la décision ERAR contestée est examinée dans sa totalité, la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnablesimpliciter (Shahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1826, au paragraphe 13 (C.F. 1re inst.) (QL); Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1274, [2003] A.C.F. no 1596 (C.F.) (QL), au paragraphe 24; Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 39, [2004] A.C.F. no 30 (C.F.) (QL), au paragraphe 7). Cela dit, lorsque l'agent ERAR tire une conclusion de fait, la Cour ne devrait pas substituer sa décision à celle de l'agent ERAR sauf si le demandeur a établi que l'agent a tiré la conclusion de fait d'une manière abusive ou arbitraire et sans égard aux éléments de preuve dont il était saisi (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée; Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39, [2003] A.C.F. no 108 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 14).


[52]            Il faut souligner que le processus ERAR n'est pas un appel contre la décision de la Commission; il s'agit plutôt d'une évaluation fondée sur des faits nouveaux ou une nouvelle preuve qui révèlent que la personne en cause est exposée au risque d'être persécutée, d'être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de peines ou traitements cruels et inusités. Bref, la demande ERAR n'a pas pour objet un nouvel examen des faits qui avaient été soumis à la Commission ou de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement, savoir contester les conclusions de la Commission. La Cour note, à cet égard, que conformément à l'alinéa 113a) de la LIPR, une « nouvelle preuve » est constituée d'éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce que le demandeur d'asile les ait présentés au moment du rejet » . En l'espèce, la décision de l'agent ERAR relativement au changement de circonstances est, pour l'essentiel, une décision fondée sur les faits (Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 35 (C.A.F.) (QL); Joseph c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 344, [2004] A.C.F. no 392 (C.F.) (QL)).

[53]               La décision de l'agent ERAR était fondée sur les motifs précis suivants décrits aux pages 3 et 4 :

[traduction]


Le Sri Lanka est une république démocratique où la minorité tamoule et la majorité cinghalaise s'affrontent violemment depuis plusieurs années. Selon le Département d'État, le gouvernement a combattu les TLET, une organisation terroriste qui souhaite la création d'un État tamoul, depuis 1983. En décembre 2001, toutefois, les deux belligérants ont annoncé un cessez-le-feu et les pourparlers de paix se poursuivent. Je reconnais que les négociations sont au point fixe depuis quelque temps, mais la preuve documentaire révèle bien que les observateurs espèrent que le conflit ethnique sera résolu par une paix durable et une solution permanente.

[...]

La preuve documentaire indique que le gouvernement sri-lankais respecte, en règle générale, les droits de la personne. [traduction] « Dans un communiqué de presse publié le 29 juin 2002, Amnistie internationale, qui venait tout juste d'effectuer une visite de deux semaines dans ce pays, a annoncé que l'accord de cessez-le-feu avait permis une importante diminution du nombre de violations des droits humains au Sri Lanka » . (Immigration and Nationalité Directorate (IND) juillet 2003, Operational Guidance Note)

[traduction] L'accord conclu le 23 février 2002 entre le gouvernement du Sri Lanka et les TLET exige que les deux parties s'abstiennent de commettre des actes d'hostilité contre la population civile, notamment la torture, l'intimidation, les enlèvements, l'extorsion et le harcèlement. Les parties conviennent également que les activités de perquisition et d'arrestation prévues par la Loi sur la prévention du terrorisme (LPT) ne devraient pas avoir lieu. Au cours de 2000, les autorités ont renoncé à poursuivre plus de 750 Tamouls détenus en vertu de cette loi qui ont été relâchés et il n'y a eu aucune nouvelle arrestation en vertu de la LPT. D'autres améliorations associées au processus de paix comprennent le retrait de la plupart des barrières, barricades et postes de contrôle à Colombo, ce qui veut dire que les résidents pouvaient circuler sans restriction; la mise en place de restrictions de voyage moins sévères entre le Nord et le Sud du pays, notamment l'ouverture de la route stratégique, la A9 et l'ouverture des bureaux politiques des TLET dans les zones sous le contrôle du gouvernement (selon les modalités de l'entente de cessez-lez-feu, les membres des TLET peuvent participer à des activités politiques dans des régions qui se trouvent en dehors de leur contrôle à condition de ne pas être armés et de ne pas porter l'uniforme militaire). Le 21 avril 2003, les TLET ont suspendu leur participation aux pourparlers de paix pour protester contre le traitement de « questions essentielles » , mais ils ont dit qu'ils n'avaient pas l'intention de violer le cessez-le-feu. Il y a eu quelques manquements à l'accord de cessez-le-feu et il a été rapporté que les TLET continuent de recruter des enfants soldats. (ibid.)

Le demandeur a quitté le Sri Lanka en 1999 après avoir été détenu tant par les TLET que par l'armée sri-lankaise. Le demandeur ne mentionne pas qu'il appuie les TLET; il a été détenu par les TLET après qu'ils eurent saisi son bateau de pêche. Les autorités sri-lankaises l'ont détenu pour l'interroger au sujet de son soutien des TLET. Il a été libéré et devait se présenter chaque semaine. Malgré ces difficultés, j'estime que la situation a beaucoup changé depuis que le demandeur a quitté le Sri Lanka. Le demandeur n'a pas produit une preuve objective suffisante et identifiable du risque actuel. La preuve documentaire ne révèle pas que les Tamouls ordinaires sont persécutés. Le demandeur ne dit pas qu'il est un activiste politique ou un dissident. Il affirme uniquement qu'il était pêcheur.


L'avocat prétend que la situation est très volatile et instable au Sri Lanka. La preuve documentaire courante toutefois n'indique pas que le cessez-le-feu soit gravement compromis ou qu'un règlement pacifique ne soit pas possible. En fait, selon le Plan d'opérations par pays du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés de 2004, [traduction] « l'ouverture des principales routes du Nord, ainsi que les restrictions moins sévères au déplacement des personnes et des biens ont créé un environnement positif et amélioré la possibilité de paix. La confiance grandissante à l'égard du processus de paix parmi la population générale du Sri Lanka s'est manifestée par le mouvement spontané et continu des PDIP et des réfugiés qui reviennent dans les régions du Nord et de l'Est du Sri Lanka. Entre janvier 2002 et juillet 2003, 312 000 personnes sont revenues » .

Je reconnais que la lutte de pouvoir politique entre le président et le premier ministre du Sri Lanka existe, mais il n'y a pas eu de violation de l'accord de cessez-le-feu entre le gouvernement et les TLET . Une entrevue effectuée par la BBC le 14 novembre 2003 cite ces paroles du sous-ministre des Affaires étrangères de Norvège : [traduction]: « le processus de paix, en soi, se porte bien. » Les Norvégiens ont joué un rôle important dans la surveillance de l'accord de cessez-le-feu. La preuve documentaire révèle que les personnes qui ont besoin d'aide, pour diverses raisons, notamment parce qu'elles sont ciblées par les TLET à des fins d'extorsion, peuvent demander l'aide des forces norvégiennes au Sri Lanka. La preuve révèle qu'il y a de l'aide de diverses sources, notamment le comité d'enquête sur les arrestations et le harcèlement indus et la mission sri-lankaise de surveillance. La mission fera enquête sur les plaintes des citoyens :

[...]


[54]            En l'espèce, la Cour conclut que la décision ERAR n'est pas susceptible de contrôle. Il n'y a ni erreur de droit ni déni d'équité procédurale. Il est clair que l'agent ERAR n'a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de manière abusive ou arbitraire et au mépris des éléments de preuve dont il était saisi. En outre, la conclusion générale tirée par l'agent ERAR est raisonnable, est appuyée par la preuve documentaire au dossier et est étayée par des motifs capables de résister à un examen assez poussé. En examinant la preuve au dossier, l'agent ERAR a évalué la situation du demandeur, celle au Sri Lanka et il a effectué l'analyse des risques relativement au renvoi du demandeur. L'agent ERAR s'est fondé sur divers documents publics pour prendre sa décision. Par exemple, il s'est fondé sur les Country Reports on Human Rights Practices- 2002, Sri Lanka, du Département d'État américain pour conclure que, depuis le cessez-le-feu, il y a eu une diminution importante des barrages routiers et des points de contrôle au pays, qu'environ 22 000 personnes déplacées sont revenues à leur lieu d'origine dans le Nord et dans l'Est et que de nombreuses enquêtes ont été effectuées sur les actes suspects perpétrés par les forces de l'ordre. En outre, l'agent ERAR s'est fondé sur les Operational Guidance Notes - Sri Lanka, Asylum and Appeals Policy Directorate, publiées par le R.-U., le 23 juillet 2003, pour conclure que les droits de la personne étaient, en règle générale, respectés tant par les autorités sri-lankaises que par les TLET. En outre, l'agent ERAR s'est fondé sur divers rapports publics, cités à la fin de sa décision, pour conclure que les personnes qui avaient besoin d'aide pour diverses raisons pouvaient faire appel aux forces norvégiennes au Sri Lanka.


[55]            Quant à l'argument du demandeur portant sur l'erreur qu'aurait commise l'agent ERAR en omettant d'apprécier le risque pour le demandeur de tomber entre les mains des TLET, j'estime qu'il n'est pas fondé. Un simple examen de la décision ERAR permet de dire que l'agent ERAR en a tenu compte. En fait, l'agent ERAR a clairement indiqué, dans le résumé des faits, qu'il avait compris que le demandeur craignait les deux adversaires, les autorités ski-lankaises et les TLET. En outre, l'agent ERAR a bien mentionné la situation générale au Sri Lanka aux pages 3 et 4 de sa décision. Ces commentaires visaient clairement tant les autorités ski-lankaises que les TLET puisqu'ils mentionnent les conséquences du conflit entre les deux. En d'autres termes, l'agent ERAR a pris sa décision après avoir analysé le conflit entre les deux factions ce qui veut nécessairement dire qu'il a évalué le risque que représentaient les deux côtés pour le demandeur. En sus, l'agent ERAR a mentionné les divers documents publics qui indiquent que tant les autorités sri-lankaises que les TLET ne s'en prennent pas à la population civile. En outre, la présente affaire se distingue de Fabian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1527, [2003] A.C.F. no 1951 (C.F.) (QL) invoqué par le demandeur. Dans Fabian, précité, la décision ERAR soulevait un problème parce qu'elle affirmait catégoriquement : [traduction] « Il n'existe aucune preuve que les TLET ont rendu un arrêt de mort contre M. Fabian » . Du point de vue du demandeur, cette conclusion était manifestement déraisonnable puisqu'elle ne tenait pas compte de la preuve produite par le demandeur concernant lesdites menaces et n'expliquait pas pourquoi l'agent avait rejeté cette preuve. Il est clair que, eu égard aux commentaires ci-dessus, ce n'est pas ce qui s'est produit en l'espèce.

[56]            En outre, je conclus que l'agent ERAR a soigneusement examiné le risque potentiel pour le demandeur. Dans sa décision, il a bien compris et mentionné chacune des allégations de risque du demandeur. Il a également analysé la situation générale du pays en tenant compte de tous les documents publics susmentionnés. Un examen de la décision établit que l'agent ERAR a tenu compte de la « preuve contraire » . Sur cette question, la Cour a décidé que, même si un décideur du processus d'immigration n'est pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve qui ont été produits, lorsqu'une preuve contredit directement ses conclusions, il faut à tout le moins qu'il mentionne cette preuve (Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 140 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 13). Lue dans son ensemble, la décision ERAR révèle que l'agent ERAR connaissait la preuve contradictoire et qu'il l'avait prise en compte; l'omission de décrire, une à une, les diverses déclarations enfouies dans la preuve documentaire susceptibles d'appuyer les arguments du demandeur n'est pas une erreur. (Thavachelvam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1604, [2004] A.C.F. no 1944 (C.F.) (QL)). En l'espèce, l'agent ERAR a examiné la preuve produite par le demandeur lorsqu'il a apprécié le risque, pour le demandeur, de tomber entre les mains des TLET et il a conclu que la preuve objective connue était insuffisante pour conclure que les TLET s'intéressaient toujours au demandeur, un Tamoul et pêcheur ordinaire, à cause d'événements qui s'étaient produits avant le cessez-le-feu. Par conséquent, je conclus que l'agent a tenu compte de l'argument du demandeur concernant sa crainte d'être torturé par les TLET.


[57]               Quant à l'allégation du demandeur relative à la protection de l'État, il est bien établi que l'agent ERAR doit peser toute la preuve par rapport à l'État d'origine des demandeurs (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Malgorzat, [1991] A.C.F. no 337 (C.A.F.) (QL)). L'agent ERAR peut, pour prendre sa décision, examiner toute la preuve concernant les moyens pris par l'État pour protéger les Sikhs. La Cour suprême du Canada a dit dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 , aux pages 724 et 725 :

[ ...] Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté.

[58]            En l'espèce, la Cour conclut que le demandeur n'a pas prouvé que l'État sri-lankais ne pouvait pas le protéger. En outre, le demandeur n'a même pas établi qu'il était un partisan des TLET. En fait, il n'a tout simplement pas démontré que les autorités sri-lankaises ou les TLET le recherchaient activement. Bien entendu, l'agent ERAR pouvait tenir compte du fait que le demandeur n'avait participé à aucune activité politique ou militante. De surcroît, selon tous les rapports récents mentionnés dans la décision ERAR, la situation au Sri Lanka est stable pour toute la population, y compris les Tamouls. Bref, l'agent ERAR a conclu que la situation avait changé au Sri Lanka depuis le départ du demandeur de ce pays et que son retour ne l'exposerait pas un risque puisqu'il n'était qu'un Tamoul ordinaire. La conclusion de l'agent ERAR est fondée sur les faits. À mon avis, la décision de l'agent ERAR est raisonnable et conforme à la jurisprudence (Ward, précité). Il n'y a donc aucune raison pour que la Cour intervienne sur cette question.


[59]            Somme toute, le demandeur n'a pas réussi à établir qu'il était une personne importante. Il n'a tout simplement pas démontré que sa situation était différente de la situation normale au Sri Lanka telle que décrite dans les documents publics relativement aux Tamouls ordinaires. Par conséquent, la Cour conclut que la décision de l'agent ERAR de rejeter les allégations du demandeur concernant le risque d'être soumis à la torture, tant par les autorités sri-lankaises que par les TLET, s'il devait retourner au Sri Lanka, était fondée sur une preuve pertinente et est raisonnable. Ainsi donc, même si la Cour appréciait différemment les éléments de preuve, elle ne pourrait intervenir puisque la décision de l'agent ERAR est fondée sur une preuve pertinente qui lui a été soumise (Linaogo c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 335, [2004] A.C.F. no 336 (C.F.) (QL)).

[60]            Le demandeur propose les questions suivantes à des fins de certification :

1)          Une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un agent ERAR est-elle sans objet lorsqu'une personne a été renvoyée du Canada?

2)          La Cour a-t-elle compétence, en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F-7 ou de sa compétence inhérente, pour ordonner au ministre de ramener une personne au Canada pour réexamen d'une ERAR?

[61]            Pour être certifiée, une question doit être de nature telle que, de l'avis du juge, elle transcende les intérêts des parties au litige, aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale et est aussi déterminante quant à l'issue de l'appel


(Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.F.) (QL)). La jurisprudence concernant les décisions sans objet et les réparations possibles lorsqu'une personne a été renvoyée du Canada est incertaine, mais je ne suis néanmoins pas disposé à certifier les questions proposées. À mon avis, les réponses ne seraient pas déterminantes en l'espèce puisque j'ai déjà conclu que l'agent ERAR n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande de protection du demandeur.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                   « Luc Martineau »               

                               Juge                               

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-1070-04

INTITULÉ :

FRANCIS SEBAMALAI FIGURADO

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                     

                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 14 DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                   LE 10 MARS 2005

COMPARUTIONS :

LEIGH SALSBERG    POUR LE DEMANDEUR

LORNE WALDMAN

MIELKA VISNIC      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & associates                                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.