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Date : 20020306

Dossier : IMM-518-01

Référence neutre: 2002 CFPI 256

OTTAWA (ONTARIO), CE 6ième JOUR DE MARS 2002

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                               Demandeur

                                                                              - et -

                                                         ANTONIO-NESLAND MUTO

                                                                                                                                                   Défendeur

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) selon laquelle le tribunal a conclu que le défendeur est un réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) en vertu du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'Immigration, L.R.C. (1985), c. I-2 (la Loi).

[2]                 Le défendeur, Antonio-Nesland Muto, est un citoyen d'Angola. Il est arrivé au Canada le 29 août 1998 pour y revendiquer le même jour le statut de réfugié.


[3]                 En 1992, le défendeur s'est joint volontairement au rangs du Frente de Libertação do Enclave de Cabinda (FLEC). Le FLEC est un mouvement armé qui lutte pour l'indépendance de l'enclave de Cabinda. En 1993, suite à l'assassinat de ses parents, le défendeur a décidé de s'engager davantage et de mettre tous ses moyens à la disposition du FLEC, notamment, ses camions.

[4]                 De 1992 jusqu'au mois de juin 1997, bien qu'installé au Zaïre, actuelle République Démocratique du Congo (RDC), le défendeur était attaché au département de transport du FLEC. Il s'occupait du transport de biens et de services et aurait transporté des armes pour l'armée et la population.

[5]                 Le commissaire Auguste Choquette a conclu que le défendeur ne tombait pas sous le coup de l'application de la clause d'exclusion définie à l'alinéa 1Fa) de la Convention au motif qu'il n'y avait aucune raison sérieuse de croire que le revendicateur avait commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité.

[6]                 La définition de « réfugié au sens de la Convention » retrouvée au paragraphe 2(1) de la Loi exclut les personnes qui tombent sous le coup des sections E et F de l'article premier de la Convention.

[7]                 Dans le présent dossier le demandeur a été exclu conformément à l'alinéa 1Fa) de la Convention. L'alinéa 1Fa) se lit comme suit:


F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes; [...]

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes; [...]


[8]                 La norme de preuve comprise dans l'expression « raisons sérieuses de penser » en est une bien inférieure à celle qui est requise dans le cadre du droit criminel ( « hors de tout doute raisonnable » ) ou du droit civil ( « selon la prépondérance des probabilités ou prépondérance de preuve » ) (Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.)).

[9]                 Comme l'indique le juge Linden dans Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), cette norme demande davantage que la suspicion ou la conjecture mais sans atteindre la norme de prépondérance de preuve. Cependant, je rappelle que compte tenu des conséquences graves pour les intéressés, les clauses d'exclusion doivent être interprétées restrictivement (Moreno, supra).

[10]            Dans R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701 à la p. 814, le juge Cory a défini la notion de crime contre l'humanité de la façon suivante:

[...] Le crime contre l'humanité se distingue de toute autre infraction criminelle prévue au Code criminel canadien du fait que les actes cruels et atroces, qui sont des éléments essentiels de l'infraction, ont été commis dans la poursuite d'une politique de discrimination ou de persécution à l'égard d'un groupe ou d'un peuple identifiable. [...]

[11]            Plus récemment dans l'affaire Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 66 à la p. 73, la Cour d'appel reprenait la définition adoptée par la Charte du Tribunal militaire international (Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe) [82 N.U.R.T. 279] à l'alinéa 6c) qui est rédigée comme suit:

Les crimes contre l'humanité: c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime. [...]

[12]            Le demandeur soutient premièrement que le commissaire Choquette a omis de se prononcer sur la question à savoir si les actes commis par le FLEC-R peuvent être assimilés à des crimes contre l'humanité.


[13]            En effet, le commissaire Choquette indique qu'il n'a aucun motif de croire que le revendicateur a commis un crime contre l'humanité sans se prononcer quant au FLEC-R. Pourtant, cette qualification est essentielle pour déterminer par la suite du degré de participation ou de complicité d'un individu aux actions commises par une organisation. Celui-ci a donc commis une erreur de droit en ne se prononçant pas sur cette question. La norme de contrôle pour les erreurs de droit étant celle de la décision correcte, l'erreur du commissaire Choquette est une erreur révisable par cette Cour. Puisqu'elle est déterminante, il n'est pas nécessaire de décider si le commissaire Choquette a erré quant à la définition et à l'application de la notion de complicité.

[14]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le dossier est retourné pour redétermination devant un panel nouvellement constitué.

                                                                      « Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE LA COUR: IMM-518-01

INTITULÉ: LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

c.

ANTONIO-NESLAND MUTO

LIEU DE L'AUDIENCE: MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE: 19 FÉVRIER 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAIS-LAMER

EN DATE DU: 06 MARS 2002

COMPARUTIONS

ME MICHEL PÉPIN POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

ME DEBRA SHAPIRO POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. MORRIS ROSENBERG POUR LA PARTIE DEMANDERESSE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

GREEN GLAZER NADLER DANINO POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE MONTRÉAL, QUÉBEC

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