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Date : 20040326

Dossier : T-266-03

Référence : 2004 CF 462

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2004

En présence de monsieur le juge James Russell

ENTRE :

                                                        KENNETH McMURRAY

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

           LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision (la décision) de la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (Section d'appel) datée du 15 janvier 2003 dans laquelle celle-ci refusait d'entendre l'appel de Kenneth McMurray (demandeur) présenté aux termes de l'article 147 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, et ses modifications (la Loi). Cet appel portait sur une décision antérieure de la Commission nationale des libérations conditionnelles datée du 13 septembre 2002 qui imposait au demandeur une condition en matière de résidence en vertu d'un pouvoir qu'elle prétendait détenir aux termes de la Loi.

CONTEXTE

[2]                Le demandeur a aujourd'hui 32 ans. C'est un délinquant à contrôler au sens des articles 753.1 et 753.2 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, et ses modifications (Code criminel) et de la partie II de la Loi. La Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) est un organisme administratif, qui a été maintenu aux termes de l'article 103 de la Loi et qui exerce les pouvoirs que lui confère cette Loi à l'égard des délinquants fédéraux. La compétence de la Commission comprend la surveillance des délinquants visés par une ordonnance de surveillance de longue durée prise aux termes du Code criminel.

[3]                La Section d'appel de la Commission est également un organisme administratif qui est composé d'un maximum de six membres à temps plein de la Commission.

[4]                Le demandeur est un délinquant sexuel fédéral primaire. Le 13 septembre 1999 ou vers cette date, il a plaidé coupable à cinq chefs d'agression sexuelle prévus à l'alinéa 271(1)a) du Code criminel et a été déclaré coupable de ces infractions par la Cour de justice de l'Ontario. Les victimes du demandeur étaient toutes des adolescents, qui avaient entre 13 et 16 ans au moment des faits.

[5]                Le 14 mars 2000, le demandeur a été condamné à une peine de quatre ans d'emprisonnement. Avec le crédit accordé pour les périodes de détention antérieures, la période d'incarcération qu'il devait effectivement purger a été ramenée à 31 mois.

[6]                Parallèlement à la peine, la Cour a également prescrit, conformément à l'article 753.2 du Code criminel et conformément à la Loi qu'à la fin de sa peine, le demandeur ferait l'objet d'une ordonnance de surveillance à long terme dans la collectivité pour une période de cinq ans.

[7]                Le juge qui a fixé la peine a formulé plusieurs recommandations concernant l'ordonnance de surveillance à long terme, qui n'étaient toutefois pas de nature contraignante et qui ne mentionnaient aucune condition relative à la résidence.

[8]                D'après la peine imposée, la date d'expiration du mandat (DEM) de la peine d'incarcération infligée au demandeur était le 13 octobre 2002 et sa date de libération d'office (DLO) était le 3 décembre 2001. À la suite d'une décision prise par la Commission le 2 novembre 2001, le demandeur s'est vu refuser la libération d'office. Le demandeur est donc demeuré en détention fédérale jusqu'à sa DEM, soit jusqu'au 13 octobre 2002.


LA DÉCISION ATTAQUÉE

[9]                Le 13 septembre 2002, le demandeur a comparu devant une section de la Commission en vue de fixer les conditions spéciales à imposer à l'égard de sa surveillance à long terme dans la collectivité. Le même jour, la Commission a décidé d'imposer un certain nombre de conditions spéciales, notamment la condition de résidence contestée, apparemment aux termes du paragraphe 134.1(2) de la Loi, à savoir :

[traduction]

RÉSIDER DANS UN LIEU PRÉCIS

LE DÉLINQUANT EST TENU DE RÉSIDER DANS UN CENTRE CORRECTIONNEL COMMUNAUTAIRE (CCC)

[10]            Au cours de l'audience du 13 septembre 2002 et par la suite, le demandeur a, par l'entremise de son avocat, indiqué que, s'il ne s'opposait pas à résider volontairement dans un centre correctionnel communautaire pendant quelque temps après sa libération, il ne reconnaissait pas le pouvoir de la Commission d'imposer la condition spéciale de résidence envisagée.

[11]            La Commission semble s'être fondée sur les éléments suivants pour imposer la condition spéciale relative à la résidence : (1) les préoccupations exprimées au sujet de la surveillance, de la structure et du soutien dont a besoin le demandeur de façon à faciliter la gestion du risque général qu'il représente pour la collectivité; (2) le souci de favoriser sa réinsertion sociale et (3) l'obligation de prendre les mesures les moins restrictives possibles permettant de gérer le risque qu'il représente.

[12]            Après l'audience du 13 septembre 2003, la Commission a informé le demandeur de la condition en matière de résidence et de son droit d'interjeter appel devant la Section d'appel au sujet de « toute condition négative concernant sa mise en liberté sous condition » .

[13]            Les publications du gouvernement du Canada indiquent que la compétence de la Section d'appel doit recevoir une interprétation large et comprend le pouvoir d'examiner les conditions imposées aux délinquants visés par une ordonnance de surveillance de longue durée.

[14]            La décision de la Commission du 13 septembre 2002 a entraîné la délivrance d'un certificat de surveillance de longue durée le 11 octobre 2001, qui faisait une nouvelle fois mention de la condition de résidence attaquée et le demandeur était invité à se rendre au Keele Community Centre à Toronto. Lorsque la Commission a transmis sa décision écrite au demandeur, elle a joint à la décision une lettre type, à titre d'introduction à la décision contenue dans la lettre.

[15]            Dans une lettre datée du 3 octobre 2002 envoyée à la Section d'appel, le demandeur faisait connaître son intention d'interjeter appel de l'imposition par la Commission d'une condition en matière de résidence. Il contestait à nouveau le pouvoir de la Commission d'imposer cette condition.


[16]            Dans une lettre datée du 15 octobre 2002, le vice-président de la Section d'appel a informé le demandeur que, conformément à l'article 99.1 de la Loi, (sous la cote « 99-1 » dans la correspondance), les conditions dont était assortie la surveillance de longue durée n'étaient pas susceptibles de révision par la Section d'appel. La Section d'appel a réitéré ce point de vue au demandeur dans plusieurs lettres.

[17]            Le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (le Règlement) prévoit l'imposition de conditions types. Le paragraphe 134.1(1) de la Loi étend l'application du paragraphe 161(1) du Règlement aux ordonnances de surveillance de longue durée.

[18]            L'article 99.1 de la Loi fait référence à d'autres articles de cette Loi et les déclare applicables aux ordonnances de surveillance de longue durée, avec les adaptations nécessaires. Les références visent divers articles, notamment les articles 140 à 145 de la Loi qui portent sur des aspects comme les modalités des audiences, la divulgation et le registre des décisions. L'article 99.1 ne mentionne pas les articles 146 et 147 de la Loi. Aucune disposition ne traite des attributions de la Section d'appel.

[19]            La condition de résidence vise à favoriser une surveillance plus étroite du demandeur et à l'obliger à rendre des comptes. Le juge qui a fixé la peine a ajouté diverses dispositions visant à éviter que le demandeur ne commette d'autres infractions sexuelles. La condition de résidence avait pour but d'assurer la protection de la société, compte tenu des infractions sexuelles qu'il avait commises, de l'âge de ses victimes et du fait qu'il n'avait pas reçu de traitement.

[20]            Le demandeur a demandé des précisions au sujet de cette position dans une lettre de réponse datée du 23 octobre 2002.

[21]            Dans une lettre datée du 14 novembre 2002, le vice-président de la Section d'appel a réitéré son point de vue selon lequel le demandeur ne pouvait interjeter appel devant la Section d'appel sur cette question. Dans une lettre de réponse datée du 5 décembre 2002, le demandeur sollicitait encore une fois des précisions au sujet de cette position, ainsi qu'une justification, et il présentait une interprétation divergente des dispositions pertinentes de la Loi.

[22]            Dans une lettre datée du 15 janvier 2003, le vice-président de la Section d'appel a réitéré sa position et énoncé ce qui suit :

[traduction] . . . la Commission nationale des libérations conditionnelles estime que les décisions visant les personnes faisant l'objet d'une surveillance aux termes d'une ordonnance de surveillance de longue durée ne sont pas susceptibles d'appel.

Les conséquences de la condition de résidence

[23]            La condition de résidence attaquée restreint grandement la liberté du demandeur dans la mesure où il est tenu de passer la nuit au Keele Correctional Centre, où elle l'oblige à respecter un couvre-feu et diverses règles strictes reliées au fait qu'il réside dans une institution communautaire.

[24]            Le demandeur serait prêt à accepter de résider volontairement dans un centre correctionnel communautaire, sur une base temporaire, en attendant de démontrer qu'il a réussi à se réintégrer et à se réinsérer dans la collectivité mais il formule les objections suivantes :

[traduction]

i) il estime que l'imposition de la condition de résidence attaquée et les restrictions qui y sont associées limitent indûment sa liberté, qu'elles sont de nature punitive et peuvent être qualifiées de forme de réincarcération modifiée même s'il a purgé intégralement sa peine jusqu'à sa DEM;

ii) compte tenu du fait qu'il a un dossier criminel concernant des infractions de nature sexuelle, il s'est senti stigmatisé, intimidé et physiquement menacé par les autres résidents du Keele Correctional Centre. Ces éléments ont aggravé son anxiété et ses troubles, ce qui a nui à sa participation à divers programmes;

iii) il estime que la suppression de la condition en matière de résidence, avec les couvre-feux et les autres restrictions qui y sont associées, lui permettraient d'éviter les facteurs de stress découlant de son association forcée avec les autres résidents, en lui permettant de quitter et de retourner à son lieu de résidence quand il le souhaite;

iv) il a subi un préjudice à cause du stress directement associé à la condition de résidence qui lui a été imposée.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Les dispositions pertinentes du Code criminel, l'application et l'évolution de la Loi

[25]            Les délinquants faisant l'objet d'une ordonnance de surveillance dans la collectivité rendue aux termes de l'article 753.1 du Code criminel doivent être surveillés conformément à la Loi une fois purgée leur peine. La surveillance de longue durée ne fait pas partie de la peine imposée au contrevenant.

[26]            Un des objectifs officiels du système correctionnel fédéral est de faciliter la réinsertion sociale des délinquants, y compris celle des personnes visées par une ordonnance de surveillance de longue durée, ainsi que leur réintégration dans la collectivité en tant que citoyen respectueux des lois. Un des principes destinés à guider le Service correctionnel du Canada dans la réalisation de ses objectifs est la présomption en faveur de la liberté. Cela veut dire que les contrevenants conservent tous les droits et privilèges des citoyens, sauf ceux qu'il est nécessaire de supprimer ou de limiter du fait de l'existence d'une ordonnance de surveillance de longue durée.

[27]            La partie II de la Loi régit précisément les personnes faisant l'objet d'une surveillance de longue durée. Aux termes de l'article 99.1, la personne qui doit être surveillée conformément à une ordonnance de surveillance de longue durée est assimilée à un délinquant aux fins de la partie II.

[28]            L'article 99.1 énonce également expressément que les articles 100 ( « objet » ), 101 ( « principes » ), 109 à 111 ( « annulation ou modification d'une ordonnance » , « recours en grâce » , « échange de renseignements » ) et 140 à 145 ( « audiences relatives à la libération conditionnelle » , « communication de l'information » au cours des audiences d'examen, « dossiers » et « révision judiciaire » ) s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux délinquants soumis à une surveillance de longue durée. L'article 99.1 ne contient aucune restriction expresse venant limiter l'application aux délinquants à contrôler des autres dispositions de la partie II.

[29]            L'alinéa 101f) de la Loi, tel que modifié pour tenir compte de la situation des délinquants faisant l'objet d'une surveillance de longue durée, exige, notamment, que la Commission respecte le principe qui accorde aux délinquants la possibilité de faire réviser les décisions de la Commission :

« ... de manière à assurer l'équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser. »

[30]            D'autres dispositions de la partie II de la Loi qui ne sont pas explicitement énumérées à l'article 99.1 sont néanmoins, de façon évidente ou implicite, applicables aux délinquants soumis à une surveillance de longue durée.

[31]            L'article 147 de la Loi prévoit le droit des délinquants, en vertu de la partie II, d'interjeter appel d'une décision de la Commission devant la Section d'appel pour les motifs qui y sont précisés. Tout comme l'article 101, l'article 146 (qui crée la Section d'appel) et l'article 147 décrivent la nature des appels en utilisant les expressions « examen du dossier » ou « examen de la décision » .

[32]            L'article 134.1 prévoit l'imposition de conditions au délinquant soumis à une surveillance de longue durée. Le paragraphe 134.1(1) autorise l'imposition de conditions précises, prévue par règlement. Le paragraphe 134.1(2) donne à la Commission le pouvoir d'établir les conditions « qu'elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant » . Aucun de ces paragraphes ne donne expressément à la Commission le pouvoir d'imposer au contrevenant une condition en matière de résidence.


[33]            Il n'y a qu'une disposition de la Loi qui accorde expressément le pouvoir d'assigner à résidence dans un lieu précis un délinquant soumis à une surveillance de longue durée. Dans le cas où le délinquant a violé une des conditions, obligatoire ou non, de sa surveillance ou est sur le point de le faire, l'alinéa 135.1(1)c) autorise un membre de la Commission ou une personne désignée à :

... ordonner l'internement de celui-ci [le délinquant] dans un établissement résidentiel communautaire ou un établissement psychiatrique, ou son incarcération si elle est jugée nécessaire, jusqu'à ce que la suspension soit annulée, que de nouvelles conditions pour la surveillance soient fixées ou que le délinquant soit accusé de l'infraction visée à l'article 753.3 du Code criminel.

[34]            L'article 134.1 de la Loi est analogue à l'article 133. L'article 133 s'applique à la mise en liberté sous condition des contrevenants qui bénéficient d'une libération conditionnelle, d'une libération d'office ou d'une sortie sans surveillance, avant l'expiration de leur peine. Les paragraphes 133(2) et (3) sont comparables aux paragraphes 134.1(1) et (2) sur le plan de la terminologie pour ce qui est de l'imposition obligatoire ou discrétionnaire de conditions à la mise en liberté ou à la surveillance.

[35]            Les articles 133 et 134.1 diffèrent sensiblement dans la mesure où l'article 133 autorise expressément, aux paragraphes (4) et (4.1), l'imposition de conditions de résidence, à titre de conditions de la libération conditionnelle ou d'une permission de sortir sans escorte ou de la libération d'office. Par comparaison, l'article 134.1 ne mentionne aucunement le pouvoir d'imposer une condition de résidence.

[36]            L'alinéa 135.1(1)c) de la Loi qui, comme nous l'avons noté ci-dessus, autorise l'internement dans « un établissement résidentiel communautaire » dans des circonstances définies avec précision, est complété par l'article 133. Le paragraphe 133(4.2) contient la seule définition de ce terme que contienne la partie II de la Loi.

[37]            Avec l'adoption du projet de loi C-45 en 1995, le législateur a modifié la Loi pour y ajouter le paragraphe 133(4.1) de façon à autoriser l'imposition d'une condition de résidence en cas de libération d'office.

[38]            Lorsque le législateur a modifié à nouveau la Loi en 1997, par le biais du projet de loi C-55, en vue de prévoir la surveillance d'une nouvelle catégorie de délinquants (les délinquants à contrôler), le demandeur soutient qu'il a manifestement omis d'insérer dans le nouvel article 134.1 une disposition donnant expressément à la Commission le pouvoir d'imposer une condition de résidence. Pourtant, le législateur a au même moment attribué un tel pouvoir exprès dans les cas limités mentionnés à l'article 135.1. Le demandeur note qu'il n'existe aucune déclaration dans les débats parlementaires enregistrés faisant état de l'intention d'attribuer un pouvoir général d'imposer une condition de résidence.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[39]            Le demandeur soulève les questions suivantes :


La Commission des libérations conditionnelles a-t-elle, en vertu de l'article 134.1 de la Loi, le pouvoir d'imposer une condition de résidence à un délinquant à contrôler?

Un délinquant à contrôler a-t-il le droit d'interjeter appel devant la Section d'appel d'une décision de la Commission des libérations conditionnelles aux termes de l'article 147 de la Loi?

La Section d'appel a-t-elle commis une erreur de droit en refusant d'entendre l'appel du demandeur?

LES ARGUMENTS

Le demandeur

La norme de contrôle

[40]            Le demandeur indique que les juridictions canadiennes ont adopté une méthode pragmatique et fonctionnelle à l'examen des décisions administratives. Pour déterminer la norme de contrôle applicable selon cette méthode, les juridictions tiennent compte des quatre (4) facteurs suivants :

i)               la présence ou l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi;


ii)             l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige;

iii)             l'objet de la loi et de la disposition particulière;

iv)             la nature de la question.

Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, aux paragraphes 23 à 38, Barrie Public Utilities c. Canadian Cable Television Assn., 2003 CSC 28, paragraphe 10

[41]            Lorsque la Cour a examiné les conclusions de fait de la Section d'appel, lorsque celle-ci exerçait sa propre compétence d'examen aux termes du paragraphe 147(4) de la Loi, la Cour a fait preuve de retenue à l'égard des décisions de la Section d'appel et a utilisé la norme de la décision « manifestement déraisonnable » pour justifier une intervention judiciaire (Costiuc c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 241 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 6, Dupuis c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 508, aux paragraphes 21 à 23).

[42]            Cependant, lorsque la Section d'appel a exercé ses pouvoirs aux termes du paragraphe 147(4) de la Loi pour examiner les décisions prises par la Commission sur des questions de droit, la Cour a jugé bon d'appliquer une norme de contrôle plus rigoureuse basée sur la notion de décision « raisonnable » . Dans ce contexte, la Cour a déclaré que la décision a pour but de vérifier la « légalité » de la décision de la Commission (Cartier c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, aux paragraphes 8 à 10).


[43]            Le demandeur soutient que, dans les circonstances de l'espèce où la Section d'appel n'a pas révisé la décision de la Commission aux termes du paragraphe 147(4) de la Loi mais a refusé d'entendre l'appel en se déclarant incompétente aux termes de l'article 99.1 et/ou de l'article 147, ou même en refusant d'entendre l'appel conformément au paragraphe 147(2), la Cour devrait appeler la norme de contrôle encore moins rigoureuse, celle du « bien-fondé » de la décision.

(I)         Absence de « clause privative »

[44]            La Loi ne contient pas de clause privative concernant la révision judiciaire des décisions prises par la Section d'appel. L'absence de clause privative n'entraîne pas nécessairement l'application d'une norme de contrôle judiciaire rigoureuse lorsque d'autres facteurs favorisent une norme moins exigeante. Par contre, la présence d'une clause privative « intégrale » indique clairement que les tribunaux doivent faire preuve de retenue à l'égard de la décision du tribunal, sauf si d'autres facteurs indiquent fortement le contraire (Pushpanathan, précité, au paragraphe 30).

(ii)        L'expertise du tribunal


[45]            La cour de révision ne doit pas se déterminer en fonction de l'expertise générale du décideur mais sur l'expertise du décideur par rapport à la sienne vis-à-vis la question particulière. Pour choisir la norme de contrôle applicable, l'analyse doit porter sur la disposition particulière invoquée et interprétée par le tribunal administratif. Le degré de retenue à adopter à l'égard des dispositions d'une même loi peut varier. La réponse apportée par le tribunal administratif aux « questions de compétence » doit être bien fondée (Pushpanathan, précité, aux paragraphes 28 et 33, Barrie Public Utilities, précité, au paragraphe 12).

[46]            L'évaluation de l'expertise relative comporte trois aspects :

i.               la cour doit qualifier l'expertise du tribunal en question;

ii.              elle doit examiner sa propre expertise par rapport à celle du tribunal;

iii.             elle doit identifier la nature de la question précise dont était saisi le tribunal administratif par rapport à cette expertise.

Pushpanathan, précité, au paragraphe 33

(iii)       L'objet de la loi et des dispositions pertinentes

[47]            L'objet de la Loi est exposé à l'article 3 qui énonce ce qui suit :


3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d'une société juste, vivant en paix et en sécurité, d'une part, en assurant l'exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d'autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.


[48]            Le Service correctionnel du Canada doit se guider sur les principes énoncés dans la Loi pour l'administrer. Ces principes comprennent notamment ce qui suit :


la protection de la société est le critère prépondérant lors de l'application du processus correctionnel;

les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possibles;

le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée.

[49]            Lorsqu'elle exerce ses attributions, la Section d'appel exerce une fonction que l'on peut qualifier de quasi judiciaire. La Section d'appel possède des pouvoirs « mixtes » : elle a le pouvoir d'entendre des « appels » et d'infirmer, annuler ou modifier les décisions; pourtant, les motifs d'appel énumérés au paragraphe 147(1) sont pour l'essentiel associés au contrôle judiciaire. La Commission a décrit de la façon suivante le rôle qui appartient à la Section d'appel :

... veiller à ce que la loi et les politiques de la Commission soient respectées, que les règles de la justice fondamentale sont appliquées et que les décisions de la Commission soient fondées sur des renseignements pertinents et fiables :

Cartier, précité, paragraphe 6

(iv)        La nature du problème

[50]            Le demandeur déclare que sa demande porte principalement sur le pouvoir qu'a la Commission d'imposer la condition de résidence contestée. La compétence de la Section d'appel de se prononcer sur l'argument du demandeur selon lequel la Commission n'a pas le pouvoir d'imposer cette condition est une question en litige subsidiaire. Ces deux questions portent sur la compétence et, d'après le demandeur, sont donc de pures questions de droit.

[51]            Le demandeur soutient que l'expertise de la Commission et de sa Section d'appel porte principalement sur l'évaluation, la constatation et l'application des faits. Lorsqu'elles résolvent des questions de fait, la Commission et la Section d'appel jouent un rôle « protecteur » , « polycentrique » qui « fait intervenir un grand nombre de considérations et d'intérêts entremêlés et interdépendants » qui peut notamment comprendre la prise en compte de la sécurité publique, de l'intérêt des victimes, de la réinsertion sociale et de l'intégration du délinquant. Pour ces questions de fait ou de politique, la norme de contrôle devrait être celle du « caractère raisonnable » et les tribunaux devraient faire preuve de retenue à l'égard des décisions de ce genre. (Pushpanathan, précité, au paragraphe 36).

[52]            Cependant, dans les questions de pur droit comme celle qui est au centre de la présente demande, le demandeur soutient que l'expertise des tribunaux judiciaires est supérieure à celle des tribunaux administratifs. Les questions d'interprétation législative, qui vont au coeur de la compétence du tribunal et de sa portée comme c'est le cas ici, sont des questions qui sont régulièrement soumises aux tribunaux judiciaires; la Commission et sa Section d'appel ne peuvent prétendre que ces questions relèvent de leur domaine d'expertise unique et spécialisée et que les tribunaux judiciaires doivent donc faire preuve d'une grande retenue à leur égard.


[53]            Le demandeur soutient que, lorsque la Section d'appel refuse à des individus comme le demandeur le droit fondamental de demander la révision des décisions de la Commission, les tribunaux doivent veiller à protéger les intérêts des demandeurs de ce genre et appliquer un critère d'intervention judiciaire moins rigoureux. La Commission risquerait, sans cela, de porter atteinte aux intérêts de personnes vulnérables, sans être appelée à rendre des comptes à ce sujet.

[54]            Si l'on applique la méthode pragmatique et fonctionnelle au contexte de la présente demande, le demandeur soutient que la Cour doit appliquer la norme de contrôle du « bien-fondé » de la décision, une norme plus rigoureuse, aux décisions de la Commission et de sa Section d'appel sur lesquelles porte la présente demande.

Les principes directeurs en matière d'interprétation législative

[55]            Le demandeur soutient que, selon l'approche moderne, le point de départ pour l'interprétation des lois au Canada est l'énoncé suivant :

Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Barrie Public Utilities, précité, au paragraphe 20, citant Driedger dans Construction of Statutes, (2e éd. 1983), à la page 87

[56]            Cette directive est confirmée par l'article 12 de la Loi d'interprétation qui énonce :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21

[57]            Selon l'approche moderne en matière d'interprétation législative, le tribunal doit interpréter une disposition législative en tenant compte de l'ensemble de son contexte. La Cour doit prendre en compte tous les éléments pertinents et admissibles susceptibles de préciser le sens de la disposition et l'intention du législateur. Il faut préciser l'objet de la disposition et l'intention du législateur en se basant sur les sources intrinsèques et extrinsèques admissibles concernant l'histoire législative de la loi et le contexte de son adoption. L'interprétation du tribunal doit respecter le texte législatif, favoriser la réalisation de l'objet législatif, refléter l'intention du législateur et déboucher sur un sens juste et raisonnable (Ontario (Minister of Transport) c. Ryder Truck Rental Canada Ltd., [2000] O.J. no 297 (C.A. Ont.), au paragraphe 11, confirmant R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, à la page 704).

[58]            Il est un principe fondamental d'interprétation législative suivant lequel, lorsqu'il s'agit de déterminer les objectifs généraux recherchés par le législateur ou le sens d'un passage particulier, il faut évidemment présumer que, dans tous les cas où il subsiste un doute, l'intention véritable du législateur est celle qui s'harmonise le mieux avec l'application de la loi, la raison, la justice et les principes juridiques (Wolfe Island (Township) c. Ontario (Ministry of the Environment), [1995] O.J. no 1537 (C.A. Ont.), à la page 9).


[59]            Il faut non seulement tenir compte de toute la loi, mais aussi, si possible, donner un sens à chaque disposition de la loi; par conséquent, s'il y a des interprétations opposées, le principe général veut qu'il faut adopter l'interprétation qui donne effet à l'ensemble de la loi ou à la disposition examinée de préférence à celle qui priverait de sens une partie de la loi. (E. A. Driedger, The Construction of Statutes, Butterworths, 1974, à la page 72 approuvé dans Gendron c. Baie James (Municipalité), [1986] 1 R.C.S. 401, au paragraphe 62)

[60]            Le demandeur affirme également que la maxime juridique expressio unius est exclusio alterius (la règle de « l'exclusion implicite » en matière d'interprétation législative) est applicable à l'interprétation de la Loi dans cette affaire qui concerne le pouvoir de la Commission d'imposer, aux termes de l'article 134.1, la condition de résidence contestée. [traduction] « Il est possible d'invoquer l'existence d'une exclusion implicite chaque fois qu'il existe des motifs de croire que, si le législateur avait voulu viser un élément particulier dans la disposition législative en question, il aurait mentionné expressément cet élément. » Dans un tel cas, l'exclusion est fondée si l'on pouvait s'attendre à une référence expresse (E. A. Driedger, Construction of Statutes, précité, aux pages 168, 173, tel qu'approuvé dans Wolfe Island c. Ontario, précité, aux pages 9 et 10).


[61]            Avant de modifier la Loi de façon à aménager la surveillance des délinquants à contrôler, le législateur avait reconnu la nécessité d'adopter une disposition législative autorisant expressément l'imposition d'une condition de résidence aux délinquants qui obtiennent leur libération d'office. Dans ce contexte, le silence du législateur, qui n'a pas adopté de disposition législative expresse lorsqu'il a promulgué les dispositions relatives à la surveillance de longue durée doit être pris en compte. Les délinquants qui obtiennent leur libération d'office sont toujours en train de purger leur peine et donc susceptibles d'être réincarcérés. Les délinquants visés par une ordonnance de surveillance de longue durée qui ont purgé leur peine ont droit à une plus grande liberté que les contrevenants dont la peine n'a pas été entièrement purgée.

Les aspects constitutionnels

[62]            L'article 7 de la Charte énonce ce qui suit :


7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.


[63]            Le paragraphe 24(1) de la Charte énonce ce qui suit :


24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

24. (1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.



[64]            Le demandeur indique que le droit « à la liberté » reconnu à l'article 7 de la Charte ne fait pas référence à un droit absolu. La liberté que possède chaque individu de faire ce qu'il souhaite est assujettie, dans une société organisée, à de nombreuses contraintes imposées dans l'intérêt commun. L'État a le droit de restreindre de diverses façons le comportement des particuliers et ces restrictions ne sont pas toutes contraires à la Charte. Par contre, la liberté ne veut pas dire uniquement la liberté physique. Dans une société libre et démocratique, l'individu doit disposer d'une marge d'autonomie qui lui permette de vivre sa vie et de prendre des décisions d'importance fondamentale pour sa personne. Le droit à la liberté comprend également les notions fondamentales de dignité humaine, d'autonomie individuelle, de vie privée et de liberté de choix pour les décisions d'importance fondamentale pour l'individu ((B. R.) c. Children's Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, au paragraphe 80, Godbout c. Longueuil (City), [1997] 3 R.C.S. 844, au paragraphe 65).

[65]            L'autonomie protégée par le droit à la liberté garantie par l'article 7 ne comprend que les sujets qui peuvent à juste titre être qualifiés de fondamentalement ou d'essentiellement personnels et qui impliquent, par leur nature même, des choix fondamentaux participant de l'essence même de ce que signifie la jouissance de la dignité et de l'indépendance individuelles. Le choix d'un lieu pour établir sa demeure est, de la même façon, une décision essentiellement privée qui tient de la nature même de l'autonomie personnelle. Le choix du lieu où l'on veut vivre dépend, pour chacun, de sa situation sociale et économique particulière mais, encore plus, de ses aspirations, de ses préoccupations, de ses valeurs et de ses priorités. Par conséquent, le demandeur soutient que le choix du lieu où une personne veut vivre fait partie de cette catégorie de décisions limitées qui méritent la protection constitutionnelle accordée par l'article 7 (Godbout, précité, aux paragraphes 66 à 68)

[66]            L'appelant soutient que son droit de choisir son lieu de résidence fait partie de « la catégorie limitée des décisions méritant une protection constitutionnelle » au sens de l'article 7 de la Charte.


[67]            Les atteintes au droit à la liberté par l'État ne contreviennent à la Charte canadienne que s'il y a manquement aux « principes de justice fondamentale » . Les tribunaux ont déclaré que cette expression comprenait un élément matériel en plus d'éléments procéduraux. Ces atteintes ne peuvent résister à un examen fondé sur la Charte que si elles sont « fondamentalement justes » non seulement sur le plan procédural mais également par rapport aux préceptes fondamentaux de notre système judiciaire (Godbout, précité, au paragraphe 74).

[68]            Le demandeur fait remarquer qu'il faut toujours examiner le sens de l'expression « justice fondamentale » dans un contexte particulier. Ce sens dépend de la nature du droit reconnu par l'article 7 de la Charte qui est invoqué et de la nature de la violation alléguée. Cet examen exige la pondération des droits constitutionnels individuels et des intérêts opposés de l'État à l'origine de la violation. Cette opération de pondération est tout à fait raisonnable et conforme à la fois aux buts et à la portée de l'article 7, étant donné que l'idée que les droits individuels peuvent, dans certains cas, être subordonnés à des intérêts collectifs importants et déterminants est un principe fondamental de notre système juridique et se trouve au coeur de nos convictions juridiques les plus profondément enracinées (Godbout, précité, aux paragraphes 75 et 76).


[69]            Le demandeur affirme que pour décider si la Commission et sa Section d'appel ont porté atteinte au droit à la liberté reconnu au demandeur par l'article 7 de la Charte, il convient de procéder à une analyse des principes qui sous-tendent la Loi et la pratique législative. Le système correctionnel fédéral vise à contribuer au maintien d'une société juste, vivant en paix et en sécurité en prenant, notamment, des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines et en aidant à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois. Pour guider le système dans la réalisation de cet objet, la protection de la société doit jouer un rôle prépondérant mais les délinquants doivent continuer à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, dans la mesure où cela est raisonnablement possible.

[70]            Le demandeur soutient que la décision qu'a prise la Commission de lui imposer une condition de résidence et celle de la Section d'appel qui a refusé d'entendre l'appel du demandeur constituent une atteinte injustifiable au droit à la liberté du demandeur et violent par conséquent l'article 7 de la Charte. Un des principes et préceptes fondamentaux de notre société oblige les tribunaux administratifs à ne pas outrepasser leurs pouvoirs. Ces principes comprennent l'obligation d'agir de façon équitable. Ils comprennent également l'obligation de rendre compte. Comme cela a été indiqué plus haut, le législateur a précisé que la condition de résidence ne pouvait être imposée que dans des circonstances étroitement circonscrites; ces circonstances ne sont pas conformes aux circonstances de la présente affaire. Aux termes de l'article 147 de la Loi, le législateur a accordé en outre aux délinquants un large droit d'appel leur permettant de contester les motifs sur lesquels la Commission fonde ses décisions. Le législateur a ainsi réaffirmé qu'il est dans l'intérêt de la société que les décisions des organismes administratifs soient susceptibles d'être contestées. Le refus général de reconnaître un droit d'appel rendrait le demandeur, et les autres personnes se trouvant dans une situation comparable, vulnérables parce qu'ils ne pourraient aux termes de la Loi faire vérifier que la Commission a suivi sa propre procédure, par exemple, ou qu'elle a effectivement agi de façon équitable. Le fait de soustraire la Commission aux mécanismes de la Loi imposant à cet organisme des obligations en matière de contrôle et de responsabilité constitue une violation inacceptable de nos principes législatifs et juridiques fondamentaux.


[71]            Le demandeur affirme que la Cour a le pouvoir, aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte, d'accorder une réparation appropriée fondée sur la violation alléguée.

Le défendeur

Le pouvoir de la Commission d'imposer des conditions en matière de résidence aux délinquants à contrôler

[72]            Le paragraphe 134.1(2) de la Loi énonce ce qui suit :

La Commission peut imposer au délinquant les conditions de surveillance qu'elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant.

[73]            Le défendeur fait remarquer que cette disposition ne mentionne pas expressément les conditions relatives à la résidence et ne précise pas non plus qu'il n'est pas possible d'imposer des conditions de résidence.

[74]            Le paragraphe 133(4) de la Loi énonce ce qui suit au sujet des libérés conditionnels :

Si elle estime que les circonstances le justifient, l'autorité compétente peut ordonner que le délinquant, à titre de condition de sa libération conditionnelle ou d'une permission de sortir sans escorte, demeure dans un établissement résidentiel communautaire.


[75]            Le défendeur note que le demandeur se fonde sur le principe d'interprétation législative de l'exclusion implicite (expressio unius est exclusio alterius) pour affirmer que le pouvoir d'imposer des conditions en matière de résidence n'ayant pas été expressément attribué par l'article 134.1 de la Loi, il n'a pas été attribué du tout.

[76]            Cette question a toutefois été examinée par la Cour supérieure de justice de l'Ontario dans l'affaire R. c. V. M., [2003] O.J. no 436.

[77]            Dans V.M., précité, la Couronne soutenait comme le demandeur ici qu'il n'était pas possible d'imposer des conditions en matière de résidence parce que celles-ci n'étaient pas expressément prévues par la disposition législative pertinente. La juge Wilson a écarté cet argument et conforte ainsi la thèse du défendeur :

[traduction]

[Une telle interprétation]

... va directement à l'encontre de l'objet des ordonnances de surveillance de longue durée qui visent à protéger la population. Il serait peu logique que la CNLC ait le pouvoir d'imposer des conditions en matière de résidence aux délinquants ordinaires faisant l'objet d'une libération conditionnelle et qu'elle n'ait pas le pouvoir de rendre des ordonnances comparables à l'égard des délinquants qui représentent un grave danger et qui ont des besoins importants.

Ibid, au paragraphe 143

[78]            Dans cette affaire, le tribunal a examiné le critère de la surveillance de longue durée énoncé dans le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, et ses modifications, à l'article 753.1, qui fait référence à « une possibilité réelle que ce risque puisse être maîtrisé au sein de la collectivité » . L'article 99.1 de la Loi énonce expressément ce qui suit :


La personne soumise à une ordonnance de surveillance de longue durée est assimilée à un délinquant pour l'application de la présente partie; les articles 100, 101, 109 à 111 et 140 à 145 s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, à cette personne et à la surveillance de celle-ci.

[79]            L'article 100 de la Loi est également pertinent et énonce ce qui suit :

La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d'une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

[80]            Il est donc évident, soutient le défendeur, que la loi énonce expressément que le principal objectif est le maintien d'une société juste, paisible et sûre. C'est donc en fonction de ce principe directeur qu'il convient d'interpréter le paragraphe 134.1(2).

[81]            Dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, la Cour suprême du Canada a énoncé le principe directeur suivant qu'il convient d'utiliser en matière d'interprétation législative, citant Driedger, précité, au paragraphe 21 :

Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[82]            La Loi d'interprétation se lit ainsi :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

[83]            Le défendeur soutient que l'imposition d'une condition de résidence à un délinquant à contrôler est conforme aux termes de l'article 134.1. Cette condition respecte le principe de la protection de la société.

[84]            Selon les termes clairs de cet article, la Commission a le pouvoir d'imposer toute condition qu'elle juge raisonnable et nécessaire pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant. Le défendeur soutient que l'imposition de conditions de résidence est non seulement conforme aux principes d'interprétation législative applicables et à l'objet général de la Loi mais qu'elle bénéficie également au demandeur.

[85]            Dans V.M., précité, la juge Wilson a analysé trois autres règles générales d'interprétation législative pour en arriver à la conclusion que la Commission avait effectivement le pouvoir d'imposer des conditions de résidence.

[86]            Au paragraphe 157 de sa décision, elle déclare ce qui suit :

[traduction] Tout d'abord, lorsqu'une disposition d'une loi pénale est susceptible de deux interprétations, il convient de l'interpréter de la manière la plus favorable à l'accusé. Si la CNLC n'avait pas le pouvoir d'imposer des conditions de résidence dans une ordonnance de surveillance de longue durée, le risque que posent de nombreux délinquants ne pourrait alors être maîtrisé au sein de la collectivité. Selon toute probabilité, ces délinquants seraient ainsi déclarés être des délinquants dangereux.


[87]            La juge Wilson poursuit en disant que les tribunaux doivent interpréter les textes législatifs en évitant les résultats absurdes. Elle soutient qu'il serait absurde [traduction] « d'interpréter une disposition législative qui vise principalement à protéger le public contre les délinquants représentant un risque grave comme si elle n'accordait pas le pouvoir d'imposer une condition de résidence alors que ce pouvoir existe à l'égard des individus bénéficiant d'une libération conditionnelle et qui représentent un faible risque » . (V.M., précité, au paragraphe 158)

[88]            Enfin, la juge Wilson déclare dans V.M., précité, que lorsqu'une disposition peut donner lieu à plusieurs interprétations, le tribunal doit retenir celle qui est conforme à la Charte (paragraphe 959, voir également R. c. Wust (2000), 143 C.C.C. (3d) 129 (C.S.C.) paragraphe 34).

[89]            La juge Wilson déclare que les dispositions relatives aux délinquants à contrôler a pour but de réserver aux seuls défendeurs dont les troubles pathologiques résistent à tout traitement la possibilité d'être déclaré « délinquants dangereux » et de faire l'objet d'une peine obligatoire de durée indéterminée.

[90]            Le juge Ryan de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a décrit l'objectif recherché par la qualification de délinquant dangereux dans l'arrêt récent R. c. Johnson, [2001] B.C.J. no 2021, au paragraphe 98 :

[traduction] ... les nouvelles dispositions qui autorisent un tribunal à déclarer qu'un contrevenant est un contrevenant dangereux ont pour but de faire en sorte que les contrevenants qui sont véritablement dangereux et dont il est peu probable que le comportement puisse être modifié ou contrôlé seront condamnés à une peine de durée indéterminée de façon à ce qu'ils fassent l'objet d'une surveillance très étroite de la part de l'État. Le délinquant dont le comportement ou la conduite n'est pas pathologiquement rebelle à tout traitement, dans le sens que le délinquant pourra au moins en arriver à une étape où, même s'il n'est pas amendable, il pourra être contrôlé de façon sécuritaire dans la collectivité et qui aurait probablement été déclaré être un délinquant dangereux aux termes des anciennes dispositions, peut maintenant faire l'objet d'une déclaration de délinquant à contrôler plutôt que de délinquant dangereux. Ce délinquant aura au moins la possibilité d'être un jour libéré de tout contrôle de la part de l'État lorsqu'il ne représentera plus de danger pour la collectivité.


[91]            L'imposition de conditions relatives à la résidence aux délinquants à contrôler relie les notions de protection du public et de réduction du recours à l'incarcération.

[92]            Le défendeur soutient qu'une condition de résidence peut être imposée dans le cadre d'une ordonnance de surveillance de longue durée.

L'absence d'accès à la Section d'appel pour les délinquants à contrôler

[93]            Le défendeur utilise les notions d'interprétation législative décrites ci-dessus et se base sur le sens des termes clairs de la loi pour soutenir que l'article 99.1 de la Loi fait clairement référence aux dispositions qui s'appliquent aux délinquants à contrôler :

La personne soumise à une ordonnance de surveillance de longue durée est assimilée à un délinquant pour l'application de la présente partie; les articles 100, 101, 109 à 111 et 140 à 145 s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, à cette personne et à la surveillance de celle-ci.

[94]            Les articles 146 et 147 traitent de l'accès des délinquants à la Section d'appel. Le paragraphe 99.1 indique clairement que ces deux articles ne s'appliquent pas aux délinquants à contrôler.


[95]            Le défendeur affirme qu'il est évident que la Section d'appel n'a pas le pouvoir d'entendre une demande d'examen visant les conditions imposées dans le cadre d'une ordonnance de surveillance de longue durée. Les dispositions de la loi contiennent une liste explicite des articles qui s'appliquent aux délinquants à contrôler. Il n'est pas possible de donner deux interprétations à l'article 99.1, et il n'y a aucune ambiguïté au sujet des paragraphes qui s'appliquent aux délinquants à contrôler.

[96]            Cela ne veut pas dire qu'un délinquant soumis à une surveillance de longue durée ne dispose d'aucun recours pour contester une décision de la Commission. Ce n'est toutefois pas devant la Section d'appel créée par les articles 146 et 147 de la Loi que ce recours peut être exercé.

[97]            Le défendeur cite l'alinéa 18(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale qui énonce :

Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.

[98]            Le paragraphe 18(3) de la Loi sur la Cour fédérale intéresse également la présente affaire :

Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d'une demande de contrôle judiciaire.

[99]            Le défendeur affirme que le demandeur a le droit de présenter à la Cour une demande de contrôle judiciaire visant la décision du tribunal qui l'a déclaré être un délinquant à contrôler.


L'imposition de la condition de résidence était un moyen raisonnable d'assurer la protection de la société

1) La norme de contrôle applicable est celle de la retenue judiciaire

[100]        Au paragraphe 50 de son mémoire des faits et du droit, le demandeur soutient que l'expertise de la Commission porte principalement sur l'évaluation, la constatation et l'application des faits. Il soutient que la Commission joue un rôle « protecteur » et « polycentrique » qui comprend notamment des considérations basées sur la sécurité du public, l'intérêt des victimes, la réinsertion sociale et la réintégration du délinquant. Le demandeur affirme que sur ces « questions de fait ou de politique, la norme de contrôle appropriée est celle du caractère "raisonnable" de la décision et les tribunaux doivent faire preuve de retenue à l'égard de ces décisions » .

[101]        Le défendeur soutient que la Commission utilise son expertise pour évaluer, constater et appliquer les faits. La Cour a souvent appliqué la norme du caractère manifestement déraisonnable de la décision à son examen des conclusions de fait de la Section d'appel (Costiuc c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 241 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 6, Cartier c. Canada (Procureur général), [2002] CAF 384, aux paragraphes 8 à 10, Migneault c. Canada (Procureur général), [2003] A.C.F. 372 (C.F. 1re inst.)).


[102]        Le défendeur soutient que la Cour doit appliquer la même norme de contrôle, à savoir le caractère manifestement déraisonnable de la décision, aux conditions de résidence imposées par la Commission. La Commission agit manifestement dans son domaine d'expertise lorsqu'elle évalue, constate et applique les faits relatifs aux conditions dont doit être assortie la surveillance du demandeur pour en arriver à rendre sa décision.

2) Les motifs à l'origine de la condition de résidence étaient raisonnables et justifiés

[103]        Le demandeur a été déclaré coupable de cinq chefs d'agression sexuelle sur des garçons mineurs. La Cour a déclaré que le demandeur était un délinquant à contrôler et qu'il devait être surveillé pendant cinq ans et invité la Commission à prendre les mesures suivantes :

... inclure dans l'ordonnance de surveillance de longue durée de Kenneth McMurray une condition interdisant à l'accusé de se trouver dans un parc public ou dans un lieu de baignade publique où se trouvent des personnes de moins de 14 ans ou dans lesquels il est raisonnable de s'attendre à ce que de telles personnes soient présentes, ou dans une garderie, une cour d'école, un parc pour enfants ou un centre communautaire. J'invite également la Commission à lui interdire de demander, obtenir ou conserver un emploi, rémunéré ou non, ou de travailler comme bénévole dans un poste qui lui donnerait une position de confiance ou d'autorité à l'égard de personnes de moins de 16 ans. J'invite la Commission à lui ordonner de suivre un traitement psychologique, après counselling et évaluation, pour sa déviation sexuelle.

[104]        C'est ce qui a amené la Commission à envisager la nécessité d'imposer une condition de résidence lorsqu'elle a examiné les conditions dont devait être assortie la surveillance de longue durée du demandeur.

[105]        La Commission avait déjà ordonné que le demandeur soit détenu jusqu'à sa date d'expiration du mandat parce qu'elle craignait qu'il commette une nouvelle infraction sexuelle sur la personne d'un enfant avant l'expiration de sa peine, s'il était libéré.

[106]        À la date d'expiration de son mandat, le demandeur était encore un délinquant sexuel qui n'avait pas reçu de traitement. Le demandeur n'a participé à aucun programme répondant à ses besoins correctionnels.

[107]        Une évaluation phallométrique a montré que le demandeur réagissait par une excitation déviante à des stimulus montrant des adolescents.

[108]        Il ressort également de son évaluation que le demandeur est encore dans un cycle affectif qui risque de l'amener à récidiver.

[109]        L'évaluation a également indiqué qu'il existait une forte probabilité que le demandeur récidive.

[110]        La condition de résidence a été imposée pour les raisons et dans les buts suivants :

[traduction] En résidant dans un CCC, le délinquant bénéficierait non seulement d'une structure et d'un soutien supplémentaire mais également de contacts plus fréquents avec ses surveillants. Le délinquant serait tenu de revenir au centre tous les soirs en respectant un couvre-feu, ce qui limiterait d'autant le temps passé dans la collectivité. Le fait de résider dans le CCC Keele lui permettrait d'être facilement en contact avec le département de psychologie, si cela s'avérait nécessaire. Le département des programmes se trouve également dans le même édifice et il n'aurait pas à se déplacer pour répondre à ses besoins en matière de programme.

Le risque que représente le délinquant serait susceptible d'être contrôlé au sein de la collectivité sans imposer de condition de résidence si celui-ci prenait les mesures nécessaires pour travailler sur ses problèmes et s'il s'engageait à modifier son style de vie. En attendant ces démarches, l'auteur estime qu'une condition de résidence est la mesure la moins contraignante permettant de gérer ce cas.

Affidavit d'Evenson, pièce « B » , dossier de demande du demandeur, onglet 2, page 38.


[111]        Cette évaluation ne comprenait aucune opinion dissidente. La Commission s'est basée sur cette évaluation pour décider que la dernière condition dont serait assortie l'ordonnance de surveillance de longue durée du demandeur serait une condition de résidence pour une période de 90 jours.

[112]        La Commission n'a pas omis de fournir des motifs pour cette ordonnance et le processus décisionnel suivi n'est entaché d'aucune erreur manifeste. Le défendeur soutient que, compte tenu du casier judiciaire du demandeur, du fait qu'il n'avait subi aucun traitement à l'époque et qu'il était toujours attiré sexuellement par les enfants, il était loisible à la Commission d'imposer une condition de résidence susceptible d'être révisée après 90 jours, de façon à permettre au demandeur de réintégrer la société sans récidiver.

Les aspects constitutionnels

[113]        Pour ce qui est de l'article 7 de la Charte, le défendeur fait remarquer que la Cour suprême du Canada a recensé trois types de liberté dans le contexte du droit correctionnel. Le juge Lamer (tel était alors son titre) a formulé ces intérêts de la façon suivante dans Dumas c. Centre de détention Leclerc, [1986] 2 R.C.S. 459, à la page 464 :

i)               la privation initiale de liberté;

ii)              une modification importante des conditions d'incarcération qui équivaut à une nouvelle privation de liberté;


iii)             la continuation de la privation de liberté.

[114]        Le demandeur a assimilé son droit à la liberté à celui de choisir son lieu de résidence. Il soutient que ce droit a été violé par la condition de résidence.

[115]        Le demandeur demeure soumis à une ordonnance de surveillance de longue durée qui entrave sa liberté sans exiger son incarcération.

[116]        Le défendeur soutient que le demandeur n'a pas démontré quel était l'aspect qui entravait son droit à la liberté, compte tenu des restrictions contenues dans une ordonnance de surveillance de longue durée.

[117]        Le défendeur soutient que, dans le cas où la Cour jugerait que l'affaire met en jeu un aspect du droit à la liberté protégé par la Charte, la restriction dont ce droit est l'objet est conforme aux règles de la justice fondamentale.

[118]        Le défendeur soutient également qu'une ordonnance de surveillance de longue durée n'est pas une forme de mise en liberté sous condition comparable à la libération conditionnelle. Les ordonnances de surveillance de longue durée prennent effet après la date d'expiration du mandat d'incarcération d'un délinquant lorsque ce dernier représente encore un danger pour la collectivité.

[119]        Par contre, l'ordonnance de surveillance de longue durée est comparable à une situation de délinquant dangereux mais elle a une portée moindre et n'exige pas l'imposition d'une sentence de durée indéterminée visant à permettre à l'État d'exercer sur le délinquant un contrôle extrêmement étroit.

[120]        Le défendeur soutient que la juge Wilson a, dans V.M., précité, estimé que les restrictions imposées en matière de résidence étaient conformes à la Charte parce qu'elles avaient pour but de protéger le public et d'éviter le recours à l'incarcération dont peuvent faire l'objet les délinquants qualifiés de délinquants dangereux parce qu'il n'est pas possible de leur imposer une structure, un traitement et des mesures de contrôle.

[121]        Le défendeur soutient également que la justice fondamentale exige que soient conciliés de façon équitable le droit à la liberté de l'individu et la protection de la société (Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143).

[122]        Le défendeur affirme que la condition de résidence est directement reliée à l'objet que constitue la protection de la société. Il est manifeste que le demandeur est un délinquant sexuel qui n'a pas reçu de traitement. Il faut donc circonscrire le danger qu'il représente pour le public.


[123]        Le défendeur affirme également que la condition de résidence concilie de façon appropriée le droit à la liberté du demandeur avec la protection de la population. Le demandeur est uniquement obligé de respecter le couvre-feu le soir, ce qui lui laisse la liberté d'interagir avec les membres de la collectivité pendant la journée, tout en respectant les autres conditions dont est assortie sa surveillance de longue durée et qui ne font pas l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[124]        De plus, la condition de résidence n'a été imposée que pour des périodes de 90 jours. Il est toujours possible de réviser la condition pendant ces périodes dans le but de mesurer les progrès réalisés par le demandeur et de décider si le maintien de la condition est justifié. La condition de résidence n'est pas de durée indéterminée mais dépend uniquement de la capacité du demandeur de suivre des programmes appropriés et de démontrer sa capacité à réintégrer la société.

[125]        Le défendeur soutient que la condition de résidence ne contrevient pas à l'article 7 de la Charte.

La Commission des libérations conditionnelles et la Section d'appel n'ont pas omis de respecter leur propre procédure

[126]        Le demandeur soutient que la Commission et la Section d'appel ont omis de respecter leur propre procédure et que cela est contraire à la Charte.


[127]        Le défendeur a déjà présenté les arguments qu'il invoque pour établir que la Commission a le droit d'inclure des conditions relatives à la résidence dans une ordonnance de surveillance de longue durée. Le défendeur a déjà également affirmé que la Section d'appel n'avait pas le pouvoir de réviser la décision prise par la Commission à l'égard d'une ordonnance de surveillance de longue durée. Le défendeur estime que ces deux organismes ont respecté leurs obligations.

[128]        Le défendeur soutient néanmoins que, si le tribunal juge que la Commission ou la Section d'appel ont commis une erreur dans leur décision, la réparation appropriée serait de renvoyer l'affaire devant la Commission ou la Section d'appel, avec des directives.

[129]        L'arrêt V.M., précité, semble envisager la situation exacte que l'on retrouve dans la présente demande de contrôle judiciaire, même si, dans cette affaire, c'était la défense qui avait demandé la condition de résidence et non pas la Couronne.

[130]        Cette situation n'a pas été examinée par la Cour fédérale mais la décision V.M., précitée, n'a pas fait l'objet d'un appel en Ontario. Le défendeur invite la Cour à appliquer le même raisonnement aux faits de l'espèce et à arriver à un résultat similaire de façon à harmoniser la jurisprudence.

[131]        Le défendeur demande que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

ANALYSE


[132]        Le demandeur a présenté dans sa demande des arguments de fond concernant le pouvoir de la Commission de lui imposer une condition de résidence conformément à la Loi mais la présente demande, telle que formulée, porte sur le contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel confirmée par une lettre datée du 15 janvier 2002 dans laquelle celle-ci refusait d'entendre l'appel interjeté par le requérant aux termes de l'article 147 de la Loi.

[133]        Cela étant, la Cour estime que la seule question soulevée par le demandeur susceptible d'être examinée par la Cour est la validité de la décision qu'a prise la Section d'appel de refuser d'entendre l'appel du demandeur.

[134]        Le demandeur a soulevé la question du pouvoir de la Commission d'imposer une condition de résidence mais cet aspect ne fait pas partie de la décision qu'a prise la Section d'appel de ne pas entendre l'appel du demandeur et la Cour estime que le demandeur ne peut contester indirectement la décision de la Commission en présentant une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section d'appel. Le pouvoir de la Commission d'imposer une condition de résidence au demandeur n'a pas de lien avec l'examen du pouvoir de la Section d'appel d'entendre l'appel du demandeur.


[135]        Au cours de l'audience du 24 février 2004, le demandeur a sollicité l'autorisation de proroger le délai accordé pour présenter une demande de contrôle judiciaire contre la décision de la Commission ou pour apporter une modification à la présente demande de façon à permettre au demandeur de contester la décision de la Commission. La Cour a refusé de donner suite à cette demande pour le motif qu'il n'y avait aucune preuve ou argument susceptible de justifier une prorogation du délai ou la modification de la présente demande. Par conséquent, la Cour a demandé aux avocats de limiter leurs arguments à la décision de la Section d'appel et à la question de savoir si la Section d'appel avait le droit de refuser d'entendre l'appel du demandeur interjeté conformément à l'article 147 de la Loi.

[136]        Les deux parties ont reconnu que l'application de la méthode pragmatique et fonctionnelle à la décision de la Section d'appel indiquait qu'il y avait lieu d'appliquer comme norme de contrôle celle de la décision bien fondée. Je reconnais que cette question soulève une question de droit qui touche la compétence de la Section d'appel et que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision fondée.

[137]        En résumé, le demandeur soutient sur ce point que la Section d'appel a commis une erreur lorsqu'elle a refusé d'entendre son appel, étant donné que l'article 147 de la Loi accorde un large droit d'appel aux personnes qui se trouvent dans la situation du demandeur, que ce droit n'est pas supprimé par une disposition précise de la Loi et qu'il était clairement dans l'intention du législateur d'accorder aux délinquants à contrôler les droits d'appel prévus à l'article 147. Le défendeur soutient que le législateur n'avait manifestement pas cette intention et que les délinquants à contrôler n'ont pas un droit d'appel aux termes de l'article 147 de la Loi mais qu'ils ont plutôt le droit de présenter directement à la Cour une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Commission. La Cour est donc invitée à interpréter l'article 147 de la Loi.

[138]        Les articles 146 et 147 de la Loi traitent de la création de la Section d'appel et du droit d'un « délinquant » d'interjeter appel devant la Section d'appel d'une décision de la Commission. « Délinquant » est défini de la façon suivante dans la partie II de la Loi :


« délinquant »

a) Individu condamné - autre qu'un adolescent au sens de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents -, avant ou après l'entrée en vigueur du présent article, à une peine d'emprisonnement :

"offender" means

(a) a person, other than a young person within the meaning of the Youth Criminal Justice Act, who is under a sentence imposed before or after the coming into force of this section

(i) soit en application d'une loi fédérale ou d'une loi provinciale dans la mesure applicable aux termes de la présente partie,

(ii) soit à titre de sanction d'un outrage au tribunal en matière civile ou pénale lorsque le délinquant n'est pas requis par une condition de sa sentence de retourner devant ce tribunal;

(i) pursuant to an Act of Parliament or, to the extent that this Part applies, pursuant to a provincial Act, or

(ii) on conviction for criminal or civil contempt of court if the sentence does not include a requirement that the offender return to that court, or

b) adolescent, au sens de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui a fait l'objet d'une ordonnance, d'une détention ou d'un ordre visés aux articles 76, 89, 92 ou 93 de cette loi.

La présente définition ne vise toutefois pas la personne qui, en application de l'article 732 du Code criminel, purge une peine de façon discontinue.

(b) a young person within the meaning of the Youth Criminal Justice Act with respect to whom an order, committal or direction under section 76, 89, 92 or 93 of that Act has been made, but does not include a person whose only sentence is a sentence being served intermittently pursuant to section 732 of the Criminal Code;


[139]        Les délinquants à contrôler qui se trouvent dans la situation du demandeur ne sont pas visés par cette définition. Il faut donc examiner l'article 99.1 pour savoir comment les dispositions de la partie II de la Loi s'appliquent aux délinquants à contrôler :


99.1 La personne soumise à une ordonnance de surveillance de longue durée est assimilée à un délinquant pour l'application de la présente partie; les articles 100, 101, 109 à 111 et 140 à 145 s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, à cette personne et à la surveillance de celle-ci.

99.1 A person who is required to be supervised by a long-term supervision order is deemed to be an offender for the purposes of this Part, and sections 100, 101, 109 to 111 and 140 to 145 apply, with such modifications as the circumstances require, to the person and to the long-term supervision of that person.


[140]        Étant donné que les dispositions en matière d'appel des articles 146 et 147 ne sont pas expressément mentionnées dans l'article 99.1, la question litigieuse est de savoir si le législateur avait l'intention d'accorder aux délinquants à contrôler un accès au mécanisme d'appel.

[141]        Les parties s'entendent sur les règles d'interprétation législative applicables mais pas sur le résultat de leur application aux faits de la présente affaire. Les deux parties ont cité le principe bien connu que l'on trouve dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Rizzo & Rizzo Shoes Limited (Re), précité, au paragraphe 21 :

Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

[142]        Le demandeur soutient que son interprétation de l'article 99.1 et de l'article 147 de la Loi est conforme à l'objet général de la loi, tel qu'il apparaît dans des dispositions comme les articles 3 et 101, ainsi qu'à l'intention du législateur lorsqu'il a modifié la Loi pour régir la catégorie de personnes appelées les délinquants à contrôler.


[143]        Le demandeur affirme que l'article 99.1 ne fait pas expressément référence aux articles 146 et 147 parce que cela n'est pas nécessaire. Prise globalement, la partie II de la Loi indique clairement que le droit d'appel devant la Section d'appel prévu à l'article 147 est accordé à la fois aux délinquants ordinaires et aux délinquants à contrôler. L'article 99.1 mentionne un certain nombre d'articles dans le seul but de préciser certaines choses. Il existe des dispositions de la partie II qui ne sont pas expressément mentionnées dans l'article 99.1 et qui sont pourtant clairement applicables aux délinquants à contrôler, de sorte que le fait que l'article 147 ne soit pas cité dans l'article 99.1 ne veut pas dire que le législateur n'avait pas l'intention d'accorder aux délinquants à contrôler un accès au processus d'appel prévu à la partie II.

[144]        Le demandeur a également attiré l'attention de la Cour sur la façon dont des termes clés qui se retrouvent dans les principes directeurs énumérés à l'article 107 se retrouvent dans les articles 146 et 147, ce qui semble indiquer que l'ensemble de la partie II, y compris les articles 146 et 147, sont applicables aux délinquants à contrôler. Le demandeur insiste également particulièrement sur le fait que la Loi ne contient aucune des dispositions qui excluent expressément les délinquants à contrôler du bénéfice des articles 146 et 147 et que, si le législateur avait voulu refuser un droit et un avantage à une catégorie particulière de personnes, il aurait dû le faire de façon claire et non équivoque.

[145]        Le demandeur soutient en outre qu'en raison de son expertise, la Section d'appel est l'instance appropriée pour entendre les appels de la Commission et que les délinquants à contrôler ne devraient pas se voir retirer l'avantage de cette expertise et être obligée de s'adresser directement à la Cour fédérale par le biais d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard des décisions de la Commission. L'alinéa 147(2)a) indique clairement qu'en cas de multiplication des appels, il serait toujours possible d'en réduire le nombre lorsque ces appels sont mal fondés et vexatoires.


[146]        Le défendeur affirme que, lorsque le législateur a modifié la Loi en 1997 pour régir les délinquants à contrôler, il n'a pas jugé utile de faire référence à toutes les dispositions de la partie II parce qu'il était évident que certaines dispositions (les articles 134.1 et 135.1 par exemple) leur étaient directement applicables. Cependant, d'autres dispositions de la partie II utilisent uniquement le terme « délinquant » , de sorte qu'il était nécessaire de préciser si ces dispositions s'appliquaient aux délinquants à contrôler.

[147]        C'est là le but de l'article 99.1. Les articles mentionnés dans l'article 99.1 sont des dispositions qui traitent soit de principes directeurs soit des droits des délinquants, de sorte que, s'ils n'étaient pas mentionnés expressément, il serait difficile de savoir s'ils s'appliquent aux délinquants à contrôler.

[148]        Selon le défendeur, la raison d'être de l'article 99.1 est de rendre applicable aux délinquants à contrôler par le biais de cet article les dispositions de la partie II qui touchent les délinquants ordinaires.


[149]        Le défendeur fait également remarquer que, si l'interprétation de l'article 99.1 que propose le demandeur était retenue, il existe de nombreuses dispositions de la partie II de la Loi qui causeraient de graves difficultés à la Commission et au Service correctionnel du Canada, en général. La plus grande partie de la partie II traite des délinquants ordinaires et le législateur n'a pu avoir l'intention d'offrir aux délinquants à contrôler toutes les options offertes aux personnes faisant partie de cette catégorie. C'est la raison pour laquelle, affirme le défendeur, le législateur a utilisé l'article 99.1 pour indiquer clairement quelles étaient les dispositions qui leur étaient applicables. Il n'est pas inéquitable de soustraire les délinquants à contrôler de l'application des articles 146 et 147 puisqu'ils peuvent s'adresser directement à la Cour fédérale en présentant une demande de contrôle judiciaire s'ils souhaitent contester une décision de la Commission.

[150]        Après avoir examiné les arguments soulevés par les avocats sur ce point, ainsi que l'économie générale et l'objet de la Loi (compte tenu particulièrement de la partie II et des nouvelles dispositions visant les délinquants à contrôler), la Cour estime que le contexte, l'économie générale, l'objet et le sens ordinaire des mots indiquent que l'article 99.1 fait référence à des dispositions particulières dans le but de préciser, lorsque cela n'est pas évident, que ces dispositions s'appliquent aux délinquants à contrôler « avec les adaptations nécessaires » . D'autres dispositions qui ne sont pas mentionnées dans l'article 99.1 s'appliquent également aux délinquants à contrôler mais la raison en est que ces dispositions indiquent clairement que c'est le cas. Si le législateur avait eu l'intention de rendre les articles 146 et 147 applicables aux délinquants à contrôler, il l'aurait dit expressément dans l'article 99.1.


[151]        J'estime que l'argument suivant est encore plus déterminant : les dispositions relatives au processus de révision qui se trouvent à la partie II commencent à l'article 140 et se poursuivent jusqu'à l'article 147. Le processus d'appel fait partie du mécanisme normal de révision mais l'article 99.1 énonce que les articles 140 à 145 s'appliquent aux délinquants à contrôler. Il serait illogique, d'après moi, dans le contexte de ce mécanisme de révision, de ne pas insérer les articles 146 et 147 dans l'article 99.1, si le législateur avait eu l'intention de donner aux délinquants à contrôler le droit d'interjeter appel devant la Section d'appel. C'est pourquoi j'en arrive à la conclusion que tel n'est pas le cas.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Le défendeur a droit aux dépens de la requête.

                                                                                 _ James Russell _              

                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-266-03

INTITULÉ :                                           KENNETH MCMURRAY c.

LA COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 24 FÉVRIER 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT :                LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                          LE 26 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Eric J. Bundgard                                                                        pour le demandeur

Sadian Campbell pour Derek Edwards                                      pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eric J. Bundgard                                                                        pour le demandeur

EVENSON BUNDGARD FLYNN

1650, rue Yonge

Bureau 203

Toronto (Ontario)

M4T 2A2

Derek Edwards/Sadian Campbell                                              pour la défenderesse

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

130, rue King ouest

Bureau 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

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