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     T-2457-96

Ottawa (Ontario), le 7 mai 1997

En présence de M. le juge Muldoon

Entre :

     THE FRIENDS OF THE WEST COUNTRY ASSOCIATION,

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DES PÊCHES ET OCÉANS,

     intimé.

     ORDONNANCE

         SUR PRÉSENTATION d'une requête par l'intimé en vue de supprimer de l'intitulé de la cause toute référence au procureur général du Canada;

         SUR PRÉSENTATION d'une requête en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant à l'intimé de remettre à la requérante et à la Cour des copies certifiées de toutes les pièces demandées par la requérante aux termes de la règle 1612, et de le faire sans délai aux termes de la règle 1613;

         AYANT CONCLU que les objections de l'intimé n'ont pas trait à la question de savoir si les pièces demandées sont en possession de l'intimé ou si elles sont pertinentes;


         AYANT CONSTATÉ, pour les fins de la présente requête, que la rédaction des lettres d'avis par ou au nom du ministre des Pêches et Océans constitue une décision d'un office fédéral obligeant les personnes visées à agir aux termes de ces avis concernant l'application de la Loi sur les pêches et la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale;

         AYANT CONCLU que les pièces dont la requérante demande la copie certifiée sont rattachées aux motifs 4, 5 et 6 de l'avis de requête introductif d'instance;

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.          Le procureur général du Canada est rayé de la liste des intimés et l'intitulé de la cause est modifié comme il est indiqué à la première page des présentes ;

2.          L'intimé, le ministre des Pêches et Océans, doit remettre sur-le-champ (selon le libellé de la règle 1613) à la requérante et au greffe de la présente Cour à Edmonton ou ailleurs sur l'ordre de la requérante, une copie certifiée de toutes les pièces demandées, c'est-à-dire :

#1.          Tous les documents concernant la construction ou le projet de construction par Sunpine Forest Products Ltd. d'une route principale et des ponts auxiliaires, notamment les ponts sur les rivières Prairie (Prairie Creek) et Ram (Ram River) (la proposition de Sunpine), et tous les documents concernant les effets potentiels ou réels de la proposition de Sunpine sur l'habitat du poisson ou sur l'environnement, notamment : a) tous les plans, propositions, rapports, études, correspondance, observations ou autres pièces reçus de Sunpine, des fonctionnaires ou de toute autre personne; b) tous les fac-similés, lettres, notes de service, communications électroniques et autre correspondance des fonctionnaires du ministère des Pêches et Océans; c) toutes les notes ou notes de service concernant tous les entretiens, réunions ou inspections; et d) toutes les photographies, bandes-vidéos ou autres pièces; et

#2.          Toutes les lettres d'avis, autorisations, ordonnances ou autre correspondance que le ministère des Pêches et Océans a adressées à Sunpine concernant la proposition de cette dernière.

                         F.C. Muldoon

                                     Juge

Traduction certifiée conforme         
                                 François Blais, LL.L.

     T-2457-96

Entre :

     THE FRIENDS OF THE WEST COUNTRY ASSOCIATION,

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DES PÊCHES ET OCÉANS et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Muldoon

         La requérante dépose la présente requête aux termes de la règle 1612 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C. 1978, ch. 663 (la ou les règles), pour obliger l'intimé à lui communiquer certains documents qui sont en sa possession. La présente requête a été entendue en même temps que le dossier T-1893-96, Friends of West Country Association c. Le Ministre des Pêches et Océans, le directeur, Programmes maritimes, Garde côtière canadienne et le procureur général du Canada. Le nom du procureur général sera rayé de l'intitulé de la cause (voir p. 96 de la transcription) étant donné qu'il n'est pas une partie dont les intérêts sont opposés à la demande comme l'exige la règle 1602(3) et qu'il n'a pas été désigné à bon droit comme intimé, comme il est indiqué dans les motifs rendus en même temps dans le dossier T-1893-96.

         Les faits qui sous-tendent la présente requête sont semblables à ceux exposés dans le dossier T-1893-96. Sunpine Forest Products Ltd (Sunpine), une société forestière, a proposé de construire une route pour avoir accès à certains régions forestières sur le versant est des montagnes Rocheuses situées à l'est de la ville de Rocky Mountain House, en Alberta. La requérante a informé le ministre des Pêches et Océans (le ministre) des intentions de Sunpine le 7 juin 1995 (affidavit du Dr Martha Kostuch, paragraphe 3). Le ministre a répondu à la requérante, en indiquant que le ministère des Pêches et Océans (MPO) avait demandé des renseignements à Sunpine et procédait à leur examen.

         La route proposée traversera un certain nombre de cours d'eau. Dans certains de ces cours d'eau, il y a du poisson, et deux sont considérés comme des voies navigables au sens de l'article 2 de la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22 (LPEN). La proposition soulève des questions au sujet de l'application des dispositions de plusieurs lois qui, quoique d'une façon disparate, opèrent de façon à assurer que le projet est examiné et approuvé, si tant est qu'il peut l'être, en fonction de ses effets sur l'environnement.

         Sunpine a demandé l'approbation du ministre aux termes du paragraphe 5(1) de la LPEN afin de construire deux ponts enjambant les rivières Ram (Ram River) et Prairie (Prairie Creek), nécessaires à l'utilisation de la route, en décembre 1995. Le paragraphe 5(1) de la LPEN est rédigé dans les termes suivants :

         5.(1) Il est interdit de construire ou de placer un ouvrage dans des eaux navigables ou sur, sous, au-dessus ou à travers de telles eaux à moins que :                 
         a) préalablement au début des travaux, l'ouvrage ainsi que son emplacement et ses plans n'aient été approuvés par le ministre selon les modalités qu'il juge à propos;                 
         b) la construction de l'ouvrage ne soit commencée dans les six mois et terminée dans les trois ans qui suivent l'approbation visée à l'alinéa a) ou dans le délai supplémentaire que peut fixer le ministre;                 
         c) la construction, l'emplacement ou l'entretien de l'ouvrage ne soit conforme aux plans, aux règlements ou aux modalités que renferme l'approbation visée à l'alinéa a).                 

La demande fondée sur le paragraphe 5(1) de la LPEN a entraîné une évaluation, fondée sur l'alinéa 5(1)d) de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.R.C. (1985), ch. C-37 (LCEE), de la proposition de Sunpine au sujet des ponts des rivières Ram et Prairie. L'alinéa 5(1)d) est rédigé dans les termes suivants :

         5(1) L'évaluation environnementale d'un projet est effectuée avant l'exercice d'une des attributions suivantes :                 
         [...]                 
         d) une autorité fédérale, aux termes d'une disposition prévue par règlement pris en vertu de l'alinéa 59f), délivre un permis ou une licence, donne toute autorisation ou prend toute mesure en vue de permettre la mise en oeuvre du projet en tout ou en partie.                 

         Le processus d'évaluation déclenché par la demande de Sunpine fondée sur la LPEN fait l'objet de la requête qui accompagne celle-ci sous le numéro de dossier T-1893-96. Les dispositions essentielles à la présente requête se trouvent dans la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, qui assujettit la proposition de Sunpine à un autre régime législatif, semblable à celui prévu par la LPEN dans la mesure où il peut éventuellement entraîner la tenue obligatoire d'une évaluation aux termes de l'alinéa 5(1)d) de la LCEE. Les dispositions pertinentes de la Loi sur les pêches sont les articles 35 et 37, qui sont rédigés dans les termes suivants :

         35.(1) Il est interdit d'exploiter des ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson.                 
         (2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux personnes qui détériorent, détruisent ou perturbent l'habitat du poisson avec des moyens ou dans des circonstances autorisés par le ministre ou conformes aux règlements pris par le gouverneur en conseil en application de la présente loi.                 
         37.(1) Les personnes qui exploitent ou se proposent d'exploiter des ouvrages ou entreprises de nature à entraîner soit l'immersion de substances nocives dans des eaux où vivent des poissons ou leur rejet en quelque autre lieu si le risque existe que la substance nocive en cause, ou toute autre substance nocive provenant de son rejet, pénètre dans ces eaux, soit la détérioration, la perturbation ou la destruction de l'habitat du poisson, doivent, à la demande du ministre - ou de leur propre initiative, dans les cas et de la manière prévus par les règlements d'application pris aux termes de l'alinéa (3)a) -, lui fournir les documents - plans, devis, études, pièces, annexes, programmes, analyses, échantillons - et autres renseignements pertinents, concernant l'ouvrage ou l'entreprise ainsi que les eaux, lieux ou habitats du poisson menacés, qui lui permettront de déterminer, selon le cas :                 
                 a) si l'ouvrage ou l'entreprise est de nature à faire détériorer, perturber ou détruire l'habitat du poisson en contravention avec le paragraphe 35(1) et quelles sont les mesures éventuelles à prendre pour prévenir ou limiter les dommages;                 
                 b) si l'ouvrage ou l'entreprise est ou non susceptible d'entraîner l'immersion ou le rejet d'une substance en contravention avec l'article 36 et quelles sont les mesures éventuelles à prendre pour prévenir ou limiter les dommages.                 
         (2) Si, après examen des documents et des renseignements reçus et après avoir accordé aux personnes qui les lui ont fournis la possibilité de lui présenter leurs observations, il est d'avis qu'il y a infraction ou risque d'infraction au paragraphe 35(1) ou à l'article 36, le ministre ou son délégué peut, par arrêté et sous réserve des règlements d'application de l'alinéa (3)b) ou, à défaut, avec l'approbation du gouverneur en conseil :                 
                 a) soit exiger que soient apportées les modifications et adjonctions aux ouvrages ou entreprises, ou aux documents s'y rapportant, qu'il estime nécessaires dans les circonstances;                 
                 b) soit restreindre l'exploitation de l'ouvrage ou de l'entreprise.                 
         Il peut en outre, avec l'approbation du gouverneur en conseil dans tous les cas, ordonner la fermeture de l'ouvrage ou de l'entreprise pour la période qu'il juge nécessaire en l'occurrence.                 

         Le Parlement a inclus les paragraphes 35(2) et 37(2) de la Loi sur les pêches dans le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, DORS/94-636, aux articles 6e) et f), parmi les dispositions entraînant la tenue d'une évaluation environnementale aux termes de l'alinéa 5(1)d) de la loi sur l'environnement. Par conséquent, lorsqu'une partie demande au ministre une autorisation aux termes des paragraphes 35(2) ou 37(2) de la Loi sur les pêches, le ministre est tenu, aux termes de l'alinéa 5(1)d) de la LCEE, d'effectuer une évaluation avant d'accorder l'autorisation demandée.

         Une politique interne a été élaborée par le MPO, apparemment pour essayer d'uniformiser le processus d'identification des propositions qui entraîneront une violation du paragraphe 35(1) de la Loi sur les pêches. Avant d'entamer le processus d'autorisation exigé par les paragraphes 35(2) et 37(2) de la Loi sur les pêches, le MPO effectue une enquête pour déterminer s'il y aura détérioration ou destruction de l'habitat du poisson. Si le résultat de l'enquête indique qu'il n'y aura pas d'effets nuisibles, le MPO peut, selon sa propre politique, d'origine non législative, délivrer une "lettre d'avis", également d'origine non législative, qui informe la partie intéressée que ni le paragraphe 35(2) ni le paragraphe 37(2) de la Loi sur les pêches ne s'applique.

         Lorsque le résultat de l'enquête révèle que, même en adoptant des mesures d'atténuation, il y aura détérioration ou perturbation de l'habitat du poisson, le MPO informe le promoteur du projet qu'il doit demander une autorisation fondée sur le paragraphe 35(2). Ce n'est qu'une fois cette autorisation demandée que l'évaluation prévue par la loi sur l'environnement doit être effectuée. Celle-ci doit être entreprise avant que puisse être accordée toute autorisation aux termes du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches.

         Pour ce qui a trait à la proposition de Sunpine, la Division de la gestion de l'habitat du MPO a effectué une "enquête" conforme à sa politique. Cette enquête a révélé qu'il n'y aurait pas de détérioration ou de perturbation de l'habitat du poisson. Par conséquent, le MPO a émis deux lettres d'avis, d'origine non législative, à Sunpine le 17 septembre 1996, dans lesquelles il indiquait que, moyennant certaines mesures d'atténuation, la proposition ne contreviendrait pas au paragraphe 35(1) de la Loi sur les pêches (affidavit de Martha Kostuch, pièce 29).

         La requérante a demandé la communication des pièces examinées par la Division de la gestion de l'habitat, MPO dans le cadre de son enquête, y compris la proposition de Sunpine, et des copies certifiées des lettres d'avis que le MPO a envoyées à Sunpine, en fondant sa demande sur la règle 1612 des Règles de la Cour fédérale. La règle 1612 est rédigée dans les termes suivants :

         Règle 1612.(1) La partie qui désire se servir de pièces qui ne sont pas en sa possession mais qui sont en possession de l'office fédéral dépose une demande écrite au greffe et la signifie à l'office fédéral, enjoignant à ce dernier de fournir une copie certifiée de ces pièces.                 
         (2) La demande de la partie requérante peut être incorporée à l'avis de requête.                 
         (3) Une copie de la demande est signifiée aux autres parties.                 
         (4) La demande indique de façon précise les pièces en possession de l'office fédéral ; ces pièces doivent être pertinentes à la demande de contrôle judiciaire.                 

     [les italiques ne figurent pas dans l'original]

         L'intimé a refusé les demandes de la requérante aux termes de la règle 1613 dans une lettre adressée au greffier le 16 décembre 1996. La lettre a été transmise à la requérante. (La lettre fait en réalité référence à l'instance correspondant au dossier T-1893-96, mais le 8 janvier 1997, l'intimé a précisé que la lettre concernait la présente instance devant la Cour). Le seul paragraphe de cette lettre est rédigé dans les termes suivants :

         [TRADUCTION]                 
         En rapport avec les lettres d'avis qui font l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire, il n'y a pas d'office fédéral et il n'y a pas de décision. Par conséquent, il n'y a pas de documents à faire certifier et à communiquer aux termes de la règle 1612 des Règles de la Cour fédérale.                 

         La façon utilisée par l'intimé pour rejeter la demande de la requérante soulève la question de savoir si les lettres d'avis envoyées par le MPO à Sunpine sont des décisions d'un office fédéral au sens de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

         C'est une question difficile à examiner dans son intégralité par la Cour dans le cadre de la présente requête, étant donné que celle-ci traite d'une demande fondée sur la règle 1612. Il semble que l'intimé soulève une exception à la communication en vertu de la règle 1613 afin de forcer le règlement d'une question qui fait l'objet d'un différend entre les parties à l'instance intentée par voie d'avis de requête.

         Dans cette instance, la requérante demande une déclaration attestant que les lettres d'avis constituent des autorisations aux termes des paragraphes 35(2) et 37(2) de la Loi sur les pêches ou, subsidiairement, une déclaration attestant que les lettres sont ultra vires de la compétence du ministre. La demande portant que les lettres constituent des autorisations aurait pour effet d'obliger le ministre, en vertu de l'alinéa 5(1)d) de la LCEE, à effectuer une évaluation environnementale avant d'accorder les autorisations. La requérante fait donc valoir qu'au bout du compte le ministre est tenu d'effectuer une évaluation plus approfondie que celle qui a été effectuée au sujet de la partie de la proposition de Sunpine ayant trait aux ponts enjambant les rivières Ram et Prairie aux termes du paragraphe 5(2) de la LPEN.

         Le ministre intimé ou ses délégués ont tenté de diverses façons d'établir une distinction rationnelle entre leur politique de délivrer des lettres d'avis et la demande de la requérante fondée sur la règle 1612. Selon l'avocat de l'intimé, à la page 111 de la transcription :

         [TRADUCTION]                 
         La Loi ne prévoit pas expressément cette politique ni les lettres d'avis, mais elle ne les interdit pas non plus. Et à notre avis, il s'agit d'une enquête purement administrative que le ministère, dans l'exercice quotidien de son pouvoir, est en mesure d'effectuer pour faciliter l'accomplissement de son travail. Et lorsque le processus qui doit être suivi aux termes de la politique du ministère ne respecte pas le critère concernant l'exercice réel ou présumé d'une compétence ou d'un pouvoir conféré par une loi fédérale, ou par une ordonnance rendue en vertu d'une prérogative de la Couronne, alors l'entité qui effectue cette enquête n'est pas un office fédéral.                 

         Apparemment, l'intimé fait valoir que la politique que le MPO a adoptée à l'interne sans aucun fondement législatif explicite libère d'une certaine façon le ministre de ses obligations légales ou y apporte des restrictions au regard des paragraphes 35(2) et 37(2) de la Loi sur les pêches et, partant, au regard de l'alinéa 5(1)d) de la LCEE. Il semble également que cette méthode informelle de s'acquitter du mandat et des obligations légales qui sont imposés au MPO par la Loi sur les pêches et la LCEE présente un autre "avantage", en ce sens que le MPO ne serait pas tenu de communiquer des pièces dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire ayant trait aux lettres d'avis puisque, conformément à cette politique, les lettres d'avis (bien qu'elles informent effectivement une partie du fait qu'elle est assujettie ou non au paragraphe 5(1) de la Loi sur les pêches ) ne constituent pas une décision visée au sens de la règle 1612. Il s'agit manifestement d'une tentative bureaucratique de se soustraire à des obligations légales impératives. Ce n'est ni très intelligent ni très malin, et la Cour n'est pas tombée dans le piège. En adoptant une "politique" qui n'est pas visée par les lois, les fonctionnaires du MPO ne peuvent tout simplement pas soustraire le ministre et le ministère au contrôle judiciaire ni contourner les lois environnementales auxquelles ils refusent de se conformer.

     S'il le juge à propos, l'intimé voudra peut-être reprendre ces arguments au cours de l'audience principale concernant le contrôle judiciaire quant au fondement et aux effets juridiques de ses politiques internes. Il est manifeste que l'un des effets juridiques que la politique interne du MPO ne peut avoir est de lier la présente Cour dans une demande fondée sur la règle 1612, de sorte que la Cour se trouve dans l'obligation de refuser à la requérante la communication des documents qu'elle demande parce que la question qu'elle souhaite défendre à l'audience principale aurait déjà été réglée conformément à la politique du MPO.

         La Cour est d'avis que la politique du MPO concernant les lettres d'avis, et les effets juridiques présumés de cette politique, c'est-à-dire que les lettres ne sont pas des décisions prises par un office fédéral, n'ont aucune répercussion sur la question visée à la règle 1612, savoir si l'intimé doit communiquer à la requérante les pièces pertinentes à l'action principale. Toutefois, il semble que ce soit là la seule raison pour laquelle l'intimé a fait valoir qu'il n'avait pas à communiquer ces documents.

         Par conséquent, l'intimé n'a aucune raison valable de s'opposer à la demande de la requérante fondée sur la règle 1612. Il existe un courant de pensée jurisprudentiel bien établi concernant cette règle. La règle 1612 autorise la partie requérante à demander qu'un tribunal fournisse une copie certifiée des pièces qui sont en sa possession, mais non en possession de la partie requérante. La requérante doit indiquer de façon précise les pièces qu'elle demande et celles-ci doivent être pertinentes. Les critères visés à cet article sont ceux de la possession et de la pertinence. La règle 1613(2) autorise l'office fédéral à qui une demande fondée sur la règle 1612 est présentée à s'opposer à cette demande. Il doit cependant répondre par écrit. Les objections soulevées en l'espèce par l'intimé ne porte ni sur la pertinence ni sur la possession. La règle 1613(4) autorise le juge à ordonner la remise d'une copie certifiée de la totalité ou d'une partie des pièces demandées à la partie qui en a fait la demande. Il ne s'agit pas d'une "recherche à l'aveuglette" (Pfizer Can. Inc. c. Nu-Pharm Inc. (1993), 72 F.T.R. 103, p. 109).

         La pertinence de chaque document doit être évaluée par la Cour au regard de la règle 1613(4). Le critère de la "pertinence" visé à la règle 1612 a déjà fait l'objet d'un examen judiciaire. Dans l'arrêt Terminaux portuaires du Québec c. Conseil canadien des relations du travail , (1993), 164 N.R. 60, le juge Décary conclut dans les termes suivants :

         Le fait que la partie adverse ne se voit pas reconnaître le droit de recevoir une copie de la pièce en question, même aux fins de préparer une objection à son obtention, permet aussi de supposer qu'il s'agit d'une pièce dont elle connaît l'existence et la nature, qu'elle sait être en la possession du tribunal et qu'elle-même a peut-être en sa possession.                 
         [...]                 
         Bref, les règles 1612 et 1613 ne permettent pas à une partie de demander au tribunal de préparer de nouveaux documents ou d'effectuer des recherches à partir de documents existants, pas plus qu'elles ne permettent à une partie d'obtenir du tribunal des documents existants qui n'ont aucune relation avec la décision attaquée. (p.67)                 

Selon le juge Décary, le tribunal est simplement tenu de remettre les pièces pertinentes qui sont en sa possession.

         Dans l'arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (autorisation de pourvoi rejetée par la Cour suprême du Canada, dossier nE 24809, le 5 décembre 1995), la portée de l'élément pertinence a été examinée. Le juge Pratte indique ceci à la page 460 :

         Un document intéresse une demande de contrôle judiciaire s'il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande. Comme la décision de la Cour ne portera que sur les motifs de contrôle invoqués par l'intimé, la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l'avis de requête introductif d'instance et l'affidavit produits par l'intimé.                 

Il s'agit d'une norme de pertinence objective qui s'applique que le ministre ait ou non initialement examiné ou consulté les documents en sa possession ou en possession du MPO. La requérante ne demande pas la totalité des archives du MPO. En plaidoirie, l'avocat de la requérante a indiqué que les documents demandés étaient les [TRADUCTION] "documents mêmes que Sunpine a remis au MPO à cette fin et qui ont été évalués par le fonctionnaire pour en venir à la décision de délivrer la lettre d'avis" (transcription p. 127). Cet argument est conforme à la demande de la requérante fondée sur la règle 1612 qui indique ceci :

         [TRADUCTION]                 
         1. Tous les documents concernant la construction ou le projet de construction par Sunpine Forest Products Ltd. d'une route principale et des ponts auxiliaires, notamment les ponts des rivières Prairie et Ram (la proposition de Sunpine), et tous les documents concernant les effets potentiels ou réels de la proposition de Sunpine sur l'habitat du poisson ou sur l'environnement, notamment : a) tous les plans, propositions, rapports, études, correspondance, observations ou autres pièces reçus de Sunpine, des fonctionnaires ou de toute autre personne; b) tous les fac-similés, lettres, notes de service, communications électroniques et autre correspondance des fonctionnaires du ministère des Pêches et Océans; c) toutes les notes ou notes de service concernant tous les entretiens, réunions ou inspections; et d) toutes les photographies, bandes-vidéos ou autres pièces.                 

Les documents que la requérante demande sont rattachés aux motifs 4, 5 et 6 de l'avis de requête introductif d'instance. Ces motifs sont rédigés dans les termes suivants :

         [TRADUCTION]                 
         4. Les "lettres d'avis" délivrées par le ministre ou son délégué concernant la proposition de Sunpine constituent, en droit, des "autorisations" aux termes du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches ou des "arrêtés" aux termes du paragraphe 37(2) de la Loi sur les pêches et, avant de donner de telles autorisations ou de rendre de tels arrêtés, le ministre était tenu de respecter la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. En n'agissant pas ainsi, le ministre a commis une erreur de droit et a outrepassé sa compétence.                 
         5. Subsidiairement, le ministre ou son délégué ont commis une erreur de droit et ont outrepassé leur compétence en délivrant les "lettres d'avis" concernant la proposition de Sunpine. Le législateur a expressément prescrit, aux articles 34 et 37 de la Loi sur les pêches , les mécanismes à utiliser pour autoriser et réglementer les activités susceptibles de perturber l'habitat du poisson. Le ministre ou son délégué ont commis une erreur de droit et outrepassé leur compétence en décidant qu'ils pouvaient remplacer une "autorisation" prévue au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches par une "lettre d'avis" et éviter ainsi d'avoir à effectuer une évaluation environnementale exigée par la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale .                 
         6. Le ministre ou son délégué ont commis une erreur de droit et outrepassé leur compétence en décidant que l'article 35 de la Loi sur les pêches ne s'appliquait pas à la proposition de Sunpine et, partant, en ne se conformant pas aux exigences de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.                 

         Le MPO doit produire toutes les pièces pertinentes énumérées dans la demande, à moins de réclamer un privilège de non-communication qui semble nettement difficile à obtenir et qui, en fait, n'a pas été demandé. La deuxième demande est rédigée dans les termes suivants :

         [TRADUCTION]                 
         2. Toutes les lettres d'avis, autorisations, ordonnances ou autre correspondance que le ministère des Pêches et Océans a adressés à Sunpine concernant la proposition de cette dernière.                 

         Toutes ces demandes sont manifestement pertinentes à tous les motifs énoncés dans l'avis de requête introductif d'instance et les pièces doivent être communiquées. La Cour reconnaît qu'il serait impossible pour la requérante d'énumérer chaque document individuel dans la demande, étant donné que le processus suivi par le ministère a eu pour résultat que personne, encore moins la requérante, n'a vu ces documents, à l'exception de Sunpine et des fonctionnaires du MPO.

         Il est malheureux d'avoir à imposer une telle charge de travail au ministre et au MPO, mais il s'agit là de la volonté du législateur et la Cour doit y donner effet.

         En outre, la Cour ordonne que la politique ou les directives de politique utilisées par le ministère soient communiquées. L'avocat de l'intimé y a consenti (transcription, p. 122).


         Par conséquent, la requête de la requérante est accueillie.

                         F.C. Muldoon

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

le 7 mai 1997

Traduction certifiée conforme         
                                 François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              T-2457-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      THE FRIENDS OF THE WEST COUNTRY ASSOCIATION -et- LE MINISTRE DES PÊCHES ET OCÉANS
LIEU DE L'AUDIENCE :          VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 6 FÉVRIER 1997

MOTIFS DU JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE MULDOON

DATE :                  LE 7 MAI 1997

ONT COMPARU :

GREGORY J. McDADE, c.r.

M. BARBER                              POUR LA REQUÉRANTE

PATRICK HODGKINSON

URSULA TAUSCHER                      POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

SIERRA LEGAL DEFENCE FUND

VANCOUVER (C.-B.)                      POUR LA REQUÉRANTE

GEORGE THOMSON

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)                      POUR L'INTIMÉ

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