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Date : 20030417

Dossier : T-1816-01

Référence : 2003 CFPI 451

Montréal (Québec), le 17 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                                              BAUER NIKE HOCKEY INC.

                                                                                                                        demanderesse

                                                                       et

                                                        TOUR HOCKEY et

                                  ROLLER DERBY SKATE CORPORATION

                                                                                                                        défenderesses

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une requête présentée par la demanderesse Bauer Nike Hockey Inc. (Bauer) en vue de l'obtention d'un jugement sommaire contre les défenderesses Tour Hockey (Tour) et Roller Derby Skate Corp. (Roller Derby).


[2]                Le 11 octobre 2001 ou vers cette date, Bauer a déposé contre Tour et Roller Derby une déclaration dans laquelle l'usurpation de la marque de commerce canadienne SKATE-BLADES DESIGN, enregistrée sous le numéro LMC 512,683, était entre autres alléguée.

[3]                Le 13 mai 2002 ou vers cette date, Tour et Roller Derby ont déposé une défense et une demande reconventionnelle en réponse à la déclaration de Bauer.

[4]                Le 15 août 2002 ou vers cette date, les avocats de Tour et de Roller Derby ont envoyé une lettre aux avocats de Bauer. La lettre disait que Tour et Roller Derby étaient prêtes à admettre l'usurpation et à consentir à un jugement et qu'elles étaient également prêtes à payer des dommages-intérêts d'un montant de 2 500 $CAN, chaque partie devant supporter ses propres frais. Sur la lettre figurait la mention : [traduction] « Sous toute réserve » .

[5]                Dans une lettre en date du 3 septembre 2002, les avocats de Bauer ont accepté l'offre de règlement telle qu'elle était énoncée dans la lettre du 15 août 2002 des avocats de Tour et de Roller Derby. La lettre disait que les avocats de Bauer prépareraient le dossier de la requête aux fins du prononcé du jugement sur consentement des défenderesses, qu'ils transmettraient ensuite aux avocats de Tour et de Roller Derby pour examen, et que dans l'intervalle un chèque de 2 500 $CAN libellé au nom de [traduction] « Smart et Biggar en fiducie » devait être envoyé.


[6]                Le 9 octobre 2002 ou vers cette date, les avocats de Bauer ont envoyé aux avocats de Tour et de Roller Derby un projet de dossier de requête en vue du prononcé d'un jugement sur consentement des défenderesses ainsi qu'un projet d'avis de désistement.

[7]                Dans un courriel en date du 12 décembre 2002, les avocats de Bauer ont écrit aux avocats de Tour et de Roller Derby pour leur faire savoir que plus de deux mois s'étaient écoulés depuis l'envoi du projet du dossier de requête en vue du prononcé d'un jugement sur consentement des défenderesses et du projet d'avis de désistement. Ils demandaient qu'on leur fasse savoir si leurs clientes avaient changé d'idée.

[8]                Dans une lettre en date du 14 janvier 2003, les avocats de Bauer ont informé les avocats de Tour et de Roller Derby qu'ils n'avaient toujours pas reçu de réponse au règlement et qu'ils n'avaient pas reçu le chèque promis de 2 500 $CAN.

[9]                Dans un courriel en date du 14 janvier 2003, les avocats de Tour et de Roller Derby ont informé les avocats de Bauer qu'ils enverraient une lettre au sujet du projet de règlement dans moins d'une semaine.


[10]            Dans un courriel en date du 15 janvier 2003, les avocats de Bauer se sont opposés à l'emploi de l'expression [TRADUCTION] « projet de règlement » ; ils ont dit qu'ils avaient accepté l'offre de règlement du 15 août 2002 de Tour et de Roller Derby par leur lettre du 3 septembre 2002.

[11]            Dans une lettre en date du 16 janvier 2003, les avocats de Bauer ont informé les avocats de Tour et de Roller Derby qu'ils croyaient comprendre, à la suite du récent échange de courriels, que Tour et Roller Derby ne voulaient plus se conformer au règlement qui avait été conclu le 3 septembre 2002.

[12]            Le 20 janvier 2003, les avocats de Tour et de Roller Derby ont envoyé une lettre [traduction] « sous toute réserve » aux avocats de Bauer en y joignant un dossier de requête ainsi qu'une ordonnance sur consentement modifiée. La lettre expliquait pourquoi Tour et Roller Derby s'opposaient au libellé des projets de documents qui accompagnaient la lettre du 9 octobre 2002 des avocats de Bauer.

[13]            Dans une lettre en date du 24 janvier 2003, les avocats de Tour et de Roller Derby ont demandé aux avocats de Bauer si les dispositions de l'ordonnance sur consentement qui avait été transmise le 20 janvier 2003 convenaient à Bauer.

[14]            Le 24 janvier 2003, les avocats de Bauer ont transmis aux avocats de Tour et de Roller Derby une lettre [traduction] « sous toute réserve » ainsi qu'un dossier de requête complété aux fins du prononcé d'un jugement sur consentement des défenderesses.

[15]            Le 11 février 2003, les avocats de Tour et de Roller Derby ont envoyé aux avocats de Bauer une lettre [traduction] « sous toute réserve » indiquant que leurs clientes ne consentiraient qu'aux dispositions proposées dans la lettre du 20 janvier 2003.

[16]            Bauer soutient que sa requête en jugement sommaire devrait être accueillie pour le motif que les parties étaient arrivées à une entente de règlement. Dans leur lettre du 15 août 2002, Tour et Roller Derby ont convenu qu'elles étaient prêtes à admettre l'usurpation et à consentir au jugement et qu'elles étaient également prêtes à payer des dommages-intérêts d'un montant de 2 500 $CAN, chaque partie devant supporter ses propres frais. En réponse, Bauer a accepté cette offre de règlement dans sa lettre du 3 septembre 2002.

[17]            Tour et Roller Derby soutiennent que ces lettres ne sont pas admissibles en preuve devant la Cour. Selon Tour et Roller Derby, ces lettres sont assujetties à un privilège puisqu'elles ont été produites uniquement dans le contexte de discussions privilégiées aux fins du règlement.


[18]            Trois conditions doivent être remplies pour qu'un tribunal judiciaire reconnaisse que les communications visant un règlement sont privilégiées : a) un différend prêtant à litige doit exister ou être prévu; b) la communication doit être effectuée dans l'intention expresse ou implicite qu'elle ne serait pas divulguée au tribunal judiciaire advenant le cas où les négociations échoueraient; et c) la communication doit viser la conclusion d'un règlement (Sopinka, Liederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd. (1999), à la page 810).

[19]            Les offres de règlement échangées entre les parties qui satisfont aux critères susmentionnés sont assujetties à un privilège. Pareilles communications sont protégées en vue d'éviter de causer préjudice aux parties en cas d'échec des négociations. L'offre de règlement d'une partie ne pourrait donc pas être invoquée par la partie adverse à l'instruction comme preuve de l'admission de la responsabilité. Si c'était le cas et si pareilles communications n'étaient pas protégées par un privilège, peu nombreuses seraient les parties qui seraient prêtes à s'aventurer dans des offres de règlement, car elles craindraient que ces offres soient par la suite utilisées à leur encontre.

[20]            Toutefois, lorsque l'existence d'un règlement est contestée, la Cour doit avoir accès aux documents afin de régler le conflit. En pareil cas, les documents peuvent être soumis en preuve afin de permettre de déterminer si les parties ont conclu un règlement.

[21]            Comme le disent Sopinka, Lederman et Bryant dans l'ouvrage intitulé The Law of Evidence in Canada, à la page 816 :

[TRADUCTION] Si les négociations portent fruit et entraînent une entente consensuelle, les communications peuvent être présentées en preuve afin d'établir le règlement si l'existence ou l'interprétation de l'entente elle-même est en litige. Pareilles communications forment l'offre et l'acceptation d'un contrat obligatoire et peuvent donc être soumises en preuve afin d'établir l'existence d'une entente portant règlement.

[22]            Je me reporterai ici aux commentaires que le juge Fraiberg a faits dans la décision Ferlatte c. Ventes Rudolph Inc., [1999] Q.J. no 2735, où il a été statué ce qui suit au paragraphe 13 :

[TRADUCTION] Le même objectif, à savoir prévenir un conflit inutile, justifie la divulgation des communications tendant à établir le règlement au lieu de leur protection privilégiée. Par conséquent, la mention « Sous toute réserve » figurant sur une lettre n'assure pas en soi la protection. C'est plutôt la teneur de la lettre qui entre en ligne de compte. Les offres de règlement et les communications accessoires sont donc présumées être protégées jusqu'à leur acceptation, même sans la mise en garde. Du même coup, la protection n'est plus assurée, malgré la présence de mots l'annonçant, une fois que son objet a été réalisé. Bref, les mots « Sous toute réserve » ou des expressions du même genre n'ont pas réellement à figurer dans les offres de règlement, et une fois que les offres sont acceptées, ils sont inutiles.

[23]            Si j'applique ces principes à la présente espèce, je suis d'avis que les lettres du 15 août et du 3 septembre 2002 sont admissibles en preuve.

[24]            Tour et Roller Derby soutiennent que les lettres du 15 août et du 3 septembre 2002 ne donnaient pas naissance à un contrat opposable, mais uniquement à un accord par lequel les parties s'engageaient à s'entendre. Les parties convenaient uniquement que Tour et Roller Derby consentiraient au jugement. Les lettres ne traitaient pas des conditions du jugement rendu sur consentement et plus précisément elles n'indiquaient pas que Tour et Roller Derby consentiraient à un jugement incorporant les conditions énoncées dans la déclaration. Cela étant, toute relation contractuelle entre les parties était incomplète tant que la Cour n'approuvait pas un jugement sur consentement aux conditions dont les parties avaient convenu.

[25]            Je ne puis retenir la position de Tour et de Roller Derby. À mon avis, compte tenu du libellé de la lettre du 15 août 2002, ces parties avaient l'intention de régler l'action et d'accepter les conditions énoncées dans la déclaration.

[26]            Dans leur lettre du 15 août 2002, Tour et Roller Derby ont fait savoir qu'elles voulaient admettre l'usurpation et consentir au jugement et qu'elles étaient également prêtes à payer des dommages-intérêts d'un montant de 2 500 $CAN, chaque partie devant supporter ses propres frais. Étant donné que la somme de 2 500 $CAN se rapporte aux dommages-intérêts et que les parties se sont entendues pour supporter leurs propres frais, il s'ensuit que le consentement au jugement se rapporterait aux dispositions de nature non pécuniaire de la déclaration, à savoir les dispositions figurant en a), b) et c). En d'autres termes, Tour et Roller Derby, par leur lettre du 15 août 2002, ont indiqué qu'elles acceptaient les conditions de nature non pécuniaire se rapportant à l'usurpation de la marque de commerce telles qu'elles avaient été énoncées dans la déclaration.

[27]            La lettre du 3 septembre 2002 de Bauer constitue une acceptation de cette offre de règlement.

[28]            À mon avis, l'offre de règlement, telle qu'elle est exposée dans la lettre du 15 août 2002, est claire et non ambiguë. Tour et Roller Derby n'indiquaient pas qu'elles rejetaient expressément certaines parties de la déclaration ou que leur offre dépendait de la signature d'un contrat formel par les parties.


[29]            Le consentement au jugement qui doit être déposé devant la Cour reconnaît uniquement le règlement et n'a pas pour effet de retarder sa formation. Il s'agit d'une mesure procédurale à laquelle les parties ont recours pour donner effet à la disposition du règlement qui prévoit qu'un jugement sera rendu contre les défenderesses.

[30]            La Cour a traité d'une question similaire dans la décision Bandag c. Vulcan Equipment Co. Ltd., [1977] 2 C.F. 397. Dans cette affaire, les parties avaient échangé des lettres qui comprenaient une offre de règlement et une acceptation de cette offre. Monsieur le juge Mahoney a statué qu'il était convaincu que l'action avait été réglée.

[31]            Pour ces motifs, je suis convaincue que les parties sont arrivées à s'entendre en vue de régler l'action.

[32]            En ce qui concerne la demande que Bauer a faite pour que des dépens sur la base avocat-client lui soient adjugés, pareils dépens ne sont en général adjugés que lorsque la conduite de l'une des parties est répréhensible, scandaleuse ou outrageante (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817).

[33]            Les avocats de Tour et de Roller Derby ont prolongé l'affaire et ont causé des frais inutiles en décidant de ne pas honorer leur offre de règlement, mais je ne puis qualifier leur conduite de répréhensible, de scandaleuse ou d'outrageante.


[34]            Les dépens ne seront donc pas adjugés sur la base avocat-client.

[35]            Pour ces motifs, la requête en jugement sommaire est accueillie, les dépens devant être adjugés conformément au tarif.

ORDONNANCE

            LA COUR :

A)        accepte la déclaration de la demanderesse, dans la mesure ci-après énoncée :

B)        déclare qu'entre les parties à l'action, la marque de commerce canadienne enregistrée sous le numéro LMC 512,683 est valide;

C)        déclare que les défenderesses ont usurpé la marque de commerce canadienne enregistrée sous le numéro LMC 512,683, en raison de la fabrication, de la vente, de l'offre en vente et de l'annonce de patins et de protège-lames présentant une forme et une configuration identiques à celles qui font l'objet de ladite marque de commerce déposée ou créant de la confusion avec celles-ci;


D)        ordonne aux défenderesses elles-mêmes ou par l'entremise de leurs directeurs, administrateurs, employés, mandataires ou licenciés de cesser immédiatement :

                        a) de fabriquer, de vendre, d'offrir en vente ou d'annoncer un protège-lame ou des patins ayant ou comportant un protège-lame sur lesquels est apposée la marque de commerce CROW qui faisait l'objet de la présente instance et qui est dépeinte ci-après;

                        b) de fabriquer, de vendre, d'offrir en vente ou d'annoncer tout protège-lame ou tout patin muni d'un protège-lame présentant une forme et une configuration visées par la marque de commerce canadienne enregistrée sous le numéro TMA 512 683 ou dont la forme et la configuration créent de la confusion avec cette marque;

E)         ordonne aux défenderesses de verser à la demanderesse un montant de 2 500 $ en argent canadien au titre des dommages-intérêts.

                                                                                                     « Danièle Tremblay-Lamer »             

                 Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-1816-01

INTITULÉ :                                              BAUER NIKE HOCKEY INC.

et

TOUR HOCKEY et ROLLER DERBY SKATE CORPORATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 14 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR : MADAME LA JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                             le 17 avril 2003

COMPARUTIONS :

M. François Guay                                                                POUR LA DEMANDERESSE

M. Tim Bourne                                                                    POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart et Biggar                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Ridout et Maybee LLP                                                        POUR LES DÉFENDERESSES

Ottawa (Ontario)


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20030417

Dossier : T-1816-01

ENTRE :

                            BAUER NIKE HOCKEY INC.

                                                                                    demanderesse

                                                     et

                                      TOUR HOCKEY et

                ROLLER DERBY SKATE CORPORATION

                                                                                    défenderesses

                                                                                                                                                   

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                                                                   


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