Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030512

Dossier : T-846-01

Référence : 2003 CFP1 586

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2003

En présence de MADAME LE JUGE SNIDER                               

ENTRE :

                                                        ARNIS ALBERT VEIDEMAN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                                    MINISTRE DES TRANSPORTS

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 M. Arnis Albert Veideman (le demandeur) dépose sa demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par un bureau d'appel du Tribunal de l'aviation civile (le tribunal) datée du 5 avril 2001. Par ladite décision, le tribunal a accueilli l'appel du ministre des Transports (le défendeur), annulé la décision de William T. Tweed, membre du Tribunal de l'aviation civile (le membre présidant au contrôle) et a rétabli une sanction pécuniaire de 500 $ à l'encontre du demandeur.


Contexte

[2]                 Le 29 mars 2000, le demandeur était pilote d'hélicoptère dans la région de Blanket Ridge de la chaîne de montagnes Monashee, au sud de Revelstoke, en Colombie-Britannique. C'était une entreprise d'héliski dans laquelle le demandeur transportait des skieurs en haut de certaines pistes où ils débarquaient avant de descendre en ski.

[3]                 Plusieurs fois au cours de la journée du 29 mars 2000, alors que le demandeur montait dans la région connue sous le nom de Vortex, il a rencontré quelques membres d'un groupe de skieurs qui étaient arrivés là en skiant sur le couloir de remontée de l'hélicoptère. Le couloir de remontée Vortex est la route normale et la plus sûre pour l'hélicoptère pour cette piste particulière. Les skieurs se sont plaints que l'hélicoptère était passé très près d'eux à plusieurs reprises.

[4]                 Il a résulté de ces plaintes que le 11 mai 2000, le défendeur a émis un avis d'amende pour contravention s'élevant à 500 $ à l'encontre du demandeur allégant qu'il avait enfreint l'alinéa 602.14b) du Règlement de l'aviation canadien, DORS/96-433 (le Règlement) en manoeuvrant un aéronef à une distance inférieure à 500 pieds d'une personne.


[5]                 Le 13 octobre 2000, une audience a eu lieu à Kelowna (Colombie-Britannique). Dans sa décision faisant suite à un examen en date du 4 janvier 2001, le membre effectuant l'examen a conclu qu'à au moins une reprise, l'hélicoptère est passé au-dessus de un ou de plusieurs skieurs à moins de 500 pieds alors qu'il n'effectuait pas une approche pour atterrir. Cependant, le membre effectuant l'examen a conclu que, sur la base de la prépondérance des probabilités, le demandeur avait fait preuve d'une diligence raisonnable afin d'éviter l'infraction. En particulier, le demandeur ne se trouvait pas dans une situation où il pouvait contrôler ou savoir si des skieurs allaient se trouver sur la pente qu'il suivait. Selon le membre effectuant l'examen, on ne pouvait s'attendre à ce que le demandeur modifie son itinéraire, ce qui aurait compromis la sécurité de ses passagers, une fois qu'il ait eu découvert la présence des skieurs sur son chemin. Le membre effectuant l'examen a également conclu qu'il n'était pas raisonnable de s'attendre à ce que les voyages de l'hélicoptère soient interrompus parce que le pilote prévoyait trouver des skieurs sur l'itinéraire qu'il devait emprunter. D'ailleurs, le Règlement ne l'exigeait pas non plus.


[6]                 Le défendeur a interjeté appel de la décision à la suite d'une révision devant le tribunal. Le tribunal a accueilli l'appel et a rétabli la sanction pécuniaire. Par une décision en date du 5 avril 2001, le tribunal a conclu que les conclusions de fait du membre effectuant l'examen étaient déraisonnables et qu'il avait erré dans l'application et l'interprétation de la diligence raisonnable. En particulier, le tribunal a conclu que, bien que le demandeur ne pouvait pas savoir qu'il survolerait des skieurs lors de sa première montée, lors de toutes les montées suivantes, il savait, ou aurait dû savoir, que les skieurs se rendaient au Vortex par le couloir de remontée situé sous sa trajectoire de vol prévue. En sa qualité de pilote commandant l'hélicoptère, le demandeur pouvait contrôler l'événement qui a conduit à l'infraction. Pour éviter de voler à une distance inférieure à 500 pieds au-dessus des skieurs qui ne faisaient pas d'héliski, le demandeur aurait pu choisir de se rendre à n'importe laquelle des pistes adjacentes ou, même, de retourner à sa base.

[7]                 Le tribunal a remarqué que le but de l'alinéa 602.14(2)b) du Règlement consiste à s'assurer que les aéronefs demeurent à une distance sécuritaire des personnes au sol et de veiller à la sécurité de ces dernières. À la lumière de cet objectif et du peu d'occasions où le demandeur a rencontré d'autres skieurs, le tribunal a rejeté l'argument du demandeur selon lequel le Règlement devrait être interprété comme permettant les survols, car un déménagement de l'exploitation d'héliski reviendrait à la mettre en faillite.

[8]                 Par la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur remet en question la décision du tribunal.

Questions

[9]                 À la lumière des plaidoiries et des observations écrites des parties, la seule question devant être tranchée est la suivante :

Le tribunal a-t-il erré dans son interprétation et son application du droit portant sur la diligence raisonnable?


Dispositions législatives et règlements pertinents

[10]            Le demandeur a été accusé d'infraction à l'alinéa 602.14(2)b) du Règlement, qui est libellé comme suit :


602.14(2)             

(2) Sauf s'il s'agit d'effectuer le décollage, l'approche ou l'atterrissage d'un aéronef ou lorsque la personne y est autorisée en application de l'article 602.15, il est interdit d'utiliser un aéronef :

...

b) dans les cas autres que ceux visés à l'alinéa a), à une distance inférieure à 500 pieds de toute personne, tout navire, tout véhicule ou toute structure.

602.14(2)

(2) Except where conducting a take-off, approach or landing or where permitted under section 602.15, no person shall operate an aircraft

...

(b) in circumstances other than those referred to in paragraph (a), at a distance less than 500 feet from any person, vessel, vehicle or structure.                                             


[11]            L'article 602.15 du Règlement ne s'applique pas à l'espèce.

[12]            L'article 8.5 de la Loi sur l'aéronautique, L.R.C. 1985, ch. A-Z, prévoit la défense de la diligence raisonnable :


8.5 Nul ne peut être reconnu coupable d'avoir contrevenu à la présente partie ou à ses textes d'application s'il a pris toutes les mesures nécessaires pour s'y conformer.

8.5 No person shall be found to have contravened a provision of this Part or of any regulation or order made under this Part if the person exercised all due diligence to prevent the contravention.



Analyse

Question préliminaire : la norme d'examen            

[13]            Dans Asselin c. Canada (ministre des Transports), [2000] A.C.F. no 256 (C.F. 1re inst.), conf. par [2001] A.C.F. no 43 (C.A.), autorisation d'interjeter appel devant la C.S.C. rejetée, [2001] C.S.C.R. no 119, le juge Pinard a appliqué une approche pragmatique et fonctionnelle des décisions du Comité d'appel du tribunal et a conclu, au paragraphe 11, que la norme d'examen appropriée est celle du caractère raisonnable simpliciter :

Compte tenu, donc, de l'existence d'une clause privative, de l'expertise du Comité d'appel, de la sécurité du public visée par la Loi et du caractère technique et spécialisédu Règlement, j'estime qu'une norme fondée sur la retenue judiciaire est appropriée. Toutefois, étant donné que la question devant le Comitéd'appel impliquait non seulement une question de fait, mais aussi une question de droit relative à l'interprétation et à l'application du paragraphe 801.01(2) du Règlement et de l'article 2.5 du chapitre 1 de l'article 821 des Normes d'espacement, je considère, comme l'a d'ailleurs déjà décidé mon collègue le juge Gibson dans Killen c. Canada (ministre des Transports) (8 juin 1999), T-2410-97, en regard d'une autre décision du même Comité d'appel, que la norme de contrôle applicable se situe entre la norme de la décision correcte et la norme du caractère manifestement déraisonnable, soit la norme de caractère raisonnable simpliciter

[14]            Je suis d'accord avec le juge Pinard sur le fait que la norme d'examen appropriée est celle du caractère raisonnable simpliciter.

[15]            La Cour suprême du Canada a récemment abordé la nature de la norme du caractère raisonnable dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] A.C.S. no 17 (QL) dans lequel le juge Iacobucci, écrivant pour la Cour, a déclaré au paragraphe 55 :

La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pourrait raisonnablement amener le tribunal à conclure comme il l'a fait sur la base de la preuve soumise. Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est soutenable en ce sens qu'il est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir.

Question : Le tribunal a-t-il erré dans son interprétation et son application du droit portant sur la diligence raisonnable?

[16]            Le demandeur soutient que la décision du tribunal était déraisonnable en ce qu'elle n'évaluait pas correctement la question de savoir si le demandeur avait fait preuve de diligence raisonnable comme cela est prévu à l'article 8.5 de la Loi sur l'aéronautique. En l'occurrence, il était raisonnable que le demandeur vole le long de la crête menant en haut de la piste Vortex sans compromettre la sécurité de quiconque, malgré le fait qu'il soit au fait de la possibilité qu'il pourrait survoler des skieurs se trouvant sur le couloir de remontée. Le tribunal devait tenir compte de la situation exceptionnelle de ces activités d'héliski (Marsh c. Canada (Ministre des Transports), [1996] D.T.A.C. no 44 (TAC) et ne l'a pas fait. De telles circonstances exceptionnelles comprennent le caractère montagneux du terrain et le fait qu'il s'agissait d'une entreprise commerciale qui détenait un permis pour cette zone particulière.

[17]            À mon avis, le tribunal n'a pas erré dans son interprétation et son application du droit portant sur la diligence raisonnable.

[18]            Une fois établis par le défendeur, sur la base de la prépondérance des probabilités, les éléments constitutifs de l'alinéa 602.14(2)b) du Règlement, une infraction de responsabilité absolue, il incombait alors au demandeur d'établir, sur la base de la prépondérance des probabilités, qu'il avait exercé toute la diligence raisonnable pour éviter de commettre l'infraction : R. c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; Loi sur l'aéronautique, art. 8.5).

[19]            Dans l'arrêt Sault Ste. Marie, précité, le juge Dickson, tel était alors son titre, a déclaré, à la page 1326, que la défense de diligence raisonnable « sera recevable si l'accusé croyait, pour des motifs raisonnables, à un état de faits inexistant qui, s'il avait existé, aurait rendu l'acte ou l'omission innocents, ou si l'accusé a pris toutes les précautions nécessaires pour éviter l'événement en question » .

[20]            Le principe de l'arrêt Sault Ste. Marie, précité a été codifié dans l'article 8.5 de la Loi sur l'aéronautique et a été appliqué par le tribunal (voir, p. ex., Shermet c. Canada (Ministre des Transports), [1996] D.T.A.C. no 64 (TAC)). Dans la décision Norris c. Canada (Ministre des Transports), [2000] D.T.A.C. no 64 (TAC), un bureau différent du tribunal s'est penché plus avant sur la défense de diligence raisonnable au paragraphe 8 :


[traduction]

Pour avoir gain de cause en se servant d'une défense de diligence raisonnable, l'appelant doit prouver un ou plusieurs des éléments suivants :

1.              que le détenteur du document a pris les mesures raisonnables pour obtenir tous les renseignements pertinents nécessaires pour s'acquitter de ses obligations telles qu'elles sont prévues dans le RAC [le Règlement];

2.              que, malgré les obligations incombant au détenteur du document telles qu'elles sont prévues dans le RAC, il ne contrôlait pas les événements qui ont conduit à l'infraction;

3.              que l'exercice approprié des pouvoirs et de la responsabilité conférés au détenteur du document n'a pas empêché l'infraction;

4.              que le détenteur du document n'a pas eu de possibilité raisonnable de découvrir une erreur commise par un autre détenteur de document qui lui a conféré la responsabilité;

5.              qu'une panne de matériel a empêché le détenteur du document de s'acquitter de sa tâche.

[21]            Le deuxième élément a été considéré par le tribunal comme particulièrement pertinent en l'espèce.

[22]            Le tribunal a conclu que, bien que le demandeur n'aurait pu savoir que des skieurs se trouvaient au-dessous de lui lors de sa première montée, lors de toutes les montées suivantes, il savait ou aurait dû savoir que les skieurs n'utilisant pas l'hélicoptère accédaient au Vortex par le couloir de remontée situé sous sa trajectoire de vol prévue. En sa qualité de pilote commandant l'hélicoptère, le demandeur pouvait contrôler l'événement qui a conduit à l'infraction. Pour éviter de voler à une distance inférieure à 500 pieds des skieurs n'utilisant pas l'hélicoptère, le demandeur aurait pu choisir d'aller vers des pistes adjacentes ou, même, de retourner à sa base.   


[23]            Les faits soulignés par le tribunal semblent indiquer que le demandeur n'a pris aucune mesure, et encore toutes les mesures raisonnables, pour éviter de commettre l'infraction prévue à l'alinéa 602.14(2)b) du Règlement. Lors de son deuxième voyage et de ceux qui ont suivi, le demandeur savait que des skieurs se trouvaient dans cette zone de la montagne, y compris sur le couloir de remontée. Le demandeur, un pilote d'hélicoptère chevronné, savait également que l'itinéraire le plus sûr pour se rendre au Vortex était le long du couloir de remontée. Par conséquent, le demandeur savait ou aurait dû savoir que, lors de sa montée vers le Vortex, il allait survoler des skieurs à une distance inférieure à 500 pieds dans le couloir de remontée. Cependant, il n'a pris aucune mesure pour éviter lesdits survols.

[24]            Le demandeur aurait pu choisir d'emmener ses passagers vers une piste de ski différente afin d'éviter de voler à une distance inférieure à 500 pieds des skieurs qui se trouvaient dans le couloir de remontée. Il aurait également pu choisir de ne pas emmener ses passagers dans la montagne. Étant donné le témoignage fourni par le demandeur selon lequel il avait rarement rencontré des skieurs dans ce lieu, cette option n'aurait pas dérangé de façon considérable l'entreprise de son employeur ou eu des effets négatifs sur l'industrie de l'héliski en général.


[25]            À mon avis, les observations du demandeur ainsi que ses actes du 29 mars 2000 font fi du fait que l'un des buts particuliers de la Loi sur l'aéronautique et de ses règlements consiste à protéger le public, ce qui comprend non seulement les héliskieurs se trouvant dans l'hélicoptère du demandeur, mais également les skieurs remontant la piste par le couloir de remontée. Des options s'ouvraient au demandeur et lui auraient permis d'assurer la sécurité tant de ses passagers que des skieurs au sol, mais il a persisté dans une voie qui faisait courir des risques aux skieurs se trouvant sur le couloir de remontée.

[26]            Enfin, je remarque que le tribunal n'a pas fait fi de la situation inhabituelle de cette activité. La décision reflète une compréhension de la nature commerciale de l'héliski et de la topographie montagneuse. Cependant, après avoir pris en considération tous les facteurs de l'espèce, ce tribunal spécialisé a conclu que la sécurité des skieurs au sol n'était pas dépassée par lesdits facteurs exceptionnels.

[27]            Je suis convaincue que le tribunal n'a pas erré lorsqu'il a conclu que le demandeur n'avait pas fait preuve de diligence raisonnable. Cette conclusion est étayée par la preuve déposée devant le tribunal et les motifs dudit tribunal peuvent résister à un examen plus poussé.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.             

      « Judith Snider »   

JUGE            

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                  T-846-01

INTITULÉ :                 ARNIS ALBERT VEIDEMAN

                                                                                                  demandeur

- et -

MINISTRE DES TRANSPORTS

                                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE MERCREDI 7 MAI 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE SNIDER

DATE DE L'ORDONNANCE :                     LE LUNDI 12 MAI 2003

COMPARUTIONS :

Ronald Chapman                                                  POUR LE DEMANDEUR

Liz Tinker                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Ronald Chapman

Avocat

Toronto (Ontario)                                                 POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

           Date : 20030512

Dossier : T-846-01

ENTRE :

ARNIS ALBERT VEIDEMAN

                     demandeur

-et -

MINISTRE DES TRANSPORTS

                     défendeur

                                                                                       

   MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                       


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.