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     Date : 19980121

     Dossier : T-2243-93

ENTRE :

     EDWARD ANDERSON, GARNET WOODHOUSE,

     MARSHALL WOODHOUSE, ROBERT MCLEAN,

     PATRICK ANDERSON, ORMAND STAGG et

     GEORGE TRAVERSE en leur nom et au nom de

     tous les membres de la PREMIÈRE NATION DE FAIRFORD,

     groupe d'Indiens désigné comme la Bande indienne de

     Fairford et reconnu comme une bande pour l'application de

     la Loi sur les Indiens par le décret C.P. 1973-3571,

     demandeurs,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA au nom de

     SA MAJESTÉ LA REINE du chef du Canada,

     défendeur.

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba) le 15 janvier 1998

Ordonnance rendue à Winnipeg (Manitoba) le 21 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE ROTHSTEIN

     Date : 19980121

     Dossier : T-2243-93

ENTRE :

     EDWARD ANDERSON, GARNET WOODHOUSE,

     MARSHALL WOODHOUSE, ROBERT MCLEAN,

     PATRICK ANDERSON, ORMAND STAGG et

     GEORGE TRAVERSE en leur nom et au nom de

     tous les membres de la PREMIÈRE NATION DE FAIRFORD,

     groupe d'Indiens désigné comme la Bande indienne de

     Fairford et reconnu comme une bande pour l'application de

     la Loi sur les Indiens par le décret C.P. 1973-3571,

     demandeurs,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA au nom de

     SA MAJESTÉ LA REINE du chef du Canada,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     DEMANDE D'ADMISSION D'UNE PREUVE D'EXPERT

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]      Il s'agit d'une demande présentée au cours d'un procès dans le but d'établir la qualité de Ernest E. Hobbs comme témoin expert et de produire son rapport en preuve. L'expertise de M. Hobbs serait celle d'un [traduction] "recherchiste et analyste des revendications des premières nations avec une expertise au chapitre des évaluations des effets sociaux et économiques, des relations entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les premières nations, du développement communautaire et du gouvernement indien, et des évaluations des effets de l'exploitation des ressources plus particulièrement sur les peuples autochtones ". Les demandeurs demandent que M. Hobbs soit autorisé à présenter un témoignage d'opinion comme expert sur la planification et la construction, en 1961, d'un ouvrage de régularisation des eaux sur la rivière Fairford, et sur les effets naturels de l'exploitation de cet ouvrage sur les terres et les droits de la Première nation de Fairford.

[2]      L'admission d'une preuve d'expert repose sur l'application des critère suivants :

     a)      la pertinence;         
     b)      la nécessité d'aider le juge des faits;
     c)      l'absence de toute règle d'exclusion;
     d)      la qualification suffisante de l'expert.

Voir l'arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, à la page 20, le juge Sopinka.

[3]      Je conviens que le sujet du témoignage de M. Hobbs est pertinent. Le défendeur n'invoque aucune règle d'exclusion. Par conséquent, les deux seules questions litigieuses consistent à savoir si M. Hobbs possède une qualification suffisante comme expert et, dans l'affirmative, si son témoignage est nécessaire.

[4]      J'examinerai d'abord la question de savoir si M. Hobbs possède une qualification suffisante. Dans l'arrêt R. c. Mohan, précité, le juge Sopinka déclare à la page 25 :

     Enfin, la preuve doit être présentée par un témoin dont on démontre qu'il ou elle a acquis des connaissances spéciales ou particulières grâce à des études ou à une expérience relatives aux questions visées dans son témoignage.         

Dans l'arrêt R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223, Madame le juge McLachlin cite en l'approuvant, à la page 243, un passage de l'ouvrage de Sopinka, Lederman et Bryant intitulé The Law of Evidence in Canada (1992), aux pages 536 et 537 :

     [traduction] L'admissibilité du témoignage [d'expert] ne dépend pas des moyens grâce auxquels cette compétence a été acquise. Tant qu'elle est convaincue que le témoin possède une expérience suffisante dans le domaine en question, la cour ne se demandera pas si cette compétence a été acquise à l'aide d'études spécifiques ou d'une formation pratique, bien que cela puisse avoir un effet sur le poids à accorder au témoignage.         

[5]      En l'espèce, la compétence de M. Hobbs ne provient pas principalement de son éducation formelle, mais a été acquise au cours des nombreuses années pendant lesquelles il a travaillé d'abord au sein de la fonction publique fédérale, puis à titre de consultant, période au cours de laquelle il a fourni ses services en grande partie à des bandes indiennes. Il n'est pas disqualifié comme expert à cause de la façon dont il a acquis ses connaissances.

[6]      M. Hobbs n'a jamais été reconnu comme témoin expert. Les avocats des demandeurs n'ont pas non plus produit d'éléments de preuve indiquant que le domaine d'expertise présumé de M. Hobbs a été accepté par un tribunal. Il n'existe toutefois aucune liste exhaustive de sujets sur lesquels un expert peut témoigner et ce domaine change sans arrêt : voir Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada (1992), à la page 543. Le fait que M. Hobbs n'a jamais été qualifié comme expert ou que personne d'autre ne l'a peut-être jamais été dans ce domaine ne l'empêche pas d'être considéré comme un expert ayant une qualification suffisante.

[7]      M. Hobbs a longuement parlé de sa vaste expérience, et je suis convaincu, sur la foi de ce témoignage, qu'il a fait des études et acquis des connaissances dans le domaine de l'évaluation des effets de l'exploitation des ressources sur les peuples autochtones.

[8]      J'en viens au critère de la nécessité. Dans l'arrêt Mohan, précité, le juge Sopinka s'appuie sur les remarques incidentes qu'a faites le juge Dickson (alors juge puîné) dans l'arrêt R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24, pour donner des directives sur la norme applicable pour déterminer si une preuve d'expert est nécessaire. À la page 23 de l'arrêt Mohan, il déclare :

         Dans l'arrêt R. c. Abbey, précité, le juge Dickson, plus tard Juge en chef, a dit à la p. 42:         
             Quant aux questions qui exigent des connaissances particulières, un expert dans le domaine peut tirer des conclusions et exprimer son avis. Le rôle d'un expert est précisément de fournir au juge et au jury une conclusion toute faite que ces derniers, en raison de la technicité des faits, sont incapables de formuler. [traduction] "L'opinion d'un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury. Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l'opinion de l'expert n'est pas nécessaire" (Turner (1974), 60 Crim. App. R. 80, à la p. 83, le lord juge Lawton).                 
         Cette condition préalable est fréquemment reprise dans la question de savoir si la preuve serait utile au juge des faits. Le mot "utile" n'est pas tout à fait juste car il établit un seuil trop bas. Toutefois, je ne jugerais pas la nécessité selon une norme trop stricte. L'exigence est que l'opinion soit nécessaire au sens qu'elle fournit des renseignements "qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury": cité par le juge Dickson, dans Abbey , précité. Comme le juge Dickson l'a dit, la preuve doit être nécessaire pour permettre au juge des faits d'apprécier les questions en litige étant donné leur nature technique.         

Il s'agit donc de savoir si M. Hobbs fournira des renseignements qui dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge au point d'être nécessaires pour permettre à ce dernier d'apprécier les questions en litige étant donné leur nature technique. En ce qui concerne le rapport d'expert de M. Hobbs que les demandeurs ont déposé à l'avance conformément aux Règles de la Cour, j'ai demandé aux avocats des demandeurs de signaler des exemples représentatifs de domaines techniques dans le rapport qui semblaient dépasser l'expérience et la connaissance d'un juge. Je ne suis pas convaincu que les exemples qui ont été choisis en raison de leur caractère représentatif sont techniques, c'est-à-dire qu'ils dépassent la connaissance et l'expérience d'un juge.

[9]      La plupart des éléments du rapport qui ont été mis en évidence répètent ou résument les témoignages des témoins ordinaires. À titre d'exemple, on mentionne les difficultés que posent les élections au sein des bandes en raison du fait que les membres qui résident sur des terres qui étaient censées devenir des terres de réserve mais à l'égard desquelles toutes les formalités n'ont pas été accomplies ne sont pas habilités à voter. Un certain nombre de témoins des faits ont déjà témoigné sur cette question et il n'y a rien de technique là-dedans. Un autre exemple est la mention dans le rapport de la disparition des moyens de subsistance traditionnels et des modes de vie traditionnels des membres de la bande de Fairford, qui est attribuable à la dévastation des ressources naturelles causée par la construction et l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux. Il s'agit là encore d'une question sur laquelle bon nombre des témoins des faits ont témoigné. Ces renseignements n'ont rien de technique, et il n'est pas nécessaire de fournir une preuve d'expert pour permettre à un juge d'apprécier les questions en litige. Enfin, il y a l'opinion de M. Hobbs selon laquelle l'approbation et le financement par le Canada de l'ouvrage de régularisation des eaux sans tenir compte des droits des Indiens sont incompatibles avec les obligations issues de lois et de traités qu'a le Canada envers la Première nation de Fairford. L'interprétation des lois et des traités est une question de droit qui relève de la Cour et non de témoins experts.

[10]      Parmi les exemples mentionnés dans le rapport, celui qui s'approche le plus de la prestation de renseignements de nature technique se rapporte au mouvement de la population dans la réserve et à la migration dans la réserve et à l'extérieur de celle-ci. Le rapport indique que la migration vers l'extérieur correspond probablement à des périodes où les eaux sont agitées. Toutefois, le rapport ne prétend pas s'appuyer sur une analyse statistique ou sur un autre moyen technique pour faire cette affirmation. Il s'agit simplement d'une évaluation générale du mouvement de la population dont on infère des facteurs contributifs probables.

[11]      Selon moi, le témoignage de M. Hobbs pourrait être utile parce qu'il résume et organise une bonne partie des témoignages portant sur les faits, mais c'est le rôle des avocats au cours des débats. Vu le critère de la " nécessité " de la preuve d'expert défini par le juge Sopinka dans l'arrêt R. c. Mohan , je ne suis pas convaincu que le témoignage proposé de M. Hobbs est nécessaire.

[12]      Les avocats du défendeur ont invoqué plusieurs autres moyens pour exclure le témoignage de M. Hobbs, mais je n'en tiens pas compte pour rendre ma décision. Selon le défendeur, le témoignage de M. Hobbs, s'il est admis, pourrait induire la Cour en erreur et être considéré comme ayant plus de poids qu'il ne le mérite et devrait être rejeté pour cette raison. J'estime toutefois que ce moyen serait normalement applicable lorsque la preuve d'expert est technique et n'est pas facile à comprendre. Ce n'est pas le cas en l'espèce. On a également fait valoir que M. Hobbs avait un important compte non réglé avec la bande indienne de Fairford. Ce compte est payable à la condition que les demandeurs obtiennent gain de cause en l'espèce, bien que tous les détails n'aient pas été mis au point. Le défendeur a également soutenu que le témoignage de M. Hobbs était plus un plaidoyer qu'une preuve d'expert et, de fait, le rapport paraît contenir plusieurs déclarations qu'on pourrait qualifier d'assez " stridentes ". Toutefois, ce sont des considérations qui se rapportent à l'appréciation de la preuve. Ce ne sont pas des raisons d'exclure la preuve.

[13]      Le témoignage de M. Hobbs ne sera pas admis pour la seule raison qu'il n'est pas nécessaire pour permettre à la Cour d'apprécier les questions débattues au procès.

                                 " Marshall Rothstein "

                                         Juge

Winnipeg (Manitoba)

Le 21 janvier 1998

Traduction certifiée conforme             

                                 Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER :                  T-2243-93

INTITULÉ DE LA CAUSE :

EDWARD ANDERSON, GARNET WOODHOUSE, MARSHALL WOODHOUSE, ROBERT MCLEAN, PATRICK ANDERSON, ORMAND STAGG et GEORGE TRAVERSE en leur nom et au nom de tous les membres de la PREMIÈRE NATION DE FAIRFORD, groupe d'Indiens désigné comme la Bande indienne de Fairford et reconnu comme une bande pour l'application de la Loi sur les Indiens par le décret C.P. 1973-3571,

     demandeurs,

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA au nom de SA MAJESTÉ LA REINE du chef du Canada,

     défendeur.

LIEU DE L'AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 15 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE LA COUR : Le juge Rothstein

EN DATE DU :                      21 janvier 1998

ONT COMPARU :

E. Anthony Ross

Kevin J. Scullion                      pour les demandeurs

Brian Hay

Craig J. Henderson

Sidney R. Restall

Min. de la Justice

Winnipeg (Manitoba)                      pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Harris & Harris

Toronto (Ontario)                      pour les demandeurs

M. George Thomson, c.r.

Sous-procureur général du Canada          pour le défendeur

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