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     Date : 19990520

     Dossier : DES-1-98

Entre

     IQBAL SINGH,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     ET LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeurs

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     RENDUE EN APPLICATION DU PARAGRAPHE 40.1(9)

     DE LA LOI SUR L'IMMIGRATION

Le juge ROTHSTEIN

[1]      Dans cette instance engagée sous le régime des paragraphes 40.1(8) et (9) de la Loi sur l'immigration1, se pose la question de savoir s'il y a lieu de remettre le demandeur en liberté. Voici ce que prévoient ces deux dispositions :


Right to Apply

(8) Where a person is detained under section (7) and is not removed from Canada within 120 days after the making of the removal order relating to that person, the person may apply to the Chief Justice of the Federal Court or to a judge of the Federal Court designated by the Chief Justice for the purposes of this section for an order under subsection (9).

Demande

(8) La personne retenue en vertu du paragraphe (7) peut, si elle n'est pas renvoyée du Canada dans les cent vingt jours suivant la prise de la mesure de renvoi, demander au juge en chef de la Cour fédérale ou au juge de cette cour qu'il délègue pour l'application du présent article de rendre l'ordonnance visée au paragraphe (9).


Order for Release

(9) On an application referred to in subsection (8) the Chief Justice or the designated judge may, subject to such terms and conditions as the Chief Justice or designated judge deems appropriate, order that the person be released from detention if the Chief Justice or designated judge is satisfied that

     (a) the person will not be removed from Canada within a reasonable time; and
     (b) the person's release would not be injurious to national security or to the safety of persons.

Ordonnance

(9) Sur présentation de la demande visée au paragraphe (8), le juge en chef ou son délégué ordonne, aux conditions qu'il estime indiquées, que l'intéressé soit mis en liberté s'il estime que :

     a) d'une part, il ne sera pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable;
     b) d'autre part, sa mise en liberté ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes.

[2]      Il ressort de ces dispositions que le juge désigné doit être convaincu au préalable que le demandeur ne serait pas renvoyé hors du Canada dans un délai raisonnable et que sa remise en liberté ne porterait pas atteinte à la sécurité publique (les défendeurs ont fait savoir que la sécurité nationale n'est pas en jeu en l'espèce).

[3]      Voici la chronologie des faits de la cause :

     a) 23 décembre 1993 :      Le demandeur se voit reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention;
     b) 25 janvier et
     16 mars 1998 :          Le solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration attestent, en application du paragraphe 40.1(1) de la Loi, qu'à leur avis, le demandeur est une personne visée par les dispositions 19(1)e)(2), 19(1)e)(4)(B), 19(1)e)(4)(C), 19(1)f)(ii) et 19(1)f)(iii)(B) de la Loi;
     c) 2 avril 1998 :          Le demandeur est retenu en application de l'alinéa 40.1(2)b) de la Loi;
     d) 10 juillet 1998 :          La Cour juge l'attestation susmentionnée déraisonnable en application de l'alinéa 40.1(4)d) de la Loi;
     e) 4 août 1998 :          L'arbitre W.K. Wiloughby conclut, à l'issue d'une enquête, que le demandeur est une personne visée par les dispositions 27(2)a), 19(1)e)(2), 19(1)e)(4)(B), 19(1)e)(4)(C), 19(1)f)(ii) et 19(1)f)(iii)(B) de la Loi;
                     Wiloughby ordonne l'expulsion du demandeur en application du paragraphe 32(6) de la Loi;
                     L'ordonnance d'expulsion est signifiée au demandeur;
     f) 9 décembre 1998 :      Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration conclut, en application de l'alinéa 53(1)b) de la Loi, que le demandeur constitue un danger pour la sécurité du Canada;
     g) 11 décembre 1998 :      Dans le cadre d'une action intentée en Cour fédérale (dossier no IMM-4825-98), le demandeur conclut à injonction provisoire pour interdire son renvoi en Inde en attendant l'issue de cette action;
     h) 14 décembre 1998 :      Le demandeur se voit signifier que des mesures ont été prises pour le renvoyer en Inde le 21 décembre 1998;
                     Le juge Evans accorde l'injonction provisoire pour interdire le renvoi du demandeur en attendant l'issue d'une requête en injonction interlocutoire en la matière;
     i) 24 mars 1999 :          Le demandeur dépose la requête en remise en liberté en application du paragraphe 40.1(8) de la Loi;
     k) 25 et 31 mars et
     19 avril 1999 :          Audition de la demande de remise en liberté, introduite par le demandeur en application du paragraphe 40.1(8).

[4]      Lors de l'audience du 19 avril 1999, la Cour est informée que le juge Evans avait rejeté la requête en injonction interlocutoire introduite par le demandeur dans le dossier no IMM-4825-98, tout en lui accordant l'autorisation de déposer une requête en sursis au renvoi dans le cadre du recours parallèle en contrôle judiciaire. L'avocat du demandeur fait alors savoir qu'il introduirait la requête et me demande de différer ma décision sur la remise en liberté en attendant l'issue de cette requête. L'avocat du ministre s'engage à ce que le demandeur ne serait pas renvoyé entre-temps. Le lundi 3 mai 1999, le juge Rouleau fait droit à la requête en sursis au renvoi, ce dont l'avocat du demandeur a informé la Cour par lettre en date du 10 mai 1999.

[5]      Dans Ahani c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et Solliciteur général du Canada2, le juge Denault a conclu qu'il incombait à celui qui demandait la remise en liberté de faire la preuve qu'il satisfaisait aux conditions prévues au paragraphe 40.1(9). Je partage cette conclusion. Il échet donc d'examiner en premier lieu si le demandeur a apporté la preuve qu'il ne serait pas renvoyé hors du Canada dans un délai raisonnable.

[6]      Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration est prêt et disposé à le renvoyer en Inde, n'eût été le sursis au renvoi ordonné par la Cour sur requête du demandeur. Donc, le retard dans le renvoi ne tient pas à quelque incapacité ou négligence de la part du ministre. Il s'explique uniquement par les mesures prises par le demandeur pour empêcher ce dernier de le renvoyer. Je ne saurais accepter qu'un individu puisse, par ses propres actions ou décisions, retarder son propre renvoi puis invoquer le retard qu'il a lui-même provoqué pour soutenir qu'il ne serait pas renvoyé hors du Canada dans un délai raisonnable.

[7]      Aux termes de l'alinéa 38.1c) de la Loi, l'article 40.1 a pour but entre autres :

     c) de permettre le renvoi rapide des personnes dont il a été décidé qu'elles appartiennent à une catégorie non admissible visée aux articles 39 ou 40.1.         

Dans ce contexte, le paragraphe 40.1(9) est une exception prévue au bénéfice de ceux qui ne sont pas diligemment renvoyés par le ministre, et ce sans qu'il y ait faute ou action de leur part. Tel n'est pas le cas en l'espèce. Tout intéressé a la faculté d'exercer les voies de droit qui lui permettraient de demeurer au Canada. Mais s'il le fait, il ne peut plus, en raison de ses propres actions, tirer argument du fait qu'il ne serait pas renvoyé hors du Canada dans un délai raisonnable, pour invoquer l'alinéa 40.1(9)a).

[8]      Cette conclusion est dans le droit fil des motifs pris par Mme le juge McGillis dans Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669, en page 695 :

     En outre, un examen des dispositions de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration et de son but législatif tel qu'il est exprimé à l'article 38.1 confirme que l'instance doit se dérouler avec rapidité, ce qui suppose que l'on s'attend par ailleurs à ce que la détention de la personne en cause soit brève. Ainsi que je l'ai déjà souligné, le fait qu'une personne ne se prévaut pas de la possibilité qui lui est donnée d'être entendue et qu'elle choisit de demeurer en détention au Canada au lieu d'essayer de quitter le pays, ne saurait être invoqué pour justifier son affirmation que sa détention viole les principes de justice fondamentale.         

[9]      Étant donné ma conclusion sur la question du délai déraisonnable, il n'est pas strictement nécessaire de prononcer sur la question de savoir si la remise en liberté du demandeur porterait atteinte à la sécurité publique. Je tiens cependant à ajouter que j'ai examiné à huis clos et hors la présence du demandeur et de son avocat, les preuves produites par le défendeur en matière de sécurité publique. Le demandeur ne m'a pas convaincu que sa remise en liberté ne porterait pas atteinte à la sécurité publique.

[10]      La demande de remise en liberté est rejetée.

     Signé : Marshall E. Rothstein

     ________________________________

     Juge

Toronto (Ontario),

le 20 mai 1999

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              DES-1-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Iqbal Singh

                     c.

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général du Canada

DATE DE L'AUDIENCE :      25 et 31 mars, et 19 avril 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE ROTHSTEIN

LE :                      Mardi 20 mai 1999

ONT COMPARU :

M. Lorne Waldman                  pour le demandeur

M. Robert Batt                  pour les défendeurs

Mme Marthe Beaulieu

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates          pour le demandeur

Avocats

281 avenue Eglington est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Morris Rosenberg                  pour les défendeurs

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée.

2      Dossier de la Cour no DES-4-93, 15 mars 1999.

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