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                                                                                                                                  Date : 19980317

                                                                                                                             Dossier : T-1414-96

ENTRE :

                                                                BELL CANADA,

                                                                                                                                           requérante,

                                                                             et

                             LE SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS,

                                                  DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER,

                                             L'ASSOCIATION CANADIENNE DES

                                                  EMPLOYÉS DE TÉLÉPHONE et

                                                             FEMMES ACTION,

                                                                                                                                                 intimés,

                                                                             et

                 LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

                                                                                                                                         intervenante.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[1�]      La présente demande de contrôle judiciaire, qui concerne certaines décisions rendues par la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), a été entendue dans le cadre d'une audience qui a débuté le 24 novembre 1997 et qui devait durer deux jours mais qui, en fait, en a duré quatre et au cours de laquelle une foule de documents, notamment des ouvrages de jurisprudence, ont été produits.

[2�]      Ayant obtenu le statut restreint d'intervenante le 11 octobre 1996 en vertu d'une ordonnance du juge Denault, la CCDP était représentée à l'audience par son avocat.

[3�]      L'intimée Femmes Action n'était pas représentée à l'audience.

[4�]      Vers la fin de 1997, Mme le juge McGillis a tranché une demande que le président du Tribunal canadien des droits de la personne avait présentée en vue d'obtenir l'autorisation d'intervenir dans la présente instance. Se fondant sur l'arrêt de principe que la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire Northwestern Utilities Limited et al. c. La ville d'Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684, Mme le juge McGillis a rejeté la demande du président.

[5�]      D'après le dossier de demande de Bell Canada (DDB), déposé le 14 juin 1996, la requérante (également appelée Bell en l'espèce) demande ce qui suit :

[TRADUCTION]

1)Une ordonnance de certiorari annulant la décision en date du 27 mai 1996 par laquelle la CCDP a demandé au président du Tribunal canadien des droits de la personne de désigner un seul tribunal des droits de la personne pour mener une enquête sur les plaintes que les intimés ont déposées contre la requérante dans les dossiers de la Commission X-00344, X-00372, X-00417, X-00455, X-00456, X-00460 et X-00469. Cette décision, qui n'était pas motivée, a été communiquée à la requérante le 30 mai 1996.

2)Une ordonnance interdisant toute autre procédure de la part de la CCDP à l'égard des plaintes que les intimés ont déposées dans lesdits dossiers de la Commission.

3)Un jugement déclaratoire portant que la [CCDP] n'avait aucun motif raisonnable de demander au président du Tribunal canadien des droits de la personne de désigner un tribunal des droits de la personne à l'égard des plaintes que les intimés ont déposées dans lesdits dossiers de la Commission.

4)Subsidiairement, un jugement déclaratoire portant que Bell ne devrait pas, dans le cadre de la présente enquête de la Commission, être tenue de se défendre devant un tribunal canadien des droits de la personne à l'égard de l'une ou l'autre des plaintes des intimés.

[6�]      La requérante se fonde sur les motifs suivants :

[TRADUCTION]

1)La décision par laquelle la [CCDP] (la Commission) a demandé la nomination d'un tribunal des droits de la personne est entièrement viciée par la partialité dont la Commission a fait preuve contre Bell Canada (Bell) tout au long de l'enquête qu'elle a menée au sujet des plaintes déposées par les intimés et qui a eu pour effet de nier à Bell l'équité procédurale à laquelle elle a droit au cours de cette enquête.

2)La Commission a commis une erreur de droit et nié à Bell l'équité procédurale à laquelle elle a droit en omettant d'exercer ses fonctions en vertu de l'alinéa 41d) de la Loi canadienne des droits de la personne et de rejeter, au motif qu'elles étaient vexatoires et entachées de mauvaise foi, les plaintes dans lesquelles le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCEP) et l'Association canadienne des employés de téléphone (ACET) ont soutenu que les salaires qu'ils avaient négociés dans les conventions collectives auxquelles eux-mêmes et Bell sont assujettis en vertu de l'article 56 du Code canadien du travail allaient à l'encontre de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

3)La Commission a commis une erreur de droit et nié à Bell l'équité procédurale à laquelle elle a droit en omettant d'exercer les fonctions dont elle est investie en vertu du paragraphe 40(2) et de l'alinéa 41b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de nier au SCEP et à l'ACET le statut de plaignants, malgré l'absence de preuve indiquant que l'une ou l'autre des « victimes » de la discrimination avait consenti à ce qu'ils agissent ainsi et malgré l'existence de la réparation subsidiaire de la négociation collective aux termes du Code canadien du travail.

4)En 1984, 1985 et 1987, la Commission a conclu que Bell ne pratiquait pas la discrimination salariale fondée sur le sexe et a rejeté les plaintes du même syndicat SCEP (alors appelé Syndicat des travailleurs en communication du Canada) selon lesquelles les salaires versés pour les emplois à prédominance féminine choisis par le syndicat étaient discriminatoires comparativement à ceux des emplois à prédominance masculine également choisis par le même syndicat. Étant donné qu'elle n'était saisie d'aucun élément de preuve indiquant que les salaires avaient été augmentés de façon discriminatoire depuis ses décisions précédentes, et qu'elle n'avait pas procédé à une comparaison satisfaisante entre les emplois et en l'absence de modification significative sur le plan statistique en ce qui a trait aux liens entre les salaires des emplois à prédominance masculine et ceux des emplois à prédominance féminine, la Commission a commis une erreur de droit et agi de façon arbitraire lorsqu'elle a conclu à l'existence de motifs permettant de demander la formation d'un tribunal des droits de la personne pour mener une enquête sur les plaintes couvrant les mêmes emplois.

5)La décision par laquelle la Commission a demandé la formation d'un tribunal des droits de la personne au sujet d'un rapport d'enquête qui était fondé exclusivement sur une étude de certains emplois exercés chez Bell en 1991 et 1992, et ce, uniquement pour les négociations collectives entre Bell, le SCEP et l'ACET, constitue une erreur de droit. En raison des méthodes utilisées au cours de sa préparation ainsi que de la méthode d'analyse employée, cette étude ne reposait pas sur une comparaison par paire (emploi à emploi) et ne permettait pas de conclure que Bell s'était rendue coupable de disparité salariale motivée par des considérations fondées sur le sexe, contrairement à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

6)La Commission a commis une erreur de droit et nié à Bell l'équité procédurale à laquelle elle a droit en demandant la formation d'un tribunal des droits de la personne pour l'examen des plaintes qu'ont déposées le SCEP, l'ACET et Femmes Action et qui sont imprécises au point où Bell ne peut y répondre pleinement, comme elle a le droit de le faire.

7)La Commission a commis une erreur de droit et nié à Bell l'équité procédurale à laquelle elle a droit en tentant d'exercer son pouvoir de proroger le délai d'un an relatif au dépôt des plaintes fondées sur la Loi canadienne sur les droits de la personne sans raison valable, en fait ou en droit, privant de ce fait Bell de son droit fondamental, en vertu de la Loi, de ne pas être tenue de se défendre à l'égard de plaintes fondées sur des événements survenus plus d'un an avant le dépôt des plaintes.

8)La décision de la Commission de demander la formation d'un tribunal des droits de la personne est entièrement viciée en raison du manque d'équité procédurale dont la Commission a fait montre lors de son enquête relative aux plaintes du SCEP, de l'ACET et de Femmes Action en joignant aux plaintes actuellement portées à l'attention d'un tribunal des droits de la personne plusieurs autres plaintes couvrant différents emplois à prédominance féminine et différentes périodes et en utilisant différents emplois à prédominance masculine pour les comparer avec les emplois à prédominance féminine. En raison de cette procédure, Bell n'a pu faire valoir en bonne et due forme les différents moyens de contestation d'ordre factuel et juridique qu'elle avait l'intention d'invoquer à l'égard de chacune des nombreuses plaintes devant apparemment être examinées en même temps et s'est vu nier de ce fait l'équité procédurale à laquelle elle avait droit.

9)La Commission a commis une erreur de droit en demandant la formation d'un tribunal des droits de la personne pour mener une enquête sur les plaintes du SCEP, de l'ACET et de Femmes Action, laquelle enquête fait appel à une comparaison entre des employés travaillant dans différents établissements, alors que la Loi canadienne sur les droits de la personne et l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale qui a été adoptée sous l'autorité de la Loi et qui lie la Commission restreignent les allégations de disparité salariale fondée sur le sexe aux cas où des employés tant de sexe masculin que de sexe féminin travaillent dans le même établissement.

10)La Commission a commis une erreur en faisant sien un rapport d'enquête fondamentalement vicié et répréhensible qui ne peut justifier une demande en vue de former un tribunal des droits de la personne.

[7�]      Les intimés et la CCDP estiment tous que Bell a tort et demandent à la Cour de rejeter la requête de celle-ci.

[8�]      La principale question en litige en l'espèce porte sur l'interprétation de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi) :

11.(1)       Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

(2)            Le critère permettant d'établir l'équivalence des fonctions exécutées par des salariés dans le même établissement est le dosage de qualifications, d'efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail.

(3)            Les établissements distincts qu'un employeur aménage ou maintient dans le but principal de justifier une disparité salariale entre hommes et femmes sont réputés, pour l'application du présent article, ne constituer qu'un seul et même établissement.

(4)            Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe (1) la disparité salariale entre hommes et femmes fondée sur un facteur reconnu comme raisonnable par une ordonnance de la Commission canadienne des droits de la personne en vertu du paragraphe 27(2).

(5)            Des considérations fondées sur le sexe ne sauraient motiver la disparité salariale.

(6)            Il est interdit à l'employeur de procéder à des diminutions salariales pour mettre fin aux actes discriminatoires visés au présent article.

(7)            Pour l'application du présent article, « salaire » s'entend de toute forme de rémunération payable à un individu en contrepartie de son travail et, notamment :

a)des traitements, commissions, indemnités de vacances ou de licenciement et des primes;

b)de la juste valeur des prestations en repas, loyers, logement et hébergement;

c)des rétributions en nature;

d)des cotisations de l'employeur aux caisses ou régimes de pension, aux régimes d'assurance contre l'invalidité prolongée et aux régimes d'assurance-maladie de toute nature;

e)des autres avantages reçus directement ou indirectement de l'employeur.

[9�]      Cette disposition a pour effet de condamner les personnes physiques et morales qui pratiquent la disparité salariale entre les hommes et les femmes exécutant des fonctions équivalentes. La requérante n'est pas d'accord avec ce principe, mais soutient que la CCDP a modifié à tort les plaintes, qui avaient déjà été jugées mal fondées, pour éviter de tenir l'enquête même qu'exige l'article 11, entre autres choses. Afin de prouver qu'une plainte est bien fondée, il est nécessaire de procéder par comparaison pour établir que les fonctions exécutées par la partie plaignante et celles qu'exerce un employé de l'autre sexe sont équivalentes, bien que cet employé reçoive un salaire supérieur pour exécuter ces fonctions dans le même établissement. La preuve de l'existence d'une pratique discriminatoire (ou l'absence de preuve à ce sujet) passe par une comparaison par paire (emploi à emploi).

[10�]    Jusqu'à maintenant, la position des parties semblerait claire, si leurs différends, y compris les plaintes de discrimination, étaient ou avaient été exposés de la façon prescrite, notamment à l'article 11 de la Loi. Toutefois, il semble que la Commission ait déraillé et ait manifesté sa désapprobation vis-à-vis la Loi, surtout l'article 11. La CCDP semble décidée à imposer une modification, sinon en droit, du moins en fait (usurpant par le fait même le pouvoir législatif).

[11�]    L'histoire relativement récente des relations entre les parties est pertinente. Au début des années 1980, le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCEP) était connu sous le nom de Syndicat des travailleurs en communication du Canada (STCC) et il y a continuité d'identité entre l'ancien STCC et le SCEP qui est intimé en l'espèce.

[12�]    La requérante a exposé clairement le contexte du litige dans son dossier de demande (DDB), aux paragraphes 4 à 7 inclusivement :

[TRADUCTION]

4.Au début des années 1980, le SCEP (alors appelé le Syndicat des travailleurs en communication du Canada - le STCC) a commencé à utiliser le mécanisme des plaintes prévu par la Loi pour contester les taux de salaire qu'il avait lui-même négociés dans le cadre des négociations collectives. En 1981, son vice-président pour la région de l'Ontario a déposé deux plaintes dans lesquelles il a allégué que les salaires versés à l'ensemble des employés à prédominance féminine des groupes du service des téléphonistes et des préposés aux services d'entretien qu'il représentait étaient discriminatoires selon la Loi, comparativement à ceux qui étaient versés aux groupes à prédominance masculine des préposés au matériel et des préposés à l'entretien des bâtiments qu'il représentait également. Selon le vice-président, les fonctions des groupes à prédominance féminine étaient équivalentes à celles des groupes à prédominance masculine. En 1981, le secrétaire de la section locale 50 du STCC a déposé une autre plainte dans laquelle il a repris la même allégation en ce qui a trait aux salaires versés au groupe du service des téléphonistes et à celui des services d'entretien.

Affidavit de Francine Bibby en date du 14 juin 1996, paragraphes 2, 3 et 4 (affidavit de Bibby) et pièces 1, 2, 3 et 4 jointes audit affidavit, dossier de demande, vol. VII, p. 1494 à 1496 et 1497 à 1504.

5.Après avoir mené une enquête approfondie qui a duré de trois à six ans, la Commission a rejeté toutes ces plaintes au fond. Elle a conclu que Bell ne pratiquait pas la disparité salariale au détriment de ses employées, compte tenu d'une comparaison effectuée avec les postes repères spécifiés, et qu'il n'y avait aucun acte discriminatoire au sens de la Loi.

Affidavit de Bibby, paragraphes 6, 7 et 8 et pièces 10, 11 et 12 jointes audit affidavit, dossier de demande, vol. VII, p. 1495 et 1513 à 1575.

6.Le vice-président du SCEP pour la région de l'Ontario a tenté de présenter une demande de contrôle judiciaire en dehors des délais prescrits à l'égard de la décision par laquelle la Commission avait rejeté une de ses plaintes en décembre 1985. La Cour d'appel fédérale a rejeté la requête que le vice-président avait présentée en vue d'obtenir une prorogation du délai relatif au dépôt d'une demande de contrôle judiciaire, les membres de la Cour estimant à l'unanimité que le vice-président « n'avait pas prouvé qu'il aurait une cause valable à plaider si la demande était entendue » .

Affidavit de Bibby, paragraphe 10 et pièce 13 jointe audit affidavit, dossier de demande, vol. VII, p. 1425 et 1576.


7.En fait, depuis ce temps, les salaires versés aux employés de Bell exerçant des emplois à prédominance féminine ont généralement augmenté plus rapidement que ceux des employés exerçant des emplois à prédominance masculine.

Ibid, paragraphe 11, p. 1425.

                                                                                                (DDB, vol. XI, p. 2 et 3)

Plus tard, au début des années 1990, des employées représentées par l'intimée, l'Association canadienne des employés de téléphone (l'ACET), ont déposé auprès de la CCDP une plainte dans laquelle elles reprochaient à Bell d'avoir commis des actes discriminatoires allant à l'encontre de l'article 11 de la Loi.

Affidavit d'André Beaudet, 14 juin 1996, par. 2, et pièce 1, DDB, vol. I, p. 17 et 30.

Note de B. Hargadon au dossier, 27 juin 1991, DDB, vol. VIII, p. 1672 à 1674.

[13�]    Trois des plaintes de l'ACET visaient à contester les salaires qu'elle-même (ou le SCEP) avait négociés dans le cadre des négociations collectives avec Bell, selon l'affidavit d'André Beaudet, paragraphe 4 et pièces 2, 3 et 4. Ces plaintes ont subséquemment été modifiées de façon à éliminer les postes repères spécifiques et à les remplacer par des allégations générales imprécises de la nature de celles que Bell rejette dans le présent litige.

[14�]    Au cours des négociations de 1990, le SCEP et Bell ont convenu de mettre sur pied un comité mixte sur l'équité salariale au sujet duquel le SCEP avait déjà consulté la Commission quant à la façon de mener l'étude. La Commission a répondu comme suit : [TRADUCTION] « la mise sur pied du comité ne doit pas être perçue comme une mesure menant les parties à une étude de cette nature, en raison des plaintes qui pourraient être déposées ultérieurement » . Toutefois, elle a conservé des copies des conventions collectives de deux unités de négociation représentées par le SCEP, soit le groupe des techniciens et auxiliaires et le groupe des employés du service des téléphonistes et du service salle à manger, le tout suivant la description qui figure dans la note jointe au DDB, vol. XI, paragraphe 11, p. 4.

[15�]    Le comité mixte est devenu ensuite un comité tripartite, comme la requérante l'explique dans son dossier de demande, vol. XI, paragraphes 12 et 13, p. 4 et 5 :

[TRADUCTION]

12.En avril 1991, Bell, le SCEP et l'ACET ont conclu une entente concernant l'exécution d'une étude mixte sur les méthodes de rémunération décrites dans les conventions collectives que les parties avaient négociées à l'égard des deux unités de négociation représentées par le SCEP et des deux unités que représentait l'ACET. Cette entente a été intégrée dans le « Mandat du projet d'équité salariale (mandat) » en date du 26 avril 1991, qui comportait les conditions suivantes :

« 2.4 Les renseignements produits et communiqués dans le cadre du projet d'équité salariale le sont uniquement pour une fin liée à la présente étude. Toutes les parties conviennent de protéger tous les documents de nature délicate ou confidentielle » .

Affidavit de Beaudet, paragraphe 5, et la pièce 5 jointe audit affidavit, dossier de demande, vol. I, p. 18 et 36.

13.Cette étude mixte visait à examiner de façon générale l'équité salariale caractérisant les quatre unités de négociation représentées par le SCEP et l'ACET aux fins de la négociation collective. Les résultats de l'étude pourraient servir de lignes directrices générales pour Bell et les deux syndicats dans le cadre des négociations collectives ultérieures. De l'avis de Bell, c'était là le seul objet de l'étude et c'est ce qui ressort de la conclusion du rapport final en date du 22 novembre 1992 du comité mixte qui a mené l'étude :

Les conclusions [de l'étude] seront maintenant soumises aux cadres de l'entreprise et de chaque syndicat. Les résultats seront utilisés dans le cadre des négociations visant à réduire les disparités et à améliorer la situation relative à l'équité salariale au sein de Bell.

Affidavit de Beaudet, 20 décembre, no 2, paragraphes 3 à 5, et pièces 1 et 2 jointes audit affidavit, dossier de demande, vol. II, p. 364, 368 et 385.


[16�]    Il convient de reproduire une partie de l'exposé des faits figurant aux paragraphes 18 et suivants du DDB, vol. XI :

[TRADUCTION]

18.L'étude mixte a pris fin en novembre 1992. Elle couvrait une sélection d'emplois exercés dans différents établissements de Bell au Québec et en Ontario ainsi qu'au sein des quatre unités de négociation représentées par l'ACET et le SCEP. Compte tenu de l'objet de l'étude mixte, soit l'élaboration de lignes directrices générales en vue des négociations ultérieures des parties, il s'agissait d'une étude de type « courbe à courbe » , c'est-à-dire que l'étude visait à comparer deux lignes de régression en fonction des variables liées aux points d'évaluation et aux salaires. L'une des courbes concernait la sélection d'emplois à prédominance masculine et l'autre, la sélection d'emplois à prédominance féminine.

Affidavit de Beaudet, paragraphe 9, et pièce 6 jointe audit affidavit, dossier de demande, vol. I, pages 18 et 40.

19.Étant donné qu'il s'agissait d'une étude « courbe à courbe » , elle ne visait pas à comparer deux emplois en particulier, comme c'est le cas pour l'étude « emploi à emploi » . L'étude « emploi à emploi » a pour but de comparer le salaire versé pour un emploi donné auquel un certain nombre de points d'évaluation a été attribué avec le salaire versé pour un autre emploi ainsi évalué. Seul ce dernier type d'étude permet de conclure de façon fiable sur le plan statistique qu'un emploi est moins bien rémunéré qu'un autre.

Ibid et affidavit d'André Beaudet, 29 décembre 1996 (affidavit de Beaudet, 20 décembre, no 1), paragraphes 8 et 9, et pièce 2 jointe audit affidavit, dossier de demande, vol. II, p. 329, 330 et 335; affidavit de David C. Stroiney, 13 juin 1996 (affidavit de Stroiney), paragraphes 2 à 9 et pièce 4 qui y est jointe, dossier de demande, vol. VII, p. 1362, 1363 et 1424; affidavit de Roland Thériault, 13 juin 1996, paragraphes 2 à 11 et pièce 5 qui y est jointe, dossier de demande, vol. VII, p. 1431 à 1433 et 1489; affidavit de Shirley Elizabeth Mills, 20 décembre 1996, paragraphes 16 à 21 et pièce H qui y est jointe, dossier de demande, vol. VIII, p. 1585 à 1587 et 1659.

20.Par conséquent, même si elle dépeint les tendances salariales, l'étude mixte ne fournit aucun renseignement permettant de conclure qu'un emploi donné exercé principalement par des femmes est moins bien rémunéré qu'un autre emploi donné dont les fonctions sont équivalentes et qui est exercé surtout par des hommes ou vice versa. Cette conclusion ne peut être tirée qu'à l'aide d'une étude « emploi à emploi » ou d'une étude au cours de laquelle un poste donné est comparé à une ligne de régression masculine ou féminine.

                                Ibid.

21.Pendant la préparation et l'exécution de cette étude mixte, la Commission avait des liens étroits avec Bell, l'ACET et le FCEP, notamment parce qu'elle voulait trouver avec les syndicats une façon de déposer contre Bell une plainte « généralisée » de discrimination salariale.

Note au dossier de P. Durber, directeur par intérim, Direction générale de l'équité en matière d'emploi et de la parité salariale, 23 juin 1991, dossier de demande, vol. VIII, p. 1678; note de Bell à la Commission, 2 août 1991, ibid, p. 1682; note de la Commission à Bell, 6 août 1991, ibid, p. 1685; note de B. Hargadon, Section de l'équité salariale, à P. Durber, 1er octobre 1991, ibid, p. 1702; note au dossier, 22 octobre 1991, ibid, p. 1704; note de la Commission à Bell, 17 juin 1992, ibid, p. 1721; rapport d'enquête de la Commission, 15 mai 1995, dossier de demande, vol. I, paragraphes 92 et 93, p. 96 et 97.

22.Lorsqu'elle a participé à l'étude mixte, la Commission a eu accès à certains renseignements confidentiels qui s'y trouvaient, à la condition, comme elle l'a elle-même reconnu dans ses documents internes, de traiter les renseignements en question comme des données privilégiées et de s'abstenir de les divulguer à des tiers.

Note de B. Hargadon, Section de l'équité salariale, à D. Lacoste, consultante principale, 18 décembre 1992, dossier de demande, vol. IX, p. 1740; note de Bell à la Commission, 2 août 1991, ibid, vol. VIII, p. 682; documents cités au paragraphe 49, plus loin.

23.Après la remise du rapport final de l'étude mixte en novembre 1992, la Commission a commencé à chercher une façon d'utiliser les renseignements de l'étude mixte auxquels elle avait eu accès afin d'étayer et d'obtenir des « plaintes généralisées » contre Bell.

Notes de la Commission au sujet de la réunion tenue avec Bell et l'ACET, 10 janvier 1993, dossier de demande, vol. IX, p. 1752; [TRADUCTION] « Affaire Bell -questions à examiner avec le conseiller juridique » , 17 janvier 1993, ibid, p. 1755; note au dossier de D. Lacoste, consultante principale en matière d'équité salariale, 27 janvier 1993, ibid, p. 1756.

24.Les plaintes ainsi conçues par la Commission comportaient une allégation selon laquelle les fonctions de certains emplois à prédominance féminine, parfois précisés et parfois non précisés, étaient équivalentes à celles de certains emplois à prédominance masculine non précisés. La Commission avait l'intention d'obtenir ces plaintes et de mener une enquête à leur sujet même si elle avait reconnu, dès le départ, qu'elle avait besoin « de postes repères précis pour examiner une plainte » sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette reconnaissance ressort du fait que toutes les plaintes que la Commission avait acceptées pour enquête à la fin de décembre 1992 visaient à comparer un emploi précis à un autre emploi précis.

P. Duber, directeur par intérim de la Direction générale de l'équité en matière d'emploi et de la parité salariale, 23 juin 1991, dossier de demande, vol. VIII, p. 1678; note de B. Hargadon à P. Durber, chef de l'équité salariale, 1er octobre 1991, ibid, p. 1702; ibid, vol. IX, liste des plaintes en date du 23 décembre 1992.

25.Malgré cette reconnaissance des exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a commencé, au début de 1993, à concevoir des plaintes « généralisées » contre Bell en tentant de « réunir » différentes plaintes visant cette société. L'enquêteur de la Commission explique franchement dans une note les raisons qui ont incité la Commission à agir de cette façon :

Les plaignants ont relevé des postes repères précis. Selon les résultats de l'étude de Bell, les fonctions de ces postes ne sont pas équivalentes à celles des emplois des plaignants. Nous avons fait nos propres évaluations et conclu qu'elles étaient équivalentes. Toutefois, nous avons décidé d'utiliser les résultats de l'étude de Bell plutôt que les nôtres. Bell soutient que la plainte n'est pas fondée, parce que les fonctions des postes ne sont pas équivalentes.

...

Nous pouvons étendre la portée de l'article 14 de l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale pour justifier l'utilisation de tous les emplois à prédominance masculine mentionnés comme postes repères.

Toutefois, nous utilisons l'ensemble des emplois à prédominance masculine, et non seulement les postes repères mentionnés dans les quatre plaintes. Selon le paragraphe 15(2) de l'Ordonnance, nous pouvons utiliser l'ensemble des emplois à prédominance masculine, mais uniquement lorsqu'aucune comparaison directe ne peut être établie. Dans le cas sous étude, si nous utilisons nos résultats, nous aurons une comparaison directe. Si nous utilisons les résultats de l'étude de Bell, nous n'aurons aucune comparaison directe, ce qui pourrait justifier l'utilisation de l'ensemble des emplois à prédominance masculine; cependant, s'il n'y a pas de comparaison directe avec les postes repères » , il n'y a pas de plainte non plus.

Affaire Bell - questions à examiner avec le conseiller juridique, 27 janvier 1993, dossier de demande, vol. IX, p. 1753.

26.Comme la Commission l'a indiqué plus loin :

« ... la plupart des plaintes visant Bell n'ont pas été justifiées, c'est-à-dire que les exigences liées aux postes repères à prédominance masculine étaient plus élevées.

Cependant, si nous faisons une comparaison entre un poste particulier et une ligne de régression, nous avons un bon point de départ » .

Note au dossier de Brian [Hargadon], 11 juin 1993, dossier de la demande, vol. IX, p. 1771; « notes compilées avant notre réunion du 16 juin 1993 » par B. Hargadon, ibid, p. 1773 et 1774.

27.Comme Bell l'a appris par la suite (voir les paragraphes 42 et 48), la Commission cherchait alors à obtenir d'autres plaintes et a avisé les syndicats de déposer de nouvelles plaintes concernant des emplois non précisés apparemment exercés principalement par des hommes, alors qu'elle devait entreprendre une enquête neutre au sujet de plusieurs plaintes individuelles touchant des employés et de certaines plaintes de l'ACET qui renvoyaient à des postes repères précis.

Affidavit de Beaudet, paragraphes 29 et 30, dossier de demande, vol. I, p. 22.

28.Par la suite, le SCEP a déposé, le 31 janvier 1994, une plainte dans laquelle il a reproché à Bell d'avoir fait montre de discrimination à l'endroit « de groupes à prédominance féminine de l'unité de négociation des techniciens et auxiliaires en leur versant un salaire inférieur à celui des emplois à prédominance masculine dont les fonctions sont équivalentes » (dossier de la Commission X-00456). Selon la plainte, la discrimination avait débuté le 23 novembre 1992, plus d'un an avant la date de la plainte en question, laquelle était donc prescrite aux termes de l'alinéa 41e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Plainte du SCEP en date du 31 janvier 1994 versée au dossier de la Commission X-00456, pièce 7 jointe à l'affidavit de Beaudet, dossier de demande, vol. I, p. 58.

29.Le 25 janvier 1994, un groupe d'employées de Bell répondant au nom de Femmes Action a déposé auprès de la Commission une plainte de disparité salariale entre les employées du groupe du service des téléphonistes et du service salle à manger de Bell et « les groupes d'emplois à prédominance masculine » (dossier de la Commission X-00455). Toutes les employées que Femmes Action cherchait à représenter faisaient partie du service des téléphonistes et du service salle à manger ou encore des groupes des techniciens et auxiliaires que représentait le SCEP et les deux personnes qui ont signé la plainte étaient très engagées au sein de ce syndicat. Une d'elles, Odette Gagnon, avait effectivement signé à titre de déléguée syndicale la convention collective qui était intervenue entre le syndicat en question et Bell et qui visait le groupe du service des téléphonistes et du service salle à manger. La plainte ne renfermait aucune précision quant à la date à laquelle la discrimination aurait débuté, indiquant simplement qu'elle se poursuivait « depuis de nombreuses années » .

Affidavit de Beaudet, paragraphes 19 et 20, dossier de demande, vol. I, p. 20 et 21, et pièce 12 jointe audit affidavit, ibid, p. 63.

30.Les deux unités de négociation mentionnées dans cette plainte étaient représentées par le SCEP, qui avait négocié sans contrainte tous les salaires de tous les employés visés par ladite plainte pour toute la période au cours de laquelle ladite convention devait apparemment s'appliquer.

Affidavit de Beaudet, paragraphe 15, dossier de demande, vol. I, p. 20, et pièces 6, 7, 10 et 11 au contre-interrogatoire de Réjean Bercier, 5 mars 1997.

31.Le 4 mars 1994, l'ACET a déposé une plainte que la Commission avait préparée pour qu'elle la signe et dans laquelle elle alléguait que Bell « faisait montre de discrimination à l'endroit des groupes de commis à prédominance féminine en leur versant un salaire inférieur à celui des emplois à prédominance masculine » (dossier de la Commission X-00460). Le même jour, l'ACET a également déposé ce qu'elle a présenté comme des modifications aux plaintes qu'elle avait déposées contre Bell dans les dossiers de la Commission X-00344, X-0372 et X-00417. Ces modifications étaient conformes en tous points aux projets que la Commission avait envoyés par télécopieur à l'ACET le jour du dépôt desdites modifications. Alors que, dans les plaintes initiales, l'ACET avait allégué qu'un emploi précis à prédominance féminine était moins bien payé qu'un emploi précis à prédominance masculine dont les fonctions étaient équivalentes, les modifications ont été calquées sur la formule que la Commission avait utilisée pour préparer la plainte X-00460, de sorte que les emplois utilisés comme postes repères ont été remplacés par l'expression « emplois à prédominance masculine dont les fonctions étaient équivalentes d'après l'étude mixte sur la parité salariale » . Tout comme le SCEP l'avait fait dans sa plainte du 31 janvier 1994 dont il est fait mention au paragraphe 28, l'ACET a soutenu, dans sa plainte, que la discrimination avait débuté le 23 novembre 1992, soit plus d'un an avant la date de la plainte. Elle était donc prescrite aux termes de l'alinéa 42e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Affidavit de Beaudet, paragraphe 16, dossier de demande, vol. I, p. 20, et pièces 8, 9, 10 et 11 jointes audit affidavit, ibid, p. 59 à 62; note de D. Lacoste à L. Wu, vice-président de l'ACET, 7 février 1994, dossier de demande, vol. IX, p. 1789 à 1793; note de D. Lacoste à L. Wu, 4 mars 1994, dossier de demande, vol. X, p. 1823 à 1828.

32.Tout comme c'était le cas pour les plaintes que le SCEP avait déposées le 31 janvier 1994, les taux de salaire visés par les nouvelles plaintes et les plaintes modifiées de l'ACET étaient des taux que celle-ci avait négociés librement dans le cadre des négociations collectives avec Bell.

Pièces 4 et 5 jointes au contre-interrogatoire de Linda Wu sur ses affidavits en date du 8 novembre et du 20 décembre 1996, 26 février 1997.

33.La Commission n'a obtenu aucune preuve indiquant que les membres de l'ACET et du SCEP avaient consenti au dépôt des plaintes et les syndicats n'ont effectivement demandé aucun consentement de cette nature.

Transcription du contre-interrogatoire de Linda Wu, 26 février 1997, p. 118 et 119; transcription du contre-interrogatoire de Réjean Bercier, 5 mars 1997, p. 52 et 53.

34.En même temps que le SCEP, l'ACET et Femmes Action déposaient les plaintes susmentionnées, la Commission déployait des efforts acharnés pour inciter les différentes personnes qui avaient déposé contre Bell des plaintes dans lesquelles elles soutenaient qu'elles ne recevaient pas un salaire égal en contrepartie d'un travail dont les fonctions étaient équivalentes en raison de leur sexe et désignaient des emplois précis comme postes repères à formuler leurs plaintes à titre de plaintes « généralisées » et à y remplacer les postes repères par l'expression « tous les emplois à prédominance masculine » .

35.Les enquêteurs de la Commission ne voulaient pas que des postes repères précis soient utilisés et préféraient tout simplement ignorer les plaintes individuelles déposées et suivre « les pratiques normales de la Commission, soit établir la moyenne des emplois à prédominance masculine conformément à l'article 15 de l'Ordonnance plutôt que de faire des comparaisons entre différents emplois, lesquelles comparaisons pourraient sembler nécessaires s'il était impossible de formuler une série de plaintes individuelles » . Les enquêteurs se sont fondés sur les renseignements de l'étude mixte, que Bell leur avait fournis sous toute réserve, pour élaborer ces nouvelles plaintes.

Note de P. Durber à R. Morgan, 13 janvier 1994, dossier de demande, vol. IX, p. 1777 et 1778.

36.Après avoir consulté les conseillers juridiques de la Commission, les enquêteurs ont dû reconnaître, non sans une certaine réticence, ce qui suit :

Sur le plan juridique, nous pourrions être contraints de nous en tenir au libellé des plaintes. En l'absence de plainte généralisée de l'ACET, la façon la plus prudente de procéder serait de faire modifier chacune des plaintes... Si les plaintes ne sont pas modifiées, nous pourrions recommander que les salaires soient rajustés en fonction de la courbe de régression masculine de l'étude, sans tenir compte des postes repères mentionnés dans la plainte.

Ces réflexions s'expliquaient, de l'avis de la Commission, parce que :

- des emplois précis exercés par des hommes étaient utilisés comme postes repères dans les plaintes;

- selon l'étude sur la parité salariale, les fonctions des emplois exercés par les plaignants ne sont pas équivalentes à celles des postes repères mentionnés dans les plaintes.

Résumé de la position et des mesures prises par la Commission au sujet de la modification des plaintes, D. Lacoste, consultante principale en matière d'équité salariale, 15 février 1994, dossier de demande, vol. IX, p. 1794 et 1795; note de P. Durber à D. Lacoste, 27 janvier 1994, ibid, p. 1780; note de D. Lacoste à P. Durber, 13 janvier 1997, ibid, p. 1777.

37.Lors de rencontres tenues avec les groupes de plaignants en février 1994, ces derniers se sont montrés réticents à apporter les « modifications » que la Commission demandait instamment, parce qu'ils craignaient que leurs plaintes ne soient rejetées dans un cas comme dans l'autre. Comme la Commission l'a expliqué à un groupe :

Si aucune modification n'était apportée, les plaignants risquaient de voir leur plainte rejetée parce que, d'après l'étude sur la parité salariale, ils n'exercent pas un emploi dont les fonctions sont équivalentes à celles des postes repères qu'ils ont choisis. Par ailleurs, s'ils modifiaient leur plainte juste avant que nous communiquions le rapport d'enquête, cette mesure risque d'être perçue comme une manipulation de notre part [c'est-à-dire la Commission] et comme une mesure visant à tenter de gagner une cause qui pourrait être perdue pour une raison technique.

Résumé de la position prise par la Commission au sujet de la modification des plaintes, D. Lacoste, consultante principale en matière d'équité salariale, 15 février 1994, dossier de la demande, vol. IX, p. 1794; note de D. Lacoste à S. Fitzhenry, 31 janvier 1994, ibid, p. 1781.

38.Au cours du mois de février 1994, la Commission préparait également son rapport sur les plaintes visant Bell, notamment sur celles qu'elle avait demandées à l'ACET et qu'elle n'avait pas encore reçues. La communication prématurée de ce document suscitait une certaine crainte, du fait que la Commission « ignorait quels étaient exactement les écarts salariaux » .

Note de P. Durber à M. Keeley, 28 février 1994, dossier de demande, vol. X, p. 1807; note de P. Durber à M. Keeley, 16 février 1994, ibid, p. 1806.

39.Le 15 mars 1994, la Commission a communiqué un document qu'elle a intitulé « Projet de rapport d'enquête » ( « projet de rapport » ). Il s'agissait apparemment d'un rapport concernant une enquête complète menée au sujet de toutes les plaintes visant Bell qui sont mentionnées aux présentes, y compris les plaintes déposées par Femmes Action le 25 janvier 1994, par le SCEP le 31 janvier 1994 et par l'ACET le 4 mars 1994, lesquelles plaintes renfermaient toutes des allégations très complexes et imprécises de discrimination « généralisée » dont Bell aurait été coupable. Le rapport prétendait également avoir enquêté sur la plainte de Femmes Action, même si cette plainte concernait plus de 1 000 personnes qui cherchaient toutes à comparer leurs emplois non précisés à des « groupes d'emplois à prédominance masculine » non définis.

Affidavit de Beaudet, paragraphe 23, dossier de demande, vol. I, p. 21, et pièce 13 jointe audit affidavit, ibid, p. 64 à 75.

40.Les auteurs du projet de rapport ont conclu à l'existence de motifs raisonnables de croire que Bell s'était rendue coupable de la discrimination reprochée dans chacune des plaintes, y compris évidemment celles que la Commission avait reconnues dans ses documents internes comme des plaintes non fondées. Pour en arriver à ces conclusions, la Commission s'est nécessairement fondée, en l'absence d'étude générale de sa part au sujet des emplois visés par les plaintes, sur l'étude mixte menée par Bell, l'ACET et le SCEP. Bien entendu, c'est à titre confidentiel que Bell avait communiqué à la Commission ce document et les différents rapports et données techniques qui en faisaient partie.

Voir plus haut, paragraphes 22, 38 et 39; affidavit de Beaudet, paragraphe 24, dossier de demande, vol. I, p. 21; affidavit de Beaudet, 20 décembre, no 2, paragraphe 14, ibid, vol. II, p. 366.

41.Même si elle a recommandé dans son rapport que des poursuites soient intentées contre Bell au sujet de toutes les plaintes, la Commission a reconnu que bon nombre de plaintes déposées en 1990 et en 1991 étaient prescrites, puisqu'elles étaient fondées sur des événements qui étaient survenus, par exemple, en 1986.

Affidavit de Beaudet, paragraphe 25, dossier de demande, vol. I, p. 21.

42.À la demande de la Commission, Bell a déposé une réponse et des commentaires au sujet de ce projet de rapport le 30 juin 1994. Dans cette réponse, Bell a souligné, entre autres choses, que l'enquêteur apparemment impartial avait joué à tort un rôle actif lorsqu'il a conseillé que de nouvelles plaintes soient déposées contre elle, que les plaintes étaient prescrites et imprécises, qu'aucun des salaires visés par les plaintes de discrimination n'avait été fixé par Bell, mais que ceux-ci découlaient plutôt des négociations collectives conclues avec les syndicats, qui contestaient leurs propres conventions, et qu'il ne convenait pas d'utiliser l'étude mixte comme preuve de pratiques discriminatoires aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Réponse de Bell à la Commission, 30 juin 1994, dossier de demande, vol. X, p. 1856 à 1869.

                                                                                                (p. 6 à 14)

                                                                                             *** *** ***

44.Peu après la communication du projet de rapport le 15 mars 1994, Bell et les auteurs des différentes plaintes visées par le rapport ont entrepris une démarche de médiation conformément à l'article 47 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette médiation s'est poursuivie jusqu'en novembre 1994, mais n'a pas permis de régler les plaintes.

Affidavit de Beaudet, paragraphe 27, ibid, p. 22.

45.Au cours de la médiation, la Commission a poursuivi ses efforts en vue de demander que des modifications soient apportées aux plaintes déposées par les individus. La situation est bien résumée dans une lettre qu'un avocat représentant un groupe de plaignants a fait parvenir à la Commission :

Si nous avons bien compris, on a proposé aux individus de modifier leurs plaintes en remplaçant les postes repères à prédominance masculine utilisés comme facteurs de comparaison par « tous les emplois à prédominance masculine - dont les fonctions sont équivalentes » . Apparemment, la CCDP propose que les plaintes soient modifiées parce que, de l'avis de l'intimée, les fonctions des employés affectés au repérage de câbles ne sont pas équivalentes à celles des postes repères utilisés. Nous comprenons également que la CCDP a l'intention de répondre à cet argument en modifiant les plaintes de façon à en faire des plaintes généralisées plutôt que des plaintes concernant l'inégalité entre certains emplois.

Apparemment, le véritable motif sous-jacent à la modification des plaintes est le fait que, si le poste des employés affectés au repérage de câbles était comparé à une catégorie plus large d'emplois, il y aurait plus de chances que les plaintes soient accueillies si elles devaient être portées devant un tribunal. Les postes en question seraient comparés à tous les emplois à prédominance masculine dont les fonctions sont équivalentes plutôt qu'à certains emplois spécifiques. Les risques liés au rejet des plaintes rejetées seraient inférieurs.

                                ...

Un des inconvénients inhérents à la modification des plaintes est le fait que la Cour fédérale a reproché à la CCDP de manipuler les plaintes dans le passé. Nos clients craindraient que Bell ne soulève un argument de cette nature et n'allègue que les plaintes ne devraient pas être entendues, parce qu'elles ont fait l'objet de manipulations. Est-ce possible? Si l'argument est soulevé, existe-t-il des précédents indiquant comment la question serait tranchée?

Lettre de Lawrence, Lawrence & Stevenson à la Commission, 28 juin 1994, dossier de demande, vol. X, p. 1849 à 1850.

46.Au cours de ce processus de médiation, la Commission a communiqué avec la médiatrice à l'insu de Bell pour lui faire parvenir sa réponse au projet de rapport et discuter avec elle de méthodes pour « exercer des pressions sur Bell » pendant la médiation. En septembre 1994, les efforts de la Commission visaient principalement à déterminer la responsabilité de Bell et à trouver des façons de répondre aux moyens de contestation que Bell pourrait invoquer en réponse aux plaintes devant un tribunal.

Télécopie et pièces jointes envoyées par la Commission à J. Davidson-Palmer, 3 juin 1994, dossier de demande, vol. IX, p. 1846 à 1869; note de P. Durber à M. Keeley, 21 novembre 1994, ibid, p. 1775; note de M. Keeley, directeur général, Équité en matière d'emploi et parité salariale, à M. Yalden, président de la Commission, 7 septembre 1994, dossier de demande, vol. X, p. 1884 à 1887.

                                                                                             *** *** ***

61.Le 26 février 1996, la Commission a fait parvenir à Bell des copies de certaines décisions qu'un tribunal avait récemment rendues au sujet de plaintes en matière de disparité salariale et lui a demandé de les commenter. Bell a répondu par des commentaires au sujet des décisions dans une lettre en date du 25 mars 1996.

Affidavit de Beaudet, paragraphes 51 et 52, et pièces 37 et 38 jointes audit affidavit, dossier de demande, vol. I, p. 28, et 286 à 292.

62.La Commission n'a communiqué avec Bell au sujet des plaintes en matière de disparité salariale que le 15 mai 1996, lorsque le directeur de l'équité salariale de la Commission a fait savoir à Bell par téléphone que la Commission avait décidé de renvoyer à un tribunal certaines plaintes déposées contre elle. Le 22 mai 1996, la Commission a publié un communiqué de presse dans lequel elle a déclaré qu'elle avait demandé la formation d'un tribunal chargé d'enquêter sur les plaintes en matière de disparité salariale qu'avaient déposées l'ACET, le SCEP et Femmes Action. Deux jours plus tard, une entrevue menée auprès du directeur de l'équité salariale de la Commission a été publiée dans le journal Ottawa Citizen. Dans ce communiqué, le directeur a reproché à un certain nombre d'employeurs (notamment Bell) de « lutter contre l'équité salariale » et déclaré que l'étude sur l'évaluation des emplois avait indiqué que les emplois à prédominance féminine étaient moins bien rémunérés que les emplois à prédominance masculine dont les fonctions étaient équivalentes.

Affidavit de Beaudet, paragraphes 54 et 55, et pièces 30 et 40, dossier de demande, vol. I, p. 28 et 293 et 294.

63.Bell, qui n'avait pas encore été avisée des plaintes qui avaient été renvoyées à un tribunal, a écrit à la Commission le 29 mai 1996 pour lui demander, compte tenu du communiqué de presse et de l'entrevue de la Commission, de lui remettre une copie de la décision en question quant au renvoi. Le 30 mai 1996, la Commission a fait parvenir à Bell une lettre en date du 27 mai 1996 dans laquelle elle avisait celle-ci de sa décision de renvoyer à un tribunal les plaintes déposées par Femmes Action, l'ACET et le SCEP.

Affidavit de Beaudet, paragraphes 56 et 57, et pièces 41 et 42 jointes audit affidavit, dossier de demande, vol. I, p. 29, et 295 à 298.

                                                                                  (DDB, vol. XI, p. 20 et 21)

[17�]    La Cour reconnaît que les extraits qui précèdent et les citations qui y sont jointes sont tirées de documents existant réellement et se fonde sur le compte rendu des faits qui figure dans le DDB, au volume XI, qui est trop long pour être reproduit en l'espèce, pour faire les déductions nécessaires afin de formuler les présents motifs et trancher l'affaire. La requérante Bell résume ses plaintes visant la CCDP et les méthodes que celle-ci a utilisées au paragraphe 66 de son dossier de demande, vol. XI, p. 21 (soit la page 1928 des vol. I à XI du DDB) :

[TRADUCTION]

66.En résumé, les faits exposés ci-dessus indiquent que les plaintes des syndicats concernent les salaires qu'eux-mêmes ont négociés et se fondent sur une étude mixte en matière de parité salariale que Bell a menée avec les syndicats en question pour orienter leurs négociations collectives; de plus, la Commission

(i)n'a pas tenu une enquête en bonne et due forme au sujet des plaintes qu'elle a reçues en matière de parité salariale;

(ii)a plutôt activement recommandé la formulation de plaintes entièrement différentes contre Bell tout en cherchant à conseiller celle-ci et ses syndicats dans le cadre de l'étude mixte concernant la parité salariale, laquelle était menée aux fins de leurs négociations collectives;

(iii)s'est fondée à tort sur des résultats et des données techniques tirés de cette étude pour justifier des plaintes qu'elle avait elle-même adaptées en fonction de la situation des plaignants afin de traduire les renseignements en question, commettant par le fait même un abus de confiance;

(iv)a d'abord eu accès à l'étude technique et détaillée en persuadant Bell et ses syndicats d'explorer ces renseignements ensemble dans le cadre d'une procédure de médiation confidentielle qui devait avoir lieu sous toute réserve, après quoi elle a fait paraître ses rapports d'enquête et tenté d'utiliser ces renseignements sur une base illimitée, malgré l'interdiction énoncée au paragraphe 47(3) de la Loi.

                                                                                                   (p. 21)

[18�]    De plus, au vol. XI de son dossier de demande, p. 23 et 24 (p. 1930 et 1931), Bell soutient que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu'elle a omis de rejeter

[TRADUCTION]

(i)les plaintes qu'avaient déposées le SCEP, l'ACET et Femmes Action au motif qu'elles étaient futiles et entachées de mauvaise foi, étant donné que ces syndicats contestaient les salaires qu'ils avaient eux-mêmes négociés dans le cadre des négociations collectives avec Bell;

(ii)les plaintes qu'avaient déposées le SCEP, l'ACET et Femmes Action, même si elles étaient toutes prescrites et qu'aucun motif valable n'existait pour priver Bell de son droit essentiel de ne pas être tenue de se défendre à l'encontre de plaintes déposées sous le régime de la Loi et fondées sur des événements survenus plus d'un an avant leur dépôt;

(iii)les plaintes qu'avaient déposées le SCEP, l'ACET et Femmes Action malgré l'absence totale d'éléments de preuve permettant de conclure que Bell avait pratiqué la disparité salariale pour des considérations fondées sur le sexe contrairement à l'article 11 de la Loi;

(iv)les plaintes qu'avaient déposées le SCEP, l'ACET et Femmes Action malgré le fait qu'elles renvoyaient à prime abord à des employés de Bell qui travaillaient dans des établissements différents et qui étaient assujettis à des politiques différentes en ce qui a trait aux salaires et aux conditions d'emploi, alors que l'article 11 de la Loi exige que les comparaisons soient faites uniquement entre des personnes travaillant dans le même établissement;

(v)les plaintes qu'avaient déposées le SCEP, l'ACET et Femmes Action malgré l'absence de précisions dont Bell avait besoin pour contester valablement lesdites plaintes;

(vi)la plainte du SCEP malgré le fait que la Commission avait déjà conclu, en 1984, 1985 et 1987, que les salaires que Bell avait versés à l'égard des emplois à prédominance féminine choisis par le SCEP ne constituaient pas une pratique discriminatoire fondée sur le sexe qui allait à l'encontre de l'article 11 de la Loi, et malgré l'absence d'éléments de preuve indiquant un changement touchant l'écart entre les salaires versés pour les emplois à prédominance féminine et ceux des emplois à prédominance masculine chez les employés de Bell qui étaient représentés par le SCEP.

[19�]    Bell formule la question suivante :

            La Commission a-t-elle nié à Bell son droit à l'équité procédurale en joignant aux fins d'une enquête les différentes plaintes qu'avaient déposées le SCEP, l'ACET et Femmes Action à d'autres qui couvraient différents emplois, différentes périodes et différents éléments de comparaison? La réponse à cette question se trouve dans la Loi. L'avocate de l'ACET renvoie au paragraphe 40(4) de la Loi (transcription, 27 novembre 1997 (4e), p. 44). Elle a probablement raison, pourvu que les plaintes soient formulées correctement et conformément aux exigences de la Loi. Si tel est le cas, la crainte de Bell sera probablement sans fondement; dans le cas contraire, l'enquête du tribunal à ce sujet devrait être arrêtée. Toutefois, Bell doit établir le bien-fondé de cette crainte et tout autre préjudice qu'elle invoque.

[20�]    L'avocate a fait valoir que cette question a déjà été entendue par le tribunal et qu'elle fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire. À l'heure actuelle, elle est peut-être tranchée.

[21�]    Au volume XI de son dossier de demande, Bell allègue, à la page 24 (1931), que l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale dépasse la compétence de la CCDP; cependant, lorsque l'avocate de l'ACET a soulevé cette question, l'avocat de Bell a répondu comme suit : [TRADUCTION] « pour la présente affaire, nous pourrions présumer, sans nous prononcer à ce sujet, que l'Ordonnance est valable *** aux fins de cet argument » (transcription, 27 novembre 1997 (4e), p. 47). Par conséquent, il n'est pas nécessaire que la Cour se prononce sur la question de la validité de l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale. L'avocat de Bell demande uniquement de souligner [TRADUCTION] « qu'elle s'y oppose tout au long des l'instance » .

[22�]    Dans l'ensemble, la Cour est convaincue que les allégations de Bell en ce qui a trait aux erreurs de droit que la Commission aurait commises, énumérées au paragraphe [18] qui précède, sont bien fondées. Au cours des dernières années, la CCDP a adopté une nouvelle philosophie politique concernant les plaintes en matière de disparité salariale, sinon en ce qui a trait à toute la question des disparités salariales qui seraient discriminatoires. Cette philosophie n'est peut-être pas si nouvelle en ce qui a trait à la question de la « parité salariale » . Au lieu d'utiliser des postes repères comme facteurs de comparaison, il semble que la CCDP, que ce soit de son propre chef ou à la demande des autres intimés, a adopté un nouveau concept fondé sur les emplois à prédominance masculine et les emplois à prédominance féminine, ce qui comprend évidemment les emplois exercés exclusivement par des femmes ou par des hommes, le cas échéant. Cependant, l'avocat de Bell a tout à fait raison de dire que cette nouvelle vague est précisément l'attitude qui n'est pas autorisée par l'article 11 de la Loi cité plus haut au paragraphe [8]. En effet, l'article 11 vise la discrimination entre des éléments de comparaison spécifiques.

[23�]    Des exemples d'application de cette nouvelle politique se trouvent dans l'affidavit de Francine Bibby, DDB, vol. VII, onglet 12, à la page 1494. Celle-ci joint en effet à son affidavit quelques plaintes remontant à 1980 à titre d'exemples de la « nouvelle » philosophie politique et du rejet total de celle-ci par la CCDP lorsque M. R.G.L. Fairweather en était le président. Effectivement, dans un des cas où des requérants déçus avaient présenté une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 28 après l'expiration du délai (A-521-85, 12 mai 1986), une formation importante de la Cour d'appel avait décidé à l'unanimité que, même si le requérant concerné avait expliqué le délai de façon satisfaisante, il n'a pas prouvé qu'il avait une cause valable à plaider.

[24�]    Le paragraphe 11 de l'affidavit de Mme Bibby illustre à quel point la négociation collective permet de réduire les disparités touchant différentes classifications d'emplois. Comment expliquer que les plaintes de discrimination déposées au nom des employées ont toutes été rejetées au début des années 1980, que, depuis ce temps, ces mêmes employées (ou de nouvelles employées appartenant aux mêmes classifications) ont reçu des augmentations de salaire proportionnelles supérieures à celles qui ont été versées aux employés de sexe masculin exerçant les emplois qui correspondaient aux postes repères utilisés lors du rejet des plaintes, et que des plaintes valables de disparité salariale ont pu être déposées par la suite? Mme Bibby n'a pas été contre-interrogée.

[25�]    Il se peut que la philosophie relative aux disparités salariales que la CCDP et les intimés ont adoptée soit plus efficace en termes d'économies d'échelle. Cependant, jusqu'à ce que le Parlement adopte cette philosophie et l'indique clairement dans un texte législatif pouvant clairement être interprété de cette façon, cette Cour s'en tiendra à l'article 11 sous sa version actuelle. Effectivement, ce n'est que dans certaines situations que « l'accroissement de l'efficacité » et les « économies d'échelle » engendrent l'équité et la justice et il ne semble pas que ce soit le cas en l'espèce. Toutefois, il n'y a pas lieu de dire pour autant que Bell a atteint la perfection sur le plan de l'équité salariale, comme l'indiquent les commentaires formulés à la page 12 du rapport final du Comité mixte de l'équité salariale (DDB, vol. II, onglet 3, p. 0347).

[26�]    Bien entendu, cette conclusion n'est pas incompatible avec le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans Action Travail des Femmes c. C.N., [1987] 1 R.C.S. 1114, car la preuve n'indique pas que les disparités salariales entre les employés de Bell sont « généralisées » . Les femmes ne représentent pas une infime minorité, mais plutôt une « masse critique » des employés de Bell; bon nombre d'entre elles reçoivent un salaire supérieur à celui des hommes et exercent des fonctions d'encadrement.

[27�]    En décembre 1997, un différend mineur a opposé les avocats aux présentes au sujet d'une lettre en date du 8 décembre 1997 que l'avocat de la requérante avait envoyée « par messager » au greffe de Montréal, mais qui était adressée au présent juge. Ce n'est pas la bonne façon de procéder. Les dernières paroles qu'un avocat adresse à un juge doivent être exprimées dans le cadre d'une audience publique, sauf si tous les avocats des parties adverses consentent à ce que l'un de leurs collègues écrive au juge au sujet du litige. L'avocat de la requérante soutient qu'il a procédé de cette façon parce qu'il ne restait plus de temps à la fin de la quatrième journée de cette audience de « deux jours » . Il a cité certains extraits de la décision bien connue que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie, reproduite à l'onglet 103 du volume V, volume de jurisprudence conjoint, soit l'arrêt S.E.P.Q.A. c. Canada, [1989] 2 R.C.S. 879.

[28�]    Dans cette affaire, le litige découlait de la façon dont la CCDP avait interprété l'article 11 de la Loi, laquelle interprétation constituait le fondement du rapport de l'enquêteur : celui-ci « a tenu compte du groupe plutôt que de ses membres individuels et a examiné le système au lieu de se concentrer sur des plaintes individuelles. *** L'enquêteur a recommandé que la Commission rejette la plainte parce qu'elle n'était pas fondée. *** La Commission a examiné [les observations de la partie appelante] ainsi que le rapport de l'enquêteur et, sans tenir d'audience, a rejeté la plainte en vertu du paragraphe 36(3) de la Loi parce qu'elle n'était pas fondée. La demande d'examen et d'annulation de la décision de la Commission présentée par l'appelant en vertu de l'article 28 a été rejetée par la Cour d'appel fédérale » (R.C.S. p. 880).

[29�]    Dans cette affaire, la Cour suprême a rejeté l'appel de l'appelant, Madame le juge Wilson et Madame le juge L'Heureux-Dubé étant entièrement dissidentes tandis que le juge en chef Dickson était dissident en partie. Le juge Sopinka a rédigé les motifs de la décision de la majorité en son nom et en celui des juges Lamer et La Forest.

[30�]    L'avocat de la requérante a attiré l'attention de la Cour sur l'extrait suivant de l'opinion dissidente de Madame le juge L'Heureux-Dubé (R.C.S., p. 925) :

L'article 11, cependant, diffère des art. 7 et 10. La portée de sa protection est en effet délimitée par le concept d' « équivalence » : cette disposition n'empêche pas un employeur de rémunérer différemment des emplois non équivalents. Dans le cadre particulier de cette disposition, la discrimination salariale présuppose l'équivalence, dans le même établissement, des fonctions exécutées par des femmes et par des hommes. En conséquence, pour que soit accueillie une plainte fondée sur l'art. 11, il faut établir l'équivalence des fonctions à l'égard desquelles est alléguée une situation de disparité salariale discriminatoire.

                Dans d'autres pays où ont été adoptées des lois relatives à la parité salariale, on ne peut établir prima facie l'existence de discrimination salariale en présentant uniquement des éléments prouvant la ségrégation. *** [citations omises]

Selon l'avocat de la requérante, le [TRADUCTION] « raisonnement sur ce point est conforme à celui de la majorité, dont le défunt juge Sopinka a rédigé le jugement à la page 903 de l'arrêt » .

[31�]    Étant donné que le jugement S.E.P.Q.A. fait partie du domaine public et des autorités que les parties ont soumises ensemble, et également parce que les avocats des intimés semblaient outrés par la conduite regrettable de l'avocat de la requérante, la Cour a invité tous les avocats des parties adverses à répondre. Voici la courte réponse de l'avocat du SCEP :

[TRADUCTION] En réponse à la lettre de Me Roy L. Heenan en date du 8 décembre 1997, nous aimerions simplement attirer l'attention de la Cour sur les extraits suivants de l'arrêt S.E.P.Q.A. c. C.C.D.P., [1989] 2 R.C.S. 879, où les extraits que Me Heenan a cités sont replacés dans leur contexte : p. 925-926 (lignes h à a), p. 926-927 (lignes i à b) (jugement dissident de Madame le juge L'heureux-Dubé) et p. 888 (lignes c à j) (jugement majoritaire du juge Sopinka).

                                                                                          (24 février 1998)

[32�]    Le premier extrait du jugement de Madame le juge L'Heureux-Dubé, que l'avocat du SCEP cite, commence là où l'avocat de la requérante s'était arrêté, soit « [citations omises] » . Ainsi,

(pour les États-Unis, voir Corning Glass Works v. Brennan, 417 U.S. 188 (1974); pour le Royaume-Uni, voir Waddington v. Leicester Council for Voluntary Services, [1977] 2 All E.R. 633 (E.A.T.)) Commentant la législation canadienne en général, Walter S. Tarnopolsky écrit dans Discrimination and the Law in Canada (1982), à la p. 417 :

[TRADUCTION] C'est manifestement au plaignant qu'il incombe de prouver que des fonctions sont « équivalentes » ou encore « analogues ou essentiellement analogues » .

                Pour ces motifs et compte tenu de la question restreinte que soulève l'appelant, la ségrégation professionnelle ne saurait, en elle-même, constituer une preuve prima facie en vertu de cette disposition, à moins naturellement que cette preuve n'établisse de façon indépendante l'équivalence des fonctions en cause, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

                                                                                (R.C.S. : p. 925 h à p. 926 a)

                                                                                             *** *** ***

                Comme je l'ai indiqué précédemment, le concept de « travail égal » revêt une importance capitale aux fins du présent pourvoi. Or, ce concept n'est simple qu'en apparence.

                La première difficulté réside dans la notion d'égalité. L'interdiction dont est l'objet la discrimination salariale s'inscrit dans un régime législatif plus large visant à éliminer tout acte discriminatoire et à promouvoir l'égalité dans l'emploi. C'est dans ce cadre élargi que l'art. 11 s'attaque au problème de la sous-évaluation du travail exécuté par des femmes. Puisque cet objectif va au-delà de l'interdiction évidente de payer un salaire inférieur pour des fonctions strictement identiques, la notion d'égalité contenue à l'art. 11 ne devrait pas recevoir une interprétation formaliste ou restrictive. Il n'appartient pas à notre Cour toutefois de déterminer ici le degré d'analogie nécessaire en vertu de cette disposition.

                                                                                (R.C.S. : p. 926 i à p. 927 b)

Voilà pour l'opinion dissidente, dont l'avocat de l'ACET a également cité dans sa réponse le dernier paragraphe qui précède.


[33�]    Voici l'extrait du jugement du juge Sopinka que l'avocat du SCEP cite, tout comme l'avocat de l'ACET :

                Était jointe à la lettre une copie de son rapport qui expliquait, avec des renvois au plan Aiken, la méthode employée et les résultats obtenus. De plus, chacune des anomalies susmentionnées y était clairement décrite. Sous la rubrique « Discussion » , l'enquêteur précisait que pour faire enquête il fallait tenir compte du groupe plutôt que de ses membres individuels et examiner le système plutôt que se concentrer sur des plaintes individuelles. Cette démarche découle de l'interprétation donnée par la Commission à l'art. 11 de la Loi. La Commission adopte cette interprétation parce qu'elle estime que l'art. 11 est libellé de manière à empêcher « l'effet de cliquet » ( « ratcheting » ) et d'autres rajustements salariaux non conformes aux pratiques acceptées en matière de rémunération. Par exemple, il se peut que dix employés du sexe masculin remplissant des fonctions différentes et rémunérés à des taux différents accomplissent tous un travail équivalent à celui d'une employée dont le salaire est inférieur. S'il était permis à cette employée féminine de limiter une plainte fondée sur l'art. 11 à une comparaison de son salaire avec celui de l'homme le mieux rémunéré, c'est à ce dernier niveau que serait porté son salaire à elle. Tous les autres employés masculins pourraient par la suite exiger le rajustement de leurs salaires pour qu'ils soient égaux à celui de la femme, dont la rémunération se situerait au taux maximal. En fin de compte, tous les employés finiraient par obtenir le taux maximal. Ainsi appliqué, l'art. 11 garantirait non pas la parité salariale entre les sexes, mais le paiement d'un salaire égal pour des fonctions équivalentes indépendamment du sexe des employés.

                                                                                      (R.C.S. : p. 888 c à j)

Ce qui semble être décrit dans le passage qui précède est un exemple d'effet de cliquet.

[34�]    Compte tenu des véritables questions que le juge Sopinka a formulées à la page 889 de l'arrêt S.E.P.Q.A., et qui sont restreintes, les extraits cités que les avocats des parties adverses ont invoqués aux présentes semblent vraiment intéressants et constituent probablement des remarques incidentes utiles, comme l'a dit le juge en chef Dickson. Voici comment celui-ci s'exprime aux pages 885 et 886 :

À une seule réserve près, je suis d'accord avec les motifs de mon collègue le juge Sopinka. À mon avis, on peut entièrement trancher ce pourvoi sur des motifs de compétence et de procédure et, par conséquent, j'estime qu'il n'est ni nécessaire ni approprié de traiter de l'exactitude de l'interprétation de l'art. 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, par la Commission canadienne des droits de la personne. La Commission canadienne a choisi de ne pas donner les motifs de sa décision de rejeter la plainte qu'elle estimait non fondée. Devant cette Cour, l'attaque de l'appelant était axée principalement sur des moyens de procédure et de compétence et, en Cour d'appel fédérale, l'interprétation de l'art. 11 n'a pas été abordée. Par conséquent, je souscris à l'avis du juge Sopinka, mais n'exprime aucune opinion quant à l'interprétation de l'art. 11.

                                                                                        (R.C.S. p. 885-886)

[35�]    Dans la présente affaire, la CCDP a abusé de Bell et a profité d'elle. Bell a participé à l'étude sur la parité salariale avec les syndicats intimés à la condition que les parties utilisent les résultats de cette étude pour la négociation collective, ce qui avait été accepté. L'affidavit d'André Beaudet en date du 14 juin 1996 est détaillé et révélateur. Il figure au volume I du DDB, onglet 3, et débute à la page 017. Voici quelques extraits pertinents :

1.              Je suis à l'emploi de la requérante Bell Canada ("Bell") depuis 1973, où j'occupe la fonction de Chef divisionnaire - structuration et évaluation des postes depuis 1985. À ce titre, et en tant que membre du Comité conjoint mis sur pied par Bell, l'Association canadienne des employés de téléphone intimée (l'"ACET") et le Syndicat canadien des communications de l'énergie et du papier intimé (le "SCEP"), afin d'évaluer certains postes chez Bell à des fins de négociation collective, je suis en mesure d'affirmer que tous les faits énoncés ci-après sont vrais et j'en ai une connaissance personnelle.

                                                                                             *** *** ***

4.              En 1991 et 1992, l'ACET logea auprès de la Commission des plaintes concernant les salaires qu'elle avait elle-même déterminés avec Bell par voie de négociation collective. Chacune de ces plaintes, logées les 27 juin 1991, ler avril 1992 et 22 octobre 1992, alléguait que les titulaires de postes déterminés à prédominance féminine étaient moins bien rémunérées que les titulaires de postes déterminés à prédominance masculine et ce, en raison de leur sexe. Or, les salaires faisant l'objet de ces plaintes étaient ceux contenus dans la convention collective intervenue entre Bell et l'ACET en date du ler juin 1990 et dans la convention collective intervenue entre Bell et le SCEP en date du 11 février 1991. Des copies de ces plaintes logées par l'ACET les 27 juin 1991 (dossier de la Commission numéro X-00344), ler avril 1992 (dossier de la Commission numéro X-00372) et 22 octobre 1992 (dossier de la Commission numéro X-00417) me sont montrées à l'instant et constituent respectivement les pièces 2, 3 et 4 au soutien de mon affidavit.

5.              En 1991, Bell, l'ACET et le SCEP ont convenu d'entreprendre une étude conjointe des modèles de rémunération reflétés dans les salaires que ces syndicats avaient déterminés avec Bell par voie de négociation collective. Cette étude visait à élaborer des lignes directrices destinées aux parties en vue des prochaines négociations collectives. Le seul objectif de cette étude était de servir de guide aux parties aux fins de négociation collective et n'avait aucun autre but. Une copie du document "Pay Equity Project Terms of Reference", en date du 26 avril 1991, m'est présentement montrée et constitue la pièce 5 au soutien de mon affidavit.

6.              Les parties ont convenu de retenir les services d'un cabinet conseil de consultants qui jouera un rôle déterminant à chacune des étapes de l'étude, y compris, par exemple, au niveau du choix de la méthode d'évaluation et l'énumération ainsi que la considération des facteurs d'évaluation. Le rôle du consultant est décrit en détail à la page 10 du Rapport final du Comité d'équité conjointe salariale en date du 23 novembre 1992 (le "Rapport final"). Une copie de ce rapport [m]'est montrée à l'instant et constitue la pièce 6 au soutien de mon affidavit.

7.              Le consultant retenu le fut à l'insistance du SCEP dans le cadre des négociations collectives alors en cours, et après que le SCEP ait rejeté tous les autres consultants suggérés.

8.              Bell n'aurait jamais accepté ce consultant n'eut été de l'insistance du SCEP dans le cadre des négociations collectives. De plus, elle le fit parce que le seul objectif de l'étude était de servir de guide aux négociations collectives futures.

9.              L'enquête générale consignée dans le Rapport final, reproduit comme pièce 6 au soutien de mon affidavit, fut complétée en novembre 1992. Elle portait seulement sur l'analyse de certains postes repères chez Bell, établissant une comparaison des courbes salariales entre les postes repères à prédominance masculine et les postes repères à prédominance féminine. Cette étude était du type courbe à courbe. Par conséquent, elle ne reposait pas sur une comparaison entre postes spécifiques à prédominance masculine et féminine. Conformément au but qu'elle visait, cette étude n'a pas eu pour résultat de déterminer si certains postes spécifiques à prédominance féminine étaient sous-payés par rapport à quelque poste spécifique que ce soit à prédominance masculine ou en relation avec des postes de valeur égale. Elle ne visait qu'à guider les prochaines négociations collectives.

10.            De plus, le rapport final fut préparé par un comité conjoint aux seules fins de négociation, ce qui est reflété par le fait, par exemple, que certains membres du STCC et de l'ACET sur ce comité faisaient partie de leur comité de négociations de convention collective. Bell n'aurait pas accepté une telle composition du comité si le but avait été autre que de servir de guide pour les négociations collectives.

                                                                                             *** *** ***

12.            Le Rapport final se fondant sur une enquête courbe à courbe, plutôt que sur une comparaison par paire (emploi à emploi) ou un plan d'évaluation des emplois, il ne contenait aucune donnée permettant de conclure qu'il existait une disparité salariale entre les titulaires de postes désignés à prédominance masculine et ceux de certains postes désignés à prédominance féminine, alors que ceux-ci exécutaient des fonctions équivalentes. Ce type de conclusion ne peut résulter que d'une étude basée sur une comparaison par paire (emploi à emploi) ou sur la comparaison d'un poste particulier à une ligne de régression masculine ou féminine.

13.            En juin 1991, la Commission avisa Bell que lors de son enquête portant sur les plaintes individuelles mentionnées au paragraphe 2 des présentes, elle s'appuierait sur le Rapport final lorsqu'il serait disponible. À sa demande expresse, la Commission se vit confier un rôle dans l'élaboration et l'approbation de certains aspects techniques de cette étude. La Commission entreprit cette tâche et fut informée des résultats de l'étude des documents de travail techniques y afférents sur une base strictement confidentielle.

[36�]    Compte tenu de l'objet de l'étude dont toutes les parties avaient convenu, du fondement des comparaisons qu'elle renferme (qui n'est pas conforme à l'article 11 de la Loi) et du caractère confidentiel de certains renseignements mentionnés par M. Beaudet, les autres parties aux présentes ne se sont pas comportées honorablement à l'endroit de la requérante et, pis encore, la façon dont la CCDP a traité Bell était inéquitable en droit. La Cour souscrit à l'argument de l'avocat qui figure à la transcription 4, aux pages 177 à 183, et selon lequel les employés visés par la comparaison doivent travailler dans le même établissement. La comparaison avec des « catégories génériques d'emplois » n'était pas conforme à la Loi ou à l'Ordonnance et il était illégal et inéquitable d'imposer ces conditions à Bell dans l'affaire dont la CCDP était saisie. Cette conclusion est presque admise dans le rapport de l'enquêteur, que le directeur de l'équité salariale de la CCDP a contresigné à la page 222, DDB, vol. I, onglet 34. Cette « quasi-admission » se trouve à la page 217 des mêmes volume et onglet :

[TRADUCTION]

150.Les exigences liées aux différents titres de poste ont été regroupées avant le début de l'évaluation. Il convient de regrouper plusieurs emplois dans une seule catégorie générique pour en déterminer la valeur lorsque l'employé est tenu d'exercer les fonctions de tous les postes en question à tour de rôle. Dans la présente affaire, il n'y a pas de rotation automatique entre les emplois inclus dans la catégorie générique. Par conséquent, il se peut que les résultats des évaluations touchant les catégories génériques d'emplois exercés par des hommes aient été gonflés.

151.Plusieurs façons de procéder ont été envisagées à l'époque pour faciliter la comparaison des emplois à prédominance masculine et à prédominance féminine mentionnés dans les plaintes :

.Pour chaque catégorie générique, répartir le nombre total de questionnaires remplis en fonction des titres de poste et recompiler les résultats. (Cette méthode était difficilement utilisable.)

.Reprendre la collecte des données sur une plus petite échelle. (À l'époque, on estimait que cette façon de procéder causerait un retard indu.)

.Plutôt que d'évaluer la catégorie générique, évaluer un emploi typique à l'aide des renseignements tirés des questionnaires remplis. (Le personnel de la Commission a choisi cette méthode.)

152.Afin de valider les résultats de l'étude mixte sur l'équité salariale, le personnel de la Commission a procédé à ses propres évaluations des emplois visés par les quatre premières plaintes relatives à des commis en utilisant le système d'évaluation des emplois conçu pour l'étude mixte et les données recueillies au cours de celle-ci. Ce comité d'évaluation se composait de Danielle Lacoste, consultante principale en matière d'équité salariale, de Brian Hargadon, consultant en matière d'équité salariale, et de Maryanne Kampouris, consultante de l'extérieur.

153.Les résultats des évaluations de la Commission ne sont pas identiques à ceux de l'étude mixte sur l'équité salariale. Cependant, ils ne s'éloignent pas vraiment de l'ensemble des résultats produits par l'étude en question ni de la conclusion tirée quant à la validité de ceux-ci. Les différences sont expliquées par le fait que le personnel de la Commission a utilisé des emplois spécifiques plutôt que les catégories génériques qui ont été employées pour l'étude mixte sur l'équité salariale.

154.Il importe de se rappeler que la CCDP a utilisé cette méthode pour vérifier la validité de l'étude mixte sur l'équité salariale. Compte tenu de la nature exploratoire des évaluations de la Commission, des résultats démontrant un écart global similaire à celui de l'étude mixte sur l'équité salariale et de la plus grande fiabilité de ces derniers résultats, les évaluations de la Commission n'ont pas constitué le fondement des conclusions de l'enquête.

155.Le personnel de la Commission a décidé de retenir les résultats de l'étude mixte sur l'équité salariale, parce qu'elle était fondée sur un examen plus général des données relatives à l'équité salariale plutôt que sur les résultats des évaluations menées par son personnel.

[37�]    Il est assez difficile de dire qu'il y a partialité ici, comme le soutient Bell, mais il est facile de conclure que la CCDP s'est montrée inéquitable en abusant de l'ouverture dont Bell avait fait montre à l'endroit des syndicats (qui n'ont pas protesté!) et en utilisant à tort des renseignements confidentiels, le tout contrairement à l'article 11 de la Loi. Il semble que les syndicats et la CCDP ont également transgressé le paragraphe 47(3) de la Loi.


[38�]    Compte tenu de la panoplie de documents que les parties ont présentés et qui ne peuvent être reproduits ou cités en entier en l'espèce, des arguments des avocats ainsi que des entretiens qu'elle a eu avec eux, la Cour conclut que, parmi les motifs que la requérante a invoqués au soutien de sa demande de réparation, qui ont été reproduits au paragraphe [6], les motifs exprimés aux points 2), 3), 4), 5), 6), 7), 8) et 10) ont été établis. Ce sont là des motifs plus que suffisants pour accorder à la requérante chacune des réparations qu'elle demande (sans recours subsidiaire) et qui sont exposées au paragraphe [5] des présents motifs, la dernière réparation devant être combinée avec les réparations précédentes.

[39�]    La requérante invoque des arguments sérieux pour inciter la Cour à conclure que les plaintes du SCEP, de Femmes Action et de l'ACET datées respectivement du 11 janvier 1994, du 25 janvier 1994 et du 4 mars 1994 ont été rédigées par la CCDP et signées par les plaignants. Cette allégation n'a pas été prouvée directement et, étant donné qu'elle est niée pour l'essentiel, la Cour s'abstient tout simplement de tirer pareille conclusion, parce qu'elle n'est pas absolument nécessaire pour trancher la présente requête introductive d'instance. Toutefois, cette abstention ne devrait pas être considérée comme une conclusion défavorable. (Bell invoque un argument très sérieux au soutien de cette conclusion aux pages 173 à 175 de la transcription 4.)

[40�]    Néanmoins (sans dire que la CCDP a fait preuve de corruption au cours de l'élaboration ou de la rédaction des plaintes), la Cour accepte et ratifie les éléments de preuve, les arguments et les décisions mentionnés aux paragraphes 81 à 90 du DDB, vol. XI, p. 1936 à 1940.

[41�]    La CCDP était-elle fermée à de nouvelles idées lorsqu'elle a entrepris l'enquête au sujet de l'affaire dont elle était saisie? Elle semblait certainement déterminée à adopter une interprétation forcée de l'article 11, qui exige depuis longtemps l'utilisation de facteurs de comparaison spécifiques. Il semble également que cette interprétation forcée n'a pas encore été adoptée par le Parlement, qui a lui-même constitué la CCDP.

[42�]    Comme le juge Joyal l'a souligné dans l'arrêt Procureur général du Canada c. AFPPC, IPFPC, CDDP et Tribunal des droits de la personne, T-1059-91 (26 août 1991) :

*** Dans sa déclaration, rédigée dans un style ésotérique, selon une dialectique d'un cru assez récent, le demandeur conclut que le tribunal, après son enquête et lié comme il l'est par l'ordonnance, statuerait nécessairement que les employés ont un salaire proportionnel à la valeur des fonctions exercées, une conclusion qui serait manifestement contraire au principe légal de l'égalité des salaires égal [sic] pour des fonctions équivalentes.

                                                               (dossier d'appel conjoint, vol. I, onglet 19, p. 4)

Le Parlement demeure le législateur suprême et non la CCDP, les parties ou la Cour.

[43�]    Par ailleurs, quelle peut être la position des syndicats intimés qui consentent, dans les conventions collectives conclues avec la requérante, à des salaires inférieurs pour des emplois exercés par des femmes et se plaignent ensuite de ces salaires? Les intimés pourraient-ils être coupables de discrimination? La Cour suprême du Canada a répondu par l'affirmative à cette question dans l'arrêt Central Akanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, à la p. 973. Le principe de droit a été exprimé comme suit :

[TRADUCTION] Un syndicat peut être tenu responsable tant pour la discrimination directe que pour la discrimination par suite des effets préjudiciables découlant de l'application d'une clause d'une convention collective. Dans les deux cas, le syndicat risque de devoir payer des dommages-intérêts, notamment au titre de la perte de salaire...

                                                                                             *** *** ***

[TRADUCTION] À tout le moins, le syndicat semble être tenu de négocier, pour éviter l'impasse, les dispositions d'une entente qui pourraient avoir des effets discriminatoires à l'endroit de certains groupes de personnes désavantagées.

M. MacNeil, M. Lynk et P. Engelmann : Trade Union Law in Canada (Aurora: Canada Law Book, 1995), p. 11 e 12 et 16 et 17.

                                                                                    (DDB, vol. XI, p. 1949)

[44�]    Il semble que Bell n'a pas été jugée coupable de discrimination relativement à l'une ou l'autre des plaintes de disparité salariale faisant état de facteurs de comparaison spécifiques conformément au paragraphe 11(1). Les intimés s'exposent-ils effectivement à des risques en demandant l'examen de plaintes qui ne sont pas conformes à la disposition législative? Cette question n'a pas d'importance pour la Cour, en autant que la loi du Parlement est observée en bonne et due forme. En omettant sans raison valable de respecter le délai de prescription prévu à l'alinéa 41e) de la Loi, la Commission s'est conduite là aussi de façon inéquitable et a augmenté de ce fait les risques auxquels les intimés sont exposés. Qui se plaindra contre eux? Si la Commission ne prouve pas qu'elle estimait cette prorogation appropriée dans les circonstances, les plaintes ne pourront être tranchées, car cette prorogation au-delà du délai d'un an est interdite par la Loi.

[45�]    La Commission canadienne des droits de la personne a reçu et approuvé des plaintes qui visaient Bell et qui étaient mal formulées, malgré l'article 11 de la Loi, et elle a agi de façon inéquitable envers Bell en désignant un tribunal chargé de statuer sur ces plaintes qui étaient prescrites et mal formulées. C'est une décision que la Commission a prise malgré les dispositions de la Loi et les principes d'équité qu'elle devait respecter : cette décision n'aurait pas dû être rendue et sera annulée.

[46�]    Dans son avis introductif de requête, la requérante ne demande pas de frais, mais uniquement [TRADUCTION] « toute autre réparation jugée à propos » . Aucune autre partie, ni même l'intervenante, n'a demandé de frais à l'audition de l'affaire à Ottawa. La question de savoir si la Cour aurait pu conclure à l'existence de « raisons spéciales » conformément à la règle 1618 est théorique, parce que la partie qui a eu gain de cause n'a jamais demandé de frais dans la présente demande de contrôle judiciaire. Pour éviter tout autre délai lié à la communication des présents motifs, la Cour invoque maintenant les Règles 337(2)b) et (7) et demande aux avocats, sous réserve de ce qui suit, de préparer un projet d'ordonnance (formule 30) afin de donner suite aux conclusions qui précèdent et de le remettre au greffe afin que le présent juge y appose sa signature après l'avoir lu. Avant de présenter ce projet d'ordonnance, les avocats de la requérante consulteront les avocats des intimés afin d'obtenir le consentement de ceux-ci quant à la forme de l'ordonnance proposée. Si ce consentement ne peut être obtenu, les avocats de la requérante devront accepter que les avocats des intimés soient autorisés à me faire part de leurs objections dans le cadre d'une requête fondée sur la Règle 324. Les parties et les avocats se rappelleront sans doute que les requêtes fondées sur la Règle 324 ne sont pas protégées par


la Règle 1618. La Cour félicite tous les avocats pour le professionnalisme dont ils ont fait montre jusqu'à maintenant.

                                                                                                F.C. Muldoon            

                                                                                                            Juge

Ottawa (Ontario)

17 mars 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


                             AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :T-1414-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :Bell Canada

c.

Syndicat canadien des communications,

de l'énergie et du papier et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :Ottawa (Ontario)

DATES DE L'AUDIENCE :24, 25, 26 et 27 novembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DUjuge Muldoon

EN DATE DU :17 mars 1998

ONT COMPARU :

Me Roy L. Heenanpour la requérante

Me Thomas E.F. Brady

Me Joy Noonan

Me Peter Engelmannpour l'intimé, le Syndicat canadien des

Me Richard Elliscommunications, de l'énergie et du papier

Me Larry Steinbergpour l'intimée, l'Association canadienne des

Me Fiona Campbellemployés de téléphone

Me René Duvalpour l'intervenante


                                                                           - 2 -

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Heenan Blaikiepour la requérante

Montréal (Québec)

Me Caroline Engelmann Gottheilpour l'intimé, le Syndicat canadien des

Ottawa (Ontario)communications, de l'énergie et du papier

Koskie Minskypour l'intimée, l'Association canadienne des

Toronto (Ontario)employés de téléphone

Cossette Lefebvre Boivinpour l'intimée, Femmes Action

Montréal (Québec)

Commission canadienne despour l'intervenante

droits

Ottawa (Ontario)

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