Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20021203

Dossier : T-750-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1253

ENTRE :

                                                               LUC FOURNIER

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                 La production de différents documents demandés auprès d'un tribunal, qui a été convoqué par le Service correctionnel du Canada, liés à une décision rendue le 17 octobre 2001 est en litige en l'espèce. Cette décision finale rendue à la suite d'un grief a découlé d'une mesure disciplinaire prise contre le demandeur, un employé du Service correctionnel, pour une blessure présumée causée à une collègue le 6 mars 2000.


[2]                 Ce n'est pas la nature ni l'importance de la blessure ou encore la façon dont elle s'est produite qui est en litige, mais plutôt la question de savoir si la décision constituait une décision appropriée, en tenant compte de la retenue judiciaire appropriée et de la question de savoir si le tribunal pouvait raisonnablement rendre une telle décision, ou imposer une autre norme semblable, en fonction de la norme de contrôle pouvant être établie par le juge présidant. Par conséquent, bien que le demandeur, qui se représentait auparavant lui-même, souhaite à la fois tirer profit d'un processus lui permettant d'examiner les documents déposés pour un examen au fond de l'affaire et avoir la possibilité d'examiner tous les documents existants afin de déterminer s'il a bénéficié de l'application régulière de la loi, seuls les documents qui ont été déposés devant le tribunal doivent être produits.

CONSIDÉRATION

[3]                 La Couronne s'oppose à la production de certains des documents en vertu du paragraphe 318(2) des Règles et a fourni un ensemble scellé de copies des documents qui ont été demandés, dans la mesure où ils existaient. J'ai examiné les documents.


[4]                 J'ai également lu les observations des deux avocats et j'ai examiné les documents du dossier déjà produit par le tribunal. Je suis convaincu qu'il n'y a que deux documents existants, encore en la possession du défendeur, que ce dernier ne souhaite pas produire. Le premier est un rapport de la Commission des accidents du travail déposé par le solliciteur général, Service correctionnel du Canada, qui semble être daté du 12 avril 2000 et auquel est joint un très bref paragraphe non signé, apparemment rédigé par l'agente de correction blessée, Mme Stokowski, racontant ce qui s'est produit à cette occasion ainsi que plusieurs autres paragraphes liés à des incidents antérieurs sans lien avec celui qui concerne le demandeur. Le deuxième document qui est en la possession de la Couronne mais à la production duquel elle s'objecte, est un document de la Commission des accidents du travail portant sur la réadaptation. Je reviendrai à ces documents bientôt, mais je vais d'abord me pencher sur les documents dont je suis convaincu de l'inexistence selon le dossier.

Documents qui n'existent pas

[5]                 Premièrement, l'ordre de convocation demandé, qui pourrait représenter le document qui a ouvert l'enquête et a initié la décision subséquente, n'existerait pas. Il s'agissait en fait d'une enquête disciplinaire et non pas d'une enquête administrative. Ainsi, le seul document de ce genre est une note de service informant le demandeur de la tenue d'une enquête disciplinaire. La note de service, datée du 27 mars 2000, a été produite. Je remarque également que le demandeur a déjà demandé la production de l'ordre de convocation en vertu de la loi en matière d'accès à l'information et qu'il a été informé par le Commissaire à la protection de la vie privée que le document n'existait pas. J'accepte qu'il n'y a pas d'ordre de convocation ou de document de ce genre, autre que la note de service du 27 mars 2000.

[6]                 Deuxièmement, le demandeur cherche un rapport de police déposé au début de mars 2000 et portant sur l'agression et le harcèlement présumés. Le défendeur indique que le document, à sa connaissance, n'existe pas. Le Service correctionnel du Canada non seulement n'a jamais déposé de rapport de police, mais, en outre, il n'a pas eu connaissance d'un rapport de police qui aurait été déposé par Mme Stokowski.


[7]                 Troisièmement, le demandeur demandait une copie d'un rapport d'enquête sur l'incident fourni par Travail Canada. L'avis du Commissaire à la protection de la vie privée, selon lequel le document n'existait pas, est confirmé par le défendeur. Cependant, le défendeur fait remarquer que, relativement à une demande de la Commission des accidents du travail, un rapport de la travailleuse, un rapport de l'employeur et un rapport sur la situation comportant des risques ont été produits et envoyés à Travail Canada qui les a fait parvenir à la Commission des accidents du travail. Le rapport sur la situation comportant des risques a été produit comme partie du dossier du tribunal. Le rapport de l'employeur et le rapport de la travailleuse font partie de l'ensemble de documents à la production desquels la Couronne s'oppose.

[8]                 Quatrièmement, le demandeur souhaite obtenir la production de documents afin de démontrer que Mme Stokowski s'est rendue à l'infirmerie ainsi que de tout document de l'hôpital ou d'un médecin. Le défendeur indique qu'aucun document n'existe qui démontrerait que Mme Stokowski est allée à l'infirmerie. Cependant, une note de médecin, pour la période allant du 10 au 17 mars 2000, a été examinée par le tribunal et fait partie du dossier. Le défendeur indique qu'il y a également une autre note d'un médecin, pour la période du mois de janvier 2000, qui a également été déposée au dossier. Toutefois, il y a des rapports médicaux ultérieurs qui font partie de l'ensemble de documents à la production desquels la Couronne s'oppose : il s'agit de documents qui, après inspection, sont mieux décrits comme des documents portant sur l'état de la réadaptation et concernant la capacité de Mme Stokowski à retourner au travail


[9]                 Cinquièmement, le demandeur souhaite obtenir les déclarations faites par les témoins et les autres personnes interrogées. Il a reçu un avis du Commissaire à la protection de la vie privée selon lequel les documents avaient été détruits. Le défendeur confirme que c'est bien le cas.

[10]            Enfin, le demandeur souhaite voir la production de tout registre portant sur les entrevues et les dossiers des réunions tenues par la direction et par les enquêteurs. Le défendeur indique qu'il n'est pas au courant de l'existence d'un registre qui contiendrait des procès-verbaux, des notes d'entrevues et de réunions tenues par la direction ou les enquêteurs.

[11]            Maintenant, j'aimerais faire remarquer que l'article 317 des Règles ne permet pas à un demandeur de faire des fouilles à l'aveuglette à la recherche d'information : voir Beno c. Létourneau (1997), 130 F.T.R. 183 à la page 190 où M. le juge Mackay établit la proposition selon laquelle les règles antérieures aux articles 317 et 318, « [...] ne doivent pas servir à faire se prolonger une procédure sommaire ou à autoriser des "fouilles à l'aveuglette" dans la recherche de certains renseignements » , puis cite différentes décisions judiciaires. Un demandeur souhaitant obtenir d'autres documents, conformément à l'article 317 des Règles portant sur la production, doit posséder, à tout le moins, des éléments de preuve raisonnables quant à ce qui devrait ou pourrait exister. Demander des documents qui, selon le Commissaire à la protection de la vie privée, n'existent pas, est, dans une certaine mesure, abusif.


Documents produits pour inspection et décision fondée sur l'article 318 des Règles

[12]            Je me penche maintenant sur l'ensemble de documents produit par la Couronne pour inspection et une décision fondée sur l'article 318 des Règles quant à la production. La proposition fondamentale consiste en ce que seuls les documents qui ont réellement été déposés devant le décideur, au moment où la décision a été rendue, doivent être produits : voir par exemple 1185740 Ontario Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national) (1999), 247 N.R. 287 (C.F. 1re inst.) à la page 289 et Hiebert c. Price (1999), 182 F.T.R. 18 (C.F. 1re inst.) aux pages 21 et 22. Une demande de production de documents présentée devant un tribunal ne constitue certainement pas une communication de documents : voir Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l'information) (1997), 135 F.T.R. 254 (C.F. 1re inst.) à la page 266, une décision de M. le juge MacKay.


[13]            Je me penche d'abord sur l'ensemble des documents types de la Commission des accidents du travail, particulièrement sur le rapport de l'employeur et le rapport de la travailleuse, ainsi que sur un commentaire dactylographié portant sur l'incident en question et sur un incident sans lien. Le rapport de l'employeur daté du 12 avril 2000 ne contient rien qui soit intéressant ou pertinent et, comme je l'ai dit, il n'a pas été déposé devant le tribunal. Le rapport de la travailleuse contient un bref exposé des faits de trois phrases. Bien qu'il ne soit pas daté, selon une pièce jointe, il semble avoir été produit le 14 mars 2000. La première phrase de l'exposé établit le lieu et le temps de l'incident; la deuxième, de façon impartiale, l'accident; et la troisième, le résultat. Un exposé tout aussi bref est joint au rapport de la travailleuse, l'ajout étant une référence à la date de la visite par Mme Stokowski chez son médecin et à un avis de prendre un congé pour récupérer. Non seulement cet ensemble n'a-t-il pas été déposé devant le tribunal, mais, de plus, rien dans le document n'est pertinent. En l'espèce, j'apprécie la pertinence comme l'a fait la Cour d'appel dans l'arrêt Pathak c. Canada (Commission des droits de la personne) (1995), 180 N.R. 152 à la page 154 (C.A.F.), la façon d'évaluer la pertinence étant de se demander si le document pourrait toucher la décision de la Cour :

10       Un document intéresse une demande de contrôle judiciaire s'il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande. Comme la décision de la Cour ne portera que sur les motifs de contrôle invoqués par l'intimé, la pertinence des documents demandés doit nécessairement être établie en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l'avis de requête introductif d'instance et l'affidavit produits par l'intimé.

Le document contenu dans le premier ensemble, à la lumière des documents composant le dossier du tribunal, comparativement à l'ordre prononcé par le tribunal et dans ce contexte, ne fait que corroborer une petite partie de la preuve qui a été déposée devant le tribunal. Le fait que le premier ensemble ne soit pas pertinent ne représente pas une raison pour refuser de le produire, il s'agit plutôt d'une observation fournie pour rassurer M. Fournier : la raison pour laquelle le document ne sera pas produit consiste en ce qu'il ne l'a pas été devant le tribunal.

[14]            Le deuxième ensemble contient, comme je l'ai déjà dit, un document de la Commission des accidents du travail d'août et de septembre 2000 portant sur la réadaptation professionnelle. Non seulement cela n'était-il pas devant le tribunal, mais de plus ce n'est aucunement pertinent à la question de savoir si le demandeur a poussé un bureau sur le genou de Mme Stokowski et a provoqué la blessure. Une fois encore, il s'agit d'un document qui n'a pas à être produit.


CONCLUSION

[15]            Les documents à la production desquels la Couronne s'oppose, n'ayant pas été produits devant le tribunal auparavant, n'ont pas à l'être. Cependant, même si la Cour devait renvoyer la question devant un nouveau tribunal de grief et si l'on parvenait à déposer ces documents devant lui, ils seraient réputés, en droit, ne pas avoir d'effet sur le résultat.


[16]            Le défendeur soutient que le demandeur doit être pénalisé, dans le cadre des dépens, pour avoir abusé de la procédure de la Cour, en particulier, pour avoir demandé à obtenir des documents qui, selon le Commissaire à la protection de la vie privée, n'existent pas, forçant ainsi le défendeur à prouver un fait négatif. En outre, le demandeur, dans son document initial, apparemment préparé avant qu'il ne retienne les services d'un avocat, semblait viser le fond de l'affaire et non la pertinence de la décision du tribunal. Dans un document préparé par la suite par son avocat, il s'est éloigné de sa position relative à la décision sur le fond, indiquant simplement qu'il cherchait à obtenir la communication de tous les renseignements médicaux et pertinents liés à la plainte de Mme Stokowski, rejetant ceux qui n'étaient pas clairement liés ou qui n'étaient pas pertinents à la prétendue blessure au genou et qu'il « [...] doit avoir la possibilité d'examiner la preuve afin de découvrir s'il a bénéficié de l'application régulière de la loi » . Une fois encore, ce n'est pas un critère. Il ne revient pas au demandeur de décider s'il a été correctement traité. C'est plutôt la Cour, lors d'un contrôle judiciaire, qui décidera si, sur la base des documents déposés devant elle, la décision du tribunal doit être maintenue.

[17]            Pour ce qui est du concept des dépens, il est approprié d'adjuger au défendeur les dépens de la présente requête, en tout état de cause, soit de taxer un montant du milieu de la fourchette de la colonne IV du tarif B et payable à la conclusion de la procédure.

                                                                                                                     « John A. Hargrave »     

                                                                                                                                    Protonotaire        

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 3 décembre 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                              T-750-02

INTITULÉ :                                              Luc Fournier c. Le solliciteur général du Canada

                                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         Le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                            Le 3 décembre 2002

COMPARUTIONS :

Melodi E. Ulku                                                                        Pour le demandeur

Rick Garvin                                                                             Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bishop & McKenzie, s.r.l.                                                      Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                    Pour le défendeur


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.