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     Date: 19980519

     Dossier: T-2144-96

     OTTAWA (ONTARIO), LE 19 MAI 1998

     EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

E n t r e

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD.,

     EMPRESA CUBANA DEL TABACO, faisant affaire

     sous les raisons sociales de CUBATABACO et de HABANOS S.A.,

     demanderesses,

     et

     SKYWAY CIGAR STORE,

     défenderesse.

     O R D O N N A N C E

     Pour les motifs exposés dans les motifs de mon ordonnance, la demande de jugement sommaire de la défenderesse est accueillie et les dépens sont adjugés à la défenderesse. Les quatre marques de commerce HOYO DE MONTERREY DE JOSÉ GENER HABANA, MONTE CRISTO HABANA et dessin, MONTECRISTO et ROMEO y JULIETA sont invalides et sont radiées du registre des marques de commerce. La demande de jugement sommaire présentée par les demanderesses sur le fondement de la contrefaçon et de l'imitation frauduleuse est rejetée.

     " Max M. Teitelbaum "

                                     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.

     Date: 19980519

     T-2144-96

     OTTAWA (ONTARIO), LE 19 MAI 1998

     EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

E n t r e

     HAVANA HOUSE CIGAR & TOBACCO MERCHANTS LTD.,

     EMPRESA CUBANA DEL TABACO, faisant affaire

     sous les raisons sociales de CUBATABACO et de HABANOS S.A.,

     demanderesses,

     et

     SKYWAY CIGAR STORE,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

GENÈSE DE L'INSTANCE

[1]      Le 27 septembre 1996, les demanderesses ont entamé des poursuites judiciaires contre la défenderesse en déposant une déclaration dans laquelle elles concluaient au prononcé d'un jugement déclarant que la défenderesse avait contrefait les marques de commerce des demanderesses au sens des articles 19, 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, et qu'elle avait violé les droits des demanderesses au sens des alinéas 7b), c) et d) de la Loi sur les marques de commerce.

[2]      La défenderesse a déposé le 14 novembre 1996 une défense et une demande reconventionnelle dans lesquelles elle sollicitait une ordonnance radiant l'enregistrement de quatre marques de commerce de la demanderesse Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. (Havana House) au motif: 1) que Havana House n'avait pas le droit d'obtenir l'enregistrement des marques de commerce en vertu de l'article 16 de la Loi sur les

marques de commerce; 2) qu'aux termes de l'article 18 de la Loi sur les marques de commerce, l'enregistrement était invalide, étant donné que la marque de commerce n'était pas distinctive de la compagnie demanderesse à l'époque où l'instance en radiation a été entamée.

LES FAITS

[3]      La demanderesse Empresa Cubana des Tabaco, qui fait affaire sous la raison sociale de Cubatabaco (Cubatabaco), est une société d'État cubaine qui reçoit tous les cigares fabriqués par les usines de cigares appartenant à l'État cubain. La demanderesse Habanos S.A. est une société d'État cubaine qui, en tant que preneur de licence exclusif et société chargée de commercialiser les produits fabriqués par Cubatabaco, se procure des cigares auprès de Cubatabaco et les exporte dans environ 80 pays.

[4]      La demanderesse Havana House est une société ontarienne. Havana House exerce ses activités au Canada, où elle importe, distribue et vend du tabac et des produits du tabac. Havana House prétend posséder et utiliser quatre des marques de commerce en litige en liaison avec des produits du cigare. Havana House vend ces cigares au Canada à d'autres détaillants et grossistes depuis le 28 mars 1988. Le 23 juin 1994, Havana House a signé une entente de distribution exclusive avec Cubatabaco en vue de distribuer au Canada les cigares en litige en l'espèce, de même que d'autres marques cubaines.

[5]      La défenderesse Skyway Cigar Store (Skyway) est une entreprise ontarienne à propriétaire unique qui importe et vend au détail du tabac et des produits du tabac.

[6]      House of Horvath Inc. (Horvarth) est un fournisseur en gros de cigares et de produits du cigare, notamment de produits portant les marques de commerce des demanderesses. Horvarth se procure des produits du tabac par l'intermédiaire de Havana House.

[7]      Havana House a enregistré les quatre marques de commerce suivantes sur le fondement d'une date déclarée de première utilisation du 28 mars 1988:

     1) HOYO DE MONTERREY DE JOSÉ GENER HABANA, enregistrement no 432,667 en date du 2 septembre 1994 en liaison avec des cigares.         
     2) MONTE CRISTO HABANA et dessin, enregistrement no 462,960 en date du 30 août 1996 en liaison avec des cigares, des cigarillos et du tabac haché.         
     3) MONTECRISTO, enregistrement no 432,218 en date du 26 août 1994 en liaison avec des cigares, des cigarillos et du tabac haché.         

     4) ROMEO Y JULIETA, enregistrement no 424,609 en date du 4 mars 1994 en liaison avec des cigares et des cigarettes.         

[8]      Cubatabaco est propriétaire des marques suivantes:

     1) H. UPMANN HABANA et dessin, enregistrement no 187,820 en date du 12 janvier 1973 en liaison avec des cigares, des cigarettes et du tabac haché. La première utilisation déclarée au Canada remonterait aussi loin qu'à 1962.         
     2) H. UPMANN HABANA et dessin, marque de commerce non enregistrée employée en liaison avec du tabac fabriqué en vue d'être fumé, chiqué et prisé, des cigarettes et du tabac en feuilles. Son utilisation au Canada remonterait au moins aussi loin qu'à 1962.         

[9]      Habanos S.A. est le preneur de licence d'exportation exclusif de Cubatabaco relativement à l'utilisation de la marque de commerce pour les marchandises énumérées au paragraphe huit.

[10]      Les cigares en litige sont vendus au Canada depuis au moins les années soixante. À partir environ de 1970 et jusqu'au milieu des années quatre-vingt-dix, Clarendon Imports Inc. (Clarendon), une filiale de Rothmans, Benson & Hedges Inc., a, avec d'autres grossistes, importé et distribué les cigares en litige partout au Canada. Clarendon a cessé ces activités lorsque Cubatabaco a proposé de poursuivre ce commerce par l'intermédiaire d'une coentreprise dans laquelle Cubatabaco posséderait une participation d'au moins 51 pour 100.

[11]      Depuis novembre ou décembre 1995, Havana House appose la mention " distributeur exclusif " au fond des boîtes de cigares qu'elle reçoit. Avant cette date, les boîtes ne comportaient aucun avis précisant que Havana House était propriétaire des marques ou distributeur exclusif des cigares. La preuve n'indique pas que Havana House revendique des droits de marque de commerce sur les cigares au moyen de réclames publicitaires, de listes de prix ou d'autres renseignements.

[12]      En décembre 1995, ou vers cette époque, la défenderesse a, en vue de les revendre, passé à Horvath une commande en vue de se procurer une gamme complète de produits du cigare, y compris les produits en litige. Horvarth n'était pas en mesure de répondre aux besoins de la défenderesse, de sorte que celle-ci s'est adressée à d'autres grossistes dont Lanzarotta Cash & Carry, l'entrepôt Club Price et K.B.A. Cash & Carry.

[13]      En juillet 1996, ou vers cette époque, un représentant des ventes de Havana House s'est rendu chez la défenderesse et a pris des dispositions pour lui fournir des produits du tabac. La défenderesse a rempli un bon de commande qu'elle a remis au représentant. La défenderesse affirme que la livraison lui avait été promise pour le lendemain.

[14]      Havana House a refusé ou a été incapable de livrer les produits du tabac commandés. La défenderesse affirme qu'elle a appelé Havana House à une dizaine de reprises au cours des deux semaines qui ont suivi, mais qu'elle n'a obtenu aucune réponse de personnes responsables.

[15]      En conséquence, la défenderesse a acheté quatre boîtes de cigares à un représentant des ventes de Tiendas Intur (Tiendas Intur). Lorsqu'elle a par la suite appris que Tiendas n'avait pas d'adresse ou de numéro de téléphone local, la défenderesse a cessé de lui acheter des produits.

[16]      La défenderesse a alors appelé Horvarth pour se procurer des produits du cigare en vue de les revendre, mais le représentant de Horvarth l'a informée que Havana House lui avait donné pour directives de ne plus lui fournir de produits du cigare de Havana House. La défenderesse a appelé chez Havana House, où on lui a dit qu'on ne lui fournirait plus de produits du cigare parce qu'elle se les procurait ailleurs.

[17]      Depuis août 1996, la défenderesse achète à Cuba des produits du tabac, y compris ceux qui portent les marques de commerce en litige. Lors de son contre-interrogatoire, Abel Gonzalez Ortego, le directeur de la commercialisation chez Havana House, a reconnu qu'on peut acheter des cigares à Cuba auprès de vendeurs autorisés (ceux qui arborent l'affiche Habanos S.A.) et les sortir du pays. Des droits de douane de 100 pour 100 sont imposés sur tous les cigares qui sortent de Cuba, lesquels représentent une valeur de plus d'un million de dollars U.S.

[18]      Le 19 août 1996, ou vers cette date, Havana House a mis la défenderesse en demeure de cesser d'importer des produits du tabac portant les marques de commerce en litige. La défenderesse a continué à importer de Cuba des produits du tabac malgré les protestations de Havana House.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[19]      Les dispositions des Règles de la Cour fédérale qui se rapportent aux jugements sommaires sont les articles 432.1 à 432.7. L'article 432.3 est particulièrement pertinent par rapport à la présente demande:

432.3 (1) Where a judge is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the judge shall grant summary judgment accordingly.

(2) Where a judge is satisfied that the only genuine issue is the amount to which the moving party is entitled, the judge may order a trial of that issue or grant summary judgment with a reference to determine the amount.

(3) Where a judge is satisfied that the only genuine issue is a question of law, the judge may determine the question and grant summary judgment accordingly.

(4) Where a judge decides that there is a genuine issue with respect to a claim or defence, the judge may nevertheless grant summary judgment in favour of any party, either upon an issue or generally, unless

(a) the judge is unable on the whole of the evidence to find the facts necessary to decide the questions of fact or law; or

(b) the judge considers that it would be unjust to decide the issues on the motion for summary judgment.

(5) Where a motion for summary judgment is dismissed, either in whole or in part, a judge may order the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, to proceed to trial in the usual way, but upon the request of any party, a judge may order an expedited trial under rule 327.1.

432.3 (1) Lorsque le juge est convaincu qu'il n'existe aucune question sérieuse à instruire à l'égard d'une réclamation ou d'une défense, il rend un jugement sommaire en conséquence.

(2) Lorsque le juge est convaincu que la seule question sérieuse est le montant auquel la partie requérante a droit, il peut ordonner l'instruction de cette question ou rendre un jugement sommaire assorti d'un renvoi pour détermination du montant.

(3) Lorsque le juge est convaincu que la seule question sérieuse en est une de droit, il peut statuer sur celle-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(4) Lorsque le juge décide qu'il existe une question sérieuse à l'égard de la réclamation ou de la défense, il peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question ou en général, sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants:

a) l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour qu'il puisse trancher les questions de fait ou de droit;

b) il estime injuste de trancher les questions dans le cadre de la requête en vue d'obtenir un jugement sommaire.

(5) Lorsqu'une requête en vue d'obtenir un jugement sommaire est rejetée en tout ou en partie, le juge peut ordonner que l'action ou les questions qui y sont soulevées et qui ne sont pas tranchées par le jugement sommaire soient instruites de la manière courante, mais, à la demande d'une partie, le juge peut ordonner une instruction avancée en vertu de la règle 327.1.

[20]      Voici en quels termes l'article 2 et le paragraphe 4(1) de la Loi sur les marques de commerce définissent les mots " emploi " et " usage " en liaison avec des marchandises:

2. "use", in relation to a trade-mark, means any use that by section 4 is deemed to be a use in association with wares or services;

2. " emploi " ou " usage " À l'égard d'une marque de commerce, tout emploi qui, selon l'article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services.


4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

[21]      Le paragraphe 16(1) de la Loi sur les marques de commerce prévoit que l'" emploi " confère à la première personne à utiliser une marque de commerce au Canada le droit de faire enregistrer cette marque:

16. (1) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a trade-mark that is registrable and that he or his predecessor in title has used in Canada or made known in Canada in association with wares or services is entitled, subject to section 38, to secure its registration in respect of those wares or services, unless at the date on which he or his predecessor in title first so used it or made it known it was confusing with

(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

(b) a trade-mark in respect of which an application for registration had been previously filed in Canada by any other person; or

(c) a trade-name that had been previously used in Canada by any other person.

16. (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l'article 30 en vue de l'enregistrement d'une marque de commerce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédécesseur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des marchandises ou services, a droit, sous réserve de l'article 38, d'en obtenir l'enregistrement à l'égard de ces marchandises ou services, à moins que, à la date où le requérant ou son prédécesseur en titre l'a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n'ait créé de la confusion:

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

b) soit avec une marque de commerce à l'égard de laquelle une demande d'enregistrement avait été antérieurement produite au Canada par une autre personne;

c) soit avec un nom commercial qui avait été antérieurement employé au Canada par une autre personne.

[22]      Le paragraphe 16(1) de la Loi sur les marques de commerce énumère les circonstances dans lesquelles une marque de commerce peut être déclarée invalide:

18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if

(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration,

(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, or

(c) the trade-mark has been abandoned,

and subject to section 17, it is invalid if the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration.

18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans les cas suivants:

a) la marque de commerce n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement;

b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement;

c) la marque de commerce a été abandonnée.

Sous réserve de l'article 17, l'enregistrement est invalide si l'auteur de la demande n'était pas la personne ayant droit de l'obtenir.

[23]      La dernière phrase du paragraphe 18(1) requiert que l'on cite le paragraphe 17(1) de la Loi sur les marques de commerce, qui dispose:

17. (1) No application for registration of a trade-mark that has been advertised in accordance with section 37 shall be refused and no registration of a trade-mark shall be expunged or amended or held invalid on the ground of any previous use or making known of a confusing trade-mark or trade-name by a person other than the applicant for that registration or his predecessor in title, except at the instance of that other person or his successor in title, and the burden lies on that other person or his successor in title to establish that he had not abandoned the confusing trade-mark or trade-name at the date of advertisement of the applicant's application.

17. (1) Aucune demande d'enregistrement d'une marque de commerce qui a été annoncée selon l'article 37 ne peut être refusée, et aucun enregistrement d'une marque de commerce ne peut être radié, modifié ou tenu pour invalide, du fait qu'une personne autre que l'auteur de la demande d'enregistrement ou son prédécesseur en titre a antérieurement employé ou révélé une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion, sauf à la demande de cette autre personne ou de son successeur en titre, et il incombe à cette autre personne ou à son successeur d'établir qu'il n'avait pas abandonné cette marque de commerce ou ce nom commercial créant de la confusion, à la date de l'annonce de la demande du requérant.

[24] Les demanderesses soutiennent que la défenderesse est coupable de violation des alinéas 7b), c) et d) de la Loi sur les marques de commerce:

7. No person shall

...

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

(c) pass off other wares or services as and for those ordered or requested;

(d) make use, in association with wares or services, of any description that is false in a material respect and likely to mislead the public as to

(i) the character, quality, quantity or composition,

(ii) the geographical origin, or

(iii) the mode of the manufacture, production or performance of the wares or services.

7. Nul ne peut:

[...]

b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;

c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde:

(i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,

(ii) soit leur origine géographique,

(iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d'exécution;

[25]      Les demanderesses soutiennent également que la défenderesse est coupable de contrefaçon au sens des articles 19, 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce:

19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l'enregistrement d'une marque de commerce à l'égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l'emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.


20. (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name, but no registration of a trade-mark prevents a person from making

(a) any bona fide use of his personal name as a trade-name, or

(b) any bona fide use, other than as a trade-mark,

(i) of the geographical name of his place of business, or

(ii) of any accurate description of the character or quality of his wares or services,

in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade-mark.

20. (1) Le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l'employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d'une marque de commerce ne peut empêcher une personne:

a) d'utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;

b) d'employer de bonne foi, autrement qu'à titre de marque de commerce:

(i) soit le nom géographique de son siège d'affaires,

(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services, d'une manière non susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à la marque de commerce.


22. (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.

(2) In any action in respect of a use of a trade-mark contrary to subsection (1), the court may decline to order the recovery of damages or profits and may permit the defendant to continue to sell wares marked with the trade-mark that were in his possession or under his control at the time notice was given to him that the owner of the registered trade-mark complained of the use of the trade-mark.

22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque de commerce.

(2) Dans toute action concernant un emploi contraire au paragraphe (1), le tribunal peut refuser d'ordonner le recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, et permettre au défendeur de continuer à vendre toutes marchandises revêtues de cette marque de commerce qui étaient en sa possession ou sous son contrôle lorsque avis lui a été donné que le propriétaire de la marque de commerce déposée se plaignait de cet emploi.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

1. Prétentions et moyens des demanderesses

[26]      Les demanderesses affirment que, suivant la preuve, Havana House est connue par des consommateurs avertis comme étant le distributeur exclusif d'authentiques cigares cubains. Les demanderesses font remarquer que Havana House a fait de la publicité dans des magazines se rapportant directement à l'industrie du cigare et que les boîtes à cigares reçues par Havana House portent l'estampille " distributeur exclusif ".

[27]      Les demanderesses affirment que la défenderesse vend des cigares contrefaits et non autorisés qui portent les marques de commerce en litige. Les demanderesses soutiennent que ces cigares ne sont pas autorisés, parce qu'ils ne passent pas par leurs canaux de distribution et qu'ils ne satisfont donc pas à leurs exigences en matière de contrôle de la qualité. Les demanderesses soutiennent en outre que la défenderesse n'est au courant d'aucun des liens qui existent entre les magasins de cigares cubains où elle a acheté les cigares et l'une ou l'autre des demanderesses, et qu'elle n'est pas au courant des normes de contrôle de qualité des magasins de cigares cubains. Les demanderesses citent l'extrait suivant tiré de la page 358 de l'ouvrage de Fox intitulé Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition (3e éd., Toronto, Carswell, 1972), à l'appui de leur argument qu'elles ont subi un préjudice en raison de la présumée absence de contrôle de la qualité de la défenderesse:

     [TRADUCTION] Le propriétaire de la marque de commerce a droit à ce que les consommateurs sachent que les marchandises qu'ils achètent ont été choisies et commercialisées par lui. Il n'est pas nécessaire qu'il fabrique lui-même les marchandises; il suffit que celles-ci passent entre ses mains avant d'être mises sur le marché. Et les marchandises qui sont détournées et atteignent un acheteur par l'intermédiaire d'autres mains que celles du propriétaire de la marque de commerce sont des marchandises contrefaites.         

[28]      Les demanderesses affirment en outre que la défenderesse était au courant dès 1995 des droits que les demanderesses possédaient sur leurs marques de commerce, mais qu'elle a continué à acheter des cigares non autorisés portant les marques de commerce en litige. Les demanderesses font remarquer que Havana House a envoyé une mise en demeure sous pli recommandé le 15 août 1996.

[29]      Les demanderesses soutiennent que l'emploi des marques de commerce en question par la défenderesse amènera probablement le public à conclure à tort que les marchandises en question proviennent des demanderesses, qu'il existe un lien commercial quelconque entre la défenderesse et l'une des demanderesses ou la totalité d'entre elles, ou qu'une ou la totalité des demanderesses a approuvé et autorisé l'emploi d'une ou de plusieurs des marques de commerce.

[30]      Les demanderesses ajoutent que la défenderesse profite de cet emploi non autorisé des marques de commerce et dessins en question et que les demanderesses ont subi des pertes et des dommages en raison du manque à gagner et de la perte d'achalandage.

[31]      Les demanderesses affirment par ailleurs que leur achalandage et leur réputation ont subi un préjudice irréparable du fait de l'importation et de la vente par la défenderesse de marchandises contrefaites.

[32]      Les demanderesses affirment en conséquence que la défenderesse a contrevenu aux alinéas 7b), 7c) et 7d) et aux articles 19, 20 et 22 de la Loi sur les marques de commerce.

[33]      En réponse à l'argument de la défenderesse qu'elles ont perdu leurs droits sur les marques de commerce, les demanderesses citent de nouveau l'ouvrage de Fox, précité, dans lequel, à la page 187, l'auteur affirme que les contrefaçons occasionnelles commises par d'autres commerçants ne font pas perdre son caractère distinctif à une marque de commerce.

[34]      En ce qui concerne le moyen tiré de l'imitation frauduleuse, les demanderesses soutiennent qu'elles remplissent les conditions de recevabilité d'une action en imitation frauduleuse qui ont été énumérées dans l'arrêt Consumer's Distributing Co. Ltd. c. Seiko Time Canada Ltd., [1984] 1 R.C.S. 583. Qui plus est, les demanderesses citent plusieurs décisions à l'appui de leur argument que l'absence de contrôle de la qualité qui découle des activités de la défenderesse peut entraîner une perte d'achalandage.

2. Prétentions et moyens de la défenderesse

[35]      La défenderesse invoque trois moyens pour affirmer que Havana House n'a pas droit à ses marques de commerce enregistrées. En premier lieu, la défenderesse affirme que les produits ne sont pas distinctifs de Havana House parce que, malgré le fait que Havana House affirme qu'elle les emploie depuis le 28 mars 1988, les marques étaient employées par d'autres personnes avant cette date.

[36]      Deuxièmement, la défenderesse affirme que, comme Havana House n'est qu'un distributeur, elle n'a pas le droit de faire enregistrer les marques de commerce. La défenderesse cite plusieurs décisions à l'appui de son argument que Havana House ne peut faire enregistrer les marques de commerce parce que, en tant que distributeur, elle n'a pas employé les marques de commerce au Canada.

[37]      Finalement, la défenderesse soutient que les cigares ne sont pas distinctifs de Havana House parce qu'ils ne sont pas distinctifs d'une source unique. La défenderesse cite plusieurs décisions portant sur l'octroi de licences et les cessions, notamment l'arrêt Breck's Sporting Goods Co. c. Magder, [1976] 1 R.C.S. 527 et le jugement Heintzman c. 751056 Ontario Ltd., (1990), 38 F.T.R. 210, à l'appui de son argument que Havana House a laissé croire au public que les marques de commerce en question sont maintenant les marques du distributeur. La défenderesse cite également le jugement All Canada Vac Ltd. c. Lindsay Manufacturing Inc., (1990), 28 C.P.R. (3d) 395 (C.F. 1re inst.), conf. par (1990), 33 C.P.R. (3d) 285 (C.A.F.), à l'appui de son argument que Havana House a perdu ses droits sur les marques de commerce parce qu'elle aurait laissé ses concurrents en faire un usage répandu.

[38]      En ce qui concerne les allégations d'imitation frauduleuse et de contrefaçon, la défenderesse soutient que tous les cigares ont été achetés à des fournisseurs légitimes à Cuba ou au Canada. La défenderesse ne nie toutefois pas explicitement que les quatre boîtes de cigares qui ont été achetées à Tiendas ne sont pas autorisées. La défenderesse soutient qu'elle ne vend pas de produits qui ne sont pas autorisés par des fabricants authentiques. La défenderesse affirme en conséquence qu'elle ne peut être jugée coupable d'imitation frauduleuse alors qu'elle vend des produits qui portent les marques de commerce des demanderesses. La défenderesse ajoute que le public ne peut être induit en erreur si les produits qu'elle vend sont des produits qui proviennent de ceux qui sont à l'origine des marques. À l'appui de sa thèse, la défenderesse cite l'arrêt récent Smith & Nephew Inc. c. Glen Oak Inc., [1996] 3 C.F. 565 (C.A.F.) (autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, [1996] S.C.C.A. No. 433).

[39]      La défenderesse cite également l'arrêt Consumer's Distributing, précité, à la page 600, pour affirmer que les demanderesses tentent:

     d'imposer des restrictions à la vente de biens meubles, même légitimement acquis, chaque fois qu'une autre personne, dans une situation analogue à celle du vendeur, vend des articles identiques. Ce principe est étranger à notre droit.         

[40]      Finalement, la défenderesse soutient que Havana House n'a subi aucune perte d'achalandage et que la preuve repose sur de pures conjectures en ce qui concerne les dommages.

ANALYSE

[41]      Dans l'arrêt Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. S.A., [1996] 2 C.F. 853 (C.F. 1re inst.), le juge Tremblay-Lamer a résumé les principes généraux à appliquer dans le cas d'une requête en jugement sommaire (à la page 859):

     1. ces dispositions ont pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire;         
     2. il n'existe pas de critère absolu, mais le juge Stone, J.C.A. semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie. Il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;         
     3. chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien;         
     4. les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario) peuvent faciliter l'interprétation;         
     5. saisie d'une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire (ce principe est plus large que celui qui est posé à la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario);         
     6. le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire;         
     7. lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès. L'existence d'une apparente contradiction de preuves n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit " se pencher de près " sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher. [Renvois à la jurisprudence omis.]         

Personne intéressée

[42]      L'article 57 de la Loi sur les marques de commerce prévoit que la Cour fédérale a une compétence exclusive pour faire radier l'enregistrement d'une marque de commerce à la demande de " toute personne intéressée ". Je n'ai aucune difficulté à conclure que la défenderesse est une personne intéressée au sens de l'article 57. Je m'appuie à cet égard sur Fox, qui déclare, aux pages 304 et 305 de son ouvrage précité, que la personne accusée de contrefaçon ou d'imitation frauduleuse de marchandises d'une autre personne est une personne intéressée.

[43]      La défenderesse doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'à la date de la demande, les inscriptions qui figurent dans le registre des marques de commerce ne reflètent ou ne définissent pas avec exactitude les droits existants de Havana House. Compte tenu de la présomption de validité dont bénéficie l'enregistrement, c'est à la défenderesse qu'il incombe de démontrer que les marques de commerce devraient être radiées (voir les jugements Uniwell Corp. c. Uniwell North America Inc., (1996), 66 C.P.R. (3d) 436 (C.F. 1re inst.), à la page 438 et Unitel Communications Inc. c. Bell Canada, (1995), 61 C.P.R. (3d) 12, à la page 27 (C.F. 1re inst.).

Emploi des marques de commerce enregistrées par Havana House

[44]      L'un des principaux points litigieux qui opposent les demanderesses et la défenderesse est la question de savoir si Havana House a " employé " les marques de commerce en litige au sens de la Loi sur les marques de commerce . Pour trancher cette question, j'examinerai les dispositions législatives et la jurisprudence concernant l'emploi ou l'usage.

[45]      Ainsi qu'il a déjà été précisé, suivant les définitions contenues à l'article 2 et au paragraphe 4(1) de la Loi sur les marques de commerce, une marque de commerce est réputée " employée " en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée. Ainsi, dans le jugement White Consolidated Industries Inc. c. Beam of Canada Inc. , (1991), 39 C.P.R. (3d) 94 (C.F. 1re inst.), aux pages 108 et 109, j'ai écrit:

     Pour établir qu'une marque de commerce est employée à l'égard de marchandises, les conditions suivantes doivent exister à la date du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises:         
     1)      il doit s'agir d'une marque de commerce définie à l'article 2 [de la Loi sur les marques de commerce], c'est-à-dire une marque employée pour distinguer les marchandises;         
     2)      la marque doit être liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est donné;         
     3)      le transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises doit avoir lieu dans la pratique normale du commerce.         

[46]      Au sujet de la " pratique normale du commerce ", le juge Heald a fait remarquer, dans l'arrêt Manhattan Industries Inc. c. Princeton Mfg. Ltd. , (1971), 4 C.P.R. (2d) 6 (C.F. 1re inst.), aux pages 16 et 17, au sujet de la " chaîne de vente " qui part du fabricant pour aboutir au consommateur:

     [TRADUCTION] [...] si l'un quelconque des maillons de la chaîne se trouve au Canada, il y a " emploi " ou " usage " au Canada au sens de l'article 4.         

[47]      Le paragraphe 16(1) de la Loi sur les marques de commerce prévoit que la première personne à employer la marque de commerce au Canada acquiert le droit à cette marque de commerce et est celle qui a le droit d'en obtenir l'enregistrement (voir également le jugement Uniwell, précité, à la page 448).

[48]      Ainsi qu'il a déjà été souligné, la principale question en litige est celle de savoir si Havana House a " employé " les marques de commerce en litige au sens de la Loi sur les marques de commerce . Il y a une abondante jurisprudence sur la question de savoir si un distributeur peut être réputé avoir " employé " une marque de commerce. Le point de départ de ce débat est le jugement Manhattan Industries , précité. Dans cette affaire, la demanderesse avait présenté une requête en vue de faire radier la marque de commerce de la défenderesse au motif que l'ayant cause de la demanderesse était l'usager antérieur de la marque au Canada. La demanderesse était une compagnie américaine qui vendait à des détaillants canadiens des ceintures et des bretelles portant la marque de commerce " HARNESS HOUSE ". Pour conclure que l'ayant cause de la demanderesse était le premier usager de la marque de commerce au Canada, le juge Heald a déclaré, aux pages 16 et 17 de ce jugement:

     [TRADUCTION] Dans l'esprit de l'article 4, la pratique normale du commence avec le fabricant, se termine avec le consommateur, en a comme intermédiaire un grossiste et (ou) un détaillant. Lorsque la demanderesse a vendu la ceinture HARNESS HOUSE au détaillant et que le détaillant l'a vendue au public, le public en est venu à associer la marque de la demanderesse à la ceinture HARNESS HOUSE; au sens de l'article 4, l'emploi entre le détaillant et le public profite donc au fabricant et constitue un emploi au Canada.         
     [Non souligné dans l'original.]         

[49]      Le principe que le distributeur est simplement un intermédiaire par lequel les marchandises de quelqu'un d'autre atteignent le consommateur a également été cité dans le jugement Saxon Industries, Inc. c. Aldo Ippolito & Co. Ltd., (1982), 66 C.P.R. (2d) 79 (C.F. 1re inst.). Il y a également lieu de mentionner le jugement McCabe c. Yamamoto & Co. (America) Inc., [1989] 3 C.F. 290 (C.F. 1re inst.), dans lequel le juge Joyal cite les jugements Manhattan Industries et Saxon Industries, précités, et en vient à la conclusion suivante (à la page 296):

     Ce que signifie cette jurisprudence à mon avis, c'est que la loi interdit au distributeur de s'approprier et d'enregistrer la marque de commerce de quelqu'un d'autre, habituellement le fabricant, qui en est le propriétaire dans le pays d'origine.         

[50]      La Cour a suivi un raisonnement semblable dans les décisions Royal Doulton Tableware Ltd. c. Cassidy's Ltd., [1986] 1 C.F. 357 (C.F. 1re inst.); All Canada Vac, précitée; Sequa Chemicals Inc. c. United Color and Chemicals Ltd. (1993), 53 C.P.R. (3d) 216 (C.A.F.); Industrie Alimentaire Molisane c. Distributions Rosalba J.D. (1995), 61 C.P.R. (3d) 149 (C.F. 1re inst.) et Uniwell, précitée.

[51]      Les demanderesses font toutefois remarquer à juste titre que, d'après un autre raisonnement qui a été suivi dans ces décisions, on ne saurait invoquer la Loi sur les marques de commerce pour légitimer un usage illicite. Voici en quels termes le juge Joyal a formulé ce principe dans le jugement McCabe, précité (aux pages 298 et 299):

                      J'interprète la Loi sur les marques de commerce comme ayant pour objet de continuer la politique et le but poursuivis par celle qui la précède, savoir la Loi sur la concurrence déloyale [S.R.C. 1952, chap. 274], pour assurer un certain ordre dans le commerce et consacrer ou organiser, par voie législative, les droits, obligations et privilèges que connaissaient en common law les détenteurs de propriété intellectuelle. Cette Loi a pour objet de promouvoir et de réglementer l'utilisation licite des marque de commerce. Si les conditions nécessaires sont réunies, une personne peut se voir attribuer un monopole légal pour l'utilisation exclusive d'une marque de commerce relative à des biens ou services déterminés. Le cas échéant, peut-on soutenir sérieusement que la loi n'interdirait pas, expressément ou implicitement, l'utilisation illicite? À première vue, la réponse à cette question paraît évidente.                 
                      Je reconnais toutefois que ce qui pourrait être illicite à certains égards, comme en cas de rupture de contrat de concession ou de distribution donnant lieu à recours civils ordinaires, ne tomberait pas sous le coup de la Loi sur les marques de commerce sauf violation de l'une quelconque de ses dispositions expresses ou implicites. Si pareille violation se produit, l'utilisation illicite d'une marque de commerce pourrait être invoquée par un opposant pour faire échec aux droits du propriétaire.                 
                      On peut conclure, en règle générale, que lorsqu'une loi a pour objet de protéger les propriétaires de marques de commerce, enregistrées ou non enregistrées, on ne saurait invoquer cette même loi pour en légitimer l'utilisation illicite. Qui plus est, toujours à titre de règle générale, le fait de priver un utilisateur illicite de cette possibilité ne fait pas échec à l'objectif global de la Loi. Si la protection publique est l'un de ses objets, l'expression " antérieurement employé au Canada " pourrait s'interpréter comme signifiant " antérieurement employé de façon licite au Canada ".                 
                      Les causes touchant des distributeurs, que j'ai citées, offrent un cadre pour l'adoption des règles générales ci-dessus. Dans ces causes, des personnes qui auraient pu prétendre à l'enregistrement d'une marque de commerce parce qu'elles ont pu en prouver l'utilisation valide, se sont vu refuser ce privilège pour les motif qu'elles essayaient de s'approprier la propriété de quelqu'un d'autre dans un territoire où cette propriété n'a pas encore reçu la pleine protection que la loi prévoit pour les marques déposées.                 

[52]      Le juge Joyal a cité les décisions Waxoyl AG c. Waxoyl Canada Ltd (1984), 3 C.P.R. (3d) 105 (C.F. 1re inst.), Argenti Inc. c. Exode Importations Inc. (1986), 8 C.P.R. (3d) 174 (C.F. 1re inst.) et Wilhelm Layher GmbH c. Anthes Industries Inc. (1986), 8 C.P.R. (3d) 187 (C.F. 1re inst.) à l'appui de sa thèse. Ces affaires concernaient des distributeurs qui avaient fait enregistrer la marque de commerce de leur propriétaire légitime.

[53]      Le juge Rouleau a également examiné cet argument dans le jugement Citrus Growers Assn. Ltd. c. William D. Branson Ltd., [1990] 1 C.F. 641 (C.F. 1re inst.), aux pages 646 et 647:

         La jurisprudence rendue en vertu de l'article 57 indique clairement qu'un importateur ou mandataire n'a pas le droit d'enregistrer la marque de commerce appartenant à un mandant étranger sous son propre nom et à son propre avantage [renvois à la jurisprudence omis]. L'importateur doit toujours agir à l'égard de la marque à l'avantage du fournisseur et propriétaire étranger de la marque. Les tribunaux sont parvenus à cette conclusion de diverses façons: l'emploi antérieur par le fournisseur étranger au Canada (alinéa 16(1)a)); aucun " emploi " par l'importateur-mandataire au Canada au sens des articles 4 et 16 parce que l'emploi était pour le compte du mandant; la marque ne distingue pas les marchandises de l'intimé (alinéa 18(1)b) ); et, généralement, l'intimé n'est pas la personne qui a droit à l'enregistrement de la marque en raison des obligations de fiduciaire qui existent entre un mandataire et son mandant.         
         Jusqu'ici ce dernier moyen n'a pas justifié à lui seul la radiation, bien qu'on le retrouve partout dans la jurisprudence. Dans chacune des décisions mentionnées auparavant, les requérants ont expressément invoqué les articles 16 ou 18 de la Loi. Ce qui n'a pas été fait en l'espèce. Je suis cependant prêt à accepter, compte tenu de la formulation de l'article 57, que la violation des obligations fiduciaires d'un importateur-mandataire envers son mandant étranger constitue un moyen de contestation légitime et que le requérant peut avoir gain de cause en invoquant ce seul moyen. Je suis également convaincu que la requérante en l'espèce peut invoquer d'autres articles de la Loi, conformément à la jurisprudence déjà mentionnée.         

[54]      Il convient de remarquer que ces décisions n'appuient pas la proposition qu'un distributeur a droit à une marque de commerce s'il n'a pas violé les obligations fiduciaires qu'il a contractées envers son mandant étranger. Pour avoir droit à l'enregistrement d'une telle marque, le distributeur doit quand même avoir employé la marque au sens de l'article 4 de la Loi sur la marque des commerces. Ainsi que le juge Joyal l'a fait remarquer dans le jugement Optagest Canada c. Services Optométriques (S.O.I.), (1991), 37 C.P.R. (3d) 28 (C.F. 1re inst.), à la page 37:

     avant que l'aspect légitime d'un emploi d'une marque, ou avant que les obligations fiduciaires d'un membre envers ses collègues puissent restreindre sa conduite, il faut avant tout établir un emploi qui donne lieu à un droit.         

[55]      Ainsi, le manquement aux obligations fiduciaires est simplement une autre façon pour le mandant étranger de contester l'enregistrement de la marque de commerce du distributeur (voir le jugement Fennessy c. Verb Investments Inc., (1993), 50 C.P.R. (3d) 477 (C.F. 1re inst.)). La possibilité que le fournisseur étranger ait acquiescé à l'enregistrement de la marque de commerce par son distributeur ne signifie pas que le distributeur a droit à la marque de commerce à moins que le distributeur ait utilisé la marque et que celle-ci soit devenue distinctive du distributeur.

[56]      Je trouve un appui pour cette dernière affirmation dans le jugement que j'ai rendu White Consolidated Industries, précité. Dans cette affaire, la demanderesse, une compagnie américaine, tentait de faire radier l'enregistrement de la marque de commerce de la défenderesse, une compagnie canadienne, relativement à la marque de commerce BEAM qui était employée en liaison avec des aspirateurs centraux. Le prédécesseur de la demanderesse vendait depuis 1975 à la défenderesse des aspirateurs centraux destinés à la revente. Entre 1975 et 1985, chacun des blocs moteurs qui était vendu au Canada portait la marque de commerce " BEAM " et provenait des États-Unis. Entre 1985 et 1990, chaque boîtier de chaque bloc moteur vendu au Canada portait la marque " BEAM " et provenait aussi des États-Unis. Depuis 1985, la défenderesse achetait les moteurs de ses blocs moteurs directement au manufacturier et montait certaines parties des blocs moteurs au Canada. Après 1985, les plaques de numéros de série apposées sur les aspirateurs vendus au Canada portaient la marque de la défenderesse plutôt que celle de la demanderesse. En 1990, la défenderesse a informé la demanderesse qu'elle ne s'approvisionnerait plus auprès d'elle.

[57]      En 1982, le prédécesseur de la défenderesse a fait enregistrer la marque " BEAM " au Canada et la défenderesse est devenue titulaire de l'enregistrement en 1987. La demanderesse était au courant de l'enregistrement de la défenderesse, mais ne s'y est pas opposée. La défenderesse a mené une campagne publicitaire intensive. Dans sa publicité, elle précisait qu'elle était la source des marchandises. Depuis 1984, les manuels d'installation et d'utilisation indiquaient la défenderesse comme étant la source des marchandises. En 1989, la défenderesse a revendiqué ouvertement auprès de la demanderesse son droit de propriété sur la marque " BEAM " au Canada.

[58]      Après avoir cité plusieurs des décisions susmentionnées, j'ai conclu que la défenderesse n'avait pas droit à l'enregistrement de la marque de commerce parce que, en tant que distributeur en 1976, elle n'avait pas " employé " la marque de commerce en question. J'ai toutefois poursuivi en concluant que la marque de commerce de la défenderesse était distinctive des marchandises de la défenderesse en 1990 parce qu'on donnait à penser au public que la défenderesse était titulaire de la marque de commerce au Canada. J'ai également jugé que la demanderesse était irrecevable à contester l'enregistrement en vertu des réparations en equity de l'inertie et de l'acquiescement. Finalement, j'ai estimé que la demanderesse avait cédé sa marque à la défenderesse.

[59]      Il est donc possible pour un distributeur d'acquérir les droits qu'une compagnie étrangère possède sur une marque de commerce si l'on peut dire que la marque est devenue distinctive du distributeur.

[60]      Pour ce qui est des faits de la présente affaire, il est évident que Havana House agit comme distributeur pour les autres demanderesses ainsi que pour les usines de tabac appartenant à l'État cubain. Les marques de commerce enregistrées par Havana House sont des marques qui portent les noms commerciaux des cigares (sauf pour la marque MONTE CRISTO HAVANA, qui contient également un dessin). Les cigares sont fabriqués et vendus à Cuba avec les marques en question. Les cigares sont également exportés par Habanos S.A. dans de nombreux pays, dont le Canada. Il ressort de la discussion qui précède qu'on ne saurait dire que Havana House a " employé " les marques de commerce pertinentes au Canada, et elle n'avait pas le droit de les enregistrer. Il est évident que les marques de commerce ne permettent pas au consommateur de penser que le distributeur est le propriétaire des marques de commerce. Elles indiquent plutôt de façon claire que les marques proviennent du fabricant. Havana House distribue les produits en question au Canada au profit du propriétaire cubain de la marque de commerce. Elle n'a pas établi qu'elle a employé la marque de commerce au sens de l'article 4 de la Loi sur les marques de commerce . En conséquence, Havana House n'avait pas le droit de faire enregistrer les marques de commerce en litige.

Usage antérieur

[61]      À titre subsidiaire, la défenderesse soutient que Havana House n'a pas droit aux marques de commerce parce que d'autres personnes ont employé les marques de commerce au Canada avant elle. Ce moyen est mal fondé parce que, suivant l'article 17 de la Loi sur les marques de commerce, la seule autre personne qui peut contester l'enregistrement en invoquant un usage antérieur est l'usager antérieur effectif ou le prédécesseur en titre. En tant que détaillant, la défenderesse n'a pas employé les marques de commerce au sens de l'article 4 de la Loi sur les marques de commerce et elle n'a donc pas le droit de contester l'enregistrement de la marque de commerce en invoquant un usage antérieur.

Caractère distinctif

[62]      Le dernier moyen subsidiaire que la défenderesse invoque est que les marques de commerce de Havana House ne sont pas distinctives de Havana House. Aux termes de l'article 2 de la Loi sur les marques de commerce, est distinctive la marque de commerce " qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi ". Ainsi qu'il est précisé dans le jugement Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. , (1985), 7 C.P.R. (3d) 254 (C.F. 1re inst.), conf. par (1987), 17 C.P.R. (3d) 237 (C.A.F.), conf. par (1987), 17 C.P.R. (3d) 287 (C.A.F.), trois conditions doivent être réunies pour que le caractère distinctif soit démontré (à la page 270 (C.F. 1re inst.)):

                 1) la marque doit être reliée à un produit (ou marchandise); (2) le " propriétaire " doit utiliser ce lien entre la marque et son produit, en plus de fabriquer et de vendre ce produit; 3) ce lien permet au propriétaire de la marque de distinguer son produit de celui d'autres fabricants.                 

[63]      La question du caractère distinctif est une question de fait. La question à se poser est celle de savoir si l'on a clairement laissé entendre au public que les marchandises auxquelles la marque de commerce est associée et en liaison avec laquelle elle est employée sont les marchandises du propriétaire de la marque de commerce et non celles d'une autre personne (voir la décision White Consolidated, précitée, aux pages 109 à 111). Dans Heintzman, précité, voici ce que la Cour déclare au sujet du caractère distinctif, à la page 217:

                 Une marque de commerce a pour but d'indiquer la provenance des marchandises [Renvoi: H.G. Fox, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e éd. (1972), p. 21, 25 et Royal Doulton Tableware Ltd. et al. v. Cassidy's Ltd., (1984), 1 C.P.R. (3d) 214 à la p. 225 (C.F. 1re inst.)]. Si une marque est utilisée en liaison avec un produit de très grande qualité, sa présence assurera à l'acheteur que les marchandises sont vraisemblablement de cette qualité. À tout le moins, la marque permet à l'acheteur de dire si les marchandises proviennent d'une source en laquelle il a confiance.                 
                 Par définition, une marque de commerce doit caractériser une seule source. Elle doit permettre de distinguer les biens et services de son propriétaire des biens et services de tous les autres.                 

[64] Suivant l'alinéa 18(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, l'enregistrement d'une marque de commerce peut être invalidé au motif que la marque n'est plus distinctive au moment où l'instance en radiation est introduite. En l'espèce, l'instance en invalidation a été introduite le 14 novembre 1996, date à laquelle la défenderesse a produit sa défense. Le caractère distinctif sera donc examiné à cette date. La raison pour laquelle le caractère distinctif est examiné en fonction de la date d'introduction de l'instance en radiation a été exposée dans le jugement Professional Publishing Associates Ltd. c. Toronto Parent Magazine Inc., (1986), 9 C.P.R. (3d) 207 (C.F. 1re inst.) à la page 218, où la Cour a écrit:

     Selon mon interprétation de [l'alinéa 18(1)b)], le critère du caractère distinctif doit être appliqué à la date où est intentée l'action en radiation, d'après le principe qu'une marque qui n'était pas distinctive au moment de l'enregistrement peut l'être devenue par la suite compte tenu de l'emploi qu'en a fait son propriétaire, ou inversement, qu'une marque qui était distinctive au moment de son enregistrement peut avoir perdu son caractère distinctif parce que le propriétaire a incorrectement permis à d'autres personnes de l'employer ou a consenti à son emploi par autrui.         

[65] Le moyen que la défenderesse tire du caractère distinctif est fondé sur le jugement Mr. P's Mastertune Ignition Services Ltd. c. Tune Master, (1984), 82 C.P.R. (2d) 128 (C.F. 1re inst.). La défenderesse soutient que Havana House a perdu son droit sur ses marques parce qu'il y aurait un usage répandu de cette marque par d'autres commerçants. Dans l'affaire Mastertune, précitée, la Cour a examiné cet argument à la page 144:

     Le propriétaire d'une marque de commerce peut perdre son droit exclusif sur cette marque s'il en permet une large utilisation par les commerçants concurrents, soit par concurrence, soit par action négative. Dans ce cas, la marque cesse d'être distinctive des marchandises et services du propriétaire. Mais un propriétaire ne perd pas ses droits sur la marque du fait de leur violation par un tiers.         

[66] L'argument de la défenderesse suivant lequel les marques font l'objet d'une large utilisation à l'extérieur du Canada n'est pas pertinent, étant donné que la question à se poser est celle de savoir si les marques sont distinctives en droit canadien. Rien ne permet de penser que l'utilisation des marques dans d'autres pays a été reconnue au Canada. La question à laquelle il faut répondre est donc celle de savoir si les marques de commerce sont distinctives au Canada. Suivant la preuve, Havana House est le distributeur exclusif de cigares cubains au Canada. Ces cigares sont importés de Habanos S.A. et sont distribués à d'autres distributeurs et détaillants au Canada en vue de la vente. Tout autre cigare cubain qui est destiné à la revente au Canada provient de magasins cubains et a été transporté hors de Cuba comme les défenderesses ont reconnu l'avoir fait. Vu ces faits, je ne comprends pas comment la défenderesse peut prétendre que Havana House a permis une large utilisation des marques de commerce par des commerçants concurrents. Havana House a conclu des ententes de fourniture avec d'autres détaillants et distributeurs canadiens et a poursuivi d'autres personnes qui, selon elle, ont violé ses droits. Je ne crois pas que le caractère distinctif puisse reposer sur un tel argument.

[67]      Toutefois, ainsi que je l'ai déjà déclaré, l'emploi des marques de commerce par Havana House constitue un emploi par une entité étrangère. Les marques de commerce sont donc distinctives des cigares du fabricant et non de ceux de Havana House (voir la décision Industrie Alimentaire, précitée, à la page 155). Ainsi, la seule façon pour Havana House de défendre la validité de son enregistrement consisterait pour elle à démontrer que ses marques de commerce ont acquis un caractère distinctif qui lui permettait de les utiliser à compter du 14 novembre 1996. Après avoir examiné attentivement les pièces versées au dossier, il m'est impossible de conclure, vu l'ensemble de la preuve, qu'on laisse croire au public que Havana House est le propriétaire de la marque de commerce. Suivant la seule marque qui figure sur les boîtes de cigares et dans la publicité de Havana House, Havana House est le distributeur exclusif des cigares cubains. La demanderesse a cité des extraits du contre-interrogatoire de John Broen, vice-président, Affaires générales chez Rothmans, Benson & Hedges Inc., qui déclare que Havana House est connue comme étant la source des cigares cubains au Canada. J'interprète toutefois cette affirmation de M. Broen comme signifiant, non pas que Havana House est la source de la fabrication des cigares cubains en litige ou que le public associe les marques de commerce à Havana House en tant que fabricant ou aux marques d'un distributeur, mais plutôt que Havana House est la source de la distribution des cigares cubains en litige. Faute d'autres éléments de preuve, il m'est impossible de conclure que Havana House a acquis un caractère distinctif en ce qui concerne les cigares en question.

[68]      Force m'est donc de conclure qu'il n'y a pas de question sérieuse à instruire et que la défenderesse devrait obtenir le jugement sommaire qu'elle sollicite. Les marques de commerce suivantes sont donc invalides et seront radiées du registre des marques de commerce:

     1) HOYO DE MONTERREY DE JOSÉ GENER HABANA, enregistrement no 432,667;         
     2) MONTE CRISTO HABANA et dessin, enregistrement no 462,960;         
     3) MONTECRISTO, enregistrement no 432,218;         
     4) ROMEO Y JULIETA, enregistrement no 424,609.         

La requête en contrefaçon et imitation frauduleuse de marque de commerce des demanderesses

[69]      Compte tenu de ma conclusion, l'action en contrefaçon des quatre marques de commerce en question que la demanderesse a présentée en vertu des articles 19, 20 et 22 doit être rejetée. J'examinerai toutefois l'action en imitation frauduleuse et les conclusions de contrefaçon fondées sur les articles 19, 20 et 22 au sujet de la marque H. UPMANN HABANA et dessin.

[70]      Les demanderesses soutiennent que la défenderesse a fait passer ses marchandises ou ses services pour ceux des demanderesses ou qu'elle a contrefait la marque de commerce des demanderesses soit en vendant des cigares de qualité inférieure (les cigares contrefaits) qui ont été fabriqués par des personnes qui ne sont pas liées aux demanderesses, soit en vendant des cigares qui ont été fabriqués par des fabricants cubains, mais qui n'ont pas été exportés par Habanos S.A. selon les normes de contrôle de la qualité élaborées par les demanderesses (les cigares non autorisés). La défenderesse nie ces faits. Les éléments de preuve qui suivent concernent les principaux points litigieux.

[71]      Dans l'affidavit qu'il a souscrit le 26 janvier 1998, M. Ortego affirme que le directeur des opérations de Havana House, M. Roger Lanteigne, s'est rendu au magasin de la défenderesse et a acheté quinze cigares Doubles Coronas HOYO DE MONTERREY et vingt cigares Coronos ROMEO Y JULIETA. M. Ortego mentionne également dans son affidavit que M. Lanteigne s'est vu offrir plusieurs autres cigares contrefaits et cigares vendus sur le marché noir, notamment des cigares Montecristo et H. Upmann. Lors de son interrogatoire du 21 août 1997, M. Ortego a déclaré que la signature figurant sur le reçu de carte de crédit était celle de M. Lanteigne, mais il a affirmé lors de son réinterrogatoire du 6 mars 1998 que la signature était celle de " Fiona ". Il semble que " Fiona " soit l'ex-fiancée de M. Lanteigne. On ne sait donc pas avec certitude qui a acheté les cigares. M. Jiwa affirme qu'au moment où les cigares ont été achetés, la femme de M. Jiwa avait demandé à M. Lanteigne si elle pouvait le photographier en train de prendre les boîtes ou permettre à quelqu'un d'être témoin de la réception de la boîte par elle. Les deux demandes ont été refusées.

[72]      Dans son affidavit, M. Ortego affirme qu'il a examiné les cigares qui ont été achetés chez la défenderesse. Lors de son interrogatoire préalable du 21 août 1997, M. Ortego a reconnu que les cigares en question étaient fabriqués dans des usines cubaines appartenant à l'État. M. Ortego a constaté que les cigares ROMEO Y JULIETA étaient infestés de serricone tabaquensis, un insecte qui attaque le tabac et les emballages de cigare. M. Ortego affirme que cette infestation est imputable à un mauvais contrôle de la qualité et qu'elle ne se serait jamais produite si les cigares avaient été distribués dans le cadre du système de contrôle de la qualité des demanderesses. M. Ortego a toutefois déclaré en contre-interrogatoire que le système de contrôle de la qualité des demanderesses est sujet à certaines variations de qualité et que certains cas rares d'infestation d'insectes avaient été signalés. De plus, M. Jiwa a fait remarquer dans l'affidavit qu'il a souscrit en novembre 1997 que le magasin de cigares autorisé de l'aéroport de Camaguey, à Cuba, avait été fermé parce que ses produits du cigare étaient infestés d'insectes.

[73]      Dans son affidavit, M. Ortego affirme également que la défenderesse a acheté des cigares non autorisés ou contrefaits à un représentant de Tiendas. M. Ortego soutient que Tiendas n'est pas autorisée à vendre des cigares au Canada. Dans son affidavit du 21 septembre 1997, Karim Jiwa, le directeur de la défenderesse, a confirmé qu'il avait acheté quatre boîtes de cigares à Tiendas, mais qu'il n'avait pas acheté d'autres cigares parce que le numéro de téléphone et l'adresse du vendeur ne figuraient pas sur le reçu.

[74]      M. Ortego affirme en outre dans son affidavit que la défenderesse a envoyé des gens à Cuba pour acheter des cigares non autorisés en vue de les revendre au Canada. M. Ortego soutient que ces démarches ont été faites malgré la mise en demeure que l'avocat des demanderesses a envoyée à la défenderesse le 15 août 1996. M. Ortego soutient que ces achats effectués à Cuba ont eu lieu dans des magasins qui n'appartenaient à aucune des demanderesses et n'étaient exploités par aucune d'entre elles. Dans son affidavit, M. Jiwa contredit carrément cette affirmation et soutient que les cigares ont été achetés dans les propres points de vente des demanderesses à Cuba. Lors de son interrogatoire préalable du 30 août 1997, M. Jawa a fait valoir qu'il savait que les cigares avaient été achetés dans des magasins légitimes, parce que ceux-ci avaient des affiches portant la mention " Habanos S.A. ". M. Jiwa concède toutefois que les affiches portaient peut-être la mention " Habanos ", qui en espagnol, désigne des " cigares de La Havane ", et non la mention " Habanos S.A. ", qui désigne la compagnie demanderesse.

[73]      Après avoir examiné attentivement la preuve, je ne suis pas convaincu que les faits nécessaires ont été établis pour me permettre de conclure qu'il n'y a aucune question sérieuse à instruire en ce qui concerne l'un ou l'autre des moyens invoqués par les demanderesses pour soutenir que leur marque de commerce a été contrefaite. On ne m'a encore soumis aucun élément de preuve qui démontre que la défenderesse a vendu un produit portant la marque de commerce de Cubatababo intitulée " H. UPMANN HABANA & dessin ".

[76]      Même si les demanderesses avaient présenté des éléments de preuve suffisants pour démontrer que la défenderesse a vendu un produit portant la marque " H. UPMANN HABANA & dessin ", il y aurait quand même lieu de se demander si la défenderesse a contrefait la marque de commerce. Or, rien ne permet en effet de penser que les quatre boîtes de cigares achetées à Tiendas portaient la marque H. UPMANN. Qui plus est, le seul élément de preuve concernant Tiendas est l'affirmation de M. Ortego qui soutient que Tiendas n'est pas autorisée à vendre les cigares en litige.

[77]      Il nous reste donc à examiner les éléments de preuve concernant les autres cigares vendus dans les établissements de la défenderesse. Les cigares que M. Lanteigne aurait achetés ne portaient pas la marque de commerce H. UPMANN. En conséquence, le seul élément de preuve relatif aux cigares portant cette marque doivent provenir des registres du magasin de la défenderesse. Les cigares sont fabriqués dans les usines cubaines, sont marqués par le fabricant et sont vendus à des propriétaires de points de vente de Cuba. La défenderesse les achète dans ces points de vente en vue de les revendre au Canada. La défenderesse n'a apposé aucune marque sur ces marchandises, mais s'est contentée de les revendre sans l'intervention de Havana House. La thèse des demanderesses est que le présumé mauvais contrôle de la qualité de la défenderesse porte atteinte aux droits que lui reconnaît la Loi sur les marques de commerce. La preuve présentée par les demanderesses n'est selon moi pas suffisante pour me permettre de tirer une telle conclusion dans le cadre d'une requête en jugement sommaire. Le seul élément de preuve que les demanderesses ont présenté au sujet du contrôle de la qualité dans les établissements de la défenderesse concerne les cigares que M. Lanteigne aurait achetés.

[78]      Les cigares en question n'ont pas été examinés par un tiers indépendant, mais par M. Ortego. Les cigares se sont trouvés en la possession de M. Ortego ou de son avocat pendant une période de temps indéterminée avant d'être soumis à la Cour. Qui plus est, M. Ortego a déclaré lors de son interrogatoire préalable que, même avec le système de contrôle de la qualité des demanderesses, les cigares peuvent quand même souffrir d'infestations d'insectes. Je ne crois pas que cet élément de preuve prouve que le système de contrôle de la qualité de la défenderesse est insatisfaisant.

[79]      De plus, la preuve est très floue en ce qui concerne les cigares que la défenderesse a achetés à Cuba. Les demanderesses ont présenté peu d'éléments de preuve pour m'aider à décider si la défenderesse a acheté les cigares dans un magasin de Habanos S.A. ou sur le marché noir. La défenderesse maintient que les cigares ont été achetés dans des points de vente légitimes et les demanderesses n'ont pas présenté suffisamment d'éléments de preuve pour contester cette affirmation. M. Ortego a déclaré, lors de son interrogatoire préalable, qu'on peut légitimement acheter des cigares dans des points de vente légitimes à Cuba et les ramener au Canada en payant les droits de douane applicables.

[80]      Qui plus est, rien ne permet de conclure que les actes de la défenderesse ont causé une " dépréciation de l'achalandage " au sens de l'article 22 de la Loi sur les marques de commerce . Tout au plus, les demanderesses ont émis l'hypothèse que, s'il obtient des cigares de qualité inférieure, un consommateur refuserait d'acheter d'autres cigares. Il doit y avoir suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir conclure que la défenderesse a causé une dépréciation de l'achalandage. Or, j'estime qu'à ce sujet, on n'en est réduit qu'à de simples conjectures. Je conclus donc que les demanderesses n'ont pas démontré que la question de savoir si la défenderesse a violé les articles 19, 20 ou 22 de la Loi sur les marques de commerce ne constitue pas une question litigieuse qui mérite d'être instruite.

[81]      Pour ce qui est de l'action en imitation frauduleuse des demanderesses, j'en viens à la même conclusion, c'est-à-dire que les demanderesses n'ont pas démontré qu'il n'y a pas de question sérieuse à instruire. Les demanderesses ont cité plusieurs décisions à l'appui de leur thèse que l'absence de contrôle de la qualité entraîne une dépréciation de l'achalandage. Je conclus que la décision récente Manos Foods International Inc. c. Coca-Cola Ltd., (1997), 74 C.P.R. (3d) 2 (Div. gén. Ont.) mérite une attention toute spéciale, même si elle porte sur l'existence d'un préjudice irréparable dans le cas d'une requête en injonction interlocutoire plutôt que sur une demande de jugement sommaire.

[82]      Dans l'affaire Manos Foods, précitée, les défenderesses ont refusé de fournir à la demanderesse des produits Coca-Cola après avoir appris que la demanderesse expédiait les produits en question à l'étranger en vue de les revendre. La demanderesse sollicitait une injonction interlocutoire en vue de suspendre le boycottage jusqu'au procès. Les défenderesses ont présenté une requête incidente en vue d'obtenir une ordonnance interlocutoire interdisant à la demanderesse de contrefaire leurs marques de commerce par l'exportation et l'expédition non autorisées de produits Coca-Cola d'origine canadienne, de déprécier l'achalandage afférent aux marques, d'exporter et de vendre des produits Coca-Cola d'origine canadienne à tout tiers situé au Canada et d'accomplir les actes précités sur tout territoire où la demanderesse n'était pas autorisée à vendre les produits en question. La Cour a rejeté les requêtes et les requêtes incidentes, mais a formulé les observations suivantes au sujet du contrôle de la qualité dans une action en imitation frauduleuse (aux pages 21 et 22):

     [TRADUCTION] Les défenderesses soutiennent également que, si le transbordement est autorisé, elles perdront le contrôle sur le moment où les produits sont venus aux consommateurs. Des produits risquent donc d'être vendus après la date d'utilisation optimale, ce qui pourrait nuire à la réputation des défenderesses. Il semble essentiellement que nous soyons en présence d'un exemple précis de dépréciation de l'achalandage. Les défenderesses ne citent aucune décision à l'appui de leur thèse. La Cour fédérale a, à plusieurs reprises, examiné, souvent de façon quelque peu incidente, la question du contrôle de la qualité pour conclure qu'il s'agit d'un facteur dont il faut tenir compte pour évaluer le préjudice irréparable. Ces affaires portaient toutefois sur le contrôle de la qualité de la production originale du produit en cause. Ainsi, l'affaire Universal City Studios, Inc. c. Zellers Inc., [1983] F.C.J. No. 601 (QL) (C.F. 1re inst.) portait sur l'importation de personnages E.T. plagiés provenant de Taïwan qui étaient apparemment de qualité inférieure aux produits officiellement fabriqués sous licence. De même, dans l'affaire Fruit of the Loom, Inc. c. Château Lingerie Mfg. Co., [1982] F.C.J. No. 414 (QL) (C.F. 1re inst.), Fruit of the Loom craignait de ne pouvoir exercer un contrôle sur la fabrication de vêtements. L'affaire 688863 Ontario Ltd. c. Landover Enterprises Inc., (1991), 35 C.P.R. (3d) 399 (C.F. 1re inst.), est la seule affaire portant sur le contrôle de la qualité d'aliments. Dans cette affaire, le débat concernait un petit restaurant qui employait la même raison sociale qu'une chaîne plus importante. La chaîne de restaurants en question avait soutenu avec succès que la confusion créée au sujet de la raison sociale risquait de créer de la confusion chez les clients et que si les aliments servis par le petit restaurant étaient d'une qualité inférieure, la réputation de la chaîne en subirait un préjudice. Compte tenu de ces décisions, il semble qu'il soit loisible au tribunal de conclure que l'incapacité d'exercer un contrôle sur la qualité constitue un préjudice irréparable. En revanche, il y a lieu d'établir une distinction entre ces affaires et la présente espèce, étant donné que ce sont d'autentiques produits Coca-Cola qui sont en cause. À la différence de ces affaires, la qualité de la production ou de la fabrication des produits n'est pas en cause. L'absence de contrôle de la qualité au niveau de la distribution ne crée pas de préjudice irréparable. Le tribunal est d'avis que la réponse doit être négative. L'argument suivant lequel le produit pourrait être exporté et vendu après l'expiration de la date de consommation optimale, ce qui pourrait mécontenter certains clients et nuire à la réputation des défenderesses est spéculatif. Suivant le principe posé dans l'arrêt Syntex Inc. c. Novopharm Ltd., (1991), 36 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.), les élément de preuve portant sur le préjudice doivent être clairs et non spéculatifs. Les défenderesses n'ont donc pas réussi à établir le bien-fondé de leurs arguments sur cette question.         

[83]      Il semble donc qu'il soit loisible au tribunal de statuer que l'absence de contrôle de la qualité de la défenderesse risque de déprécier l'achalandage des demanderesses. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, rien ne permet de penser que la défenderesse a employé des normes de contrôle de la qualité qui soient insatisfaisantes au point de me permettre de statuer qu'il n'y a pas de question sérieuse à instruire.

[84]      Avant de conclure, je dois également faire état de deux décisions portant sur le marché gris. Dans l'affaire Consumers Distributing, précitée, la défenderesse, le distributeur autorisé de montres Seiko au Canada, avait entamé une action en vue de faire interdire à l'appelante de vendre des montres Seiko, étant donné qu'elle n'était pas un vendeur autorisé. L'appelante vendait des montres Seiko qu'elle avait obtenues illégalement à l'extérieur du Canada d'un vendeur autorisé qui exerçait ses activités à l'extérieur du réseau de distribution. Les demanderesses soutiennent que les décisions portant sur le marché gris ne sont pas pertinentes, étant donné qu'elles concernent l'octroi de licences et qu'il n'y a aucun contrat de licence ou de cession dans la présente affaire. J'estime toutefois que l'analyse que le tribunal a effectuée au sujet de la création d'un monopole de fait sur un produit, du droit de contrôler la revente et des répercussions sur la concurrence libre est utile. Aux pages 599 et 600, le tribunal écrit:

     Il est difficile, au premier abord, de voir en quoi la conduite de l'appelante peut constituer du passing off. L'appelante vend précisément la même montre que l'intimée et la source en est exactement la même. La montre est protégée par une garantie non pas au nom de l'intimée, mais au nom du fabricant, Hattori. La qualité du produit doit être pour quelque chose dans la réussite de l'intimée et, partant, dans l'accroissement de son chiffre d'affaires et de son achalandage dans l'industrie. Dans chaque cas, les montres vendues étaient toujours et sans exception celles de Hattori. L'intimée essaie, en attribuant à la montre des caractéristiques propres à la méthode de vente employée par elle, d'établir que la théorie classique du passing off s'applique. Suivant l'argument de l'intimée, elle peut faire ce rapprochement à cause de son contrat avec Hattori, le fournisseur des montres Seiko, qui l'autorise à limiter la garantie du fabricant aux montres vendues par des concessionnaires agréés par l'intimée. Il va sans dire que l'appelante et les entités (comme Woolco et K-Mart) qui, d'après la preuve, exploitent le même genre d'entreprise, ne peuvent pas commercialiser les montres de cette façon, puisqu'elles ne sont pas des concessionnaires agréés. La faille dans l'argument de l'intimée est que, poussé à son aboutissement logique, il accorde à tout vendeur qui se trouve dans la situation de l'intimée le même type de monopole à l'égard de la vente au Canada d'un produit quelconque qu'aurait ce vendeur si le produit en question faisait l'objet d'un brevet d'invention délivré en vertu de la Loi sur les brevets du Canada. De plus, cet argument butte inévitablement contre un second obstacle, savoir qu'il entraîne la conclusion que la common law en matière de biens meubles reconnaîtrait ainsi un droit d'imposer des restrictions à la vente de biens meubles, même légitimement acquis, chaque fois qu'une autre personne, dans une situation analogue à celle du vendeur, vend des articles identiques. Ce principe est étranger à notre droit. Il s'ensuit que ce droit de limiter la revente pourrait être exercé non seulement par l'intimée et par tous les autres bénéficiaires de cette protection offerte par le fabricant, mais aussi par le fabricant Hattori qui, vraisemblablement à des conditions qui lui convenaient, a placé ces montres dans le réseau de distribution qui les a finalement acheminées jusqu'à l'appelante. Chose ironique, si la loi permettait cela, le fabricant, avec les profits de la vente de ces montres en poche, pourrait alors empêcher l'appelante de les revendre. Une troisième conséquence serait un conflit d'intérêts entre d'une part ce résultat et d'autre part les principes de common law relatifs aux restrictions à la liberté du commerce et à la libre concurrence.         

[85]      Je tiens également à mentionner l'arrêt Smith & Nephew, précité, dans lequel la Cour d'appel fédérale a cité l'arrêt Consumers Distributing, précité, pour en arriver à la conclusion que le défendeur, qui exerçait ses activités sur le marché gris, n'avait pas violé la Loi sur les marques de commerce. Dans cette affaire, la demanderesse était le preneur de licence et l'importateur canadien de marchandises portant la marque de commerce NIVEA qui avait été enregistrée par Beiersdorf AG (BDF). Les défenderesses étaient les importateurs/distributeurs et détaillants de marchandises portant cette marque de commerce. Le tribunal a fait remarquer, à la page 571:

     Les produits qui sont mis dans le circuit commercial par le propriétaire d'une marque déposée ne sont pas des produits contrefaits simplement parce qu'ils sont arrivés sur un marché géographique donné sur lequel le propriétaire de la marque ne veut pas qu'ils soient distribués.         

[86]      Plus loin, le tribunal écrit, à la page 573:

     En tant que licenciée canadienne et importatrice de produits portant les marques déposées de BDF, Smith & Nephew ne peut pas se plaindre de la vente au Canada d'autres produits qui sont aussi fabriqués par BDF ou en vertu d'une licence octroyée par BDF et qui portent les même marques. Il ne peut pas y avoir de tromperie quant à la source des produits, qui sont exactement ce qu'ils sont censés être, une crème et un savon pour le visage Nivea dont la qualité et les caractéristiques sont contrôlées par BDF.         

[87]      Évidemment, ainsi qu'il a déjà été mentionné, les demanderesses soutiennent que les marchandises ne sont pas [TRADUCTION] " exactement ce qu'elles sont censées être ", parce que leurs " qualité et nature " sont contrôlées par la défenderesse une fois qu'elles quittent leur canal de distribution autorisé. Il n'y a cependant pas suffisamment d'éléments de preuve de ce défaut de qualité ou de nature pour en faire une question qui ne mérite pas d'être instruite.

[88]      Je conclus que la preuve n'est pas suffisante pour me permettre de conclure qu'il n'y a pas de question sérieuse à instruire. La requête en jugement sommaire des demanderesses est prématurée, étant donné que je ne suis pas convaincu que la défenderesse a violé les alinéas 7b), 7c) ou 7d) de la Loi sur les marques de commerce.

DISPOSITIF

[89]      La requête en jugement sommaire de la défenderesse est en conséquence accueillie et les demanderesses sont condamnées aux dépens. Les quatre marques de commerce, HOYO DE MONTERREY DE JOSÉ GENER HABANA, MONTE CRISTO HABANA et dessin, MONTECRISTO et ROMEO y JULIETA sont invalides et sont radiées du registre des marques de commerce. De plus, la requête en jugement sommaire présentée par les demanderesses sur le fondement de la contrefaçon et de l'imitation frauduleuse est rejetée au motif que la preuve n'est pas suffisante pour conclure qu'il n'y a pas de question sérieuse à instruire.

     " Max M. Teitelbaum "

                                         J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 19 mai 1998

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE:              T-2144-96
INTITULÉ DE LA CAUSE:      Havana House Cigar & Tobacco et al.
                     c. Skyway Cigar Store
LIEU DE L'AUDIENCE:          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE:          16 et 17 avril 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Teitelbaum le 19 mai 1998

ONT COMPARU:

Kenneth D. McKay                  pour les demanderesses
Alnaz I. Jiwa                      pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

SIM, HUGHES, ASHTON & McKAY      pour les demanderesses

Avocats

Toronto (Ontario)

Alnaz I. Jiwa                      pour la défenderesse

Avocat

North York (Ontario)

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