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     Date: 20010126

     Dossier: T-730-00


Entre :

     SERGE LEMAY INC.

     Demandeur

     - et -


     JEAN-PATRICK DEMANGEON,

     Défendeur




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD :

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire vise l'annulation de la décision rendue par Marc Poulin, un arbitre nommé conformément aux dispositions de la section XIV, partie III, du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 et ses modifications, (le « Code » ) le 21 mars 2000, suite à une plainte de congédiement déguisé et injuste déposée par le défendeur Jean-Patrick Demangeon à l'encontre du demandeur Serge Lemay Inc. Cette plainte, pour l'essentiel, se lit en partie comme suit :

         -      Mise à pied de 3 semaines, pour motifs invérifiables . . .
         -      L'employeur, depuis quelques semaines, a créé une tension par diverses mesures discriminatoires.
         -      À la fin des 3 semaines de mise à pied la société S.L.J. m'a adressé un relevé d'emploi notifiant un départ volontaire alors que je n'ai jamais adressé de lettre de démission.
         -      D'autre part, d'après des faits qui m'ont été communiqués, je ne serais pas le premier pour qui la société S.L.J. aurait employé ces mesures pour susciter le départ de chauffeurs ayant une certaine ancienneté . . .

[2]      Les dispositions pertinentes de cette section XIV du Code sont les suivantes :

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

     (a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and
     (b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

(2) Subject to subsection (3), a complaint under subsection (1) shall be made within ninety days from the date on which the person making the complaint was dismissed.

(3) The Minister may extend the period of time referred to in subsection (2) where the Minister is satisfied that a complaint was made in that period to a government official who had no authority to deal with the complaint but that the person making the complaint believed the official had that authority.


241. (1) Where an employer dismisses a person described in subsection 240(1), the person who was dismissed or any inspector may make a request in writing to the employer to provide a written statement giving the reasons for the dismissal, and any employer who receives such a request shall provide the person who made the request with such a statement within fifteen days after the request is made.

(2) On receipt of a complaint made under subsection 240(1), an inspector shall endeavour to assist the parties to the complaint to settle the complaint or cause another inspector to do so.

(3) Where a complaint is not settled under subsection (2) within such period as the inspector endeavouring to assist the parties pursuant to that subsection considers to be reasonable in the circumstances, the inspector shall, on the written request of the person who made the complaint that the complaint be referred to an adjudicator under subsection 242(1),

     (a) report to the Minister that the endeavour to assist the parties to settle the complaint has not succeeded; and
     (b) deliver to the Minister the complaint made under subsection 240(1), any written statement giving the reasons for the dismissal provided pursuant to subsection (1) and any other statements or documents the inspector has that relate to the complaint.

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

     (a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;
     (b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and
     (c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

     (a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and
     (b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

     (a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or
     (b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

     (a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;
     (b) reinstate the person in his employ; and
     (c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.


240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :

     a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;
     b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement.

(3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l'intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d'un fonctionnaire qu'il croyait, à tort, habilité à la recevoir.




241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l'employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.


(2) Dès réception de la plainte, l'inspecteur s'efforce de concilier les parties ou confie cette tâche à un autre inspecteur.

(3) Si la conciliation n'aboutit pas dans un délai qu'il estime raisonnable en l'occurrence, l'inspecteur, sur demande écrite du plaignant à l'effet de saisir un arbitre du cas :

     a) fait rapport au ministre de l'échec de son intervention;
     b) transmet au ministre la plainte, l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement et tous autres déclarations ou documents relatifs à la plainte.







242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.

(2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :

     a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;
     b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;
     c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).


(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :

     a) décide si le congédiement était injuste;
     b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.




(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :

     a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;
     b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :

     a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;
     b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;
     c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.


243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire -- notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto -- visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.




[3]      Les conclusions de la décision attaquée se lisent comme suit :

         POUR CES MOTIFS      l'arbitre
         DÉCLARE          que Jean-Patrick Demangeon n'a pas démissionné le 14 octobre 1998;
         DÉCLARE          que l'employeur l'a congédié injustement le 14 octobre 1998;
         ORDONNE          à l'employeur de le réintégrer dans ses fonctions de chauffeur avec tous ses droits et privilèges dans les sept jours suivant la réception de la présente décision;
         ORDONNE          à l'employeur de lui verser dans les trente jours de la réception de la présente, à titre d'indemnité, l'équivalent du salaire dont l'a privé son congédiement pour la période allant du 15 novembre 1998 à la date de sa réintégration;
         RÉSERVE          sa compétence sur le quantum de l'indemnité, le cas échéant.


[4]      Cette affaire soulève d'abord la question de la compétence de l'arbitre à décider si le congédiement allégué par le défendeur était injuste.

[5]      En effet, dès le début de l'audition devant l'arbitre, le demandeur, sous forme d'objection préliminaire, a contesté la compétence du premier en alléguant que le défendeur n'avait pas été congédié mais qu'il avait plutôt démissionné. Dès le début de sa décision, l'arbitre écrit, à ce sujet, ce qui suit :

         Cependant, il soulève une objection préliminaire. Il conteste la juridiction de l'arbitre alléguant que le plaignant n'a pas été congédié mais qu'il a plutôt démissionné. Au début de la deuxième journée d'audience, il demande à l'arbitre de se prononcer sur son objection préliminaire avant de procéder au mérite.
         L'arbitre, après avoir entendu les arguments des parties, décide de prendre l'objection sous réserve et d'entendre la preuve au mérite. La connaissance de cette preuve sur l'ensemble des circonstances de l'affaire lui permettra de mieux statuer sur l'objection de l'employeur.


[6]      C'est à bon droit que l'arbitre a décidé d'entendre toute la preuve au mérite avant de décider de la question de sa compétence. Il a ainsi agi conformément à l'alinéa 242(2)b) du Code à l'effet que pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre « fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part » .

[7]      Cependant, après avoir ainsi entendu toute la preuve, l'arbitre commence la rédaction des motifs véritables de sa décision finale comme suit :

         LES MOTIFS ET LA DÉCISION
         Dans la présente affaire, l'arbitre doit d'abord statuer sur l'objection préliminaire de l'employeur et déterminer si Jean-Patrick Demangeon a démissionné le 14 octobre 1998. Si oui, je devrai décliner juridiction et rejeter la plainte. Dans le cas contraire, je devrai décider si l'employeur l'a congédié injustement, c'est-à-dire sans cause juste et suffisante.
         Selon la jurisprudence, il appartient à l'employeur en pareilles circonstances de prouver que le plaignant a démissionné. A défaut de quoi, il doit démontrer une cause juste et suffisante pour le congédier. Le fardeau de la preuve lui incombe.
                                 (J'ai souligné.)


[8]      À mon sens, l'arbitre a eu tort d'imposer au demandeur le fardeau de prouver que le défendeur avait démissionné. Le fait que la question de la compétence de l'arbitre ait été soulevé par voie d'objection préliminaire faite par le demandeur ne déplace pas pour autant le fardeau de preuve imposé en droit au défendeur plaignant de prouver l'existence d'un congédiement, incluant au besoin l'absence de démission. Ce n'est que lorsque la personne qui se prétend injustement congédiée a fait la preuve du congédiement que l'employeur se voit alors chargé du fardeau de prouver que ce congédiement était juste. La norme de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre sur sa compétence est l'absence d'erreur. À l'égard de ces propositions, qu'il suffise de référer à l'affaire Lemieux c. Canada (Agent des affaires du travail, Développement des ressources humaines), [1998] 4 C.F. 65, où la Cour d'appel fédérale, sous la plume de monsieur le juge Décary, résume ainsi l'état du droit applicable, au paragraphe [47] :

         . . . Cette conclusion me paraît se situer dans la lignée de la jurisprudence de cette Cour, laquelle est à l'effet a) que l'une des conditions essentielles préalables à l'examen par l'arbitre d'une plainte de congédiement injuste est que le plaignant prouve qu'il a été congédié; b) que l'arbitre a compétence pour trancher cette question et; c) que la norme de contrôle de la décision de l'arbitre à cet égard est l'absence d'erreur. (Voir Sagkeeng Education Authority Inc. c. Guimond, [1996] 1 C.F. 387 (1re inst.), à la page 395; Société canadienne des postes c. Pollard, supra, paragraphe 43; Eskasoni School Board et Eskasoni Band Council c. MacIsaac et al., supra, paragraphe 42; Srougi c. Lufthansa German Airlines, supra, paragraphe 26 et Sedpex, Inc. c. Canada (Arbitre nommé sous le régime du Code canadien du travail), [1989] 2 C.F. 289 (1re inst.). Voir, également, Beothuk Data Systems Ltd., Seawatch Division c. Dean, [1996] 1 C.F. 451 (1re inst.); infirmé par [1998] 1 C.F. 433 (C.A.); et Lignes aériennes Canadien International Ltée c. Husain, [1998] A.C.F. no 607 (C.A.) (QL).)
                                 (J'ai souligné.)


[9]      L'arbitre, en l'espèce, a donc erré en imposant clairement comme il l'a fait au demandeur le fardeau de prouver la démission alléguée du défendeur, dispensant ainsi ce dernier du plein fardeau de prouver son congédiement. Cette erreur de droit est suffisamment sérieuse pour entacher l'essentiel de l'analyse de la preuve faite par l'arbitre et suffit donc pour entraîner l'annulation de sa décision.

[10]      En conséquence, la décision de l'arbitre est cassée et l'affaire, retournée à un autre arbitre pour qu'elle soit considérée à nouveau et décidée en accord avec les présents motifs, notamment en imposant au défendeur plaignant le fardeau de prouver son congédiement par le demandeur. Les dépens sont adjugés en faveur du demandeur.





                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 26 janvier 2001


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