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Date : 20010307

Dossier : T-68-00

Référence neutre : 2001 CFPI 312

ENTRE :

                         WESTSHORE TERMINALS LTD.

                                                                                          demanderesse

                                                    - et -

        ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER

                                                                                           défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le protonotaire John A. Hargrave

                                                                                                                   


[1]         Westshore Terminals Ltd. (Westshore) exploite une installation de chargement de charbon en vrac à Roberts Bank (Colombie-Britannique), un emplacement qu'elle loue de l'Administration portuaire de Vancouver (l'Administration portuaire). Westshore demande une révision à mi-terme non planifiée du loyer payé en vertu du bail parce qu'elle croit que le taux stipulé est non seulement incompatible avec les taux exigés des autres locataires au Port de Vancouver, mais aussi supérieur au taux demandé à un concurrent qui fait la manutention du charbon. La présente demande de contrôle judiciaire s'appuie sur le paragraphe 50(1) de la Loi maritime du Canada[1], obligeant les administrations portuaires à éviter la discrimination injustifiée entre les utilisateurs, ou sur la common law telle qu'elle est appliquée aux taux fixés par un service public en situation de monopole.

[2]         Les présents motifs découlent d'une requête présentée par Westshore en vertu de l'article 18.4 de la Loi sur la Cour fédérale, qui est entré en vigueur le 1er février 1992 et qui permet, dans des circonstances appropriées, qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme une action.

[3]         Il ne s'agit pas d'une situation où il existe des motifs très clairs de déroger à la procédure normale de contrôle judiciaire. En effet, la preuve de vive voix que les parties pourraient présenter si l'affaire était instruite comme une action pourrait être supérieure, mais la preuve qu'elles peuvent présenter sous forme d'affidavit dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire ne serait pas insuffisante. La requête est donc rejetée, malgré l'excellent travail de l'avocat de Westshore. Des explications additionnelles s'imposent. Plutôt que de relater les faits plus en détail, je traiterai de quelques règles de droit applicables et exposerai les faits pertinents à l'occasion de mon analyse, en gardant à l'esprit que beaucoup de ces faits sont en litige.


ANALYSE

[4]         L'Administration portuaire est régie par la Loi maritime du Canada, précitée, sanctionnée le 11 juin 1998, une « loi favorisant la compétitivité du réseau portuaire canadien » [2]. Le paragraphe 50(1) de la Loi maritime du Canada est pertinent relativement à la cause de Westshore :

L'administration portuaire est tenue d'éviter la discrimination injustifiée entre les utilisateurs ou catégories d'utilisateurs, ou l'octroi d'un avantage injustifié ou déraisonnable, ou l'imposition d'un désavantage injustifié ou déraisonnable, à un utilisateur ou à une catégorie d'utilisateurs.

Le paragraphe 49(1) de la Loi permet à une administration portuaire de fixer les droits à payer à l'égard de différents services et usages. Selon Westshore, ces deux articles combinés commandent la fixation de droits équitables : les droits, par définition, incluent « ... [t]oute forme de taxes, droits, péages, contributions ou prix [y compris] les droits d'amarrage, les droits d'accostage et les droits de port » . Notons incidemment que le paragraphe 49(6) prévoit l'établissement d'une nouvelle structure de droits dans les six mois suivant l'entrée en vigueur de la Loi. En vertu du paragraphe 51(1), un préavis doit être donné lorsque de nouveaux droits sont fixés, sauf si une administration portuaire convient par contrat, en vertu de l'article 53, de garder ces renseignements confidentiels.


[5]         Pour commencer, Westshore soutient que le paragraphe 50(1) de la Loi maritime du Canada, qui interdit la discrimination, codifie en fait la common law applicable à un service public ou à un autre fournisseur de service monopolistique, comme l'Administration portuaire. Sur ce point, l'avocat se reporte à Chastain v. British Columbia Hydro and Power Authority[3], une décision dans laquelle le juge McIntyre, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dit ce qui suit, à la page 454 :

[Traduction] L'obligation d'un service public ou d'un autre organisme qui a, en pratique, le monopole sur la fournitureau public d'un produit ou d'un service donné d'importance fondamentale est claire depuis longtemps. Elle consiste à fournir son produit à tous ceux qui le demandent, à un prix raisonnable et sans discrimination déraisonnable entre les personne qui se trouvent dans une situation semblable ou qui appartiennent à une même catégorie de consommateurs. Les grandes entreprises de service public fournissant l'électricité, le téléphone et les services de transport, que nous connaissons si bien maintenant, peuvent être relativement récentes, mais dès les tous débuts de la common law, des organismes se trouvant dans des situations semblables, comme les transporteurs, les aubergistes, les propriétaires de quai et les exploitants de traversiers se sont vu imposer des obligations spéciales de fournir leur service. [Non souligné dans l'original.]

Monsieur le juge McIntyre poursuit en citant d'autres sources, dont monsieur le juge en chef Strong, dans Attorney General of Canada v. Toronto[4], pour établir qu'une entreprise de service public doit exiger des taux qui sont uniformes, équitables et raisonnables. La question de savoir si ce concept de service public s'applique bel et bien à une administration portuaire n'importe pas pour l'instant : c'est plutôt le concept voulant que le fournisseur monopolistique d'un produit ou d'un service les fournisse sans discrimination entre ses clients qui peut certainement être défendu. Subsidiairement, si l'administration portuaire, dans ses rapports avec ses locataires, doit se conformer à la Loi maritime du Canada et est tenue de percevoir des loyers équitables, raisonnables et non discriminatoires, Westshore pourrait avoir droit à une réparation. Tout ce débat pourrait bien se résumer à une pure question de droit. Toutefois, je m'écarte des éléments que Westshore doit établir pour convertir la demande de contrôle judiciaire en une procédure qui prenne la forme d'une action.


[6]         Le paragraphe 18.4(1) de la Loi sur la Cour fédérale, qui permet qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme une action, est une disposition relativement nouvelle qui a été ajoutée à la Loi au début de l'année 1992. Le point de départ de l'examen de cette disposition est la décision Prince Edward Island Potato Board c. Canada[5], rendue le 9 juillet 1992 par le juge Muldoon.. Dans cette affaire, le demandeur a voulu convertir la procédure en action en raison de la complexité de considérations scientifiques qui, de l'avis du demandeur, exigeraient les explications d'experts, qui ne s'entendraient peut-être pas. Le demandeur croyait que la Cour ne serait pas en mesure de tirer une conclusion éclairée à moins que l'affaire soit instruite comme une action. Le juge Muldoon estimait qu'il fallait laisser à la disposition législative alors nouvellement édictée, prescrivant qu'une demande de contrôle judiciaire soit traitée comme une simple demande, de fonctionner tel que le législateur l'avait voulu, de façon que les demandes de contrôle judiciaire soient entendues rapidement et sommairement. Il a énoncé le principe qui constitue maintenant le critère reconnu : « il ne faut pas déroger à » la procédure établie dans la Loi sur la Cour fédérale pour le traitement d'une demande de contrôle judiciaire « en l'absence de motifs très clairs » :

L'article 18.4 de la Loi sur la Cour fédérale dispose clairement qu'en règle générale, une demande de contrôle judiciaire ou un renvoi présenté à la Section de première instance est instruit comme s'il s'agissait d'une requête. En vertu de cet article, ces matières doivent être entendues et jugées « à bref délai et selon une procédure sommaire » . Exceptionnellement, le paragraphe 8.4(2) prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire peut être instruite comme s'il s'agissait d'une action. Cependant, c'est dorénavant par voie de requête qu'il est préférable de procéder et il ne faut pas déroger à ce principe en l'absence de motifs très clairs. (page 152.)


La Cour d'appel fédérale a examiné et approuvé le critère des motifs très clairs dans MacInnis c. Canada[6].

[7]         Dans l'affaire MacInnis, la Cour d'appel fédérale a non seulement adopté la démarche retenue par le juge Muldoon dans la décision Potato Board, mais l'a renforcée en soulignant que le législateur a manifesté l'intention que les demandes de contrôle judiciaire soient traitées rapidement et que le paragraphe 18.4(2) entre en jeu uniquement lorsque les faits risquent de ne pas être établis ou appréciés de façon satisfaisante si la preuve est produite sous forme d'affidavit :

En général, c'est seulement lorsque les faits, de quelque nature qu'ils soient, ne peuvent pas être évalués ou établis avec satisfaction au moyen d'un affidavit que l'on devrait envisager d'utiliser le paragraphe 18.4(2) de la Loi. Il ne faudrait pas perdre de vue l'intention clairement exprimée par le Parlement, qu'il soit statué le plus tôt possible sur les demandes de contrôle judiciaire, avec toute la célérité possible, et le moins possible d'obstacles et de retards du type de ceux qu'il est fréquent de rencontrer dans les procès. On a des « motifs très clairs » d'avoir recours à ce paragraphe, pour utiliser les mots du juge Muldoon, lorsqu'il faut obtenir une preuve de vive voix soit pour évaluer l'attitude et la crédibilité des témoins ou pour permettre à la Cour de saisir l'ensemble de la preuve lorsqu'elle considère que l'affaire requière tout l'appareillage d'un procès tenu en bonne et due forme. (page 533).

La Cour a poursuivi en citant différentes sources, puis a énoncé le critère maintenant reconnu. Il ne consiste pas à déterminer si la preuve présentée au cours d'une instruction pourrait être supérieure, mais plutôt si la preuve par affidavit présentée dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire sera suffisante. (Page 534). La Cour a fait la mise en garde suivante : il faut « ...se rappeler la vraie nature des questions auxquelles la Cour doit répondre dans une procédure de contrôle judiciaire, et de considérer la pertinence d'utiliser la preuve déposée par affidavit pour répondre à ces questions » . (Page 533)


Cette mise en garde générale, à laquelle je me reporterai plus tard, est suivie d'une directive particulière :            

La seule complexité des faits ne saurait être prise en considération si les affidavits contradictoires des experts qui s'appuient sur ces faits se rapportent aux questions soumises au tribunal plutôt qu'aux questions soumises à la Cour. Supposer qu'on pourra mettre au jour une preuve cachée n'est pas une raison suffisante pour ordonner la tenue d'un procès. Le vrai critère que le juge doit appliquer est de se demander si la preuve présentée au moyen d'affidavits sera suffisante, et non de se demander si la preuve qui pourrait être présentée au cours d'un procès pourrait être supérieure. (ibid, pages 533 et 534) [Non souligné dans l'original.]

Une situation factuelle complexe n'est pas un facteur qui doit jouer quant à la conversion d'une demande de contrôle judiciaire en action; de même des questions de droit complexes et le temps requis pour les traiter ne sont pas des considérations pertinentes :

La complexité, comme telle, des questions de droit n'est pas un motif suffisant. Cette complexité reste la même, que ces questions soient débattues lors de l'instruction d'une demande ou d'une action..

Le temps, comme tel, n'est pas non plus un motif suffisant pour transformer une demande en action. Le volume de la preuve qui sera déposée par affidavit et le temps dont les avocats ont besoin pour présenter leur affaire n'ont pas de relation avec la façon dont l'instance est tenue...

Les motifs subjectifs qu'une partie pourrait avoir de désirer que la preuve soit présentée de vive voix ne sont pas non plus pertinents. Le désir d'une partie d'avoir son heure de gloire au prétoire n'est pas un motif pour accorder un procès. (ibid, page 534)


[8]         Dans l'affaire MacInnis, la Cour d'appel a examiné et écarté différents motifs susceptibles d'être invoqués à l'appui d'une requête en conversion d'une procédure en action. Ce sont notamment le vide factuel, la complexité des questions de droit, le temps dont les avocats ont besoin pour présenter leur affaire, le volume de la preuve par affidavit et le désir subjectif que la preuve soit présentée de vive voix. La Cour d'appel a ensuite mentionné l'affaire Vancouver Island Peace Society c. Canada[7], une décision de monsieur le juge Strayer, maintenant à la Cour d'appel, et une décision rendue par madame le juge Reed dans l'affaire Derrickson c. Canada[8]. Elle a souligné « ..qu'il est important de se rappeler la vraie nature des questions auxquelles la Cour doit répondre dans une procédure de contrôle judiciaire, et de considérer la pertinence d'utiliser la preuve déposée par affidavit pour répondre à ces questions. » (MacInnis, à la page 533).

[9]         La décision Vancouver Island Peace Society, précitée, est aussi particulièrement pertinente en l'espèce du fait qu'elle porte sur l'étendue du pouvoir du juge de première instance dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire. Le juge Strayer y a tenu les propos qui suivent :

... conclu que les requérants et les intimés n'ont pas bien compris le rôle de la Cour dans la demande principale. Cette question n'a pas été adéquatement examinée devant moi, car les deux parties semblaient présumer qu'il incombe à la Cour de connaître en appel des déterminations de fait du « ministère responsable » ou de l'un quelconque des autres intimés en ce qui concerne les dangers que peuvent présenter les visites de ces navires et en ce qui concerne l'existence de préoccupations telles qu'un examen public est « souhaitable » (page 46).

Il ne revient pas à la Cour saisie d'une demande de contrôle judiciaire de décider si la décision est correcte ou erronée en soi, ni de rendre une nouvelle décision, mais plutôt de déterminer si la décision a été rendue en conformité avec le droit. De plus :

En déterminant si un fonctionnaire ou un organisme a agi conformément à la loi en prenant la décision en question, la Cour peut se demander si celui-ci a bien interprété la loi et s'il a pris sa décision en se fondant sur des faits et des raisons liés au but dans lequel le pouvoir de décision a été conféré. Cependant, dans cette limite permise, le décideur initial a le droit de prendre une décision que la Cour ne peut pas annuler même si, par hasard, elle ne souscrit pas à son avis.

...

À moins que la Cour ne soit convaincue que la décision est fondée sur des facteurs qui n'étaient absolument pas pertinents, elle ne peut pas annuler pareille décision. Il n'incombe pas à la Cour de substituer sa propre appréciation de l'importance et de la nature des préoccupations du public et de déterminer si un examen public est « souhaitable » . (ibid, page 48)

L'affaire Vancouver Island Peace Society portait sur des problèmes environnementaux, mais les principes qui la sous-tendent sont pertinents en général. Dans son raisonnement selon lequel un tribunal peut se demander si un fonctionnaire ou un organisme a agi conformément à la loi ou a interprété le droit correctement, monsieur le juge Strayer a souligné que l'appréciation des faits ou de l'opinion des experts sur les effets environnementaux potentiels n'est pas pertinente parce que le rôle de la Cour ne consiste pas évaluer elle-même ce qui est souhaitable, mais à vérifier si la décision en cause a été rendue par une personne ou un organisme qui a agi en conformité avec la loi et que, « [c]ompte tenu de ce rôle restreint de la Cour, il n'est pas opportun de présenter une opinion de fait ou d'expert au sujet de la nature ou de l'étendue des effets possibles sur l'environnement en tant que tels. » (Page 49).

[10]       Monsieur le juge Strayer a fait une mise en garde contre le fait de permettre à la Cour de devenir l'arbitre des prédictions scientifiques contradictoires. Par analogie, il n'appartient pas à la Cour, en l'espèce, d'analyser les renseignements comptables, les statistiques, la pratique et ce que commande l'intérêt public, puis de fixer un taux pour le loyer, comme le demande Westshore dans l'énoncé de la réparation demandée. Il a résumé ses conclusions ainsi, à la page 51 :


Pour ces motifs, je ne souscris pas à l'argument des intimés, à savoir qu'il y a des questions de fait techniques difficiles à trancher, lesquelles nécessiteront des plaidoiries et un procès ainsi que le contre-interrogatoire d'experts et d'autres personnes. En l'espèce, il n'incombe pas à la Cour de devenir une académie des sciences se prononçant sur des prévisions scientifiques contradictoires, ou d'agir en quelque sorte à titre de Haute assemblée pesant les préoccupations manifestées par le public et déterminant quelles préoccupations devraient être respectées. Indépendamment de la question de savoir si la société serait bien servie si la Cour assumait l'un ou l'autre de ces rôles, ce dont je doute sérieusement, il ne s'agit pas de rôles qui ont été confiés à la Cour dans l'exercice du contrôle judiciaire prévu par l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.

Le juge Strayer a conclu qu'il n'ordonnerait pas que l'affaire soit instruite comme une action car il croyait qu' « il est possible de répondre à de nombreuses préoccupations des intimés si les parties mettent l'accent sur les questions véritables. » (loc cit)

[11]       En examinant la question de savoir si la présente demande de contrôle judiciaire doit être convertie en action, j'ai gardé à l'esprit l'opinion exprimée par monsieur le juge McKeown dans l'affaire Delzotto c. Canada[9], selon laquelle il faut se préoccuper d'éviter les frais et les retards inutiles, apprécier la nécessité d'évaluer l'attitude et la crédibilité des témoins et tenir compte du fait que la Cour doit bien saisir l'ensemble de la preuve (page 157). Certes, cette liste n'est pas exhaustive, car, comme la Cour d'appel l'a souligné dans Drapeau c. Canada[10], le par. 18.4(2) ne limite pas les considérations à prendre en compte pour décider si une demande de contrôle judiciaire doit être convertie en action. Je dois, en tenant compte de tous ces éléments, déterminer si Westshore c. Administration portuaire de Vancouver constitue un cas particulier dans lequel la demande doit être transformée en action parce que la preuve présentée sous forme d'affidavit ne serait pas suffisante.



[12]       Examinons d'abord la question de la vraie nature de la question ou des questions à trancher. L'avocat de l'Administration portuaire soutient que la véritable question en litige est celle de savoir si la Loi maritime du Canada, ou la common law, exige que le loyer, comme différents autres droits, y compris les droits de port, les droits d'amarrage, les taxes, droits, péages, contributions ou prix, soient fixés sans créer de discrimination entre les utilisateurs ou catégories d'utilisateurs, sans octroyer d'avantage injustifié ou déraisonnable à un utilisateur du port, ce qui créerait un désavantage injustifié ou déraisonnable. En effet, la question à trancher est celle de l'applicabilité soit de la common law telle qu'elle s'applique aux monopoles, soit du paragraphe 50(1) de la Loi maritime du Canada, au loyer exigé de Westshore en vertu de son bail relatif au bien-fonds où sont situées ses installations. Il s'agit d'une question de droit assez simple, relativement à laquelle l'Administration portuaire a déposé plusieurs affidavits, dont un auquel est jointe en annexe une résolution du conseil d'administration de l'Administration portuaire portant que celle-ci considère que l'article 50 de la Loi maritime du Canada ne s'applique pas aux loyers des biens-fonds cédés à bail. L'avocat de l'Administration portuaire dit aussi que l'Administration portuaire ne croit pas que la common law régissant les services publics monopolistiques s'applique à la fixation des loyers. En fait, l'Administration portuaire affirme n'avoir jamais examiné la question de savoir si le loyer exigé de Westshore était équitable et raisonnable comme l'exige l'article 50 de la Loi ou la common law dans certaines circonstances. De là la question étroite de savoir si la Loi maritime du Canada ou la common law s'appliquent de façon à interdire la discrimination entre les utilisateurs des biens-fonds cédés à bail. Si l'une ou l'autre s'applique, l'Administration portuaire doit alors examiner non seulement le loyer de Westshore, mais encore celui de tous les autres locataires de biens-fonds dans le port de Vancouver, car l'Administration portuaire ne les a tout simplement pas examinés sous cet aspect.

[13]       L'avocat de Westshore adopte une démarche plus large et fait valoir que ce n'est pas la question de droit étroite de l'applicabilité de la common law ou de la Loi maritime du Canada que la Cour doit trancher, mais qu'elle doit plutôt débrouiller un contexte factuel complexe qui doit l'amener non seulement à conclure que le loyer est inéquitable et injustement discriminatoire, ce qui désavantage Westshore de façon injustifiée et déraisonnable, mais aussi à statuer que cette situation doit être corrigée, soit pas une ordonnance obligeant l'Administration portuaire à redresser le taux du loyer, soit par une ordonnance judiciaire fixant le loyer à 2,48 millions de dollars par année ou à un autre montant qui assure un rendement raisonnable du capital de l'Administration portuaire : tous ces éléments sont inclus dans la réparation sollicitée par Westshore dans son avis de demande et qui, selon les prétentions de l'avocat de Westshore, n'outrepasse pas la compétence de la Cour fédérale siégeant dans une procédure de contrôle judiciaire.


[14]       L'avocat de Westshore soutient que la portée des réparations que la Cour fédérale peut accorder est variable selon que l'office dont la décision fait l'objet de la demande de contrôle est un organisme de réglementation, tranchant des litiges entre deux parties, ou est réglementé par la loi, ce qui l'habilite à statuer sur la position d'une partie. Dans ce dernier cas, l'argument de l'avocat porte que l'éventail des réparations que la Cour fédérale peut accorder est plus vaste et plus complet, s'étendant jusqu'à la réparation sollicitée par Westshore, incluant de fait la fixation du loyer. L'avocat n'a pas invoqué de jurisprudence à l'appui de son hypothèse, mais a soutenu qu'il en était ainsi devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. L'erreur que comporte son raisonnement, en ce qui concerne la Cour fédérale, tient au fait que la Cour fédérale est une cour constituée par la loi qui, saisie d'une demande de contrôle judiciaire, peut accorder des réparations limitées à celles prévues par la Loi sur la Cour fédérale et plus particulièrement par l'article 18.1 de la Loi. Le rôle de la Cour fédérale, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, consiste à contrôler la décision contestée et à déterminer si l'office en cause a agi régulièrement : elle ne siège pas en appel et il ne lui appartient pas d'accorder elle-même réparation directement à une partie.

[15]       L'avocat de Westshore plaide que les nombreux affidavits de l'Administration portuaire témoignent de la portée étendue de la question en litige. L'avocat de l'Administration portuaire, soucieux de son obligation de déposer tous ses affidavits ensemble et du problème auquel l'Administration portuaire ferait face si son interprétation étroite de la question du contrôle judiciaire était erronée, a déposé de fait neuf affidavits. Selon lui, une grande partie de la preuve par affidavit n'est pas pertinente, car elle ne s'applique que si on ne reconnaît pas que la question en litige se résume à l'étroite question de droit et si on retient le point de vue large selon lequel la Cour doit se prononcer sur un contexte factuel complexe qui l'amènerait à conclure que le loyer est inéquitable ou même à fixer le montant du loyer.


[16]       Je ne suis pas tenu de décider quelle démarche doit être retenue; je noterais toutefois que la vraie nature des questions que la Cour doit trancher peut très bien correspondre à la question de savoir si l'Administration portuaire avait raison de décider qu'elle avait le pouvoir discrétionnaire de fixer les loyers et que ni la common law régissant les services publics monopolistiques, ni l'article 50 de la Loi maritime du Canada ne s'appliquaient. Je soulignerais qu'il n'est pas nécessaire que la Cour approuve cette décision, mais détermine que le droit est appliqué correctement. J'ajouterai qu'il n'appartient pas à la Cour de fixer le taux du loyer : elle peut veiller à ce qu'il soit fixé, le cas échéant, en renvoyant l'affaire à l'Administration portuaire avec des suggestions ou des directives appropriées. Si la question soumise à la Cour se résume à la question de droit étroite du droit ou de la loi applicable à l'Administration portuaire, relativement à la fixation du loyer, aucun motif défendable ne peut être invoqué à l'appui de la conversion de la procédure en action. Toutefois, aux fins de la discussion et pour trancher la requête, j'ai tenu pour acquis que les questions soumises à la Cour ne se résumaient pas à la question de droit étroite, qu'une partie du contexte factuel complexe exposé dans les affidavits pourrait être pertinente et mener à une réparation déclaratoire ou impérative plus spécifique.


[17]       Si la Cour est saisie d'une vaste question de fait, certaines parties additionnelles de l'imposante preuve par affidavit pourraient être pertinentes. Des documents pourraient même vraisemblablement être ajoutés au dossier. Toutefois, même en supposant que la question de fait plus large puisse être tranchée par la Cour, je ne crois pas que la preuve soit telle que la Cour pourrait avoir besoin d'entendre la preuve de vive voix pour décider que le loyer est irrégulier. Je me reporte sur ce point à l'opinion exprimée par la Cour d'appel dans l'affaire MacInnis, précitée, selon laquelle la complexité des questions, le volume de la preuve par affidavit et le désir que la preuve soit présentée de vive voix pour expliquer l'affaire à la Cour ne constituent pas en soi des facteurs pertinents. Il faut plutôt se demander si le fondement factuel à partir duquel les questions en litige, quelles qu'elles soient, seront tranchées peut être exposé correctement par une preuve par affidavit. Certes, si l'on reconnaît que la question est une question de fait de portée étendue, les questions en litige et les faits sont complexes. Toutefois, j'estime que l'absence de procédure écrite ne signifie pas que la Cour doive faire des conjectures sur les questions en litige. De plus, si, comme le prétend Westshore, la preuve de l'Administration portuaire, telle qu'elle est exposée dans les affidavits, consiste en une information commerciale et une vision indéfinies, elle causera un problème à l'Administration portuaire, car un juge tiendra certainement compte du contre-interrogatoire et accordera le poids qui convient à cette preuve. Après avoir examiné la demande de contrôle judiciaire et les affidavits qui m'ont été présentés, je ne suis pas convaincu qu'un examen sommaire effectué au moyen d'une preuve par affidavit et dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire constituerait un handicap pour la Cour et l'empêcherait de traiter convenablement les questions en litige. Même en supposant que la Cour pourrait être convaincue d'examiner une question de portée plus étendue, je ne considère pas que les questions en litige sont complexes au point de nécessiter tout l'appareillage d'un procès en bonne et due forme, y compris la production de documents, l'interrogatoire préalable et une preuve de vive voix complète avec contre-interrogatoire.

[18]       L'Administration portuaire présente des observations concernant les circonstances entourant la négociation du bail de Westshore, la rentabilité de Westshore et des études comparatives, locales et étrangères. Westshore examine les politiques de location. L'opinion des experts et le revenu nécessaire pour assurer l'autosuffisance de l'Administration portuaire constituent d'autres facteurs. Même si ces questions deviennent pertinentes dans l'instance, je ne crois pas qu'il serait impossible de les présenter à l'aide d'affidavits pour que le juge qui entendra l'affaire les comprenne bien.


[19]       En réponse, l'avocat de Westshore a fait valoir plusieurs points, dont certains consistaient à répéter les arguments qu'elle a plaidés ou aurait dû plaider initialement. Je traiterai cependant d'un argument fondé sur l'irrecevabilité.

[20]       À l'origine, l'Administration portuaire pensait qu'un procès pourrait être nécessaire. Westshore a fait valoir l'opinion contraire. L'Administration portuaire a alors déposé une imposante preuve par affidavit. Je ne crois toutefois pas que cette situation soit inéquitable ni qu'elle emporte une cause quelconque d'irrecevabilité. Je retiens plutôt la prétention de l'Administration portuaire selon laquelle la plus grande partie de la preuve par affidavit qu'elle a déposée, qui dépasse celle requise pour établir sa cause relativement à l'étroite question de droit, fournit simplement une preuve pertinente aux hypothèses défendues par les parties devant le ministre des transports du Canada à l'audience tenue en mai 2000. Je mentionnerais aussi les motifs du dépôt de tous les éléments supplémentaires et peut-être non pertinents, en supposant que la question dont la Cour est saisie se limite à l'étroite question de droit de l'applicabilité du droit et de la loi : le dépôt de tous les éléments a été ordonné par le protonotaire Lafrenière et, comme l'explique la lettre du 11 décembre 2000 adressée à la cour par l'avocat de l'Administration portuaire, avec copie à Westshore, toute la preuve supplémentaire et apparemment étrangère déposée par l'Administration portuaire ne sera peut-être pertinente que si la Cour traite de la question du montant réel du loyer.


[21]       Je ne considère pas cette abondante preuve par affidavit, ni les différentes hypothèses défendues par les avocats à des moments différents, comme créant une surprise ou entraînant l'irrecevabilité. Il me semble plutôt que l'Administration portuaire a bien exposé toutes ses prétentions à l'intention de Westshore. Si Westshore croit que de nouvelles questions de fait contestées de portée étendue ont été soulevées, elle peut toujours demander l'autorisation de déposer des affidavits additionnels.

CONCLUSION

[22]       Les avocats ont plaidé la requête consciencieusement. Ils ont bien présenté leur argumentation. Néanmoins, compte tenu de toutes les circonstances en cause, y compris les prétentions de nature factuelle, l'argumentation très intéressante et la jurisprudence, en particulier celle établissant qu'il ne faut déroger à la procédure de contrôle judiciaire qu'en présence de motifs très clairs, je ne suis pas convaincu que la preuve présentée sous forme d'affidavits dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire serait insuffisante. La requête est donc rejetée.

« John A. Hargrave »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

          AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-68-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          WESTSHORE TERMINALS LTD.

c.                  

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                              20 février 2001

MOTIFS PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

EN DATE DU :         7 mars 2001

ONT COMPARU :

Me William Kaplan

Me Scott Turner                                                    POUR LE DEMANDEUR

Me Barry Kirkham                                                POUR LE DÉFENDEUR

Me Harley Harris

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake Cassels & Graydon

Vancouver(C.-B.)                                                POUR LE DEMANDEUR

Owen Bird

Vancouver (C.-B.)                                               POUR LE DÉFENDEUR



     [1]             L.C. 1998 ch. 10.

     [2]             Loi maritime du Canada, L.C. 1998 ch. 10

     [3]       (1973), 32 D.L.R. (3d) 443

     [4]                  (1894), 23 R.C.S. 514, à la p. 520

    [5]           (1993) 56 F.T.R. 150

     [6]       (1994), 113 D.L.R. (4th ) 529

     [7]                  [1992] 3 C.F. 42

     [8]       (1993), 63 F.T.R. 292

     [9]       (1996), 103 F.T.R. 150

     [10]      (1995), 179 N.R. 398, à la p. 399

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