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Date : 20020429

Dossier : T-722-01

Référence neutre : 2002 CFPI 486

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2002

EN PRÉSENCE DE :             MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                              LEWIS GLENN DAWE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                               SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA

                                                                                                                                               défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit de l'appel, en vertu de l'article 51 des Règles de la Cour fédérale (1998), d'une ordonnance du protonotaire, en date du 9 octobre 2001, par laquelle la requête de la défenderesse en vue de faire radier la déclaration du demandeur a été rejetée.

[2]                 La défenderesse demande une ordonnance annulant la décision du protonotaire ainsi qu'une ordonnance faisant droit à sa requête en vue de faire radier la déclaration du demandeur.

[3]                 À titre subsidiaire, la défenderesse demande une ordonnance l'autorisant à déposer une défense dans les 30 jours suivant la date de l'ordonnance de la Cour relativement à la présente requête.

Faits

[4]                 Le demandeur, Lewis Glenn Dawe, était membre de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) avant sa démission le 30 avril 1995. Il allègue que la cessation de la relation de travail équivalait à un congédiement déguisé par la GRC. Le demandeur prétend également qu'il y a eu mauvaise foi, négligence et discrimination suivant la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, (U.K.), 1982, ch. 11.

[5]                 Aux fins de la présente requête, la Cour présumera que les faits allégués par le demandeur sont véridiques.


[6]                 L'état de santé du demandeur s'est détérioré à la suite de trois accidents survenus alors qu'il était en service actif pour la GRC. Au début d'avril 1995, le demandeur a été examiné par un agent des services de santé qui a restreint ainsi ses activités de travail : [traduction] « aucune confrontation physique, aucune position assise ou debout prolongée et aucun effort pour soulever des poids de plus de 15 kg. » Le demandeur, qui résidait à Terre-Neuve, a demandé à être affecté à un travail non lié aux opérations, adapté à ses handicaps physiques.

[7]                 Dans une lettre datée du 25 avril 1995, la GRC a refusé d'accéder à la demande du demandeur et l'a affecté au service actif à compter du 1er mai 1995, à Milestone en Saskatchewan. En raison de son état de santé et de l'absence de services médicaux à Milestone, le demandeur a considéré cette affectation comme un congédiement déguisé et a remis sa démission.

[8]                 Suivant la démission du demandeur, la GRC a fourni de mauvaises recommandations et a divulgué des renseignements médicaux confidentiels à des employeurs potentiels, compromettant ainsi la capacité du demandeur à se trouver un autre emploi.

[9]                 Le demandeur affirme avoir éprouvé des problèmes financiers et affectifs en raison de la cessation de la relation de travail.


[10]            La défenderesse a déposé une requête en vertu de la règle 221 pour faire radier la déclaration au motif qu'elle ne révélait aucune cause d'action valable. Le 9 octobre 2001, le protonotaire a rejeté la requête, permettant de ce fait la poursuite de l'action. Il s'agit de l'appel de la décision du protonotaire.

Arguments de la défenderesse (appelante)

[11]            La défenderesse fait valoir que la décision du protonotaire était une question déterminante quant à l'issue de la cause. Elle soutient que, suivant la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, la présente requête devrait être instruite de novo.

[12]            La défenderesse allègue qu'à défaut d'invoquer la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, le demandeur ne peut soutenir une action en responsabilité délictuelle contre la Couronne. La défenderesse avance que le demandeur n'a pas suffisamment circonscrit l'obligation de diligence qu'elle avait envers lui, ni en quoi il y a eu atteinte.

[13]            Elle prétend que le demandeur n'a pas fourni de détails suffisants pour étayer les allégations de mauvaise foi, de négligence, de discrimination ou de toute violation de la Charte, de sorte que ces allégations devraient être radiées.

[14]            La défenderesse allègue que le recours pour congédiement déguisé relève de la responsabilité contractuelle. Elle soutient qu'il ressort clairement de l'article 12 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 (Loi sur la GRC), et de la jurisprudence afférente que le fait de servir dans la GRC ne crée pas de relation contractuelle et ne donne pas ouverture à un recours pour congédiement déguisé ou injustifié.

[15]            La défenderesse fait valoir que les articles 31 à 36 de la Loi sur la GRC établissent le mécanisme qui régit la présentation et l'examen des griefs des membres. Elle soutient que le demandeur doit exercer son recours par le biais de ce mécanisme avant de tenter d'obtenir réparation devant la présente cour, où le recours serait alors restreint à la demande de contrôle judiciaire.

[16]            La défenderesse allègue que la divulgation non autorisée d'information personnelle devrait être régie par le régime administratif établi en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels L.R.C. (1985), ch. P-21. Elle soutient qu'en ce qui concerne la divulgation de renseignements personnels, l'obligation de la Couronne est une obligation qui découle de la loi et qui ne donne pas naissance à une cause d'action devant les tribunaux civils. Il affirme par conséquent que l'allégation concernant la protection des renseignements personnels contenue dans la déclaration devrait être radiée.


Arguments du demandeur (intimé)

[17]            Le demandeur convient que la présente requête devrait être instruite de novo. Il souligne que suivant la décision James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards Inc., (1997) 126 F.T.R. 1 (1ère inst.), le juge saisi de la nouvelle instance que constitue l'appel de la décision du protonotaire doit exercer son pouvoir discrétionnaire « en fonction des éléments de preuve présentés au protonotaire, et non tenir une nouvelle audience fondée sur de nouveaux éléments de preuve. »

[18]            Le demandeur affirme que le protonotaire n'a commis ni erreur de droit, ni erreur de fait. Il allègue que la déclaration révèle clairement une cause d'action valable et ne devrait pas être radiée.

[19]            Il fait valoir que la défenderesse qui dépose une requête pour faire radier une déclaration doit s'acquitter d'un lourd fardeau puisque, pour qu'une déclaration soit radiée sans autorisation de la modifier, il ne doit pas exister la moindre trace d'une cause d'action légitime.

[20]            Le demandeur soutient que l'essence du litige est le congédiement déguisé et que la Cour fédérale est le tribunal approprié pour le règlement d'un tel litige.

[21]            Il allègue que, lorsqu'un membre de la GRC est forcé de démissionner, on ne peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il présente un grief par le biais de la procédure interne prévue par la Loi sur la GRC.

[22]            Le demandeur expose que la Cour d'appel fédérale a, dans l'arrêt McMillan c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), (1999) 237 N.R. 8 (C.A.), permis un recours fondé sur la Charte dans une affaire où un agent de la GRC plaidait la discrimination fondée sur le sexe.

[23]            Le demandeur allègue que les circonstances de l'affaire Aussant c. Canada, (2000) 188 F.T.R. 245 (1ère inst.) sont pratiquement identiques à celles de la présente affaire. Dans cette décision, la présente cour a rejeté une requête en jugement sommaire qui concluait au rejet la demande du demandeur.

[24]            Le demandeur fait valoir que les pouvoirs du Commissaire à la protection de la vie privée sont très limités en ce qui concerne sa plainte et que leur exercice ne serait pas approprié en l'espèce.


[25]            Il souligne que, comme la règle 181 prévoit un mécanisme pour déposer des précisions supplémentaires, il ne serait donc pas approprié de radier une déclaration à moins qu'il ne soit évident et manifeste qu'elle sera rejetée, que des précisions supplémentaires soient ou non requises.

[26]            Le demandeur fait valoir que la Cour ne devrait pas radier la demande simplement en raison des allégations de la défenderesse voulant qu'il y ait pas de relation contractuelle entre la GRC et ses membres. Il relève que, dans l'arrêt McMillan, précité, la Cour d'appel fédérale n'était pas disposée à radier une demande pour congédiement déguisé contre la GRC.

[27]            Questions en litige

1.          Quelle norme de contrôle convient-il d'appliquer?

2.          La déclaration du demandeur doit-elle être radiée pour absence d'une cause d'action valable?

Dispositions législatives et règlements pertinents

[28]            Les dispositions pertinentes des Règles de la Cour fédérale (1998) sont les suivantes :

51. (1) L'ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance.

51. (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Trial Division.


221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas:

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

(2) Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête invoquant le motif visé à l'alinéa (1)a).

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

[29]            Les paragraphes 12(1) et (2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, précitée, se lisent comme suit :

12. (1) Les officiers de la Gendarmerie sont nommés à titre amovible par le gouverneur en conseil.

(2) Le membre qui n'est pas officier ne peut être congédié ni renvoyé de la Gendarmerie si ce n'est dans les conditions prévues par la présente loi, ses règlements ou les consignes du commissaire.

12. (1) Officers of the Force hold office during the pleasure of the Governor in Council.

(2) No member other than an officer may be dismissed or discharged from the Force except as provided in this Act, the regulations or the Commissioner's standing orders.


Analyse et décision

[30]            Question no 1

Quelle norme de contrôle convient-il d'appliquer?

Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., précité, le juge MacGuigan s'exprimant au nom de la majorité a dit ce qui suit à la page 463 :

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

[31]            Le juge MacGuigan explique plus amplement à la page 464 ce que signifiaient les termes « ayant une influence déterminante sur l'issue de la cause » :

Il me semble qu'une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale.

[32]            Dans cette affaire, si le protonotaire avait accueilli la requête en radiation de la déclaration du demandeur, cela aurait constitué une question déterminante quant à l'issue du principal. Selon le raisonnement du juge MacGuigan dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem, précité, il est par conséquent approprié d'exercer notre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début. Je souligne également que les parties sont d'accord pour que la présente requête soit instruite de novo.


[33]            Question no 2

La déclaration du demandeur doit-elle être radiée pour absence d'une cause d'action valable?

Congédiement déguisé

Dans McMillan, précité, la Cour d'appel fédérale a ainsi conclu :

Quant àla prétention du ministère public qu'aucune cause d'action issue d'un contrat ne peut naître d'un emploi à la GRC, nous trouvons, à l'instar du juge des requêtes, que la question n'est pas claire. Il convient de laisser le juge de première instance trancher cette question.

Selon le raisonnement suivi dans cet arrêt, il ne serait pas approprié de radier la partie de la demande relative au congédiement déguisé.

[34]            Existence d'une procédure interne de traitement des griefs

Dans Riabko c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), [1999] F.C.J. no 1289, la Cour a expliqué l'arrêt McMillan, aux paragraphes 44 et 45 :

Donna McMillan avait démissionnéde la G.R.C. avant de commencer sa poursuite contre la Couronne. Après avoir démissionné, elle avait allégué que sa démission avait [TRADUCTION] " été précipitée par les actes de harcèlement sexuel ".

Je suis convaincu que, en ayant démissionné, elle ne pouvait pas faire usage de la procédure interne prévue dans la Loi sur la G.R.C. et pouvait poursuivre pour dommages-intérêts pour harcèlement sexuel.

Comme dans l'affaire McMillan, le demandeur dans la présente espèce avait démissionné de son poste à la GRC on ne pouvait donc s'attendre à ce qu'il ait recours à la procédure interne établie dans la Loi sur la GRC.


[35]            Argument fondé sur la Charte

Il n'est pas évident et manifeste que l'argument du demandeur voulant qu'il y ait eu discrimination au sens de la Charte sera rejeté. La déclaration expose :

[traduction] La requête du demandeur pour obtenir un travail non lié aux opérations a été refusée et il a été avisé qu'on s'attendait à ce qu'il se présente en service actif. ...Le demandeur affirme que la GRC était au courant du fait que sa condition médicale causée par les accidents de travail le rendait incapable d'effectuer un travail tel que le service actif.

[36]            À mon avis, il n'est pas évident et manifeste que l'argument fondé sur la Charte serait rejeté. Par conséquent, je n'ordonnerai pas la radiation de cette partie de la déclaration.

[37]            Actions délictuelles

Je ne suis pas convaincu que le demandeur avait l'obligation d'invoquer la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, précitée, pour voir son action en responsabilité délictuelle contre la Couronne accueillie. Je ne suis également pas convaincu que les allégations de mauvaise foi et de négligence, telles que plaidées, n'aient aucun fondement dans les faits ou soient insuffisamment détaillées. À mon avis, ces questions devraient être examinées par le juge de première instance. Par conséquent, je ne suis pas convaincu qu'il convient de radier les allégations relatives à la responsabilité délictuelle contenues dans la déclaration.

   

[38]            Divulgation non autorisée d'information personnelle

L'allégation de divulgation non autorisée d'information personnelle est clairement liée à l'allégation de congédiement déguisé et à la capacité du demandeur à obtenir un autre emploi. À mon avis, cette question devrait légitimement être déterminée par le juge de première instance.

[39]            Pour les motifs exposés plus haut, j'estime que la décision du protonotaire, en ce qui concerne la requête en rejet de l'action,était juste et je rejette l'appel de la défenderesse.

[40]            La défenderesse a demandé au protonotaire de prononcer une ordonnance en vue de proroger le délai imparti pour produire une défense, le fixant à 30 jours suivant la date de sa décision si la requête n'était pas accueillie. Le protonotaire n'a pas examiné cette demande dans sa décision. Je suis disposé à accorder cette ordonnance et à permettre à la défenderesse de produire sa défense dans les 30 jours suivant la date de l'ordonnance rendue en l'espèce.

[41]            Le demandeur aura droit a ses dépens de l'appel.

  

ORDONNANCE

[42]            LA COUR ORDONNE QUE :

1.          L'appel du défenderesse soit rejeté.

2.          Le défenderesse se voit accorder un délai de 30 jours suivant la présente ordonnance pour produire sa défense.


3.          Le défenderesse ait droit aux dépens de l'appel.

   

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

                                                                                                             Juge                     

Ottawa (Ontario)

Le 29 avril 2002

Traduction certifiée conforme

Christine Gendreau, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-722-01

INTITULÉ :                                                        Lewis Glenn Dawe c.

Sa Majesté du chef du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :                              15 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                     29 avril 2002

COMPARUTIONS :

Mme Jane O'Neill                                                             Pour le demandeur

Mme Leanne Wrathall                                        Pour le défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McInnes Cooper                                                               Pour le demandeur

Halifax (Nouvelle-Écosse)

M. Morris Rosenberg                                                        Pour le défenderesse

Sous-procureur général du Canada

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