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Date : 20040521

Dossier : T-1396-03

Référence : 2004 CF 753

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE W. ANDREW MACKAY

ENTRE :

                                           CASSELS BROCK & BLACKWELL LLP

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                               REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE et

MONTORSI FRANCESCO E FIGLI S.p.A.

intimés

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'un appel, interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R. 1985, ch. T-13 (la Loi), de la décision en date du 5 juin 2003 par laquelle une agente d'audience principale a, au nom du registraire des marques de commerce, maintenu au registre la marque de commerce Daniel et dessin, enregistrée sous le numéro 352,264, pour un emploi en liaison avec le jambon San Daniele et ordonné une deuxième procédure dans le cadre de l'article 45.

[2]                La décision du registraire résulte de la procédure engagée par l'appelante (Cassels Brock & Blackwell LLP) en application de l'article 45 et de l'avis en date du 25 janvier 2001, donné en vertu du paragraphe 45(1), enjoignant à l'intimée (Montorsi Francesco E Figli S.p.A.) d'indiquer si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l'avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.

[3]                L'appelante demande l'annulation de la décision du registraire et la radiation de la marque de commerce du registre.

Faits

[4]                Le 7 août 1986, Prosciutti Daniel a produit une demande d'enregistrement de la marque de commerce au Canada en liaison avec le jambon San Daniele. Il demandait l'enregistrement au Canada sur le fondement de l'emploi et de l'enregistrement de cette même marque de commerce en Italie. La marque a été enregistrée au Canada le 7 avril 1989 pour un emploi en liaison avec le jambon San Daniele produit en Italie, où elle a été enregistrée le 21 juillet 1986 sous le numéro 438,331. Par suite d'une fusion réalisée le 31 décembre 1994, l'intimée Montorsi est devenue la propriétaire de la marque de commerce.

[5]                Le jambon San Daniele est une spécialité régionale. Les conditions de production sont réglementées par le droit italien et européen. Tout produit portant le nom jambon San Daniele doit provenir de la région du Frioul-Vénétie-Julienne en Italie et doit être produit selon des méthodes prescrites et assujetti au contrôle de qualité effectué par des membres du consortium du jambon San Daniele.

[6]                Dans un avis donné le 15 janvier 2001 à la demande de l'appelante, le registraire des marques de commerce a enjoint au propriétaire actuel de la marque de commerce, Montorsi, de fournir une preuve d'emploi de la marque de commerce au cours de la période allant du 15 janvier 1998 au 15 janvier 2001 ou, en l'absence d'une telle preuve, la date où la marque a été employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date. En réponse, l'intimée a produit les affidavits de M. Didone Donato, directeur du marketing de l'intimée Montorsi.

[7]                Le dossier du registraire produit pour la présente instance contient un affidavit additionnel de M. Donato déposé le 5 décembre 2003. Selon l'intimée, il a été produit en réponse à la deuxième procédure introduite au titre de l'article 45. Il ne sera pas tenu compte de cet affidavit dans la présente instance de sorte que la Cour dispose, pour les besoins du présent appel, du même dossier que le registraire au moment où a été rendue la décision frappée d'appel. Aucune nouvelle preuve n'a été présentée dans le présent appel.

[8]                L'agente d'audience a conclu que l'intimée avait démontré que son défaut d'emploi de la marque de commerce était attribuable à des circonstances spéciales et que l'enregistrement devait être maintenu. Toutefois, elle a aussi conclu que la preuve fournie par M. Donato était imprécise à certains égards, notamment en ce qui concerne la façon dont le processus de certification exigé pour l'admission du produit au Canada devait être complété et la date à laquelle cela devait être fait, et a décidé de donner un deuxième avis au titre de l'article 45. Elle a entre autres tiré les conclusions suivantes :

Il ressort clairement de la preuve que Montorsi Francesco n'a pas vendu de jambon San Daniele au Canada sous la marque de commerce enregistrée. En conséquence, il faut se demander si ce défaut d'emploi est attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient.

Le critère servant à déterminer s'il existe des circonstances spéciales qui justifient le défaut d'emploi d'une marque de commerce a été énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Harris Knitting Mills. Ce critère comporte trois volets : la durée du défaut d'emploi de la marque de commerce; la question de savoir si ce défaut d'emploi par le propriétaire inscrit s'explique par des circonstances indépendantes de sa volonté; l'existence, chez le titulaire de l'enregistrement, d'une véritable intention de reprendre rapidement l'emploi de la marque.

[9]                  En appliquant le critère, elle a conclu qu'il existait des circonstances spéciales suffisantes justifiant le maintien de la marque de commerce au registre :

Étant donné que des démarches semblent avoir été entreprises par le consortium, le gouvernement italien et le titulaire de l'enregistrement avant la date de l'avis afin que le jambon San Daniele puisse être exporté au Canada, que la présence de plusieurs intermédiaires a eu pour effet de retarder le processus et que le titulaire de l'enregistrement a apporté des modifications majeures et coûteuses à ses installations, je conclus que ce dernier a démontré qu'il a réellement l'intention de commencer à employer la marque de commerce au Canada le plus tôt possible.

Compte tenu de tout ce qui précède, du fait que M. Donato a indiqué que tous les membres du consortium doivent se conformer aux exigences du gouvernement canadien et à l'accord et du fait qu'un processus de certification doit être établi et approuvé par le gouvernement italien avant que l'exportation au Canada puisse commencer, je suis d'avis que la période de défaut d'emploi n'est pas déraisonnable en l'espèce.

[10]               L'agente d'audience principale a alors donné, en même temps que sa décision, un deuxième avis au titre de l'article 45 enjoignant au propriétaire inscrit de démontrer à nouveau qu'il se conforme à l'article 45 :

Toutefois, étant donné l'imprécision de la preuve de M. Donato quant à la raison pour laquelle tous les membres du consortium doivent se conformer aux exigences du gouvernement canadien avant que l'exportation du produit au Canada soit approuvée, vu en particulier la lettre de l'Agence du 25 mai 1998 qui indique que les membres du consortium pourraient exporter du jambon San Daniele au Canada une fois que certains établissements auraient été visités (pourvu que des garanties soient données par le gouvernement italien et qu'un processus de certification acceptable soit en place), et étant donné que l'affidavit de M. Donato ne dit rien au sujet du nombre de membres concernés, des démarches entreprises par sa société pour connaître la date à laquelle on pouvait s'attendre à ce que tous les membres aient apporté les modifications requises à leurs installations (le cas échéant) et des efforts faits par le titulaire de l'enregistrement pour obtenir de l'information concernant la date à laquelle le processus de certification devait être complété, j'ai décidé de donner, en même temps que ma décision, un deuxième avis prévu à l'article 45 au propriétaire inscrit lui enjoignant de démontrer à nouveau qu'il se conforme à l'article 45 de la Loi sur les marques de commerce. [...]

Dispositions législatives pertinentes

[11]            Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes.

   45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l'enregistrement d'une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l'avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.

   45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade-mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade-mark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade-mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

   (2) Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui-ci ou par la personne à la demande de qui l'avis a été donné ou pour celle-ci.

   (2) The Registrar shall not receive any evidence other than the affidavit or statutory declaration, but may hear representations made by or on behalf of the registered owner of the trade-mark or by or on behalf of the person at whose request the notice was given.

   (3) Lorsqu'il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l'égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l'enregistrement, soit à l'égard de l'une de ces marchandises ou de l'un de ces services, n'a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l'avis et que le défaut d'emploi n'a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l'enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.       

   (3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trade-mark, either with respect to all of the wares or services specified in the registration or with respect to any of those wares or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trade-mark is liable to be expunged or amended accordingly.

   (4) Lorsque le registraire décide ou non de radier ou de modifier l'enregistrement de la marque de commerce, il notifie sa décision, avec les motifs pertinents, au propriétaire inscrit de la marque de commerce et à la personne à la demande de qui l'avis visé au paragraphe (1) a été donné.

   (4) When the Registrar reaches a decision whether or not the registration of a trade-mark ought to be expunged or amended, he shall give notice of his decision with the reasons therefor to the registered owner of the trade-mark and to the person at whose request the notice referred to in subsection (1) was given.

   (5) Le registraire agit en conformité avec sa décision si aucun appel n'en est interjeté dans le délai prévu par la présente loi ou, si un appel est interjeté, il agit en conformité avec le jugement définitif rendu dans cet appel.

...

   (5) The Registrar shall act in accordance with his decision if no appeal therefrom is taken within the time limited by this Act or, if an appeal is taken, shall act in accordance with the final judgment given in the appeal.

...

   56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

   56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

Questions

[12]            Le présent appel soulève des questions en ce qui concerne

1.          le dossier d'appel;

2.          la norme de contrôle appropriée;

3.          la compétence pour conclure à l'existence de circonstances spéciales et donner simultanément un deuxième avis au titre de l'article 45;

4.          les circonstances spéciales et le défaut d'emploi d'une marque de commerce.


Je traiterai successivement de ces questions.

Dossier d'appel

[13]            À l'audience, les avocats ne se sont pas entendus sur le contenu du dossier de demande déposé par l'intimée pour la présente instance. Le dossier de l'intimée comprend notamment un affidavit supplémentaire de M. Donato, directeur du marketing de l'intimée, souscrit le 26 novembre 2003, à savoir quelques mois après la date de la décision frappée d'appel. L'appelante a soutenu que cet affidavit démontrait que, même après la décision, l'intimée n'avait toujours pas adéquatement expliqué pourquoi elle n'avait pas satisfait aux exigences d'accès au marché canadien ni pourquoi elle n'avait pas employé sa marque. De plus, elle a fait valoir qu'il s'agissait d'une nouvelle preuve produite au présent appel.


[14]            Je ne suis pas convaincu que l'affidavit en question, le troisième produit par M. Donato, qui fait partie du dossier de l'intimée, fasse partie du dossier examiné dans le cadre du présent appel ni qu'il doive être considéré comme une preuve additionnelle produite pour le présent appel. L'avocate de l'intimée affirme qu'il s'agit d'un affidavit souscrit en réponse au nouvel avis du registraire au titre de l'article 45 donné en juin 2003, et qu'il vise à expliquer le défaut d'emploi et la raison de ce défaut. L'intimée n'invoque pas ce document alors qu'elle seule peut présenter une preuve en vertu de l'article 45. J'estime qu'il ne s'agit pas d'une preuve dont je suis saisi et qu'il ne faisait pas partie du dossier examiné par le registraire pour rendre la décision frappée d'appel.

Norme de contrôle

[15]            Les parties conviennent que, pour un appel d'une décision rendue par le registraire en application de la Loi, la norme de contrôle appropriée est généralement la décision raisonnable simpliciter (voir Brasseries Molson, société en nom collectif c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 135, au paragraphe 29 (C.A.)). Le juge O'Keefe de la Cour a choisi cette norme dans un appel d'une décision du registraire au sujet d'une demande fondée sur l'article 45, appel pour lequel aucune preuve additionnelle n'avait été produite (voir Carter-Wallace Inc. c. Wampole Canada Inc., [2000] 8 C.P.R. (4th) 30 (C.F. 1re inst.)).

Compétence pour conclure à l'existence de circonstances spéciales et donner simultanément un deuxième avis au titre de l'article 45


[16]            L'appelante soutient que l'agente d'audience principale, qui agissait au nom du registraire, a outrepassé sa compétence prévue à l'article 45 en concluant, d'une part, que la preuve déposée par l'intimée suffisait pour démontrer l'existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d'emploi de la marque de commerce malgré l'imprécision ou l'inexistence de preuve au sujet de questions clés et, d'autre part, que cela justifiait l'envoi d'un deuxième avis au titre de l'article 45. Elle a ajouté que ces deux conclusions n'étaient pas raisonnables étant donné la conclusion que la preuve était imprécise ou inexistante quant aux points relevés par l'agente d'audience. Comme la décision de l'agente d'audience, le deuxième avis au titre de l'article 45 était daté du 5 juin 2003 et l'agente a envoyé cet avis de son propre chef.

[17]            Nous relevons deux autres affaires où le registraire a conclu à l'existence de circonstances spéciales justifiant un défaut d'emploi et a envoyé aussi un deuxième avis sur le fondement de l'article 45, mais les marques de commerce en cause avaient déjà été employées et cet emploi avait cessé (Voir Rogers, Bereskin & Parr c. National Fur of Canada Ltd. (1993), 52 C.P.R. (3d) 560 (C.O.M.C.) et Gowling, Strathby & Henderson c. Suzy Shier Inc. (1991), 36 C.P.R. (3d) 221 (C.O.M.C.). Dans la présente affaire, la marque n'a jamais été employée au Canada depuis son enregistrement en 1989. Malgré la date de l'enregistrement initial, l'intimée, qui a acquis la marque de commerce en 1994, n'a besoin de démontrer l'emploi ou d'expliquer le défaut d'emploi que pour la période au cours de laquelle la marque lui appartenait (Sim & McBurrey c. Hugo Boss AG (1996), 67 C.P.R. (3d) 269 (C.O.M.C.)).

[18]            L'appelante fait valoir qu'après avoir conclu que la preuve de l'intimée n'était pas complètement satisfaisante, l'agente d'audience était dessaisie de l'affaire. Elle ne pouvait pas conclure en plus qu'il existait des circonstances spéciales justifiant le défaut d'emploi et maintenir ainsi l'enregistrement de la marque.

[19]            Je ne suis pas convaincu que le principe du functus officio s'applique lorsque le pouvoir discrétionnaire est exercé par le registraire ou son représentant agissant en son nom dans le cadre d'une fonction administrative. En l'espèce, l'article 45 confère au registraire le pouvoir de donner, à sa discrétion et à tout moment, un avis au propriétaire inscrit de la marque pour qu'il fournisse un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant l'emploi de la marque au Canada au cours des trois années précédant la date de l'avis et, dans la négative, la date où elle a été employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi.

[20]            Ce pouvoir discrétionnaire est censé servir les fins de l'article 45 dans le contexte de la Loi, fins précisées par le juge Hugessen dans l'arrêt Meredith & Finlayson c. Canada (Registraire des marques de commerce), (1991) 40 C.P.R. (3d) 409, à la page 412 (C.A.F.).

L'article 45 prévoit une méthode simple et rapide de radier du registre les marques tombées en désuétude. Il n'est pas censé prévoir un moyen supplémentaire de contester une marque de commerce, autre que la procédure litigieuse courante visée par l'article 57. Le fait que l'auteur d'une demande fondée sur l'article 45 ne soit même pas tenu d'avoir un intérêt dans l'affaire (en l'espèce, la société intimée est un cabinet d'avocats) en dit long sur la nature publique des intérêts que l'article vise à protéger.

Le paragraphe 45(2) est clair : le registraire peut seulement recevoir une preuve présentée par le propriétaire inscrit ou pour celui-ci. Cette disposition ne vise manifestement pas la tenue d'une instruction qui porterait sur une question de faits contestée, mais plus simplement, à donner au propriétaire inscrit l'occasion d'établir, s'il le peut, que sa marque est employée, ou bien d'établir les raisons pour lesquelles elle ne l'est pas, le cas échéant.


[21]            À mon avis, l'agente d'audience n'a pas outrepassé la compétence que la Loi lui confère en concluant, après avoir statué que les circonstances spéciales de l'affaire justifiaient le défaut d'emploi, que l'enregistrement de la marque de commerce devait être maintenu conformément au paragraphe 45(3) et en envoyant en même temps un nouvel avis à l'intimée sur le fondement du paragraphe 45(1). Ces deux conclusions ont été motivées et elles sont toutes deux raisonnables dans les circonstances de l'espèce. Il se dégage de la décision de l'agente d'audience que la dernière conclusion portant envoi d'un nouvel avis fondé sur le paragraphe 45(1) visait l'obtention de renseignements additionnels au sujet de l'emploi projeté de la marque au Canada. Cela sert les objectifs généraux de l'article 45 of la Loi.

[22]            Je ne suis pas convaincu que l'agente d'audience a commis une erreur de droit en décidant de maintenir l'enregistrement de la marque de commerce après avoir conclu à l'existence de circonstances spéciales qui, à son avis, lequel était raisonnable, justifiaient son défaut d'emploi et en envoyant en même temps un deuxième avis au titre du paragraphe 45(1).

Circonstances spéciales et défaut d'emploi d'une marque de commerce

[23]            Le fardeau de la preuve qui incombe au propriétaire inscrit en ce qui concerne le maintien de l'enregistrement de la marque est relativement peu onéreux et, vu l'objet général de l'article 45, dans une procédure intentée en vertu de cet article, « les faits ne sont pas censés être contestés sans fin » (juge Strayer, alors juge à la Cour fédérale, dans Lewis Thomson & Sons Ltd. c. Roger, Bereskin & Parr, (1988), 21 C.P.R. (3d) 483 (C.F.)).


[24]            Les critères à examiner pour déterminer s'il existe des circonstances spéciales au sens du paragraphe 45(3) sont la période pendant laquelle la marque n'a pas été employée, la question de savoir si les raisons de son défaut d'emploi étaient indépendantes de la volonté du propriétaire de la marque de commerce et si celui-ci avait la ferme intention de continuer ou, comme en l'espèce, de commencer l'emploi de la marque au Canada (Registraire des marques de commerce c. Harris Knitting Mills, (1985) 4 C.P.R. (3d) 488 (C.A.F.)).

[25]            L'appelante soutient que la marque de commerce en question n'a jamais été employée depuis son enregistrement en 1989, soit depuis très longtemps. J'ai déjà dit que le propriétaire inscrit n'a besoin d'expliquer le défaut d'emploi que depuis son acquisition de la marque en 1994. L'intimée a été, au moins depuis cette date, dans l'impossibilité de commercialiser son produit au Canada sous la marque de commerce en raison des exigences imposées par les agences agro-alimentaires canadiennes, auxquelles on ne peut satisfaire qu'avec l'accord des autorités italiennes et des producteurs italiens du produit et leur acceptation de se conformer aux critères canadiens en matière d'inspection et de production. Il a été démontré qu'un certain travail avait été fait pour satisfaire à cet objectif et il semble que l'intimée ait dépensé des sommes importantes pour effectuer les changements exigés dans ses propres installations. Le respect des normes canadiennes ne dépendait pas entièrement de l'intimée. Les circonstances que l'agente d'audience a qualifiées de spéciales et l'investissement en temps et en argent de l'intimée pour rénover ses installations en Italie en vue de se conformer aux exigences canadiennes indiquent une ferme intention d'employer la marque aussitôt que possible, c'est-à-dire dès que la collaboration essentielle des autres, notamment des deux gouvernements, rendra la chose possible. (Voir Oyen Wiggs Green & Mutala c. Pauma Pacific Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 48 (C.F. 1re inst.), conf. par (1999), 84 C.P.R. (3d) 287 (C.A.F.))


[26]            À mon avis, il était raisonnable, sur le fondement de la preuve présentée par l'intimée, d'arriver à la conclusion de l'agente d'audience, à savoir qu'il existait des circonstances spéciales indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit qui justifiaient le défaut d'emploi de la marque de commerce et que la marque ne s'exposait ainsi pas à la radiation du registre. Cette conclusion appelle à la déférence de la Cour.

Conclusions

[27]            L'appelante, ou requérante dans le cadre de l'article 45 de la Loi, ne m'a pas convaincu que l'agente d'audience a commis une erreur de droit dans sa décision datée du 5 juin 2003 où elle a conclu qu'il existait des circonstances spéciales justifiant le défaut d'emploi par l'intimée de sa marque de commerce canadienne, enregistrée sous le numéro 352,264, qui doit être maintenue au registre et a décidé en même temps de donner un deuxième avis à l'intimée au titre du paragraphe 45(1). De plus, je suis convaincu que les conclusions tirées par l'agente d'audience à partir de la preuve étaient raisonnables, c'est-à-dire qu'il existait des circonstances spéciales justifiant le défaut d'emploi de la marque de commerce par l'intimée et qu'une enquête plus approfondie justifiait qu'on cherche à obtenir des preuves concernant les démarches requises déjà entreprises et les personnes qui les ont faites pour que l'intimée satisfasse aux exigences réglementaires canadiennes relatives à la vente de ses produits et à l'emploi de sa marque déposée au Canada.


[28]            Par ordonnance et jugement suivant les présents motifs, je rejette donc l'appel de la décision de l'agente d'audience.

[29]            Les deux parties ont demandé qu'on leur adjuge les dépens. Comme cela se fait normalement, les dépens suivent l'issue de la cause et sont adjugés à l'intimée. Ces dépens doivent correspondre au milieu de la fourchette de la colonne III des dépens partie-partie prévus aux Règles de la Cour. Si les parties ne parviennent pas à s'entendre à ce sujet, elles peuvent faire une demande en vue de leur taxation conformément aux Règles.

                                                 ORDONNANCE ET JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE :

[1]                L'appel interjeté par l'appelante est rejeté.

[2]                Les dépens, dont les parties pourront convenir, seront adjugés à l'intimée sur la base partie-partie et devront correspondre au milieu de la fourchette de la colonne III des Règles de la Cour en matière de dépens.

« W. Andrew MacKay »

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Sandra D. de Azevedo, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                      T-1396-03                   

INTITULÉ :                                       CASSELS BROCK & BLACKWELL LLP

c.

REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE et MONTORSI FRANCESCO E FIGLI S.p.A.

LIEU DE L'AUDIENCE :               TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :             LE 30 MARS 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                           LE JUGE W. ANDREW J. MACKAY

DATE DES MOTIFS DU

JUGEMENT ET DU

JUGEMENT :                                   LE 21 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Julie A. Thorburn

Catherine C. Dennis                        POUR L'APPELANTE

Susan Beaubien                               POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cassels, Brock & Blackwell

Toronto (Ontario)                              POUR L'APPELANTE

Borden Ladner Gervais LLP

Ottawa (Ontario)                               POUR L'INTIMÉE


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