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Date : 20040820

Dossier : T-125-03

Référence : 2004 CF 1151

Ottawa (Ontario), le 20 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                            DIANE SKETCHLEY

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) dans laquelle la Commission a rejeté deux plaintes présentées par Mme Diane Sketchley (demanderesse) alléguant que le Conseil du Trésor du Canada, son employeur (défendeur), avait fait preuve à son endroit de discrimination fondée sur l'incapacité.


[2]                La demanderesse a déposé deux plaintes dans lesquelles elle alléguait avoir été forcée de prendre sa retraite de la fonction publique : la première plainte, la plainte numéro 20000270, visait le traitement que lui avait réservé le défendeur qui aurait refusé de tenir compte de son incapacité. La deuxième plainte, la plainte numéro 20001128, visait la politique du Conseil du Trésor selon laquelle les employés qui souffrent d'une incapacité et qui sont en congé non rémunéré doivent, dans les deux ans à compter du début du congé, soit retourner au travail, soit prendre leur retraite de la fonction publique, soit être congédiés pour un motif valable.

QUESTIONS EN LITIGE

[3]                La demanderesse soulève les deux questions suivantes :

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit quand elle a conclu que, lorsqu'il s'agit d'un employé atteint d'une incapacité qui n'est pas en mesure de préciser la date de son retour au travail, son congédiement n'est pas, à première vue, un acte discriminatoire?

2.          La Commission a-t-elle violé les principes de justice naturelle ou d'équité procédurale quand elle n'a pas effectué une analyse et un examen complets des allégations de discrimination de la demanderesse?

[4]                Pour les motifs suivants, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

FAITS


[5]                La demanderesse a obtenu un poste permanent d'examinatrice auprès du défendeur, le 1er avril 1975. En 1987, elle a été diagnostiquée comme souffrant du syndrome de fatigue chronique (SFC); en 1998, elle a obtenu un congé de maladie à plein temps, congé qui a duré sept semaines. Puis elle est retournée au travail, d'abord à temps partiel jusqu'en 1990, puis à plein temps.

[6]                En janvier 1993, la demanderesse a présenté une demande de réaffectation en invoquant la détérioration de son état de santé qui était due principalement à sa charge de travail. Elle l'a obtenue en avril 1994; en octobre 1994, la demanderesse a été diagnostiquée comme souffrant de fibromyalgie.

[7]                En novembre 1994, conformément au conseil de son médecin, la demanderesse a commencé à travailler à temps partiel. En janvier 1997, son médecin lui a recommandé de prendre un congé à plein temps; en mars 1997, le défendeur a recommandé que la demanderesse prenne sa retraite pour des raisons médicales. La demanderesse a refusé.


[8]                En mars 1999, l'assureur en assurance-invalidité, la société Sun Life, a fait parvenir une lettre au défendeur rappelant à ce dernier que, selon l'entente qu'il avait conclue avec la société Sun Life, la politique du Conseil du Trésor qui prévoyait qu'un congé non rémunéré pour des raisons médicales ne dure pas plus de deux ans, devait être respectée. En mai 1999, le défendeur a demandé à la demanderesse de choisir entre la retraite pour des raisons médicales et le retour au travail. La demanderesse a demandé que soit prolongé le congé non rémunéré; le défendeur a répondu qu'elle pouvait soit prendre sa retraite, soit remettre sa démission soit retourner au travail. Si elle ne prenait aucune décision, elle serait congédiée pour des raisons d'incapacité.

[9]                La demanderesse a déposé un grief qui a été rejeté au troisième palier de la procédure en décembre 1999. La demanderesse a sollicité un congé pour des raisons personnelles en février 2000. Le congé a été refusé. Enfin, la demanderesse a présenté une demande de retraite pour raisons médicales, laquelle lui a été accordée en avril 2000. En novembre 2000, la demanderesse a déposé ses deux plaintes auprès de la CCDP.

DÉCISION DE LA COMMISSION

[10]            Le 7 février 2003, la CCDP a rendu une brève décision dans laquelle elle a rejeté les deux plaintes. Pour ce qui concerne la première plainte alléguant que le défendeur n'avait pas tenu compte des besoins de la demanderesse, la CCDP a dit :

[traduction]

*               la preuve n'étaye pas l'allégation de la plaignante selon laquelle le défendeur n'a pas tenu compte de ses besoins dans le cadre de son travail;

*               la preuve révèle que le médecin de la plaignante a attesté qu'elle n'était pas en mesure d'avoir un emploi régulier rémunérateur.

[11]            Quant à la deuxième plainte selon laquelle la politique du défendeur en matière de congé non rémunéré constituait de la discrimination fondée sur l'incapacité puisqu'elle obligeait les personnes souffrant d'une incapacité soit à prendre leur retraite au bout de deux ans, soit à préciser la date de leur retour au travail, soit à faire l'objet d'un congédiement, la CCDP a écrit :


[traduction]

*               la politique du défendeur en matière de congédiement comporte des dispositions qui permettent de tenir compte des besoins des personnes qui souffrent d'une incapacité;

*               la différence entre les employés qui souffrent d'une incapacité qui sont en mesure de prévoir la date de leur retour au travail et ceux qui ne sont pas en mesure de le faire n'est pas fondée sur un motif de distinction illicite.

[12]            La décision est brève; il faut donc en déduire que les motifs de la Commission sont ceux qui se trouvent dans les rapports de l'enquêteur dont la recommandation et le raisonnement se reflètent dans la décision. Nous allons maintenant examiner le contenu de ces rapports.

Rapport de l'enquêteur - plainte numéro 20000270

[13]            Dans cette plainte, la demanderesse allègue que son employeur, Développement des Ressources humaines Canada (DRHC), n'a pas tenu compte de son incapacité, contrairement à l'article 7 de la Charte canadienne des droits de la personne. Le défendeur nie cette allégation et il déclare qu'il a tenté de tenir compte des besoins de la demanderesse en lui permettant de travailler à temps partiel et en lui fournissant des meubles ergonomiques. Le rapport médical préparé pour les fins de sa retraite pour des raisons médicales révélait qu'elle n'était pas en mesure de travailler.


[14]            Le rapport contient un exposé chronologique des relations entre la demanderesse et le défendeur depuis l'apparition des problèmes de santé de la demanderesse et il reprend les plaintes spécifiques de cette dernière, savoir que l'employeur n'a pas du tout essayé de tenir compte de ses besoins à partir du congé non rémunéré ni de faciliter son retour au travail; au contraire, il a insisté pour qu'elle remette sa démission à compter de 1999, soit deux ans après le début du congé non rémunéré. Le rapport mentionne également l'allégation de la demanderesse selon laquelle la politique du Conseil du Trésor qui oblige les employés en congé de maladie non rémunéré soit à donner leur démission soit à retourner au travail après deux ans avait été appliquée à son égard d'une manière discriminatoire puisque la politique n'était pas appliquée avec autant de rigueur à d'autres personnes en congé non rémunéré pour des raisons médicales.

[15]            Dans l'analyse, le rapport mentionne que la preuve recueillie au cours de l'enquête n'étaye pas l'allégation de la demanderesse selon laquelle la politique avait été appliquée d'une manière discriminatoire. Au sujet de l'allégation elle-même, le rapport ajoute que le défendeur, tout en reconnaissant que certains employés avaient pu conserver leur poste pour une période plus longue que les deux années prévues, avait dit qu'il existait maintenant un programme qui permettait de déterminer si ces employés pouvaient retourner au travail; en cas contraire, on les aidait à accepter de prendre leur retraite pour des raisons médicales.

[16]            Le rapport ne mentionne aucune enquête supplémentaire concernant l'application de la politique à d'autres employés en congé non rémunéré. La seule source de renseignements, selon le rapport, serait le défendeur. Il n'est pas mentionné que pendant que la demanderesse était en congé non rémunéré, rien n'a été fait pour trouver un moyen de lui permettre de retourner au travail.


Rapport de l'enquêteur - plainte numéro 20001128

[17]            La demanderesse allègue que la politique du Conseil du Trésor relative au congé non rémunéré qui s'applique aux employés qui souffrent d'une incapacité est discriminatoire puisqu'elle impose une rupture des relations employeur-employé deux ans après le début du congé. Cette politique est renforcée par l'entente conclue en 1996 entre le défendeur et la Sun Life, entente en vertu de laquelle les ministères doivent prendre les moyens nécessaires pour appliquer la politique dans les deux ans à compter du début d'un congé non rémunéré - l'employé retourne au travail, il remet sa démission ou il prend sa retraite pour des motifs de santé, à défaut de quoi il peut faire l'objet d'un licenciement motivé.

[18]            Le rapport cite une seule affaire, Scheuneman c. Canada (Procureur général), [2000] 2 C.F. 365 (1re inst.), confirmée par la Cour d'appel fédérale, Scheuneman c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 1997 (C.A.) (QL), à l'appui de son analyse selon laquelle la politique n'est pas discriminatoire en soi. La même politique était en cause dans cette affaire et la Cour a conclu que la politique n'était pas discriminatoire. La demanderesse soutient que la politique est discriminatoire à première vue puisque la limite de deux ans ne vise que les employés qui obtiennent un congé non rémunéré pour cause de maladie ou de blessure.


[19]            Dans la section analyse du rapport, il est dit que le congé non rémunéré doit permettre à l'employé de bénéficier d'un répit temporaire et d'éviter l'interruption d'emploi. Il n'a pas pour objet de permettre à l'employé de conserver indéfiniment son emploi, même s'il ne peut plus travailler pour l'employeur. En outre, selon le rapport, la politique ne traite pas différemment les employés qui souffrent d'une incapacité et qui sont en congé non rémunéré et les employés en congé non rémunéré pour d'autres raisons.

[20]            Le rapport conclut en recommandant le rejet de la plainte pour les raisons suivantes :

[traduction]

*               la politique du défendeur en matière de licenciement prévoit le cas des personnes qui souffrent d'une incapacité;

*               la différence de traitement entre les employés qui souffrent d'une incapacité qui sont en mesure de dire à quel moment ils retourneront travailler et ceux qui ne sont pas en mesure de le faire n'est pas fondée sur un motif de distinction illicite.

OBSERVATIONS DE LA DEMANDERESSE

Plainte numéro 20000270

[21]            La demanderesse reconnaît que, de 1993 à 1997, le défendeur lui a permis de changer de poste, de limiter ses heures de travail et d'essayer un nouveau clavier ergonomique; il a également offert d'acheter un appui pour le dos. Toutefois, pendant que la demanderesse était en congé non rémunéré, l'employeur n'a plus rien fait pour tenter de trouver un moyen de faciliter son retour au travail. En fait, pendant que la demanderesse était en congé non rémunéré, l'employeur s'est départi de ses instruments de travail et il l'a empêchée d'avoir accès à son poste de travail. À la fin de la période de deux ans, DRHC a tout simplement insisté pour qu'elle revienne au travail ou qu'elle prenne sa retraite, sans jamais discuter d'autres options ou possibilités, ni tenter de comprendre l'évolution de l'état de santé de la demanderesse.


[22]            La demanderesse savait que d'autres employés de la fonction publique fédérale qui avaient bénéficié d'un congé non rémunéré pendant plus de deux ans n'avaient fait l'objet d'aucune pression pour qu'ils retournent au travail ou prennent leur retraite. La demanderesse n'a pas été interviewée et elle a fourni le nom de plusieurs témoins éventuels à l'enquêteur. Selon la demanderesse, ces témoins n'ont jamais été interviewés.

[23]            La demanderesse estime qu'elle a fait l'objet de harcèlement et d'intimidation de la part de l'employeur pour qu'elle prenne sa retraite pour des raisons médicales sans qu'aucune autre solution ne soit envisagée. Aucune raison n'a jamais été donnée pour expliquer pourquoi l'employeur subirait des difficultés et encore moins des difficultés excessives si son congé non rémunéré se prolongeait alors qu'une retraite pour des raisons médicales coûte beaucoup plus cher, à l'employeur, qu'un congé non rémunéré. La demanderesse affirme qu'en appliquant la politique de deux ans sans se demander si une année de congé non rémunéré supplémentaire pouvait s'avérer appropriée dans sa situation constitue de la discrimination fondée sur l'incapacité. Mais l'enquêteur n'a jamais soulevé ces questions dans son rapport. Après avoir décidé que les mesures d'accommodement appliquées de 1993 à 1997, savoir une diminution de la charge de travail et des heures de travail, ainsi que le congé non rémunéré accordé de 1997 à 2000, étaient suffisantes, l'enquêteur n'a jamais examiné la question de savoir si, du point de vue de la demanderesse, ces accommodements étaient réellement suffisants en vertu de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.


Plainte numéro 20001128

[24]            La demanderesse allègue que la politique en vertu de laquelle l'employé en congé non rémunéré pour des raisons médicales doit prendre une décision dans les deux ans est discriminatoire puisqu'elle ne tient pas compte du rétablissement plus ou moins long de la personne concernée, selon sa maladie, et parce qu'elle ne s'applique qu'aux employés dont le congé non rémunéré est dû à des raisons médicales.

[25]            Dans son rapport, après avoir décidé que la politique n'était pas discriminatoire, l'enquêteur n'a effectué absolument aucune analyse pour justifier la politique. La demanderesse prétend qu'il est tout à fait inadéquat de fonder le rapport sur la seule décision Scheuneman. Dans cette affaire, le demandeur s'était représenté lui-même et les faits étaient tout à fait différents. En examinant la politique, la Cour a décidé qu'elle n'avait pas été appliquée de manière discriminatoire à M. Scheuneman qui avait obtenu un congé non rémunéré pour une période de huit ans. À cause de la situation de fait, la Cour n'a jamais examiné la politique en soi, politique qui est en cause en l'espèce.


[26]            Puisque la politique ne s'applique qu'aux employés qui souffrent d'une incapacité, elle semble discriminatoire à première vue. Il est possible que cette différence de traitement soit justifiée en vertu de l'analyse de l'exigence professionnelle justifiée (EPJ), ou encore si l'inapplication de la politique causerait des difficultés excessives au défendeur. Toutefois, cette partie de l'analyse n'a jamais été effectuée parce que l'enquêteur a conclu que la politique n'était pas discriminatoire.

OBSERVATIONS DU DÉFENDEUR

[27]            Le défendeur prétend que la décision de la CCDP était correcte puisque le défendeur avait régulièrement tenté de tenir compte des besoins de la demanderesse et que la politique n'était pas discriminatoire.

[28]            Quant à la question d'accommodement, le défendeur avait accordé la demande de réaffectation et de travail à temps partiel ainsi qu'un congé non rémunéré. Quand, après une période de deux ans, la demanderesse n'était pas en mesure de prévoir la date de retour au travail dans un avenir prévisible, le défendeur avait le droit de mettre fin à l'emploi de la demanderesse. La preuve médicale fournie par le médecin de la demanderesse établissait qu'elle n'était pas en mesure de retourner au travail.

[29]            Quant à l'aspect discriminatoire de la politique, le défendeur prétend que l'analyse selon l'EPJ est implicite dans la décision de la CCDP. Il ne faut pas s'attendre à ce qu'un employeur conserve indéfiniment, même en congé non rémunéré, une employée qui a déjà bénéficié d'un congé non rémunéré de trois ans et qui, selon la preuve médicale, ne peut retourner au travail dans un avenir prévisible. L'imposition d'une telle exigence entraînerait des difficultés excessives pour l'employeur.


[30]            Selon le défendeur, l'argumentation de la Commission révèle qu'elle ne s'est pas penchée sur la question juridique essentielle de savoir si le fait d'exiger d'une employée atteinte d'incapacité qu'elle fournisse une date de retour au travail était une pratique discriminatoire. Elle a conclu (implicitement) que la réponse était négative puisqu'il s'agit d'une EPJ.

LÉGISLATION

[31]            Les dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) se trouvent à l'annexe.

ANALYSE

[32]            Les deux parties conviennent que la norme de contrôle qui s'applique en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans l'affaire Chopra c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 1082 (1re inst.) (QL), j'ai expliqué comment la norme de la décision raisonnable simpliciter s'applique à une décision de la Commission de rejeter une plainte :

¶ 54           La définition de la norme de la décision raisonnable simpliciter a été élaborée dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748. Cette norme exige que l'on fasse preuve d'un plus haut degré de retenue judiciaire à l'égard du tribunal en question que celui dont on ferait preuve dans le cas de la norme de la décision correcte. Essentiellement, si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable. Cependant, s'il faut procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler ce défaut, la décision est alors simplement considérée comme déraisonnable (Southam, précité, au paragraphe 57).


¶ 55           Dans un contrôle faisant appel à la norme de la décision raisonnable, la décision doit être examinée pour vérifier si elle peut être étayée par des motifs capables de résister à un examen assez poussé. Un défaut dans la preuve sur laquelle s'appuie la décision ou dans le raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve est le type de défaut qui ne pourrait être décelé qu'au moyen d'un examen approfondi et rendrait une décision déraisonnable, mais non pas manifestement déraisonnable (Southam, paragraphe 56).

Autrement dit, la norme qui s'applique est de savoir si la décision de la Commission résisterait à « un examen assez poussé » de ses motifs.

1) La Commission a-t-elle commis une erreur de droit quand elle a conclu que, lorsqu'il s'agit d'un employé atteint d'une incapacité qui n'est pas en mesure de préciser la date de son retour au travail, le congédiement n'est pas, à première vue, un acte discriminatoire?

Politique du Conseil du Trésor

[33]            Le congé non rémunéré est prévu dans divers contrats d'emploi et conventions collectives de la fonction publique. Le Conseil du Trésor a une politique en matière de congé non rémunéré qui prévoit (page 795, dossier du défendeur) :

Le congé non rémunéré ne peut être accordé qu'en vertu des documents habilitants, lesquels comprennent la convention collective et les conditions d'emploi appropriées.

Les ministères doivent se conformer à la norme figurant à l'Appendice A de la présente politique lorsque le congé non rémunéré est accordé pour les raisons suivantes :

- maladie ou blessure;

- emploi dans le cabinet d'un ministre;

- instruction au sein des Forces de réserve.

[34]            L'appendice A prévoit les modalités suivantes relativement au congé non rémunéré pour des raisons de blessure ou de maladie (page 794, dossier du défendeur) :

Les gestionnaires doivent envisager d'accorder un congé non rémunéré aux employés qui ne peuvent travailler pour cause de blessure ou de maladie et qui ont épuisé leurs crédits de congé de maladie ou de congé d'accident du travail.

S'il est clair que l'employé ne sera pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible, les gestionnaires doivent envisager d'accorder un congé non rémunéré d'une durée suffisante pour permettre à l'employé de prendre les dispositions nécessaires en prévision de sa cessation d'emploi de la fonction publique pour raisons médicales.

Si la direction est convaincue qu'il y a de bonnes chances que l'employé retourne au travail dans un délai raisonnable (dont la durée variera selon les circonstances), un congé non rémunéré peut être considéré afin qu'il n'y ait pas d'interruption d'emploi. La direction doit réexaminer tous ces cas périodiquement afin de s'assurer que le congé non rémunéré n'est pas prolongé sans raisons médicales valables.

La direction doit régler les cas de congé non rémunéré dans les deux ans qui suivent la date du début du congé, mais cette période peut être prolongée si des circonstances exceptionnelles le justifient.

La période de congé non rémunéré doit être suffisamment souple pour permettre aux gestionnaires de tenir compte des besoins des employés ayant des problèmes particuliers de réadaptation, comme le besoin d'un recyclage.

[35]            Voilà la politique qui, selon la demanderesse, est discriminatoire. L'obligation pour la direction de « régler les cas de congé non rémunéré dans les deux ans qui suivent la date du début du congé » ne s'applique qu'en cas de blessure ou de maladie. Ainsi, il est clair que la politique prévoit un traitement différent entre les personnes en congé non rémunéré à cause d'une incapacité médicale et celles qui prennent un tel congé pour d'autres raisons.

[36]            Cette différence est l'essence même de la discrimination. La discrimination n'est pas définie dans la Loi, mais dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, à la page 174, la Cour suprême du Canada l'a définie en ces termes :


[...] la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société.[...]

[37]            Le rapport n'a jamais reconnu l'existence à première vue de la discrimination et l'analyse comporte donc des lacunes. Le défendeur prétend que l'analyse de l'EPJ est « implicite » . Je crois qu'il serait plus exact de dire qu'elle est totalement absente puisqu'il faut, avant de l'aborder, reconnaître qu'il y a de la discrimination à première vue, ce que le rapport ne fait pas. S'il n'y a aucune discrimination, comme le prétend le rapport, il n'est pas nécessaire de décider si la discrimination est justifiée en vertu de l'EPJ. Deux phrases tirées du rapport sont percutantes à cet égard : la page 4, dans la section Analyse : [traduction] « en outre, la politique ne traite pas les employés qui souffrent d'une incapacité qui sont en congé non rémunéré d'une manière différente des employés qui sont en congé non rémunéré pour d'autres raisons » et la page 5, sous le titre Recommandation : [traduction] « la différence entre les employés qui souffrent d'une incapacité qui sont en mesure de prévoir la date de leur retour au travail et ceux qui ne sont pas en mesure de le faire n'est pas fondée sur un motif de distinction illicite » .


[38]            La première affirmation est manifestement fausse. La politique mentionne clairement que dans certaines situations de congé non rémunéré, la direction doit se conformer à la norme figurant à l'Appendice A. Ce n'est que lorsqu'il s'agit d'un congé pour des raisons de maladie ou de blessure que le Conseil du Trésor insiste pour dire qu'un congé non rémunéré doit prendre fin après une période de deux ans; on peut supposer que les autres situations relèvent du pouvoir discrétionnaire de la direction des ministères.

[39]            Dans la deuxième phrase, l'enquêteur présente une affirmation qui est contraire à la jurisprudence reconnue. Les travailleurs qui souffrent d'une incapacité et qui peuvent confirmer la date de leur retour au travail seraient moins incapables à ce moment-là que les travailleurs qui ne peuvent pas encore préciser la date de leur retour au travail. La différence est fondée sur le degré d'incapacité, un motif de distinction illicite.

[40]            Dans l'arrêt Battlefords and District Co-operative Ltd. c. Gibbs, [1996] 3 R.C.S. 566, la Cour suprême du Canada a dit, très clairement, que la création de catégories en rapport avec un motif illicite peut en soi constituer de la discrimination. Dans cette affaire, une employée qui souffrait d'une incapacité mentale n'avait pas le droit de toucher les indemnisations qu'elle aurait touchées si elle avait souffert d'une incapacité physique. L'employeur a prétendu qu'il fallait comparer les employés physiquement aptes au travail et ceux qui souffraient d'une incapacité mais qu'il ne fallait pas comparer entre eux les employés qui souffraient d'une incapacité. La Cour suprême a dit, en réponse à cet argument, au paragraphe 27 :


[...] En concluant qu'une comparaison entre l'incapacité mentale et l'incapacité physique est adéquate, je souligne d'abord que, pour conclure à l'existence de discrimination fondée sur l'incapacité, il n'est pas nécessaire que toutes les personnes handicapées soient maltraitées également. Les tribunaux ont constamment statué qu'il n'est pas erroné de conclure à l'existence de discrimination fondée sur un motif illicite quand les personnes qui présentent la caractéristique pertinente n'ont pas toutes été victimes de discrimination. Par exemple, dans Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, notre Cour a décidé que le harcèlement sexuel de certaines employées constituait de la discrimination sexuelle. En rejetant l'argument que le harcèlement ne constituait pas de la discrimination sexuelle puisque seule une partie des employées étaient harcelées, notre Cour affirme, aux pages 1288 et 1289 :

L'erreur dans la thèse de la Cour d'appel réside dans la croyance qu'il y a discrimination sexuelle seulement lorsque le sexe est l'unique élément de l'acte discriminatoire et lorsque, par conséquent, toutes les personnes du sexe en cause sont également maltraitées. Bien que le concept de discrimination trouve sa source dans le traitement accordé à un particulier en raison de son appartenance à un groupe plutôt qu'en raison de ses caractéristiques personnelles, il n'est pas nécessaire, pour qu'il y ait discrimination, que tous les membres du groupe concerné soient traités de la même façon. Il suffit que l'attribution d'une caractéristique du groupe visé à un de ses membres en particulier constitue un facteur du traitement dont il fait l'objet. S'il fallait, pour conclure à la discrimination, que tous les membres du groupe visé soient traités de façon identique, la protection législative contre la discrimination aurait peu ou pas de valeur. En effet, il arrive rarement qu'une mesure discriminatoire soit si nettement exprimée qu'elle s'applique de façon identique à tous les membres du groupe-cible. Dans presque tous les cas de discrimination, la mesure discriminatoire comporte divers éléments de sorte que certains membres du groupe concerné ne sont pas atteints, tout au moins de façon directe, par la mesure discriminatoire.

[41]            En l'espèce, l'enquêteur a dit que puisque les personnes souffrant d'une incapacité qui étaient en mesure de préciser la date de leur retour au travail n'étaient pas congédiées, il n'y avait aucune discrimination à l'égard des personnes atteintes d'une incapacité; il n'a pas tenu compte des personnes atteintes qui, à cause de leur incapacité, ne pouvaient pas confirmer la date de retour. Cette erreur de raisonnement est la même que celle qu'a soulignée la Cour suprême dans l'affaire Janzen.


[42]            Il est clair que, lorsque l'enquêteur a conclu que la politique n'était pas discriminatoire, il ne s'est pas du tout penché sur les nécessités du service et les difficultés excessives. Parce que la politique permet un accommodement et que la Cour d'appel fédérale a dit, dans l'arrêt Scheuneman, que la politique n'était pas discriminatoire, l'enquêteur n'a pas du tout reconnu la possibilité d'une violation à première vue, et il a coupé court à son analyse.

[43]            Même si la politique de l'employeur prévoit un accommodement, cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas, à première vue, de la discrimination. L'accommodement peut constituer un moyen de défense en cas d'allégation de discrimination, mais elle n'exclut pas la discrimination. Cette idée est reprise brièvement par le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale dans l'extrait suivant tiré de Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Banque Toronto-Dominion, [1998] 4 C.F. 205 (C.A.), aux paragraphes 130 et 131 :

¶ 130         À mon avis, l'argument susmentionné [que le fait de fournir des mesures d'accommodement exclut la discrimination] est défectueux, et ce, pour deux raisons importantes. En premier lieu, il est fondé sur la conviction erronée que le fait que l'employeur plaide avec succès l'accommodement raisonnable rend non discriminatoire ce qui constitue à première vue de la discrimination. Or, le fait qu'il ait conclu à l'existence d'un accommodement raisonnable n'empêche pas de tirer une conclusion de droit selon laquelle une politique d'emploi a un effet discriminatoire sur certains employés. C'est pourquoi il est question dans la jurisprudence du fait qu'il existe « à première vue de la discrimination » . La doctrine de l'accommodement constitue un moyen de défense lorsqu'il existe une preuve prima facie de discrimination; cette doctrine n'a pas pour effet d'éliminer pareille discrimination. Dans le contexte de la Loi, ce moyen de défense, une fois qu'il est établi, a pour effet d'exclure l'acte discriminatoire de la catégorie des actes illicites.

¶ 131         Je m'oppose à la conclusion du Tribunal relative à l'absence de discrimination pour une autre raison : en effet, le Tribunal ne s'est pas rendu compte que si une règle d'emploi n'est pas « raisonnablement nécessaire » , ou s'il n'existe aucun « lien rationnel » entre la règle et le rendement au travail, il importe peu que l'employeur veuille composer avec ses employés. Une simple analogie permet de confirmer le bien-fondé de cette conclusion. Supposons que la Banque mette en oeuvre une politique obligeant les caissiers à porter un casque protecteur dans toutes ses succursales pendant les heures de bureau. Supposons également que la Banque soit prête à composer avec les employés (par exemple, avec les Sikhs) qui s'opposent à la règle pour des motifs religieux. Dans ces circonstances extrêmes, le bon sens permettrait selon moi de considérer la règle que la Banque a adoptée au sujet du « casque protecteur » comme n'étant ni raisonnablement nécessaire ni rationnellement liée au rendement professionnel et partant, inapplicable. Si l'on est prêt à retenir cette conclusion, il s'ensuit nécessairement que l'offre d'accommodement de la Banque ne constitue plus une considération pertinente. C'est pourquoi je suis d'avis que le Tribunal a commis une erreur en concluant que la politique de la Banque ne constitue pas à première vue de la discrimination.


[44]            Dans cette affaire, l'Association canadienne des libertés civiles avait déposé une plainte devant la CCDP alléguant que la politique de la Banque en matière de dépistage des drogues était une pratique discriminatoire contraire à l'article 10 de la Loi. Le Tribunal des droits de la personne (le Tribunal) a conclu que l'Association n'avait pas établi l'existence à première vue de la discrimination. Le Tribunal a dit qu'aucune personne n'avait été privée d'un emploi en vertu de la politique de la Banque sur la dépendance envers la drogue. Par conséquent, la plainte de l'Association a été rejetée. Le juge des requêtes a autorisé le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal parce que l'existence à première vue d'un cas de discrimination n'avait pas été correctement évaluée et la Banque a interjeté appel. La Cour d'appel a rejeté l'appel.

[45]            Le défendeur reconnaît que la Commission a commis une erreur en ne reconnaissant pas qu'il s'agissait bien d'un cas de discrimination à première vue, mais en fin de compte, la conclusion de la Commission n'est pas déraisonnable. Elle cite l'affaire Syndicat national des employés municipaux de Pointe-Claire c. Pointe-Claire (Ville), [2000] J.Q. no 988. Les circonstances en l'espèce ne sont pas les mêmes. Dans Pointe-Claire, une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un arbitre rejetant un grief déposé par un employé qui avait été congédié pour absentéisme a été rejetée. En l'espèce, la demanderesse n'a même pas eu la chance d'être entendue, contrairement à la décision rendue dans Pointe-Claire.


L'affaire Scheuneman

[46]            Le rapport mentionne l'arrêt Scheuneman pour étayer la proposition selon laquelle la Cour avait déjà affirmé que la politique du Conseil du Trésor sur le congé non rémunéré telle qu'elle s'appliquait aux employés qui souffraient d'une incapacité n'était pas discriminatoire. Toutefois, les faits de l'affaire Scheuneman sont suffisamment différents pour permettre de distinguer très clairement entre ces deux affaires.

[47]            Dans Scheuneman, la demande de contrôle judiciaire visait la décision de la Commission des relations de travail de la fonction publique de rejeter le grief présenté par M. Scheuneman contre son congédiement par Ressources naturelles Canada. M. Scheuneman avait été congédié en vertu de la politique en cause après huit années de congé non rémunéré. Après avoir examiné soigneusement la décision de l'arbitre, le juge Cullen de la Cour a conclu qu'il n'y avait aucun motif d'annuler la décision de l'arbitre. L'examen a porté, tant de la part de la Commission que dans la décision du juge Cullen, sur la question de savoir si M. Scheuneman avait lui-même fait l'objet de discrimination. Dans sa décision, le juge Cullen ne traite jamais de la politique en soi. La question n'était pas de savoir si la période de deux ans était raisonnable afin de forcer la personne atteinte d'une incapacité à prendre sa retraite ou à retourner au travail, mais de savoir si l'employeur avait tenté raisonnablement de tenir compte des besoins de M. Scheuneman. Le juge Cullen a reconnu le bien-fondé de la décision de l'arbitre en ce que l'employeur avait réellement tenté de composer avec M. Scheuneman. En rejetant l'allégation selon laquelle la politique était discriminatoire, le juge Cullen écrit :


¶ 58           La politique en cause ne ressemble pas à d'autres qui avaient été appliquées sans nuances au détriment d'un petit nombre de personnes; voir Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536. La politique est assez souple pour accommoder même les personnes qui ne peuvent travailler pendant plusieurs années par suite d'une maladie prolongée. Cette politique n'est donc pas discriminatoire à l'encontre du demandeur.

¶ 59           Le demandeur n'a perdu le statut d'employé sans solde qu'après une absence de huit ans, au lieu de deux, et seulement parce qu'il était très clair qu'il ne pouvait revenir travailler dans un avenir prévisible. Je ne peux concevoir une mise en oeuvre plus sympathique et humaine d'une politique sur les congés. Le licenciement du demandeur est la conséquence de son entêtement à refuser d'accepter que ce congé soit, par sa nature même, une mesure limitée dans le temps. Les actions des fonctionnaires du Ministère dans la mise en oeuvre de la politique ne peuvent donc être qualifiées de discriminatoires. En conséquence, on ne peut pas dire que le traitement accordé au demandeur est discriminatoire à première vue au sens du paragraphe 15(1) de la Charte. L'arbitre avait donc raison de conclure comme il l'a fait sur la question de savoir s'il y avait une preuve suffisante pour étayer l'existence d'une discrimination.

[48]            Avec égards, la politique n'est pas mentionnée en tant que telle. Quand le juge Cullen écrit : « La politique est assez souple pour accommoder même les personnes qui ne peuvent travailler pendant plusieurs années par suite d'une maladie prolongée » , il parle de la mise en application de la politique et non de son contenu. La phrase suivante : « Cette politique n'est donc pas discriminatoire à l'encontre du demandeur » confirme cette interprétation. En l'espèce, la mise en application ne s'est pas déroulée de la même manière, compte tenu de la politique elle-même. Cette seule constatation justifierait un examen plus minutieux de la question de savoir si la politique est elle-même discriminatoire.


[49]            En arrivant à la conclusion que la politique du Conseil du Trésor sur le congé non rémunéré n'était pas à première vue discriminatoire, j'estime que, dans sa décision, la Commission a commis une erreur de droit qui lui est fatale. La politique établit une distinction fondée sur l'octroi d'un congé non rémunéré pour des raisons de maladie ou de blessure. Il s'agit en fait d'une distinction fondée sur l'incapacité. Sur cette question, j'annulerais la décision de la Commission et je renverrais la question à un nouvel enquêteur.

2) La Commission a-t-elle violé les principes de justice naturelle ou d'équité procédurale quand elle n'a pas effectué une analyse et un examen complets des allégations de discrimination de la demanderesse?

[50]            Le législateur a accordé une très grande latitude à la CCDP lorsqu'elle décide si une affaire doit faire l'objet d'une enquête. En même temps, à cette étape, la Commission ne prend pas une décision sur le bien-fondé du cas. Dans la décision Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), le juge Décary a écrit, à la page 136 :

Il est établi en droit que, lorsqu'elle décide de déferrer ou non une plainte à un tribunal à des fins d'enquête en vertu des articles 44 et 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission exerce des « fonctions d'administration et d'examen préalable » (Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 893, le juge La Forest) et ne se prononce pas sur son bien-fondé (voir Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada (1997), 208 N.R. 385 (C.A.F.)). Il suffit que la Commission soit « convaincue [que] compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié » (paragraphes 44(3) et 49(1)). Il s'agit d'un seuil peu élevé [...]


[51]            En même temps, la nature définitive de la décision exige un examen soigneux. Lorsqu'une plainte est rejetée, le plaignant n'a plus de recours et la décision est d'autant plus importante. Il n'est pas nécessaire d'interroger soigneusement tous les témoins mentionnés par le plaignant pour qu'une enquête soit complète. Toutefois, si le fond de la plainte n'est pas examiné, il faudra conclure que l'enquête n'est pas valable parce qu'elle manque de rigueur.

[52]            En examinant la question de savoir si les allégations de discrimination de la demanderesse justifiaient un examen supplémentaire, l'enquêteur a jugé que le défendeur avait tenu compte des besoins de la demanderesse pendant qu'elle travaillait encore, jusqu'en 1997. Il ne s'est pas penché sur le fond de la plainte, qui était que lorsque le congé non rémunéré avait été accordé, il n'avait plus été question d'accommodement. L'enquêteur semble avoir accepté la position du défendeur selon laquelle il avait fait tout ce qu'il pouvait pour tenir compte des besoins de la demanderesse et qu'il ne pouvait pas en faire davantage.

[53]            Il n'y a aucune preuve, selon le rapport, que d'autres solutions aient été envisagées sauf pour obliger la demanderesse soit à prendre sa retraite soit à préciser la date de son retour au travail. La demanderesse prétend qu'on aurait pu tenir compte de ses besoins en lui accordant une année de congé pour besoins personnels ou en prolongeant le congé non rémunéré pour une autre année, mais que la direction n'a jamais envisagé cette possibilité. Par contre, la politique prévoit, malgré le délai de deux ans, la possibilité de prolonger le congé et la nécessité de tenir compte des besoins spéciaux de l'employé pour récupérer.

La direction doit régler les cas de congé non rémunéré dans les deux ans qui suivent la date du début du congé, mais cette période peut être prolongée si des circonstances exceptionnelles le justifient.

La période de congé non rémunéré doit être suffisamment souple pour permettre aux gestionnaires de tenir compte des besoins des employés ayant des problèmes particuliers de réadaptation, comme le besoin d'un recyclage.


[54]           Voilà précisément le fondement de la plainte, savoir que l'état de santé de la demanderesse ne lui permettait pas de préciser le moment où elle irait mieux. On pouvait donc dire qu'elle souffrait de « problèmes particuliers de réadaptation » dont il fallait tenir compte.

[55]           Comme pour ce qui concerne la politique mentionnée plus haut, l'enquêteur ne constate aucune discrimination à première vue, cette fois contre la demanderesse en particulier, puisque l'employeur n'a fait qu'appliquer la politique. Toutefois, il n'y a aucune preuve que l'enquêteur ait tenté de vérifier comment la politique avait été appliquée à l'égard d'autres employés en congé non rémunéré pour des raisons médicales, ce qui constituerait, bien évidemment, le point de départ de l'analyse qui permettrait de déterminer si la demanderesse avait réellement été victime de discrimination.


[56]            L'enquêteur semble également ne pas s'être interrogé sur la manière dont la politique avait été appliquée à la demanderesse en comparaison avec la manière dont elle était appliquée à d'autres personnes. Il répond aux allégations de la demanderesse concernant le fait qu'on n'a pas tenu compte de ses besoins en mentionnant simplement le contre-argument du défendeur sur les mesures d'accommodement prises entre 1993 et 1997. Il ne se penche jamais sur les mesures d'accommodement prises après le début du congé non rémunéré. Il s'agit donc d'une analyse incomplète et cette lacune est fatale pour ce qui concerne la décision de la Commission qui est fondée sur les recommandations de l'enquêteur. Dans Kollar c. Banque canadienne impériale de commerce, [2002] A.C.F. no 1125 (1re inst.) (QL), affaire dans laquelle la plainte de harcèlement sexuel avait été rejetée par la CCDP, le juge O'Keefe a dit, au paragraphe 40 :

La Commission n'est pas obligée d'accepter les recommandations de l'enquêteur, mais si elle le fait et que l'enquête est par la suite jugée déficiente en raison d'un manque de rigueur, la décision de la Commission est également déficiente et ne peut être confirmée [...]

[57]            La demanderesse contredit le défendeur sur plusieurs points, mais l'enquêteur n'examine pas ces questions; il accepte tout simplement l'opinion du défendeur et il rejette les allégations de la demanderesse, par exemple :

- plusieurs personnes en congé non rémunéré pour des raisons médicales étaient en congé non rémunéré depuis plus longtemps que la demanderesse; néanmoins, elles n'avaient pas été incitées à prendre leur retraite ou à retourner au travail;

- le défendeur n'a proposé aucun accommodement, notamment une prolongation du congé, pour permettre à la demanderesse de retourner au travail lorsqu'elle serait mieux;

- le défendeur n'a jamais offert ni mentionné aucun programme ou service de réhabilitation;

[58]            Ces allégations sont graves mais elles ont été rejetées du revers de la main. Il n'est pas dit, dans le rapport, si l'employeur a bien tenté de composer avec la demanderesse dans le but de l'aider à retourner au travail. L'affidavit de la demanderesse nous apprend que lorsque la période de deux ans a pris fin, la direction a commencé à insister pour qu'elle prenne sa retraite ou précise la date de son retour au travail. Elle allègue que d'autres personnes n'ont pas été traitées de la même manière et qu'au contraire, on leur a accordé plus de latitude. L'allégation n'est pas réfutée et la plainte est tout de même rejetée.

[59]            Au paragraphe 36 de l'affaire Kollar, précitée, le juge O'Keefe écrit, sur la rigueur :

[...] Par conséquent, je dois maintenant déterminer si, en l'espèce, l'affaire a été étudiée avec suffisamment de rigueur. Ce faisant, je dois être convaincu que les rapports parlaient de toutes les questions fondamentales que le requérant avait soulevées dans sa plainte. S'il y a eu des omissions dans les rapports, ces omissions pouvaient-elles être corrigées par les observations que le requérant a faites en réponse aux deux rapports d'enquête? (En l'espèce, le requérant a soumis des réponses extrêmement détaillées). Je dois également être convaincu que l'omission, le cas échéant, n'était pas importante ou fondamentale aux fins de l'issue de l'affaire. S'il s'agissait d'une omission fondamentale, le contrôle judiciaire serait justifié. (À cet égard, voir la mention, par le juge Nadon, des remarques que le juge en chef Lamer avait faites dans l'arrêt Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque (1993) 93 C.L.L.C. 12,104 (C.S.C.).

Toutefois, en arrivant à ma décision, je devrais également tenir compte des remarques que le juge Nadon a faites, à la page 36 de l'arrêt Slattery (précité) :

Le fait que l'enquêteuse n'ait pas interrogé chacun des témoins recommandés par la requérante et le fait que la conclusion tirée par l'enquêteuse ne mentionne pas chacun des prétendus incidents de discrimination n'ont pas non plus de conséquence absolue. Cela est encore plus vrai lorsque la requérante a l'occasion de combler les lacunes laissées par l'enquêteuse en présentant subséquemment ses propres observations. En l'absence de règlements qui lui donnent des lignes directrices, l'enquêteuse, tout comme la CCDP, doit être maître de sa propre procédure, et le contrôle judiciaire d'une enquête prétendument déficiente ne devrait être justifié que lorsque l'enquête est manifestement déficiente.

C'est dans ce cadre qu'il faut examiner la décision de la Commission.

[60]            Dans Kollar, précité, aux paragraphes 39 et 40, le juge O'Keefe a dit que parce que le rapport de l'enquêteur n'avait pas porté sur le premier volet de la plainte concernant le harcèlement sexuel, cela voulait dire que la décision de la Commission était erronée parce que l'affaire n'avait pas été étudiée avec suffisamment de rigueur :

[...] L'enquêteur pouvait légitimement analyser les états de service de la demanderesse, mais il aurait également dû tenir compte, dans son rapport, des éléments de preuve relatifs aux accusations de harcèlement sexuel. Le rapport d'enquête ne porte pas sur ces éléments de preuve. L'enquêteur a-t-il jugé ces éléments de preuve non admissibles? Ni son rapport ni le dossier ne permettent de répondre à cette question. À mon avis, le rapport d'enquête ne traite pas de ces éléments de preuve et, en conséquence, le rapport d'enquête ne porte pas sur le premier volet de sa plainte dans lequel la demanderesse reproche à la défenderesse de ne pas lui avoir assuré un milieu de travail exempt de tout harcèlement. L'enquêteur aurait dû traiter de cet aspect de la plainte dans son rapport d'enquête. À mon avis, l'enquête était, sous ce rapport, déficiente parce qu'elle manquait de rigueur.

[40] La Commission n'est pas obligée d'accepter les recommandations de l'enquêteur, mais si elle le fait et que l'enquête est par la suite jugée déficiente en raison d'un manque de rigueur, la décision de la Commission est également déficiente et ne peut être confirmée. Je suis d'avis que la décision de la Commission est erronée étant donné qu'elle ne traite pas du premier motif de plainte de la demanderesse, en l'occurrence le fait que son employeur ne lui aurait pas assuré un milieu de travail exempt de tout harcèlement. Pour cette raison, je suis d'avis d'annuler la décision de la Commission et d'ordonner la tenue d'une nouvelle enquête.


[61]            En l'espèce, la demanderesse a présenté des observations détaillées en réponse au rapport de l'enquêteur, et la Commission était saisie de ces observations. Néanmoins, la Commission n'explique, dans sa décision, ni pourquoi l'absence d'accommodement n'était pas en soi discriminatoire, ni le sens de l'expression « difficultés excessives » . Le rapport de l'enquêteur, que la Commission adopte, laisse à penser que si on devait conserver « indéfiniment » les employés en congé non rémunéré, cela causerait des difficultés excessives à l'employeur. La demanderesse n'a jamais demandé qu'on la garde indéfiniment; elle a demandé plus de temps pour récupérer et pour examiner les solutions possibles. Le refus de cette demande n'a jamais été expliqué ni justifié régulièrement et il n'a pas non plus fait l'objet d'un examen par la Commission. Voilà la principale lacune du rapport et de la décision de la Commission fondée sur ce rapport qui, selon moi, justifie l'intervention judiciaire sur la deuxième question.

CONCLUSION

[62]            Pour ces motifs, j'accueillerai la demande de contrôle judiciaire, j'annulerai la décision du 7 février 2003 de la CCDP et je renverrai la question devant la Commission pour que les plaintes de la demanderesse fassent l'objet d'un examen par un nouvel enquêteur, conformément aux présents motifs et j'accorderai les dépens à la demanderesse.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision du 7 février 2003 de la CCDP est annulée. La question est renvoyée devant la Commission et les plaintes de la demanderesse seront examinées par un nouvel enquêteur, conformément aux présents motifs. La demanderesse a droit aux dépens.

                                                                              _ Michel Beaudry _              

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


ANNEXE

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6


7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

15. (1) It is not a discriminatory practice if

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées; (...)

(a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification or preference in relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement; (...)


(2) Les faits prévus à l'alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l'alinéa (1)g), s'il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité. (...)

(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost. (...)

44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.

(...)

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

(...)

(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

(...)

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(...)

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié, (...)

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, (...)



                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :           T-125-03

INTITULÉ :          DIANE SKETCHLEY

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 15 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                       LE 20 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Andrew J. Raven                                              POUR LA DEMANDERESSE

Jan Brongers                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron, Ballantyne

& Yazbeck                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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