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     Date: 20000201

     Dossier : IMM-430-99

Ottawa, Ontario, ce 1er jour de février 2000

En présence de M. le juge Pelletier

ENTRE :

     ALAIN ERIC NOWA

     Partie demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Partie défenderesse



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]      M. Alain Eric Nowa [ci-après M. Nowa] est un ressortissant de la République du Congo. Il fuit le Congo suite à plusieurs tentatives d"arrestation de la part de la sécurité présidentielle et suite à ses activités politiques, comprenant une dénonciation lors d"une émission de radio des pratiques douteuses du gouvernement en matière de gestion financière. En plus d"avoir fait l"objet d"enquêtes, M. Nowa a aussi fait l"objet d"une tentative d"assassinat lorsqu"une voiture sans plaques d"immatriculation a essayé de l"écraser lorsqu"il s"apprêtait à monter dans un taxi. Ce qui a finalement incité M. Nowa à quitter le pays, ce sont les nombreuses perquisitions à son domicile, la dernière datant du 7 mai 1995.

[2]      M. Nowa se rend au Canada en passant par le Cameroun (2 jours), la France (13 jours) et les États-Unis ( 1 jour), sans pour autant réclamer le statut de réfugié dans un de ces pays. Il arrive au Canada le 17 juin 1995, réclame le statut de réfugié et se fait interroger par un agent d"immigration. Selon les notes de ce dernier, M. Nowa est célibataire. Cependant, dans le Formulaire de Renseignements Personnels [ci-après FRP ], M. Nowa fait référence à sa conjointe de fait qu"il nomme précisément son épouse. Selon les notes de l"agent d"immigration que l"on retrouve dans la fiche d"interrogatoire, M. Nowa aurait nié avoir eu certaines difficultés avec la police. Cependant, dans le FRP, M. Nowa raconte les tentatives d"arrestation et d"assassinat qu"il a subies. L"agent d"immigration finit par s"exprimer ainsi au pied de la fiche d"interrogatoire :

     Revendication me semble non fondé dans la déclaration du sujet qui m"apparaît consue de fils blancs et je crois que cette revendication devrait soit [sic] contestée sur toute la ligne...

[3]      M. Nowa nie avoir donner les réponses qu"on retrouve dans les notes de l"agent. Également, il mentionne qu"il y avait deux agents d"immigration à l"entrevue et non un seul.

[4]      La Ministre de l"Immigration et de la Citoyenneté signifie son intention de participer à l"audition de la requête de M. Nowa à la suite de l"opinion de l"agent d"immigration.

[5]      Le procureur de M. Nowa s"oppose à l"utilisation de la fiche d"interrogatoire pour contredire ou contre-interroger son client. En s"appuyant sur les articles 115 et 116 de la Loi sur l"immigration, L. R.C. 1985, c. I-2 [ci-après Loi], le procureur de M. Nowa exige qu"un formulaire établi par arrêté soit démontré avant que la fiche d"interrogatoire soit acceptée comme preuve. Cependant, la Section du statut [ci-après Section ] décide que la fiche est recevable en tant que preuve dû au fait qu"elle est, en vertu de l"article 68(3) de la Loi , une preuve "crédible et digne de foi" et en raison du fait que la question d"établissement du formulaire par arrêté n"est pas pertinente en l"espèce. Maître Lebrun, procureur de M. Nowa, demande alors que l"audition soit remise pour lui permettre d"obtenir la comparution des agents d"immigration. Ceci lui est accordé.

[6]      À la reprise de l"audition, les agents d"immigration n"ont pas comparu devant la Section car l"un deux se retrouvait dans l"ouest canadien et M. Nowa ne possédait malheureusement pas les moyens pour le faire venir devant la Section afin qu"il puisse témoigner. Également, un des deux commissaires n"était pas présent dû au fait qu"il était malade. Donc, l"autre commissaire, soit le commissaire qui était présent à l"audition, a donné le choix au demandeur de soit remettre l"audition encore une autre fois ou de continuer l"audition devant un seul commissaire. Par contre, le commissaire a ajouté que si l"audition devait continuer seulement devant lui, la décision serait tout de même prise par les deux commissaires lorsque l"autre commissaire aurait écouté l"enregistrement de la séance. M. Nowa a choisi de continuer l"audition devant un seul commissaire.

[7]      Depuis le départ de M. Nowa de la République du Congo, il y a eu un changement de gouvernement. En effet, les personnes que M. Nowa craignait ne sont plus au pouvoir et le leader de son parti a fait partie du conseil de transition. La réclamation que M. Nowa présente devant la Section est basée sur une crainte de persécution en raison de son opinion politique et que son appartenance au groupe Batéké.

[8]      La Section a refusé la revendication de M. Nowa. La décision, signée par les deux commissaires, est fondée sur les contradictions qu"on retrouve entre le FRP de M. Nowa et le témoignage de celui-ci et entre le FRP et la fiche d"interrogatoire. Selon la Section, la réclamation de M. Nowa d"une crainte de persécution en raison de son appartenance au groupe Batéké semble avoir été ajoutée "pour les besoins de la cause". En somme, la Section a conclu que la revendication de M. Nowa manquait de crédibilité.

[9]      Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Nowa s"attaque au fait qu"il y a eu le dépôt de la preuve de la fiche d"interrogatoire sans qu"il y ait eu preuve que le formulaire en question avait été établi par arrêté. Également, nonobstant son consentement de continuer l"audition en présence d"un seul commissaire, M. Nowa soumet qu"il semble injuste que le commissaire qui était absent de l"audition fasse partie d"une décision où on a conclu qu"il n"était pas crédible. Aussi, M. Nowa mentionne qu"il est injuste que ce même commissaire soit arrivé à des conclusions de crédibilité sur la foi d"un enregistrement sans avoir eu l"opportunité de l"observer. Enfin, il trouve que la Section a eu tort de ne pas avoir fait valoir sa peur de persécution en tant que membre du groupe des Batékés.

[10]      L"article 115 de la Loi donne au Ministre le pouvoir de créer les formulaires nécessaires pour les fins de l"acte. Quant à l"article 116, il est un article dont l"objet est de faciliter la preuve de l"authenticité et du contenu de documents à caractère officiel.


115. Le ministre peut, par arrêté :

a) établir les formulaires qu"il juge nécessaires pour l"application de la présente loi, à l"exception de ceux qui ont trait aux revendications, aux appels et aux demandes présentés devant la section du statut ou la section d"appel;

115. The Minister may, by order,

(a) establish such forms as the Minister deems necessary for the purposes of the administration of this Act, other than forms relating to claims, appeals and applicants before the Refugee Division or the Appeal Division; and

b) désigner, pour l"application de la présente loi, des points d"entrée et des postes d"attente.

(b) designate ports of entry and immigrant stations for the purposes of this Act.

116. (1) Tout document - mesure de renvoi, de renvoi conditionnel ou de refoulement, mandat, ordre, arrêté, ordonnance, citation à comparaître, instruction ou autre - censé signé par celui qui a le pouvoir ou l"obligation de le rédiger aux termes de la présente loi, notamment par le ministre, le ministre de la Santé, le sous-ministre, un arbitre, un agent d"immigration ou un responsable de véhicule fait foi de son contenu dans toute procédure relevant de la présente loi, sans qu"il soit nécessaire de prouver l"authenticité de la signature qui y est apposée ou la qualité officielle du signataire, celles-ci ne pouvant être contestées que par le ministre ou par une personne agissant en son nom ou au nom de Sa Majesté.

116. (1) Every document purporting to be a removal order, conditional removal order, rejection order, warrant, order, summons, direction or other document signed by the Minister, the Minister of Health, the Deputy Minister, an adjudicator, and immigration officer, a master or other person authorized or required by or under this Act to make the document is, in any prosecution or other proceeding under or arising out of this Act, evidence of the facts contained therein without proof of the signature or the official character of the person appearing to have signed the document, unless called into question by the Minister or any person acting for the Minister or for Her Majesty.


[11]      La Section a eu raison de ne pas rejeter la fiche d"interrogatoire. La question de la légalité du formulaire n"est pas pertinente à la question de l"admissibilité du document comme preuve des faits qui y sont inscrits. L"article 115 entre en jeu lorsqu"il est question de la validité d"un acte ou d"une ordonnance. Par exemple, si le Ministre, par arrêté, établit un formulaire de mesure d"expulsion, un immigrant pourra s"objecter à son expulsion si un agent d"immigration essaie de le renvoyer du pays en se fiant sur un formulaire de mesure d"expulsion qui ne se conforme pas à celui établi par le Ministre. L"article 115 a trait au caractère formel d"un document et non à la valeur de celui-ci comme preuve.

[12]      En ce qui concerne l"article 116, il a comme objectif d"éliminer la nécessité de faire comparaître devant le tribunal chaque personne qui a signé un document au dossier pour faire preuve de l"authenticité du document en question. Statuant également que le document fait foi de son contenu, cet article écarte l"application des règles techniques du oui-dire. Il est également bien de noter que ces dernières règles techniques sont maintenant inapplicables selon l"article 68(3) de la Loi.

68 (3) La section du statut n"est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu"elle juge crédibles ou dignes de foi en l"occurrence et fonder sur eux sa décision.

68 (3) The Refugee Division is not bound by any legal or technical rules of evidence and, in any proceedings before it, it may receive and base a decision on evidence adduced in the proceedings and considered credible or trustworthy in the circumstances of the case.

[13]      Il était donc de la compétence de la Section de recevoir et de jauger la valeur probante des notes de l"agent d"immigration en ce qui concerne le récit qu"a raconté M. Nowa à celui-ci. Par contre, l"opinion de l"agent d"immigration sur le fond de la revendication n"était pas pertinente pour les questions en litige que la Section devait traiter. Or la décision de la Section ne laisse aucun doute que l"opinion de l"agent d"immigration entra dans ses délibérations :

     Les réponses fournies par le demandeur ne nous ont pas convaincus et conformément à la jurispridence, le tribunal accorde une valeur probante à la fiche d"interrogatoire et à l"opinion de l"agent d"immigration (mon soulignement) .

[14]      Ainsi, s"ayant basée sur l"opinion de l"agent d"immigration, la Section a commis une erreur de droit. La tâche de la Section était de trancher la question en ce qui concerne la réclamation de M. Nowa. C"était une tâche qui était sous l"expertise de la Section dans le domaine des réfugiés. Cependant, il n"appartenait pas à la Section d"accueillir l"opinion de l"agent d"immigration sur la question ultime dont elle était saisie, soit sur la crédibilité de M. Nowa.

[15]      Comme le dit si bien le juge Jerome J.C.A. dans l"affaire Gnanapragasm c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1994] A.C.F. No. 1348 :

     There are a number of factors which must be considered in the determination of a Convention refugee claim and it is the function of the Refugee Division to assess the likelihood of persecution based on all the evidence before it. It is not incumbent on the tribunal to accept the opinions of third parties concerning the ultimate issue which it has to determine.

[16]      Pour ces motifs, la décision de la Section est annulée et l"affaire est renvoyée à d"autres commissaires en vue d"une nouvelle audition.

[17]      Le procureur de M. Nowa suggère trois questions qui pourraient être certifiées comme questions sérieuses d"application générale et je cite :

     (1)      Lorsque par suite d"événements qui surviennent dans son pays d"origine durant son absence, événements qui produisent un changement de circonstances tel qu"il fait naître de nouveaux motifs pouvant soutenir une demande pour être qualifié de REFUGIE SUR PLACE la Section du statut est-elle en droit de fonder sa décision sur des faits ou des événements antérieurs présentés avant ce changement sans se prononcer sur les nouveaux motifs énoncés?
     (2)      Lorsque la Commission considère un document, soit une fiche d"interrogatoire au point d"entrée, censé signé par celui qui a le pouvoir ou l"obligation de le rédiger aux termes de la loi, et que celui-ci émet dans ce document une opinion contraire au demandeur, la Commission est-elle en droit d"accorder une valeur probante à la fiche d"interrogatoire et à l"opinion de l"agent d"immigration en s"appuyant sur la jurisprudence ou sur les dispositions de l"article 116 de la Loi sur l"immigration qui stipule que ce document fait foi de son contenu dans toute procédure relevant de la Commission?
     (3)      Lorsqu"en Cour d"audience, la Commission rend verbalement une décision sur une objection et qu"elle fait part ultérieurement de cette objection dans sa décision écrite, la Commission commet-elle une erreur en droit en s"appuyant sur des motifs autres que ceux qui furent énoncés verbalement lors de l"audience?

[18]      Je ne crois qu"aucune de ces questions mérite d"être certifiée. La première et la troisième ne sont pas soulevées par la disposition que j"ai fait de la demande. La deuxième question a été tranchée dans ces motifs de façon qui ne déplaira pas Maître Lebrun et son client. De toute façon, ce n"est pas une question sur laquelle il y aurait une controverse.

[19]      En conséquence, je ne certifie aucune question.
     ORDONNANCE

     La décision de la Section est annulée et l"affaire est renvoyée à d"autres commissaires en vue d"une nouvelle audition.




     "J.D. Denis Pelletier"

     Juge

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