Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010420

Dossier : IMM-3748-00

Référence neutre : 2001 CFPI 367

ENTRE :

                                      Lilifar SABIROVA

                                       Alina SABIROVA

                                        Faruh SABIROV

                                  Abdusshukur SABIROV

                                                                                        demandeurs

                                                  - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                               ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]    Les demandeurs, des citoyens du Kirghizistan, prétendent craindre avec raison d'être persécutés à cause de leurs opinions politiques imputées et de leur appartenance à un groupe social particulier, les Ouïgours.


[2]                Les faits pertinents sont relativement simples. Le demandeur, Abdusshukur Sabirov, le père d'Alina et de Faruh et le mari de Lilifar, a, en 1998, publiquement affirmé son désaccord avec le point de vue défendu par trois hommes, des Ouïgours du Turkestan et de Chine, qui étaient d'avis que des forces armées étaient nécessaires pour [TRADUCTION] « libérer » des Ouïgours dans leur pays respectif. M. Sabirov prétendait que des solutions pacifiques, par le biais d'un dialogue politique et diplomatique, étaient préférables à la violence.

[3]                Après ces discours, les trois hommes ont été arrêtés puis extradés en Chine où ils ont été exécutés. Des rumeurs disant que M. Sabirov était un informateur de police et avait contribué à l'arrestation des trois hommes se sont alors propagées. Selon la preuve présentée par les demandeurs, les familles des trois hommes cherchaient vengeance et les demandeurs ne pouvaient pas obtenir la protection de l'État. Par conséquent, ils ont recherché une protection au Canada.

[4]                Dans sa décision, la Commission a indiqué que l'opinion politique de M. Sabirov « en est une dénonçant les politiques internes de la Chine » . La Commission a raison de dire que l'opinion de M. Sabirov porte sur la Chine. Toutefois, cette opinion n'a rien à voir avec la persécution alléguée. La preuve montre que la persécution alléguée découle du soupçon que M. Sabirov a dénoncé les trois hommes à la police.


[5]                La question qui ressort de la preuve est de savoir si les actes de violence commis à l'endroit du fils de M. Sabirov, découlant du soupçon que M. Sabirov est un informateur, c.-à.-d. un traître, constitue de la persécution d'après les critères de la Convention. Je crois que la Commission n'a pas abordé cette question qui aurait dû l'être.

[6]                La Commission a plutôt semblé être d'avis que parce que l'opinion de M. Sabirov ne concernait pas son pays, c.-à.-d. parce que son opinion portait sur la Chine, la persécution alléguée ne pouvait pas être visée par les motifs de la Convention. À la page 3 de sa décision, la Commission a exprimé son point de vue de la manière suivante :

Pour se prévaloir des « opinions politiques » ou des « opinions politiques imputées » comme motifs de persécution, le revendicateur doit démontrer qu'il s'agit d'une opinion politique pour laquelle son pays de nationalité le persécute ou pour laquelle il ne peut lui assurer une protection adéquate. Dans les revendications devant le tribunal, l'opinion politique du revendicateur en est une dénonçant les politiques internes de la Chine. La preuve n'a démontré aucun motif de persécution lié au Kirghizistan. Par conséquent, le tribunal conclut que le revendicateur n'a pas réussi à démontrer l'existence d'un lien.

[7]                À mon avis, la Commission confond le lien nécessaire entre la persécution alléguée et les motifs en vertu desquels la protection de la Convention peut être accordée. Un revendicateur doit prouver qu'il a raison de craindre d'être persécuté et que sa crainte repose sur l'un des motifs prévus par la Convention.


[8]                Parce qu'elle considère que les « actes de violence » découlaient d'un désir de vengeance, la Commission a conclu que ces actes ne constituaient pas de la persécution. Je crois que c'est une erreur. La raison particulière ayant suscité des « actes de violence » n'est pas pertinente. Il importe de savoir si les actes de « vengeance » équivalaient à de la persécution et, le cas échéant, s'ils peuvent être liés à un motif de la Convention.

[9]                En ce qui concerne l'autre conclusion de la Commission, soit que le pays des demandeurs pouvait les protéger adéquatement, je suis également d'avis que la Commission a eu tort. Au soutien de sa conclusion, la Commission s'est reportée à la pièce P-8, un certificat délivré par le chef du service de police de Sverdlovsk, qui prévoit :

[TRADUCTION] Le présent document est remis à la citoyenne Lilifar Ayazovna Sabirova, qui habite dans la ville de Bishkek, Sovetskaya STR, édifice 101 app. 112, pour confirmer le fait que son fils, Faruh Abdushkurovich, né le 12 avril 1985, a été agressé en 1999. Par conséquent, une enquête criminelle par suite d'une plainte a été ouverte sous le numéro 3-99-3445 le 9 sept. 1999 et une autre enquête sous le numéro 3-99-3850 le 10 octobre 1999, a été ouverte par suite d'un vol et d'une extorsion.

L'enquête numéro 3-99-3445 a été close par manques d'information sur les agresseurs tandis que l'enquête numéro 3-99-3850 se poursuit [...]


[10]            Le document montre que la police a commencé deux enquêtes, dont l'une est toujours en cours et l'autre fermée à cause du manque d'information sur les agresseurs. La question de savoir si oui ou non l'État peut adéquatement protéger les demandeurs est une tout autre affaire. Je pense que les motifs donnés par la Commission n'abordent pas vraiment la question en litige. Selon la preuve présentée par les demandeurs, la police n'avait pas l'intention de les protéger. Ce renseignement a été donné aux demandeurs par l'avocat qu'ils avaient retenu. Comme la Commission n'a pas rendu de conclusion défavorable en ce qui concerne la crédibilité des demandeurs, elle devait évaluer la protection de l'État à la lumière de la preuve dont elle disposait. Je suis d'avis qu'elle ne l'a pas fait.

[11]            Pour ces motifs, la décision de la Commission ne peut pas être maintenue. La décision est donc annulée et l'affaire renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour une nouvelle audience et un nouvel examen.

                                                                                        Marc Nadon

                                                                                               J.C.F.C.

O T T A W A (Ontario)

le 20 avril 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                    IMM-3748-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :    LILIFAR SABIROVA

ALINA SABIROVA

FARUH SABIROV

ABDUSSHUKUR SABIROV

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                    MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 19 AVRIL 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : MONSIEUR LE JUGE NADON

EN DATE DU :                                    20 AVRIL 2001

ONT COMPARU :

PAUL DUCHOW                                                       LES DEMANDEURS

MICHEL SYNNOTT                                                 LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PAUL DUCHOW                                                       LES DEMANDEURS

MONTRÉAL (QUÉBEC)

MORRIS ROSENBERG                                             LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.