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Date : 20020725

Dossier : IMM-5954-00

Référence neutre : 2002 CFPI 822

Toronto (Ontario), le jeudi 25 juillet 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                SINNATHAMBY SINNIAH

                                                                                                  demandeur

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]    Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la question est de savoir si une agente des visas a commis une erreur en concluant que M. Sinniah n'avait pas validement adopté la nièce de son épouse, Rajakumari Rasaratnam, et qu'il n'y avait pas de lien de filiation entre M. Sinniah et son épouse d'une part et Mlle Rasaratnam de l'autre.


CONTEXTE

[2]    M. Sinniah est un citoyen du Sri Lanka. Quand il a demandé la résidence permanente au Canada, il a inclus en tant que personne à charge la nièce de sa femme, Mlle Rasaratnam, en déclarant qu'elle était sa fille adoptive. Le 26 octobre 1999, M. Sinniah et son épouse ont été interrogés par une agente des visas au Haut-Commissariat du Canada à Colombo, au Sri Lanka. Dans une lettre en date du 30 mai 2000, l'agente des visas a déterminé que Mlle Rasaratnam ne pouvait obtenir l'admission au Canada à titre de fille adoptive à charge accompagnant un immigrant.

LA DÉCISION DE L'AGENTE DES VISAS

[3]    L'agente des visas n'a pas été convaincue de la légalité de l'adoption. Dans sa lettre de refus, elle motive sa conclusion de la manière suivante :

[TRADUCTION]

Vous avez déclaré sous serment devant les tribunaux que vous n'avez pas eu d'enfant de votre mariage, alors que vous avez indiqué au cours de l'entrevue et dans votre demande que vous avez eu sept enfants de votre mariage. Vous avez déclaré au cours de l'entrevue que vous résidez à Negombo et que vous n'avez jamais habité Chilaw, alors que vous avez déclaré sous serment devant le tribunal que vous résidez à Chilaw.

Étant donné que certains faits ont été déguisés dans la demande d'adoption, je ne suis pas convaincue que l'adoption est conforme au droit du Sri Lanka.

[4]    Subsidiairement, l'agente des visas a conclu que même si l'adoption était conforme au droit du Sri Lanka, la demande serait quand même refusée étant donné qu'elle n'était pas convaincue que l'adoption avait créé un lien de filiation véritable pour la raison suivante qu'elle a exprimée dans sa lettre de refus :


[TRADUCTION]

Vous prétendez avoir élevé votre fille adoptive depuis que son père a quitté le foyer en 1990. Toutefois, il a été révélé au cours de l'entrevue que vous avez laissé votre supposée fille adoptive dans un village au nord du Sri Lanka et que vous êtes venu vous installer à Colombo en 1997 avec votre épouse et votre fils naturel. Il s'agit là d'une preuve que vous ne considérez pas votre fille adoptive comme faisant partie de votre famille.

Je ne suis pas convaincue qu'un véritable lien de filiation a été créé entre vous et votre nièce. Qui plus est, je crois que l'adoption a eu lieu dans le but de permettre à votre nièce d'obtenir l'admission au Canada en tant que membre de la catégorie de la famille.

DISPOSITION LÉGISLATIVE PERTINENTE

[5]                 Pour que Rajakumari Rasaratnam puisse être incluse dans la demande de résidence permanente de M. Sinniah à titre de fille adoptive, il faut qu'elle respecte la définition du mot « adopté » qui se trouve au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, qui stipule ce qui suit :


« adopté » Personne adoptée conformément aux lois d'une province ou d'un pays étranger ou de toute subdivision politique de celui-ci, dont l'adoption crée avec l'adoptant un véritable lien de filiation. La présente définition exclut la personne adoptée dans le but d'obtenir son admission au Canada ou celle d'une personne apparentée.

"adopted" means a person who is adopted in accordance with the laws of a province or of a country other than Canada or any political subdivision thereof, where the adoption creates a genuine relationship of parent and child, but does not include a person who is adopted for the purpose of gaining admission to Canada or gaining the admission to Canada of any of the person's relatives.


[6]                 Dans l'arrêt Gill c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 229 N.R. 267, la Cour d'appel fédérale a confirmé l'investigation en deux étapes qu'exige la définition, telle que décrite par le juge MacKay dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Edrada (1996), 108 F.T.R. 60 (C.F. 1re inst.). Le juge MacKay y écrit ceci aux paragraphes 18 et 19 :


[...] La définition du terme « adopté » au paragraphe 2(1) implique une investigation en deux étapes, savoir en premier lieu si la loi du pays étranger en matière d'adoption a été respectée et, en second lieu, s'il est créé un lien entre père et même et enfant.

[...]

Afin de prouver l'adoption au regard de cette définition, il est nécessaire d'établir l'existence d'un lien de filiation, outre l'observation des lois applicables en la matière.

ANALYSE

(i) L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que les lois en matière d'adoption au Sri Lanka n'ont pas été respectées?

[7]                 La question dont était saisie l'agente des visas n'était pas strictement de savoir si Mlle Rasaratnam avait, au Sri Lanka, le statut d'enfant adoptée, mais plutôt de savoir s'il y avait eu une adoption [TRADUCTION] « conforme au droit du » Sri Lanka. Voir : Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 37 (C.A.F.), au paragraphe 17.

[8]                 La meilleure preuve que l'adoption est conforme aux lois d'un pays est une ordonnance ou un jugement définitif à cet effet parce que, malgré que l'un ou l'autre puisse faire l'objet d'un appel ou être infirmé, un jugement règle définitivement la question entre les parties et les personnes qui leur sont associées, et constitue à l'égard des tiers une preuve probante de l'existence du jugement, de sa date et de ses effets juridiques. Voir : Halsbury's Laws of England (4th) volume 37 au paragraphe 1224.


[9]                 Bien qu'un jugement obtenu par fraude ou irrégularité puisse être infirmé, ce n'est pas toutes les irrégularités qui justifient l'annulation d'une ordonnance. De même, comme le dit l'ouvrage Halsbury's Laws of England (4th) volume 37, au paragraphe 1210 :

[TRADUCTION]

Un jugement qui a été obtenu par fraude soit en cour soit de l'une ou l'autre des parties peut être annulé s'il est contesté au cours d'une nouvelle instance alléguant et prouvant la fraude. Dans ce genre d'instance, il n'est pas suffisant de simplement alléguer la fraude sans donner de détails, et la fraude doit être reliée à des questions qui à première vue constitueraient une raison d'infirmer le jugement si elles étaient établies par la preuve, et non pas à des questions qui sont simplement incidentes. La Cour exige que des arguments irréfutables soient établis avant d'annuler un jugement pour ce motif et l'instance pourra être suspendue ou rejetée comme étant vexatoire à moins que la faute alléguée ait une chance raisonnable de succès et qu'elle ait été découverte après le jugement. [renvois omis]

[10]            Au cours de l'entrevue, l'agente des visas avait en sa possession l'ordonnance formelle d'adoption délivrée par une cour de justice du Sri Lanka de même que la déclaration sous serment faite par M. Sinniah et son épouse à l'appui de leur demande en vue d'obtenir une ordonnance d'adoption. L'agente des visas a adopté l'opinion suivante, comme l'indiquent ses notes dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration :

[TRADUCTION]

À MON AVIS, L'ADOPTION N'EST PAS LÉGALE ÉTANT DONNÉ QUE LES DEMANDEURS ONT PRODUIT DE FAUX RENSEIGNEMENTS INDIQUANT QU'AUCUN ENFANT N'EST NÉ DE LEUR MARIAGE ET QU'ILS ONT DONNÉ UNE FAUSSE ADRESSE DE RÉSIDENCE DANS UNE DÉCLARATION SOUS SERMENT DEVANT LES TRIBUNAUX.

[11]            L'agente des visas a admis en contre-interrogatoire qu'elle n'était pas avocate, qu'elle n'avait pas consulté d'avocat au sujet de cette affaire particulière et qu'elle ne connaissait pas bien la distinction entre une ordonnance nulle et une ordonnance annulable.


[12]            Dans les circonstances, je conclus qu'il était manifestement déraisonnable pour elle d'ignorer l'effet juridique d'une ordonnance définitive d'une cour de justice et de décider, en l'absence d'une preuve probante, qu'une ordonnance prononcée par une cour du Sri Lanka était insuffisante pour établir le fait que l'adoption avait été faite conformément au droit du Sri Lanka.

[13]            L'agente des visas ne pouvait pas simplement spéculer sur l'effet d'irrégularités apparentes qui étaient accessoires aux faits dont était saisi le tribunal du Sri Lanka à l'appui de la demande.

[14]            Il faut ensuite examiner si l'agente des visas a commis une erreur dans sa deuxième conclusion parce que, pour avoir gain de cause dans la présente demande, M. Sinniah doit établir que les deux conclusions étaient erronées.

(ii) L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Sinniah n'avait pas établi l'existence d'un véritable lien de filiation?


[15]            La question de l'authenticité d'une adoption est une question de fait. La Section d'appel de l'immigration a déclaré qu'il faut examiner un certain nombre de facteurs pour déterminer l'authenticité d'une adoption, notamment le motif de l'adoption, la mesure dans laquelle les parents adoptifs ont donné des soins et exercé un contrôle sur l'enfant depuis l'adoption, la connaissance et la compréhension que les parents adoptifs ont de l'enfant adopté et vice-versa, ainsi que les plans établis pour l'avenir de l'enfant. Voir : Ly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] I.A.D.D. no 1261.

[16]            En l'espèce, l'agente des visas n'a examiné qu'un seul fait, c'est-à-dire que Mlle Rasaratnam avait d'abord été laissée chez un voisin à Jaffna alors que le reste de la famille était partie pour Colombo. La raison qui a été fournie à l'agente des visas au cours de l'entrevue était que Mlle Rasaratnam devait finir ses études. Par la suite, elle a effectivement rejoint M. et Mme Sinniah à Colombo.

[17]            La seule autre preuve pertinente dont était saisie l'agente des visas, qui n'est pas contestée, était que M. Sinniah et son épouse ont assuré la garde et la surveillance de Mlle Rasaratnam pendant les neuf dernières années, c'est-à-dire depuis qu'elle a six ans, quand sa mère naturelle est morte. Mlle Rasaratnam a été abandonnée par son père au décès de sa mère.

[18]            L'explication selon laquelle Mlle Rasaratnam a été laissée à Jaffna pour terminer ses études justifie la conduite de la famille sans que l'on puisse conclure qu'elle a simplement abandonné Mlle Rasaratnam, ce que semble supposer l'agente des visas.


[19]            La conclusion de l'agente des visas selon laquelle il n'y a pas de véritable lien de filiation était, à mon avis, déraisonnable en ce qu'elle n'est pas appuyée par la prépondérance de la preuve, mais qu'elle est plutôt basée uniquement sur une supposition d'abandon, qui a été faite dans des circonstances où la conduite de M. et Mme Sinniah était également compatible avec une conclusion autre que l'abandon.

[20]            En ignorant une autre explication tout aussi plausible pour justifier cette conduite, et en ignorant la prépondérance de la preuve concernant l'existence d'un véritable lien de filiation, l'agente des visas a commis une erreur susceptible de contrôle.

[21]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la décision de l'agente des visas sera annulée. Les avocats n'ont soumis aucune question aux fins de la certification et aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES CE QUI SUIT :

1.          La décision de l'agente des visas rendue le 30 mai 2000, selon laquelle la fille adoptive du demandeur était réputée ne pas être admissible au Canada est annulée, et l'affaire est renvoyée à un nouvel agent pour un nouvel examen.

   

« Eleanor R. Dawson »

ligne

                                                                                                                                Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

No DU GREFFE :                                              IMM-5954-00

INTITULÉ :                                                        SINNATHAMBY SINNIAH

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

  

DATE DE L'AUDITION :                               LE MERCREDI 19 JUIN 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE DAWSON

DATE :                                                                LE JEUDI 25 JUILLET 2002

COMPARUTIONS :

Helen P. Luzius Pour le demandeur

Brad Gotkin                                                                             Pour le défendeur

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Helen P. Luzius                                                                         Pour le demandeur

Avocate

3080, rue Yonge

Bureau 5030

Toronto (Ontario)

M4N 3N1

Morris Rosenberg                                                                     Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                    Date : 20020725

                                       Dossier : IMM-5954-00

Entre :

SINNATHAMBY SINNIAH

demandeur

   

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                

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