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Date : 20020327

Dossier : T-447-01

Référence neutre : 2002 CFPI 353

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

GEARBULK POOL LIMITED

-et-

THULELAND SHIPPING PTE LTD.

demanderesses

- et -

SCAC TRANSPORT CANADA INC.

-et-

SDV LOGISTICS (CANADA) INC.

défenderesses

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'un appel d'une décision rendue par le protonotaire Morneau à l'égard d'une décision sur un point de droit en conformité avec l'article 220 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106. La preuve documentaire dans cette requête a été déposée en anglais et l'une des parties a plaidé dans cette langue. Par conséquent les présents motifs seront rendus en anglais d'abord.


[2]                 On a rendu la décision en s'appuyant sur un exposé conjoint des faits. Au cours des plaidoiries devant le protonotaire, l'avocat des défenderesses a demandé l'autorisation de présenter un document supplémentaire dont on n'avait pas fait mention dans l'exposé conjoint des faits. L'autorisation a été refusée, et la première étape du présent appel vise à saisir le tribunal de ce document afin de trancher l'appel. On soutient que le tribunal devrait admettre le document en preuve parce que sa pertinence n'est devenue évidente qu'après que Gearbulk eut fait valoir que la réclamation relative aux frais de transport ne découle pas du même ensemble de faits que l'instance relative à la cargaison (voir plus loin). Cette lettre est censée démontrer que la seule raison pour laquelle le reste des transformateurs n'ont pas été embarqués consiste en ce que la première caisse est tombée. Lorsque des parties consentent à procéder par un exposé conjoint des faits, elles ne doivent pas s'étonner d'être liées par ces faits. Le tribunal n'a aucune façon de savoir quel compromis on a fait en vue d'en arriver à l'exposé conjoint des faits dont le tribunal est saisi. Il est injuste de permettre à une partie de présenter de nouveaux faits en dehors des faits convenus. Dans le présent cas, la question qui justifie prétendument l'acceptation de faits additionnels en est une à laquelle le demandeur aurait dû s'attendre. On ne donnera pas l'autorisation de déposer le document en question au dossier.


[3]                 Le deuxième volet de l'appel traite de l'effet à donner à une libération mutuelle accordée par les parties dans une autre instance qui découle du même lien factuel. La demanderesse Gearbulk a conclu un accord de transport avec les défenderesses en vertu duquel dix transformateurs devaient être transportés de Sorel (Québec) à Anvers (Belgique) à bord du navire Thuleland. Les transformateurs ont été livrés au port dans des caisses et ils étaient prêts à être chargés, mais alors que l'on procédait au chargement du premier des dix transformateurs, celui-ci est tombé au sol et a été endommagé. On a, par la suite, constaté que les neuf autres caisses étaient identiques à la première ce qui a amené à conclure que les caisses n'étaient pas adéquates pour le chargement. Le Thuleland a appareillé sans les transformateurs.

[4]                 Les propriétaires du transformateur endommagé ont intenté un recours afin de réclamer des dommages-intérêts pour les dommages qui ont été causés à leur bien (l'instance relative à la cargaison). Les défenderesses comprenaient la demanderesse et les défenderesses dans la présente instance, ainsi que la société d'arrimage. Dans le cours de l'instance relative à la cargaison, une demande reconventionnelle a été intentée afin de chercher à recouvrer les montants versés à la société d'arrimage pour le nettoyage du fluide qui s'était échappé lorsque le transformateur a été endommagé. L'instance relative à la cargaison a été réglée au moyen d'une libération mutuelle signée par toutes les parties à l'instance.

Les passages importants de la libération sont ainsi libellés :

           [traduction]

Les demanderesses, en leur nom ainsi qu'au nom de leurs préposés, mandataires, ayants droit et assureurs, par le truchement de leurs procureurs soussignés, reconnaissent, par les présentes, avoir reçu la somme de SOIXANTE-QUINZE MILLE DOLLARS (devises canadiennes) (75 000,00 $CAN) de la défenderesse SCAC Transport Canada Inc. agissant en son propre nom ainsi qu'au nom de ses employés, préposés, mandataires et assureurs, à titre de règlement total et final en capital, intérêts et frais relativement aux actions, causes d'action, réclamations, poursuites en rapport avec tous dommages causés à une cargaison de transformateurs électriques appartenant aux demanderesses (la cargaison), conformément à la déclaration déposée à l'égard de la présente instance.


En contrepartie dudit versement, les demanderesses, par l'entremise de leurs procureurs soussignés, conviennent de payer à la défenderesse Gearbulk Pool Ltd., à même lesdites sommes, et la défenderesse Gearbulk Pool Ltd. décide d'accepter la somme de DIX MILLE TROIS CENT ONZE DOLLARS ET QUARANTE-HUIT CENTS (devises canadiennes) (10 311,48 $CAN) à titre de paiement final et complet versé par Gearbulk Pool Ltd. à Quebec Stevedoring Co. Ltd. à l'égard de toutes les factures relatives au dommage causé à ladite cargaison et au dommage causé par celle-ci, comme il est décrit de façon détaillée dans la procédure et, en particulier, dans l'action pertinente intentée par un tiers.

Étant donné ce qui précède, les parties, en leur propre nom et au nom de leurs employés, préposés, mandataires, et assureurs et au nom du navire « THULELAND » , son capitaine, ses officiers, ses propriétaires, ses affréteurs et ses assureurs d'autre part, s'accordent mutuellement une libération totale et finale et quittance des actions, réclamations, demandes, poursuites et procédures en capital, intérêts et frais de quelque nature que ce soit et à toutes fins que de droit que les parties pourraient avoir l'une contre l'autre ou entre elles à l'égard de tout dommage causé à la cargaison conformément à la déclaration, à la demande reconventionnelle et au recours intenté contre des tiers y afférents comme il a été énoncé plus haut.

[5]                 Après le règlement de l'instance relative à la cargaison, Gearbulk a intenté la présente instance en dommages-intérêts pour perte de cargaison (instance relative au chargement). Les défenderesses ont invoqué la libération mutuelle comme défense dans la poursuite intentée. Compte tenu que le montant de la réclamation était inférieur à 50 000 $, l'instance relative au chargement a été instruite selon les règles de procédure simplifiées. Lors de l'audience préparatoire, la défenderesse a proposé au nom des deux parties de décider de la question de la libération comme s'il s'agissait d'une question de droit. Les parties ont soumis au tribunal un exposé conjoint des faits qui apparaît à l'annexe A des présents motifs. En se fondant sur l'exposé conjoint des faits et sur les arguments qui lui ont été soumis, le protonotaire a décidé que la libération mutuelle ne constituait pas un obstacle à la réclamation de la demanderesse et il a ordonné que l'affaire soit renvoyée à procès. On interjette appel de cette décision.


[6]                 Au cours du débat, on a affirmé que Gearbulk avait présenté une demande entre défendeurs contre les défenderesses pour les frais de nettoyage du quai dans l'instance relative à la cargaison. Le fondement de l'argument de la défenderesse consistait en ce que, dans la demande entre défendeurs, Gearbulk était tenue de présenter l'ensemble de ses réclamations contre les défenderesses. On a fait référence à ce principe énoncé par le juge Laing dans l'arrêt Ostapowich c. Bank of Montreal (1998), 165 Sask. R. 231 à la page 236 où l'éminent et chevronné juge a cité un passage de l'arrêt Henderson c. Henderson (1843), 3 Hare 100, cité dans Greenhalgh c. Mallard, [1947] 2 All E.R. 255 :

[traduction]

J'espère exprimer correctement la règle que s'est imposée la présente Cour quand j'affirme que si un point donné devient litigieux et qu'un tribunal compétent le juge, on exige des parties qu'elles soumettent toute leur cause et, sauf dans des circonstances spéciales, on n'autorisera pas ces parties à rouvrir le débat sur un point qui aurait pu être soulevé lors du litige, mais qui ne l'a pas été pour l'unique raison qu'elles ont omis de soumettre une partie de leur cause, par négligence, inadvertance ou même par accident. Le principe de la chose jugée s'applique, à moins de circonstances exceptionnelles, non seulement aux éléments sur lesquels les parties ont expressément demandé à la cour de se prononcer, mais aussi à chacun des éléments qui font logiquement partie de l'objet du litige et que les parties auraient pu soulever à l'époque si elles avaient fait preuve de diligence raisonnable.


[7]                      Le juge Laing a conclu par la suite que le même principe s'applique aux règlements de telle sorte qu'une fois qu'une affaire a été « réglée définitivement » , les parties ne pouvaient pas dénicher des causes d'action nouvelles qui détruisent le caractère définitif des règlements. J'apporterais des distinctions à ceci. Il n'est pas inhabituel que des parties à une transaction commerciale aient conclu entre elles toutes sortes de contrats. Chacun de ces contrats et les transactions sous-jacentes peuvent donner lieu à des revendications ce qui peut avoir ou non des répercussions sur les autres transactions. Même dans le cadre d'une seule transaction, un événement peut donner lieu à divers recours dont certains peuvent impliquer des personnes étrangères au contrat qui sont néanmoins parties à la transaction. Dans un tel univers impliquant de nombreuses parties, de nombreuses transactions, de nombreux recours, je ne supposerai pas qu'une libération donnée en rapport avec un événement couvre tous les cas de réclamations possibles entre deux parties, à moins que les parties aient indiqué clairement que telle était leur intention. Somme toute, je nuancerais le principe énoncé par le juge Laing en affirmant qu'avant qu'une libération ne puisse être étendue à toutes les réclamations possibles entre deux parties, il faut apporter la preuve que les parties avaient l'intention de parvenir à ce résultat. Je ne dis pas cela afin d'encourager les conceptions ingénieuses de libérations, mais afin d'exiger que ceux qui espèrent retirer un avantage de tels documents définissent clairement l'avantage qu'ils recherchent.


[8]                 Le libellé de la libération mutuelle conclue entre les parties à l'instance relative à la cargaison est très précis. Dans la première instance, les propriétaires de la cargaison, les demanderesses dans l'instance relative à la cargaison, ont accusé réception d'une somme d'argent [traduction] « à titre de règlement total et final en capital, intérêts et frais relativement aux actions, causes d'action, réclamations et demandes en rapport avec tous dommages causés à la cargaison de transformateurs électriques appartenant aux demanderesses (la cargaison) conformément à la déclaration déposée à l'égard de la présente instance » . Par la suite, toutes les parties à l'instance [traduction] « se sont mutuellement accordé une libération totale et finale et quittance des actions, réclamations, demandes et procédures en capital, intérêts et frais de quelque nature que ce soit et à toutes fins que de droit que les parties pourraient avoir l'une contre l'autre ou entre elles à l'égard de tout dommage causé à la cargaison conformément à la déclaration et à la demande reconventionnelle et le recours intenté contre des tiers y afférents comme il a été mentionné plus haut » . (Italiques ajoutés.)

[9]                 Une libération mutuelle, comme tout autre document, doit être interprétée en fonction des clauses qu'elle contient. Dans le présent cas, les clauses expresses du document limitent les libérations accordées aux réclamations découlant des dommages à la cargaison. L'instance a été intentée par les propriétaires de la cargaison contre tous ceux qui ont eu quelque chose à voir avec la cargaison. Cela n'avait rien à voir avec l'accord de transport conclu entre Gearbulk et les défenderesses. Le seul fondement de l'élargissement de la portée de la libération consiste en l'argument qui veut qu'étant donné que l'on a intenté des procédures contre les défenderesses, Gearbulk était tenue de présenter toutes ses réclamations en même temps. Il faut maintenant nous demander si Gearbulk a intenté la procédure contre les défenderesses. On fait valoir que celles-ci l'ont fait au moyen d'une demande entre défendeurs pour les coûts du nettoyage. Malheureusement, l'exposé conjoint des faits ne révèle pas ceci et les plaidoiries dans l'instance relatives à la cargaison ne sont pas soumises au tribunal. À défaut de prouver qu'il y avait une réclamation entre Gearbulk et les défenderesses, le tribunal n'est pas en mesure de décider que la libération mutuelle agit comme libération des réclamations que Gearbulk pouvait avoir, mais qu'elle n'a pas présentées contre les défenderesses.


[10]            Comme on peut le voir, il existe un risque important que le dossier soumis au protonotaire ait été défectueux. Est-il possible d'annuler une décision rendue à partir d'un dossier factuel défectueux? La décision d'une question à trancher comme question de droit lie les parties à l'instance à moins qu'il y ait une modification résultant d'un appel. Voir le paragraphe 220(3) des Règles de la Cour fédérale (1998). Par conséquent, le tribunal a le choix de rejeter l'appel, confirmant ainsi la décision du protonotaire, ou de renverser la décision du protonotaire et conclure que la libération mutuelle fait obstacle à la présente instance. La décision de continuer en posant une question afin de trancher un point de droit ne fait pas l'objet d'un appel et elle va au-delà du présent appel. Le problème du dossier inadéquat en est un qui découle de l'exposé conjoint de faits dont le tribunal a été saisi par les parties. S'il est injuste de continuer en se fondant sur ce dossier, il s'agit d'une injustice créée par les parties qui ont eu amplement l'occasion de saisir le tribunal du dossier complet.

[11]            Étant donné que la décision du protonotaire n'est pas discrétionnaire, mais qu'elle est une question de droit, il n'existe pas de fondement pour réclamer une retenue judiciaire à l'endroit de la décision du protonotaire sur une question de droit. À mon avis, la norme de contrôle est la rectitude. Je conclus qu'en fonction du dossier dont il était saisi, le protonotaire a rendu une décision juste qui n'est pas susceptible de révision.


ORDONNANCE

La requête est rejetée avec dépens.

    « J. D. Denis Pelletier »    

Juge                     

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                   

DOSSIER :                                    T-447-01

INTITULÉ :                                   GEARBULK POOL LIMITED ET THULELAND

SHIPPING PTE LTD. - ET - SCAC TRANSPORT CANADA INC. ET SDV LOGISTICS (CANADA) INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :         Le 18 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : M. le juge Pelletier

DATE DES MOTIFS :              Le 27 mars 2002

COMPARUTIONS :

Christine Kark                                                                  POUR LES DEMANDERESSES

Jean-Marie Fontaine                                                          POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden, Ladner, Gervais                                                   POUR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)

Gowling, Lafleur, Henderson                                             POUR LES DÉFENDERESSES

Montréal (Québec)

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