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                                                                                                                                  Date : 19991005

                                                                                                                       Dossier : IMM-5011-98

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                   MAGDALINI KARATHANOS,

                                                                                                                                   demanderesse,

                                                                          - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                          défendeur.

                                                                ORDONNANCE

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. La décision de l'agent des visas est annulée et la demande de résidence permanente est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent des visas.

                                                                                                Karen R. Sharlow

                                                                                   

                                                                                                            Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.


                                                                                                                                  Date : 19991005

                                                                                                                       Dossier : IMM-5011-98

ENTRE :

                                                   MAGDALINI KARATHANOS,

                                                                                                                                   demanderesse,

                                                                          - et -

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                          défendeur.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]         La demanderesse Magdalini Karathanos a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre d'archiviste, qui correspond au numéro 5113 de la Classification nationale des professions. Sa demande a été rejetée par un agent des visas au motif qu'elle n'avait pas les compétences nécessaires pour exercer cette profession.

[2]         En vertu de l'Annexe I du Règlement sur l'immigration, le demandeur de la résidence permanente doit être évalué sous neuf catégories. Pour chacune des catégories, il y a un nombre maximum de points d'appréciation. L'agent des visas doit déterminer combien de points il faut attribuer sous chaque catégorie, jusqu'à concurrence du maximum prévu. Pour obtenir la résidence permanente, un demandeur doit obtenir en tout 70 points[1], y compris au moins un point dans la catégorie de l' « expérience » et un dans la catégorie du « facteur professionnel » .

[3]         Pour les fins de l'espèce, il suffira d'examiner en détail deux de ces catégories seulement, c'est-à-dire les catégories « Études et formation » et « Facteur professionnel » .

[4]         Pour obtenir des points dans la catégorie « Facteur professionnel » , un demandeur doit réunir trois conditions. Tout d'abord, il doit satisfaire aux conditions d'accès à la profession pour laquelle il ou elle est évalué(e), et qui est décrite dans la Classification nationale des professions. Deuxièmement, le demandeur doit avoir exercé un nombre substantiel des fonctions principales établies pour cette profession (dont les fonctions essentielles) dans la Classification nationale des professions. Troisièmement, le demandeur doit être prêt à exercer cette profession au Canada.

[5]         Le nombre de points devant être attribué sous le « Facteur professionnel » est précisé pour chacune des professions énumérées dans la Classification nationale des professions. Si Mme Karathanos avait réuni ces trois conditions relativement à la profession d'archiviste, elle aurait eu droit à trois points dans la catégorie « Facteur professionnel » .

[6]         L'agent des visas a conclu que Mme Karathanos ne respectait pas la première condition de la profession d'archiviste. La question est de savoir s'il a commis une erreur en parvenant à cette décision.

[7]         La Classification nationale des professions indique que pour un archiviste, « une maîtrise en archivistique, en bibliothéconomie ou en histoire est habituellement exigée » (non souligné dans l'original). L'agent des visas a conclu que, comme Mme Karathanos n'avait qu'un baccalauréat en histoire, elle n'avait pas les compétences nécessaires pour travailler comme archiviste. Autrement dit, l'agent des visas a interprété les mots « habituellement exigée » comme signifiant « toujours exigée » .

[8]         L'agent des visas a commis une erreur sur ce point. Comme son erreur semble provenir de sa confusion entre les conditions de la catégorie « Études et formation » et de la catégorie « Facteur professionnel » , il est nécessaire de les expliquer tous les deux en détail.

[9]         L'alinéa 1g) de la catégorie « Études et formation » de l'annexe I est rédigé dans les termes suivants (non souligné dans l'original) :

Études et formation : (1) À évaluer suivant le programme d'études et la période de formation professionnelle, d'apprentissage, de formation en usine ou de formation en cours d'emploi précisés dans la Classification nationale des professions comme étant nécessaires pour acquérir les connaissances théoriques et pratiques et les compétences qu'exige la profession pour laquelle le requérant est apprécié selon l'article 4 [Facteur professionnel] :

[...]

g)lorsqu'un diplôme d'études universitaires au niveau de la maîtrise ou du doctorat ou un diplôme d'études professionnelles qui requiert des études additionnelles au-delà du baccalauréat est nécessaire, 18 points.

[10]       Il n'est pas contesté que, pour les fins de la catégorie « Études et formation » de l'Annexe I du Règlement sur l'immigration, l'expression « habituellement exigée » dans la description des exigences relatives aux études pour une profession est interprétée comme signifiant « toujours exigée » . C'est à cause de la nature automatique du nombre de points qui est attribué dans la catégorie « Études et formation » .

[11]       La Classification nationale des professions est publiée par le ministre du Développement des ressources humaines principalement à l'intention des conseillers professionnels et d'autres personnes qui ont besoin d'avoir des connaissances détaillées sur le marché du travail canadien. Pour les fins de l'immigration, la Classification nationale des professions, de même que le Guide sur les carrières et d'autres publications accessoires, modifiées de temps à autre, sont incorporés par renvoi à l'Annexe I du Règlement sur l'immigration[2].

[12]       Pour les fins de la Classification nationale des professions, les exigences relatives aux études pour toutes les professions sont évaluées d'après une échelle portant le nom d' « Indicateur des études et de la formation » ou IEF. Dans l'évaluation de l'IEF, une profession qui « exige habituellement » un niveau particulier de scolarité est traitée comme exigeant toujours ce niveau de scolarité. Ainsi, l'IEF est de « 8 » pour toute profession qui exige toujours une maîtrise ou qui exige habituellement une maîtrise.

[13]       Comme il a été indiqué ci-dessus, la Classification nationale des professions indique que, pour la profession d'archiviste, « une maîtrise en archivistique, en bibliothéconomie ou en histoire est habituellement exigée » . Donc, l'IEF pour un archiviste est déterminé comme si une maîtrise était toujours exigée. À partir de ce fondement, l'IEF pour un archiviste est de 8.

[14]       Bien que la Classification nationale des professions n'ait pas été rédigée à l'intention des agents des visas qui évaluent les demandes de résidence permanente, elle a été adaptée à cette fin. L'une de ces adaptations est d'établir l'équivalence entre les points accordés selon l'IEF de la Classification nationale des professions et le système d'attribution des points dans la catégorie « Études et formation » de l'Annexe I[3]. Par cette conversion, l'IEF de 8 points en vertu de la Classification nationale des professions devient automatiquement 18 points dans la catégorie « Études et formation » .

[15]       Ainsi, on peut dire qu'en accordant des points d'appréciation dans la catégorie « Études et formation » de l'Annexe I, une catégorie professionnelle qui exige habituellement une maîtrise est traitée comme si elle exigeait toujours une maîtrise.

[16]       Toutefois, il ne s'ensuit pas que les termes « exige habituellement » doivent être lus de la même façon dans l'évaluation du nombre de points à attribuer dans la catégorie « Facteur professionnel » . En évaluant le demandeur sous cette catégorie, les mots « exige habituellement » signifient simplement ce qu'ils disent. Cela est compatible avec les notes explicatives suivantes tirées de la Classification nationale des professions[4] qui traitent de la signification des termes utilisés pour décrire le genre et le niveau d'éducation des conditions d'accès aux professions qui y sont énumérées :

Conditions d'accès à la profession

Cette section décrit les conditions d'accès à ce groupe de base.

[...]

Quelques professions ont des exigences bien définies. Pour d'autres, soit qu'il n'existe aucun concensus (sic), soit qu'il puisse exister un éventail d'exigences acceptables. Afin de refléter ces variations dans le marché du travail, cette section décrit les conditions d'accès à la profession en utilisant la terminologie suivante :

« ... est exigé » (pour indiquer une exigence précise) ;

« ... est habituellement exigé » (pour indiquer que les employeurs exigent habituellement, mais pas nécessairement, que les candidats répondent aux exigences) ;

           « ... peut être exigé » (pour indiquer que certains employeurs peuvent exiger que les candidats répondent aux exigences, mais sur une base moins fréquente).

[17]       Il n'y a donc pas de fondement à la conclusion tirée par l'agent des visas selon laquelle une personne qui n'a pas une maîtrise en archivistique, en bibliothéconomie ou en histoire est, pour cette seule raison, incapable de respecter les conditions d'accès à la profession d'archiviste. L'agent des visas a eu tort d'appuyer sa conclusion sur les parties du Guide sur les carrières qui ont trait à la détermination des points IEF et, par implication, les points pour la catégorie « Études et formation » . Ces données ne portent pas sur le sens des mots utilisés dans la catégorie « Facteur professionnel » de l'Annexe I.

[18]       L'avocat de Mme Karathanos fait valoir que l'erreur d'interprétation de l'agent des visas justifie l'annulation de sa décision, parce que son analyse de la demande s'est arrêtée dès qu'il eut décidé que Mme Karathanos ne pourrait jamais se qualifier comme archiviste sans une maîtrise. Je n'accepte pas que l'agent des visas ait arrêté son analyse à cette étape. Si cela était le cas, il n'aurait pas dit ce qui suit dans sa lettre de refus :

[TRADUCTION]

De plus, vous avez travaillé sporadiquement comme archiviste au Brésil de 1989 jusqu'à ce jour, et vous n'avez pas d'expérience dans ce domaine en Amérique du Nord.

[19]       Cette déclaration indique que l'agent des visas a effectivement pris en compte l'expérience de travail de Mme Karathanos. Cela est confirmé au paragraphe 11 de son affidavit, où l'agent des visas déclare ceci :

[TRADUCTION]

Je n'étais pas convaincu que la requérante démontrait des facteurs importants ou substantiels qui lui permettraient de surmonter son manque de formation professionnelle et d'études comme archiviste.

[20]       Au nom du ministre, on a fait valoir que l'agent des visas a correctement suivi une analyse semblable à celle adoptée par l'agent des visas dans la décision Nemati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1193 (QL) (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, la décision de l'agent des visas a été maintenue. Le paragraphe 4 des motifs indique ce qui suit :

L'agent s'est fondé sur les dispositions d'interprétation de la CNP qui disent que, lorsqu'un certain niveau de scolarité est « habituellement exigé » , le demandeur doit satisfaire à cette exigence à moins que l'agent ne soit convaincu qu'il existe dans le dossier des facteurs « importants et substantiels » montrant que le demandeur pourrait surmonter le fait qu'il ne satisfait pas à l'exigence habituelle.

[21]       En fait, aucune disposition d'interprétation de la CNP ne renferme une telle affirmation. Le juge dans la décision Nemati semble avoir été induit en erreur à cet égard par l'affidavit d'un agent des visas qui avait été déposé dans cette affaire, et qui fait référence à un document intitulé « SSD-0044 NOC/la CNP "Use Of The NOC, Entry Requirements and Landing" » . Ce document ne fait pas partie de la Classification nationale des professions et il n'a jamais été incorporé par renvoi à la Loi sur l'immigration ou au Règlement sur l'immigration. Il s'agit simplement d'une note de service datée du 16 juillet 1997 qui a été distribuée aux agents des visas, apparemment par courriel.

[22]       Cette note de service avait apparemment pour but de préciser certaines questions qui s'étaient posées au sujet de la Classification nationale des professions, qui, en juillet 1997, faisait partie du Règlement sur l'immigration depuis moins de trois mois. Pour ce qui a trait aux exigences relatives aux études pour les professions énumérées dans la Classification nationale des professions, la note de service indique ce qui suit :

[TRADUCTION]

La CNP utilise des critères d'admissibilité pour ce qui a trait aux exigences relatives aux études. Leur usage pour les fins d'immigration est le suivant :

Quand la CNP indique qu'un niveau de scolarité EST EXIGÉ, la personne DOIT avoir ce niveau de scolarité pour être jugée comme ayant les compétences pour exercer cette profession au Canada.

Quand la CNP indique qu'un niveau de scolarité EST HABITUELLEMENT EXIGÉ, cela signifie que le requérant DOIT SATISFAIRE à cette exigence, à moins qu'il n'existe des facteurs importants et substantiels qui, de l'avis de l'agent des visas, font en sorte que le requérant surmontera probablement une telle exigence.

Quand la CNP indique qu'un niveau de scolarité est QUELQUEFOIS exigé, pour les fins de l'immigration, cela signifie qu'un requérant n'est généralement pas tenu d'avoir atteint ce niveau de scolarité.

On s'attend à ce que les étrangers qui souhaitent exercer une profession respectent la norme de base au niveau des études indiquées par l'indicateur des études et de la formation ET les conditions d'accès à la profession.

[23]       Cette note de service a également été citée dans la décision Hara c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (26 août 1999), IMM-6307-98. J'adopte les observations de Madame le juge Reed tirées du paragraphe 6 de cette décision :

[...] il est peut-être erroné de dire que l'expression « est habituellement exigé » signifie que l'exigence en matière d'éducation doit être remplie, sauf lorsque des facteurs importants convainquent l'agent des visas que les exigences professionnelles peuvent être surmontées. Il se peut qu'une telle interprétation soit trop stricte. Néanmoins, il doit y avoir une quelconque raison convaincante qui permette de penser que le demandeur sera capable de se trouver un emploi dans le domaine qu'il entend intégrer, malgré le fait qu'il ne possède pas les compétences « habituelles » en matière d'éducation.

[24]       Plusieurs observations peuvent être faites au sujet de l'évaluation qu'a faite l'agent des visas de l'expérience de Mme Karathanos. Tout d'abord, sa description de l'expérience de Mme Karathanos comme étant « sporadique » est difficile à concilier avec la preuve documentaire sur ses antécédents de travail. Deuxièmement, il a mis considérablement d'accent sur son manque d'expérience en Amérique du Nord, ce qui nous amène à nous demander s'il a en fait imposé une exigence qui n'est pas prévue dans la Loi. Troisièmement, il n'y a rien dans le dossier qui explique la conclusion implicite de l'agent des visas selon laquelle il y a dans la pratique de la profession d'archiviste en Amérique du Nord un aspect qui justifierait de ne pas tenir compte de l'expérience d'archiviste qui a été acquise dans un autre pays.

[25]       En l'espèce, l'agent des visas se trouvait être en face d'une requérante qui n'avait pas le niveau de scolarité qui est « habituellement exigé » pour la profession choisie. Il aurait dû tenir compte de ses études, de sa formation et de son expérience en entier afin de déterminer si cela correspondait approximativement à l'équivalent d'une maîtrise en archivistique, en bibliothéconomie ou en histoire. Après avoir examiné le dossier, je suis loin d'être convaincue que l'agent des visas a fait une évaluation raisonnable de l'expérience de travail de Mme Karathanos à l'égard de cette question.

[26]       Pour cette raison, la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. La décision de l'agent des visas est annulée et la demande de résidence permanente de Mme Karathanos est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent des visas.

                                                                                                Karen R. Sharlow

                                                                                   

                                                                                                            Juge

Ottawa (Ontario)

le 5 octobre 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                         IMM-5011-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :Magdalini Karathanos c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :        le 10 septembre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW

DATE :le 5 octobre 1999

ONT COMPARU :

Soshana T. Green                                  POUR LA DEMANDERESSE

Leena Logsetty              POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AUX DOSSIERS :

Soshana T. Green                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



     [1]Il y a des exceptions à cette règle générale, mais elles ne sont pas pertinentes en l'espèce.

     [2]Définition de la « Classification nationale des professions » au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration.

     [3]L'échelle de conversion figure dans une note de service sur les opérations en date du 1er mai 1997 (page 147 du dossier du demandeur). Cette note de service a apparemment été distribuée pour expliquer certains aspects de la transition qui a eu lieu le 1er mai 1997 entre la Classification canadienne descriptive des professions (CCDP) et la Classification nationale des professions (CNP).

     [4]Introduction, page x.

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