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                                                                                                                             Date : 19980507

                                                                                                                 Dossier : IMM-3009-97

ENTRE :

                                                  LLOYD CHARLES CLARKE,

                                                                                                                                  Demandeur,

                                                                        - et -

                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                    Défendeur.

                                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MACKAY

[1]         Il s'agit d'une demande entendue à Toronto le 4 mai 1998 visant à obtenir un sursis d'exécution de la mesure de renvoi qui serait mise en oeuvre en vertu d'une convocation délivrée au demandeur aux fins de son renvoi le 11 mai 1998.

[2]         La question soulevée dans la demande est celle de savoir si, dans les circonstances de l'espèce, particulièrement au cours d'une période de probation imposée au demandeur à la suite d'une déclaration de culpabilité d'une infraction criminelle, l'exécution de la mesure de renvoi prise antérieurement contre lui contreviendrait à l'article 50 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985) ch. I-2, modifiée, (la Loi). Voici cette disposition :

50.(1) La mesure de renvoi ne peut être exécutée dans les cas suivants :

a) l'exécution irait directement à l'encontre d'une autre décision rendue au Canada par une autorité judiciaire;

b) la présence au Canada de l'intéressé étant requise dans le cadre d'une procédure pénale, le ministre ordonne d'y surseoir jusqu'à la conclusion de celle-ci.

(2) L'incarcération de l'intéressé dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction, antérieurement à la prise de la mesure de renvoi ou à son exécution, suspend l'exécution de celle-ci jusqu'à l'expiration de la peine, compte tenu des réductions légales de peine et des mesures de clémence.

[3]         Le demandeur est né en Jamaïque et il est arrivé au Canada en 1976. Il y est demeuré à titre de résident permanent. Depuis 1984, il a été déclaré coupable à plusieurs reprises d'infractions relatives à des stupéfiants. Dernièrement, en février 1996, il a été déclaré coupable d'infractions remontant à 1994 comportant le trafic de stupéfiants. Il a été condamné par la Cour de l'Ontario (Division générale) à des « peines d'emprisonnement concurrentes de deux ans moins un jour pour chaque chef d'accusation (deux), plus trois ans de probation aux conditions prévues par la Loi, au cours desquels il devra se présenter à son agent de probation conformément aux exigences de celui-ci » .

[4]         Pendant qu'il était incarcéré au centre correctionnel de Maplehurst, le 3 mai 1996, il a fait l'objet d'un rapport à la suite d'une enquête effectuée par un arbitre en vertu de la Loi. Ce rapport indiquait, conformément à l'article 27 de la Loi, qu'il est un résident permanent décrit au sous-alinéa 27(1)d)(i), c'est-à-dire qu'il a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée. En plus de produire ce rapport, l'arbitre a apparemment pris une mesure d'expulsion. C'est cette mesure que la Convocation vise maintenant à exécuter.

[5]         Dans une lettre datée du 25 juin 1996, apparemment reçue par le demandeur le 16 juillet 1996 pendant qu'il était encore détenu à Maplehurst, M. Clarke a été avisé de l'intention d'obtenir un avis du ministre en vertu du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi, portant que [Traduction] « vous constituez un danger pour le public au Canada. » L'avocat du demandeur a répondu en son nom à cet avis par une lettre datée du 30 juillet 1996, avec des observations écrites pour examen par le ministre, lui demandant de ne pas rendre une décision déclarant que le demandeur constitue un danger pour le public. Une décision d'un délégué du ministre, datée du 21 août 1996, porte que le ministre est d'avis, conformément au paragraphe 70(5) de la Loi, que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.

[6]         Une convocation datée du 10 juin 1997, dont le demandeur a accusé réception le même jour, enjoignait au demandeur de se présenter devant un agent de probation et de liberté conditionnelle dont le nom était précisé, dans les deux jours ouvrables suivant sa libération de Maplehurst, conformément à l'ordonnance de probation, prononcée le 27 février 1996 par la Cour de l'Ontario, qui l'assujettissait à une période de probation de trois ans.

[7]         Il pouvait par la suite être libéré de Maplehurst et mis sous garde en vertu de la Loi sur l'immigration. Quoi qu'il en soit, le 4 septembre, un arbitre agissant en vertu de la Loi a ordonné que le demandeur soit libéré sous réserve de certaines conditions, dont celle de se présenter conformément à un ordre écrit aux fins de la prise d'arrangements concernant son renvoi et de son renvoi proprement dit.

[8]         Lorsqu'il a été libéré en septembre 1997, il s'est présenté à son agent de probation et, conformément aux conditions de son ordonnance de probation, il s'est présenté à lui une fois par mois par la suite conformément aux directives de l'agent de probation.

[9]         Dans une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire déposée le 18 juillet 1997, appuyée par l'affidavit signé plus tard sous serment par le demandeur le 3 septembre 1997, le demandeur a demandé la prorogation du délai fixé pour le dépôt de sa demande. S'il obtenait l'autorisation demandée, il entendait demander le contrôle judiciaire de la décision rendue par le délégué du ministre le 21 août 1996, censément communiquée à l'appelant le 23 octobre 1996, qui fait état de l'avis du ministre que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Dans une ordonnance datée du 27 mars 1998, le juge Teitelbaum lui a accordé l'autorisation d'engager une procédure de contrôle judiciaire de la décision en cause dont l'audition a été fixée au 23 juin 1998.

[10]       Par la suite, le 28 avril 1997, le demandeur a reçu la convocation aux fins de son renvoi le 11 mai 1997. L'avocat du demandeur a demandé que le départ du demandeur soit retardé jusqu'à ce que sa demande de contrôle judiciaire ait été entendue et tranchée; essuyant un refus, il a déposé, le 29 avril 1998, une requête en sursis qui a été entendue, comme je l'ai mentionné, le 4 mai 1998.

[11]       Voici, en résumé, les faits essentiels : le demandeur est assujetti à une ordonnance de probation prononcée par la Cour de l'Ontario (Division générale) en vertu de laquelle il est tenu par un ordre de la Cour et de son agent de probation de se rapporter chaque mois et une convocation lui enjoint maintenant de se présenter à un lieu et à un moment précis pour être renvoyé du Canada. Il n'est pas contesté que cette convocation vise l'exécution d'une mesure de renvoi prise antérieurement contre le demandeur.

[12]       La situation dont la Cour est saisie est fondamentalement identique à celle sur laquelle M. le juge Rothstein s'est prononcé dans l'affaire Cuskic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 130 F.T.R. 232, sauf que, dans cette cause, le demandeur a obtempéré à la convocation aux fins du renvoi et il a été renvoyé du Canada avant l'audition de sa demande de contrôle judiciaire de la mesure de renvoi, demande qui a saisi le juge Rothstein de l'affaire. Le juge a conclu que la convocation visant l'exécution d'une mesure de renvoi contrevenait directement à l'ordonnance de probation prononcée en l'occurrence par la Cour de l'Ontario ainsi qu'à l'alinéa 50(1)a) de la Loi. La convocation a été annulée comme le demandait le demandeur, mais la Cour a rejeté une autre demande en vue de faire ordonner au ministre d'organiser le retour du demandeur au Canada.

[13]       Dans la décision Cuskic, le juge Rothstein a certifié la question suivante pour que la Cour d'appel l'examine en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi.

L'exécution d'une mesure de renvoi à l'encontre d'une personne visée par une ordonnance de probation qui renferme une convocation devant un agent de probation sur une base périodique précise ou selon la demande de l'agent de probation donne-t-elle directement lieu à une transgression d'une décision rendue au Canada par une autorité judiciaire aux fins de l'alinéa 50(1)a) de la Loi sur l'immigration?

Un appel a été formé, mais la Cour d'appel ne l'a pas encore examiné.

[14]       Dans l'argumentation qui m'a été présentée au nom du défendeur, son avocat a expliqué que des efforts ont été déployés au cours de la dernière année pour organiser le renvoi du demandeur du Canada, et qu'on a plus particulièrement fait des démarches pour obtenir un document de voyage pour lui, délivré par son pays de naissance, la Jamaïque. Le consulat général de la Jamaïque a confirmé, dans un message daté du 23 avril 1998, que le demandeur est un ressortissant de la Jamaïque. Dès lors, le ministère défendeur a pris sans tarder des mesures pour confirmer les arrangements relatifs au renvoi du demandeur du Canada et lui a délivré une convocation aux fins de son renvoi.

[15]       Compte tenu de ces efforts, et des antécédents criminels du demandeur qui sont à l'origine de l'avis du ministre, le défendeur prétend que la Cour n'est pas liée par la décision Cuskic rendue par le juge Rothstein et qu'elle ne doit pas accorder un sursis en l'espèce. Il prie la Cour d'interpréter l'alinéa 50(1)a) en fonction de son objet, pour en limiter l'application de façon qu'il ne s'applique pas dans les cas où le renvoi d'une personne du Canada par le ministre n'est pas en contradiction avec les fins du système de justice canadien. Il soutient qu'un sursis légal ne devrait pas avoir effet lorsqu'une personne qui doit être expulsée est assujettie à l'obligation de se présenter une fois par mois à un agent de probation. Comme l'a souligné le juge Rothstein, la probation est un processus qui vise à favoriser la réintégration dans la collectivité canadienne d'une personne qui a été déclarée coupable d'une infraction; or, la personne visée par une mesure d'expulsion ne saurait prétendre participer à la société canadienne. Je reconnais que je ne suis pas lié par la décision rendue par un autre juge de première instance de la Cour dans une autre affaire. Toutefois, lorsque les situations sont fondamentalement semblables, seule une argumentation convaincante inciterait la Cour, qui doit faire preuve de retenue judiciaire, à rejeter l'opinion réfléchie d'un collègue. Le juge Rothstein a conclu que l'exécution d'une mesure de renvoi, dans des circonstances semblables à celles sur lesquelles la Cour doit se prononcer en l'espèce, « va directement à l'encontre de l'ordonnance de probation rendue par la Cour de l'Ontario (Division générale) et qu'elle transgressait donc l'alinéa 50(1)a) » de la Loi. Je ne suis pas persuadé que son raisonnement ne s'applique pas aussi bien à la présente affaire. La réponse à la question qu'il a certifiée aux fins d'un examen par la Cour d'appel s'appliquerait tout autant en l'espèce.

[17]       En somme, la Cour a ordonné, le 5 mai 1998, pour les présents motifs, le sursis demandé par le demandeur jusqu'au prononcé d'une décision sur sa demande de contrôle judiciaire, dont l'audition est fixée au 23 juin, ou jusqu'à ce que la Cour d'appel rende, d'ici là, une décision défavorable sur la question certifiée par le juge Rothstein dans l'affaire Cuskic. Les conditions auxquelles il faut habituellement satisfaire pour obtenir un sursis ont été examinées en détail à l'audience, mais je n'en traite pas dans les présents motifs compte tenu de ma conclusion portant qu'un sursis d'exécution légal d'une mesure de renvoi prévaut en l'espèce, à tout le moins à titre provisoire, jusqu'à ce que la Cour ou la Cour d'appel rende l'une des décisions susmentionnées. Évidemment, le retrait ou la modification de l'ordonnance de probation applicable au demandeur pourrait également engendrer une situation dans laquelle l'exécution de la mesure de renvoi prise contre lui ne contreviendrait pas directement à l'ordonnance de la Cour de l'Ontario.

[18]       Le demandeur a demandé les dépens sur la base avocat-client après avoir demandé que des mesures administratives soient prises pour reporter toute tentative de le renvoyer du Canada jusqu'à l'issue de sa demande de contrôle judiciaire et que les coûts reliés à la présentation d'une demande de sursis à la Cour lui soit épargnés. En l'absence d'entente sur le report demandé des mesures visant à renvoyer le demandeur, celui-ci a déposé un avis de requête et un dossier de requête comme l'exigent les Règles de la Cour fédérale (1998) qui sont entrées en vigueur le 27 avril 1998.

[19]       Selon les règles 400 et suivantes de ces Règles, la Cour a entière discrétion quant au montant et à la répartition des dépens, qui peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle, compte tenu des facteurs énumérés au paragraphe 400(3), et qui peuvent être taxés ou adjugés sous forme de somme globale (par. 404(4) des Règles); elle peut notamment les adjuger sur la base avocat-client (par. 400(6) des Règles) et adjuger les dépens afférents à une requête selon le montant qu'elle fixe (par. 401(1) des Règles).

[20]       En l'espèce, je ne suis pas convaincu qu'il serait justifié d'adjuger les dépens sur la base avocat-client. Le simple refus d'acquiescer à une demande de report du renvoi du demandeur du Canada, avant l'introduction de la présente demande de sursis, ne peut fonder pareille adjudication des dépens. Lorsque la question de savoir s'il existe une obligation de surseoir à la procédure de renvoi peut valablement faire l'objet d'un débat, comme en l'espèce, le défaut d'accepter d'attendre avant d'agir n'a rien d'irrégulier, d'abusif ni même d'inutile. À mon avis, cette question continuera de pouvoir donner lieu à un débat tant que la Cour d'appel n'aura pas répondu à la question certifiée dans l'affaire Cuskic.

[21]       L'ordonnance prononcée adjuge au demandeur des dépens de 1 500 $. Cette somme a été fixée en tenant compte du résultat de l'instance, de l'importance de la question en litige, de la proposition du demandeur que le renvoi soit reporté et de la charge de travail, mesurée en partie en fonction des services à taxer énumérés dans le tableau du tarif B relativement aux honoraires et débours des avocats qui peuvent être accordés lors d'une taxation en vertu des Règles de la Cour. La Cour s'est reportée notamment au nombre d'unités qui peuvent être accordées pour la préparation et le dépôt d'une requête contestée compte tenu de l'obligation imposée par la règle 364 de déposer un dossier de requête, ainsi qu'au nombre d'unités qui peuvent être accordées pour la comparution lors d'une requête. Il semble opportun en l'espèce de fixer le montant des dépens plutôt que d'en ordonner la taxation et le montant fixé semble approprié.

                                                                                                                 « W. Andrew MacKay »          

                                                                                                                        Juge

Toronto (Ontario)

7 mai 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            Avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :                                 IMM-3009-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                LLOYD CHARLES CLARKE

                                                                        - et -

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDITION :                                4 MAI 1998

LIEU DE L'AUDITION :                                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MACKAY

DATE DES MOTIFS :                          7 MAI 1998

ONT COMPARU :

                                                                        Me Munyonzwe Hamalengwa

                                                                                    pour le demandeur

                                                                        Me Brian Frimeth

                                                                                    pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                                                                        Me Munyonzwe Hamalengwa

                                                                        Avocat

                                                                        2, avenue Sheppard est

                                                                        Bureau 900

                                                                        North York (Ontario)

                                                                        M2N 5Y7

                                                                                    pour le demandeur

                                                                        George Thomson

                                                                        Sous-procureur général du Canada

                                                                                    pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                 Date : 19980507

                                                     Dossier : IMM-3009-97

Entre :

LLOYD CHARLES CLARKE,

                                                                        Demandeur,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                          Défendeur.

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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