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     Date : 19981013

     Dossier : 98-T-33

OTTAWA (Ontario), le mardi 13 octobre 1998

EN PRÉSENCE DE Mme LE JUGE B. REED

Entre :

     STEVE KASS,

     requérant,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé.

     ORDONNANCE

     SUR PRÉSENTATION d'une requête présentée en date du 17 juillet 1998 au nom du requérant, Steve Kass, et fondée sur la Règle 369 des Règles de la Cour fédérale (1998), en vue d'obtenir une ordonnance prorogeant le délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale ;

     LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

     la prorogation de délai est refusée.

                         B. Reed

                         Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19981013

     Dossier : 98-T-33

Entre :

     STEVE KASS,

     requérant,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Le requérant, Steve Kass, demande une prorogation de délai afin de déposer une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale. La décision qu'il souhaite soumettre à l'examen de la Cour est celle du conseil d'administration du Club canin canadien (CCC) aux termes de laquelle le conseil a refusé de lui délivrer une licence de juge à des expositions canines tenues selon les règles du CCC. La principale question à l'étude est de savoir si le conseil d'administration du CCC agissait en tant " qu'office fédéral " au moment où il a pris sa décision. Dans la négative, la Cour n'a alors pas compétence pour connaître de la demande de contrôle judiciaire.

[2]      M. Kass est un citoyen canadien qui est propriétaire de chiens de race pure qu'il inscrit à des expositions canines. Il est membre du CCC depuis de nombreuses années. En juin 1996, il a demandé au CCC des documents concernant les conditions auxquelles il devrait satisfaire pour être approuvé comme juge à des expositions canines tenues selon les règles du CCC. Le CCC est une association constituée en vertu de la Loi sur la généalogie des animaux, L.R.C. (1985), ch. 8 (4e suppl.). Les documents qu'il a reçus indiquaient qu'un candidat devait " avoir résidé au Canada pendant la période de cinq ans précédant immédiatement sa demande " pour obtenir une licence de juge. Le candidat devait également avoir été membre du CCC pendant toute cette période.

[3]      M. Kass a présenté sa demande le 14 octobre 1996. Le 15 novembre 1996, on l'a informé qu'il réunissait toutes les conditions préalables et qu'une " carte-boutonnière " de juge lui serait émise dès qu'il aurait réussi l'examen écrit.

[4]      En novembre 1996, M. Kass a déménagé à vingt milles au sud de son ancienne résidence d'Abbotsford (C.-B.) à Ferndale (Washington) (É-U.). Le 27 avril 1997, M. Kass a réussi l'examen pour obtenir une licence d'appréciation de la conformation. Par la suite, il a reçu une lettre l'informant que la licence de juge lui était refusée parce qu'en vertu de la politique du CCC il était interdit de délivrer des licences à des non-résidents.

[5]      M. Kass conteste cette décision pour plusieurs motifs : 1) les documents qui lui avaient été envoyés en juin de l'année précédente n'indiquaient pas qu'un candidat devait être résident du Canada au moment de la délivrance de la licence de juge, mais uniquement qu'il devait avoir résidé au Canada pendant les cinq années précédant sa demande ; 2) les règlements administratifs du CCC n'excluaient pas les membres non résidents qui, à quelques exceptions près, dont la délivrance d'une licence de juge ne faisait pas partie, se voyaient accorder tous les droits et privilèges des membres résidents ; 3) le refus de lui délivrer une licence est contraire à la Charte canadienne des droits et libertés ; 4) il a mis beaucoup de temps, d'effort et d'argent pour se qualifier afin d'obtenir cette licence et il ne voit pas la raison pour laquelle on devrait exiger du titulaire d'une telle licence qu'il soit résident du Canada étant donné que le CCC embauche fréquemment des juges étrangers qui ne sont ni citoyens ni résidents canadiens.

[6]      M. Kass a demandé un avis juridique immédiatement après avoir appris que sa demande de licence avait été refusée. Il en a appelé du refus au conseil d'administration du CCC. Il a été informé du rejet de son appel par une lettre datée du 5 janvier 1998. Cette lettre réitérait la politique du CCC selon laquelle les juges canadiens devaient avoir résidé au Canada pendant les cinq années précédant la présentation de leur demande et au moment de la délivrance de la licence. Dès la réception de la lettre du 5 janvier 1998, M. Kass a informé son avocat qu'il souhaitait prendre tous les recours judiciaires dont il pouvait se prévaloir pour faire réviser cette décision. Son avocat l'a informé qu'il devrait demander le contrôle judiciaire de la décision du CCC devant la Cour fédérale, mais il ne l'a pas informé du délai de 30 jours contenu dans la Loi sur la Cour fédérale. Son avocat n'a pas donné suite à la demande de contrôle judiciaire mais il a plutôt fait plusieurs efforts infructueux pour communiquer avec les parties concernées au CCC. Finalement, l'avocat de M. Kass lui a suggéré de prendre un avocat ayant plus d'expérience que lui.

[7]      La demande dont est saisie la Cour a été présentée par le nouvel avocat de M. Kass. Le retard dans le dépôt de la demande a été causé par l'inexpérience de l'ancien avocat de M. Kass. M. Kass a toujours eu l'intention d'intenter des poursuites judiciaires dès le moment où son appel a été refusé et il déclare qu'il aurait demandé le contrôle judiciaire dans le délai prévu s'il en avait été correctement informé par son avocat. Il semble évident que M. Kass a fourni une explication satisfaisante pour justifier le retard qui s'est produit et qu'il a démontré son intention continue de se prévaloir de tous les recours juridiques à sa disposition. La question reste de savoir s'il a une cause défendable et, en particulier, si la Cour a compétence.

[8]      Dans ce contexte, comme je l'ai déjà indiqué, la question à trancher est de savoir si le conseil d'administration du CCC agissait en tant " qu'office fédéral " quand il a pris la décision en question. Dans l'affirmative, alors la Cour pourra procéder au contrôle judiciaire de la décision.

[9]      L'expression " office fédéral " est définie à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale :

     " office fédéral " Conseil, bureau, commission ou autre organisme , ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence et des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale, à l'exclusion d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. [non souligné dans l'original]         

[10]      Comme il a été noté, le CCC est une association de généalogie constituée en vertu de la Loi sur la généalogie des animaux, L.R.C. (1985), ch. 8 (4e suppl.). La Loi prévoit la constitution d'associations de généalogie, sur demande au ministre1. Le ministre a le pouvoir d'approuver ou de refuser la constitution selon que la race protégée par l'association et les membres constitutifs respectent certains critères2.

[11]      Une fois que le ministre a donné son approbation, l'association est constituée en personne morale et la Loi lui confère certains pouvoirs3.

[12]      Une association est tenue par la Loi de prendre des règlements administratifs concernant certaines questions, par exemple :

     15(1) Chaque association créée en vertu de la présente loi doit, dans l'année suivant sa création, prendre des règlements administratifs :         

     [...]

     k) prévoyant les conditions d'admissibilité pour l'enregistrement ou l'identification, selon le cas, des animaux par l'association ;         
     l) prévoyant la procédure à suivre pour les demandes relatives à l'enregistrement ou à l'identification, selon le cas, des animaux par l'association ;         
     m) concernant la délivrance de certificats d'enregistrement ou d'identification, selon le cas, par l'association, ainsi que la modification, le transfert et l'annulation de ces derniers ;         
     n) concernant l'identification particulière de chaque animal enregistré ou identifié, selon le cas, par l'association, la surveillance de toutes les méthodes employées à cet effet, ainsi que le mode de règlement des questions relatives à l'utilisation de méthodes inadéquates ;         

[13]      Une association peut prendre des règlements administratifs à l'égard de certaines autres questions. L'alinéa 15(2)a) de la Loi dispose comme suit :

     L'association peut en outre prendre tout règlement administratif nécessaire à l'exercice de ses activités et notamment tout règlement concernant :         
     a) l'élaboration et la mise en oeuvre de programmes visant l'amélioration de la race ; [...] [non souligné dans l'original]         

[14]      La tenue d'expositions canines est prévue dans les règlements du CCC aux termes de ce paragraphe. L'alinéa 5.1e) des règlements administratifs du CCC énonce l'un des objectifs du CCC dans les termes suivants :

     [TRADUCTION]         
     e) Mettre en place un système en vertu duquel les clubs et associations qui le souhaitent peuvent organiser des expositions canines, des épreuves d'obéissance, des épreuves pratiques et autres, des tests et des activités pour les chiens de race pure sous les auspices du Club et conformément aux règles, règlements, normes et procédures établies par le Club ; [...]         

[15]      En vertu du paragraphe 16(1) de la Loi, les règlements d'une association doivent être approuvés par le ministre :

     16(1) Les règlements administratifs, y compris leur modification ou leur abrogation, sont inopérants tant qu'ils n'ont pas été approuvés par le ministre.         
     (4) Lorsque le ministre approuve les règlements, leur modification ou leur abrogation, il délivre un certificat à cet effet.         

[16]      En outre, le ministre a le pouvoir d'inspecter ou d'examiner les activités de toute association constituée en vertu de la Loi :

     52(1) Le ministre peut en tout temps procéder à l'inspection et à l'examen des activités de la Société ou d'une association ; l'inspection ou l'examen peut notamment porter sur :         
     a) la façon dont la Société ou l'association procède à l'enregistrement ou à l'identification des animaux ;         
     b) la façon dont la Société ou l'association procède à l'identification particulière des animaux ou la supervise ;         
     c) les dossiers d'élevage privés de tout membre de l'association.         

     [...]

     58(1) Le ministre peut, par arrêté, déclarer qu'une association est déchue de sa personnalité morale dans les cas suivants :         
     a) l'association a négligé dans l'année suivant sa création de prendre des règlements administratifs contrairement à l'article 15 ;         
     b) le ministre estime que l'association a négligé pour une certaine période de temps d'exercer ses activités contrairement à ses règlements ou à la présente loi ; [...]         

[17]      Comme on l'a noté, l'un des buts qu'une association de généalogie peut poursuivre est " l'élaboration et la mise en oeuvre de programmes visant l'amélioration de la race ". Le CCC a choisi d'en faire un de ses objectifs et a adopté un règlement administratif déclarant que l'un de ses objectifs était de " mettre en place un système en vertu duquel les clubs et associations [...] peuvent organiser des expositions canines [...] et des activités pour les chiens de race pure [...] conformément aux règles [...] établies par le Club [...] ". Pour la poursuite de cet objectif, le CCC a adopté des politiques régissant la tenue de ces expositions, dont une partie a trait à l'accréditation des juges. C'est conformément à cette politique, qui se trouve au chapitre VIII, à l'alinéa C.2e ) du Guide de la politique et des procédures du CCC, que la licence de juge a été refusée à M. Kass.

[18]      L'avocat de M. Kass fait référence aux décisions Tsang c. Le Conseil médical du Canada, [1981] 2 C.F. 838 (1re inst.), Association canadienne des quotidiens c. Société canadienne des postes, [1995] 3 C.F. 131 (1re inst.), Aeric, Inc. c. Société canadienne des postes [1985] 1 C.F. 127 (C.A.). Il s'appuie sur le fait que la constitution du CCC doit être approuvée par le ministre concernant les buts énoncés dans la Loi, et que les règlements administratifs de l'organisme, y compris celui qui autorise la tenue d'expositions canines, doivent être approuvés par le ministre, et que le ministre a des pouvoirs d'enquête concernant le fonctionnement du CCC, pour appuyer sa prétention qu'en lui refusant une licence de juge le CCC exerçait des pouvoirs " prévus par une loi fédérale " et donc que cette décision peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire par la Cour.

[19]      Je ne suis pas convaincue que cet argument est fondé. Toutes les sociétés qui sont constituées en vertu de la Loi sur les sociétés par actions exercent dans une certaine mesure des pouvoirs " prévus par une loi fédérale ". Leur statut de personne morale découle de cette Loi même. Il faut plus que la constitution de l'organisme en vertu d'une loi fédérale, même quand celle-ci s'accompagne de l'approbation des règlements administratifs par le ministre et du pouvoir du ministre de procéder à l'inspection des activités de l'organisme, pour faire d'une décision de cette personne morale une décision d'un office fédéral. Les pouvoirs que le conseil d'administration exerçaient ne figuraient pas au nombre des responsabilités obligatoires prévues par une loi fédérale. À cet égard, la décision en question diffère de celles qui ont fait l'objet d'un contrôle dans les affaires Association canadienne des quotidiens et Aeric. Pour ce qui est de l'affaire Tsang, on peut douter qu'elle ait été bien jugée - voir Rosenbush c. Le Bureau national d'examen dentaire du Canada, [1992] 2 C.F. 692 (C.A.F.) page 696, note 6.

[20]      M. Kass a peut-être des recours de nature civile qu'il pourra exercer contre le CCC devant un tribunal provincial, mais la décision du conseil d'administration ne peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire par la Cour. Je dois donc refuser la prorogation demandée.

                         B. Reed

                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 13 octobre 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              98-T-33
INTITULÉ DE LA CAUSE :      STEVE KASS c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MME LE JUGE REED

DATE :                  le 13 octobre 1998

ONT COMPARU :

Murray Smith                          POUR LE REQUÉRANT

Malcolm Palmer                          POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Campney & Murphy

Vancouver (C.-B.)                          POUR LE REQUÉRANT

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                  POUR L'INTIMÉ

__________________

1          3. La présente loi a pour objet de favoriser l'amélioration des races et de protéger ceux qui élèvent et achètent des animaux en pourvoyant à la constitution d'associations autorisées à enregistrer et à identifier les animaux qui, de l'avis du ministre, ont une valeur importante.
         4. Les associations ont pour mission principale l'enregistrement et l'identification des animaux et la tenue de dossiers généalogiques relatifs à ces derniers.

2          6.(1) Une association peut être créée en vertu de la présente loi si le ministre estime que les exigences suivantes sont remplies :          a) les animaux de chaque race particulière et de chaque race en voie de constitution à l'égard desquelles la création de l'association est demandée ont une valeur importante ;          b) les personnes qui déposent les statuts de l'association représentent, à l'échelle du Canada, les éleveurs des animaux de chaque race particulièrement et de chaque race en voie de constitution à l'égard desquelles la création de l'association est demandée :          c) la tenue de dossiers, notamment de dossiers généalogiques, sur les animaux à l'égard desquels la création de l'association est demandée profiterait aux éleveurs ainsi qu'au public en général.

3          10. Chaque association est dotée de la personnalité morale.
         11. L'association peut accomplir tous les actes nécessaires ou utiles à la réalisation de sa mission et à l'exercice de ses activités.

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