Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040218

Dossier : T-653-03

Référence : 2004 CF 247

Ottawa (Ontario), le 18 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MICHAEL L. PHELAN

ENTRE :

                                                                  DOUG SHERB

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

Vue d'ensemble

[1]                La question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est très précise : La Commission de la fonction publique (CFP), peut-elle, selon l'article 12.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (la Loi), réviser les qualifications pour un poste une fois que la sélection concernant ce poste est terminée?

[2]                Pour les motifs qui suivent, je conclus que la CFP a compétence pour faire une telle révision une fois la sélection terminée.

Historique des faits

[3]                Le 1er octobre 2001, le ministère de la Défense nationale (MDN) a affiché un énoncé de qualités pour un concours interne pour le poste de Chef adjoint de peloton pour les pompiers à la base des Forces canadiennes à Shilo, au Manitoba.

[4]                L'énoncé de qualités a été modifié pour ajouter que le candidat choisi devrait, entre autres, réussir le test d'évaluation de la condition physique du personnel de lutte contre les incendies.

[5]                Le demandeur, Doug Sherb (le demandeur ou Sherb) n'a pas été retenu pour la liste d'admissibilité. Une seule personne a été ainsi sélectionnée.

[6]                Le demandeur en a appelé de cette sélection en vertu de l'article 21 de la Loi. Joan Stewart (Stewart), agissant à titre de présidente du comité d'appel, a rejeté l'appel au motif qu'un comité d'appel n'a pas compétence pour réviser les qualités requises après que le processus de sélection est terminé (Sherb, 02-DND-00825, le 31 octobre 2002).

[7]                Le 19 décembre 2002, après que le comité d'appel eut rendu sa décision, Sherb a déposé une demande d'enquête en vertu de l'article 12.1 de la Loi concernant les qualités pour le poste de Chef adjoint de peloton.

[8]                Il est important de tenir compte de la demande d'enquête elle-même. Sur la formule de demande d'enquête, on a coché « Irrégularités en dotation » concernant le « Type de plainte » . Sous la rubrique « Mesure corrective » , le demandeur a également précisé - [traduction] « Nous voulons qu'une révision des qualités requises pour le poste soit faite de bonne foi » .

[9]                Le demandeur a également précisé dans sa demande que pour ce qui est de son rejet lors de la sélection, il avait déposé un appel auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, au motif de discrimination fondée sur la déficience.

[10]            Il est impossible d'accepter que la demande d'enquête n'est pas reliée à l'appel du demandeur, lequel a été rejeté, et à la plainte faite à la Commission canadienne des droits de la personne. La question de savoir si la demande d'enquête constitue une tentative déguisée et peu élégante d'infirmer la décision du comité d'appel n'a pas d'importance lorsqu'il s'agit d'interpréter la loi correctement.

[11]            Stewart a été nommée agente d'enquête pour la demande d'enquête. Le 17 mars 2003, Stewart a rendu sa décision, sur laquelle est fondée la présente demande de contrôle judiciaire.


[12]            Dans cette décision, Stewart a conclu que la Commission n'avait pas compétence pour effectuer une révision en vertu de l'article 12.1 une fois le processus de sélection complété. Stewart s'est fondée sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Canada (Procureur général) c. Asselin (1999), 253 N.R. 388.

Questions en litige

[13]            Comme pour toute décision de droit public à l'heure actuelle, la première question est celle de la norme de contrôle applicable.

[14]            La deuxième question est de savoir si Stewart a conclu à bon droit que la CFP n'avait pas compétence en vertu de l'article 12.1 de la Loi pour effectuer une révision des qualités exigées lorsque le processus de sélection est terminé.

[15]            Pour ce qui est de la deuxième question, à mon avis, Stewart a conclu à tort qu'une demande d'enquête fondée sur l'article 12.1 ne peut être présentée que dans le contexte d'un processus de sélection déterminé et, par conséquent, ne peut être examinée qu'avant le début du processus comme tel. En réalité, Stewart a conclu qu'il fallait considérer que l'article 12.1 de la Loi comportait une certaine forme de limite de temps.


Motifs

[16]            Concernant la première question, les parties et la Cour s'entendent pour dire qu'il s'agit d'une pure question de droit à laquelle doit s'appliquer la norme de la décision correcte.

[17]            Pour commencer, en ce qui concerne la deuxième question en litige, il est important de noter qu'il n'y a à l'article 12.1 qu'une allusion à une limite de temps :

12.1 La Commission peut réviser les qualifications établies par un administrateur général pour les nominations à tel poste ou telle catégorie de postes afin de faire en sorte que ces qualifications satisfassent au principe de la sélection au mérite.

12.1 The Commission may review any qualifications established by a deputy head for appointment to any position or class of positions to ensure that the qualifications afford a basis for selection according to merit.

[18]            L'article 12.1 utilise le terme prospectif « satisfassent » , mais c'est dans un contexte de « qualifications établies par un administrateur général » [...]. L'article ne parle aucunement d'interdire une demande d'enquête lorsque le processus de sélection est terminé.

[19]            Suivant mon interprétation de l'arrêt Asselin, précité, il n'offre pas une solution complète à cette question. Il n'interdit pas à une personne comme le demandeur de faire une demande en vertu de l'article 12.1 concernant des processus de sélection à venir et les qualités qui y seront applicables.

[20]            Dans l'arrêt Asselin, précité, la Cour d'appel a étudié la question de la compétence d'un comité d'appel de réviser les qualifications linguistiques établies pour un poste. Dans la présente affaire, il n'est aucunement question d'un comité d'appel. En fait, un comité d'appel avait déjà décidé du mérite de la contestation de Sherb face à la sélection pour ce poste en particulier; le comité d'appel avait décidé qu'en tant que tribunal, il n'avait pas compétence pour réviser les qualités et exigences une fois la sélection faite.

[21]            La Cour d'appel paraît avoir accepté que l'article 12.1 puisse être invoqué à titre de disposition indépendante, distincte d'un processus d'appel. Le délai établi par la Cour d'appel pour une révision fondée sur l'article 12.1 s'applique au redressement que la CFP pourrait élaborer, et non à la compétence de la CFP en matière de révision. Voici le passage-clé de cet arrêt :

[. . .] Le procureur de la Commission nous a souligné que l'article 12.1 pouvait trouver application indépendamment de la tenue d'un concours particulier puisqu'il permet de réviser les qualifications établies pour « telle catégorie de poste » . Quand bien même cela serait, il n'en reste pas moins qu'à l'égard d'un « poste » en particulier, il est impensable que le pouvoir de révision soit exercé pendant la tenue du concours au détriment des candidats en lice ou de ceux qui ont été écartés ou ne se sont pas présentés en raison d'une qualification que la Commission voudrait maintenant réviser. La Commission devrait très certainement recommencer le processus de sélection ou l'ajuster en conséquence dès lors qu'elle changerait en cours de route les règles du jeu.

[22]            D'abord, il est important de faire la distinction entre une enquête et un appel, puis, entre la compétence et le redressement.

[23]            Puisque la valeur la plus importante exprimée dans la Loi est le principe du mérite, l'article 12.1 doit être interprété d'une manière qui s'apparente à ce principe, en l'absence d'une disposition claire dans le sens contraire.

[24]            Selon le défendeur, pour que le processus de sélection connaisse un terme, la CFP n'a pas compétence pour réviser les exigences de qualifications pendant ou après ce processus.

[25]            Même s'il est important de fixer un terme au processus de sélection, le fait de reconnaître à la CFP la compétence de réviser les qualités ne porte aucunement atteinte à la notion de terme. C'est aux questions ayant trait au redressement qu'il faut appliquer le principe du terme. Une enquête, comme telle, n'a aucun effet sur les sélections actuelles, passées ou à venir; ce processus ne peut être affecté que quand la CFP élabore un redressement.

[26]            Dans ce contexte, il est important de noter que l'article 12.1 ne précise aucune limite dans le temps. Ceci contrairement à l'article 21 (la disposition concernant l'appel) qui renvoie aux délais imposés par règlement.

[27]            Il n'y a aucune raison d'imposer, par analogie, un tel délai. Dans la mesure où, au terme de son enquête en vertu de l'article 12.1, la CFP tire la conclusion qu'une qualité est indéfendable, elle peut ordonner une mesure de redressement en application de l'article 7.5, qui énonce ce qui suit :


7.5 Sous réserve de l'article 34.5, la Commission peut, selon les résultats des enquêtes, rapports ou vérifications effectués sous le régime de la présente loi, prendre ou ordonner à un administrateur général de prendre les mesures de redressement qu'elle juge indiquées.

7.5 Subject to section 34.5, the Commission may, on the basis of any investigation, report or audit under this Act, take, or order a deputy head to take, such corrective action as the Commission considers appropriate.

[28]            Pour ce qui est de la portée de l'article 12.1, il s'agit d'une question de compétence et non de redressement, et il s'agit d'une enquête et non d'un appel. Aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, il s'agit uniquement d'une question de compétence.

[29]            L'article 12.1 ne contient aucune limite de temps, explicite ou implicite. La CFP a compétence pour réviser les qualités établies par un administrateur général sans être limitée par des délais antérieurs ou postérieurs au processus de sélection; elle n'est pas non plus contrainte de le faire uniquement dans le contexte d'un concours en particulier.

[30]            En conséquence, une demande d'enquête concernant des exigences de qualification peut être faite en tout temps. La question de savoir si la CFP pourrait, suite à l'enquête, tenter d'annuler des sélections antérieures n'est pas soumise à la Cour.

[31]            Le demandeur n'a pas demandé à la Cour d'examiner si une telle révision pourrait affecter le processus de sélection particulier dans lequel il a lui-même échoué; il fait même valoir que la Cour n'est pas appelée à le faire.

[32]            La question de savoir quelles mesures de redressement la CFP peut prendre suite à son enquête n'a pas à être examinée ici. Il suffit de dire que la CFP a compétence en vertu de l'article 12.1 de la Loi et doit mener une enquête sur la question des qualités, comme l'a requis le demandeur.

                                        ORDONNANCE

[33]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.          La décision de Joan Stewart datée du 17 mars 2003 est par les présentes annulée.

3.          La question de la demande d'enquête du demandeur datée du 19 décembre 2002 est renvoyée à la Commission de la fonction publique afin qu'une enquête soit menée par un enquêteur différent.

4.          Les dépens sont adjugés au demandeur.

                                                                           « Michael L. Phelan »          

                                                                                                     Juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 18 février 2004

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             T-653-03

INTITULÉ :                            DOUG SHERB

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :      OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE LUNDI 16 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :           LE MERCREDI 18 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Andrew Raven                          POUR LE DEMANDEUR

J. Sanderson Graham                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne                 POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg, c.r.               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.